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Saint Joseph dans son contexte contemporain
La Révélation est complète
et close depuis la mort du dernier apôtre. Il n’en demeure cependant pas
moins
qu’un certain Mystère subsiste, surtout lorsqu’il s’agit de
personnages, comme Marie ou Joseph. En effet, quand dans les premiers
siècles de l’ère chrétienne le paganisme était encore florissant, voire
religion d’état, et quand les empereurs romains, déifiés, rejoignaient,
après leur mort, un Panthéon déjà bien encombré, il aurait été dangereux
et risqué de rendre un culte officiel, même modeste, tant à la Vierge
Marie, qu’à son très chaste époux, Joseph.
Ce n’est que peu à peu, au
long des siècles, à mesure que le besoin s’en faisait sentir, que Dieu
permit que ce qui était comme caché dans l’Évangile, s’éclairât peu à
peu, soit au travers des réflexions théologiques, soit par des
révélations privées, reconnues par l’Église comme des explicitations de
la Sainte Écriture.
Pour bien connaître un
homme, comprendre véritablement ses façons d’agir ou ses réactions il
faut le resituer dans son contexte contemporain et dans le milieu de
vie, religieux et social qui fut le sien. Et la tâche se révèle souvent
ardue quand la personne que l’on veut présenter a vécu deux millénaires
avant nous. Et surtout quand cette personne est Saint Joseph, l’homme le
plus silencieux de toute la Bible!
Les travaux archéologiques,
linguistiques et historiques du XXe siècle permettent maintenant de
lever un peu le voile qui estompe le Mystère de Joseph le Charpentier,
père nourricier de Jésus. Plusieurs auteurs, en fonction de leurs
besoins et de leurs préoccupations propres, ont tenté de faire une
synthèse des travaux déjà réalisés. Nous nous en inspirerons tout au
long de ce chapitre, afin de faire revivre l’homme exceptionnel que fut
Saint Joseph.
La pensée juive
authentique, notamment celle de la Bible, ne se préoccupe des faits
concrets que lorsqu’ils ont une signification religieuse, et manifestent
la Volonté de Dieu. C’est peut-être pourquoi, outre les raisons énoncées
plus haut, les trente premières années de la vie de Jésus semblent
n’avoir que très peu intéressé les chrétiens judaïsants. Il importait
peu que ces trente années survivent. Mais, disait déjà Robert Aron en
1960: “Dans le désarroi présent du monde, il se peut que ces trente
années redeviennent d’actualité... et qu’en actualisant le drame antique
du monde juif affronté au monde païen, on éclaire le drame contemporain
de la civilisation chrétienne.”
Quelques rappels
historiques sur la Palestine
Nazareth, géographiquement
et spirituellement fait partie de la province de Palestine , creuset
imprégné du sacré dès la plus haute Antiquité et prédestiné à tous les
débats religieux. Partout on retrouve des vestiges des civilisations
successives, comme si l’humanité avait voulu y superposer ses temples et
ses autels. Partout on retrouve des traces des anciens cultes et même
des sacrifices humains, et particulièrement de jeunes enfants.
On peut citer les cultes
rendus aux Astartés et aux Baals
[1],
avant l’arrivée du peuple hébreu. Les cananéens adoraient le dieu de
l’orage, le dieu du blé, le dieu du soleil, de la lune, du feu, de la
fortune, etc. Le nombre des dieux cananéens est incalculable. C’est dans
ce monde fondamentalement religieux, quoique polythéiste et paÎen,
qu’arrivent les Hébreux conduits par Abraham. Cette terre éminemment
religieuse restera religieuse, mais la multiplicité des dieux devra
céder la place à un Dieu unique. C’est alors que, selon Robert Aron,“s’opère
l’invention vraiment essentielle, l’apport propre du judaïsme dans le
problème religieux: qu’il y ait autant de bénédictions, de prières
adressées au Dieu unique qu’il y avait autrefois de divinités
différentes. Une bénédiction pour chaque acte de la vie, une prière pour
chaque circonstance, une invocation quand se manifeste chacune des
forces naturelles...”
Ainsi le réseau sacré se
reconstitue, non à partir des génies ou des dieux du polydémonisme ou du
polythéisme, mais au moyen des prières multipliées en l’honneur du Dieu
unique.
[2]
C’est la vocation de la Palestine: faire se rencontrer Dieu et les
hommes. Ce sera la vocation spéciale de Nazareth, toute petite localité
à l’écart des grands courants d’idées de l’époque, et dont la population
est restée simple, artisanale, campagnarde, avec des accents rustiques
et peu évolués, mais farouchement respectueuse de la tradition juive.
C’est là que s’installe la Sainte Famille à son retour d’Égypte. C’est
là que Joseph, chef de la Sainte Famille va exercer son métier de
charpentier. Et c’est là que Jésus grandira et se formera.
Le monde de Nazareth
Le monde juif de l’époque
où vivait Saint Joseph commence à être mieux connu. A Nazareth, on
parlait l’araméen, langue sémitique, proche de l’hébreu comme le
français est proche de l’italien et l’on se soumettait, en tous points,
à la loi et aux coutumes juives, dont le travail manuel et les pratiques
religieuses constituaient la trame.
Le travail
Joseph était charpentier
par tradition familiale et religieuse, car tout juif de l’époque
biblique était tenu d’exercer un métier manuel et de l’enseigner à ses
fils afin d’assurer leur avenir. Le Talmud ne plaisante pas sur ce
sujet: “Qui n’enseigne pas une profession manuelle à son fils, est
comme s’il en faisait un brigand.”
Car, pour les juifs, le
travail manuel était sacré et nul ne devait se soustraire à cette
obligation. “Même les rabbins, ou les prêtres, devaient exercer un
métier en plus de leur ministère” et les plus savants docteurs
avaient l’obligation de gagner leur pain grâce à leur métier.
En Israël, c’est le métier
de laboureur qui était le plus honoré. Mais il existait des artisans
qui, très intimement liés aux travaux de cette profession, leur
rendaient de nombreux services. Parmi ces artisans, il y avait les
charpentiers. Saint Justin écrit dans ‘Le dialogue avec
Tryphon’, “Lorsque Jésus vint au Jourdain, on le croyait fils de Joseph
le Charpentier, et il était, comme le prédisaient les Écritures, “sans
apparence”, car on le tenait lui-même pour un charpentier. Durant son
séjour parmi les hommes en effet, il exerçait un métier et fabriquait
des charrues et des jougs, donnant ainsi l’exemple de la justice et du
travail.”
On connait les métiers des
grands rabbins antérieurs à ou contemporains de Jésus. Ainsi “Hillel
était bûcheron, Rabbi Yehouda, boulanger, Rabbi Yohanan cordonnier,
jusqu’à Saul de Tarse, apôtre du christianisme qui sera fabricant de
tentes.”
[3]
L’écriture des textes
écrits dans les rouleaux de la Thora, que Joseph doit parfois lire à la
synagogue, le jour du Sabbat, ne comporte que des consonnes. Cela est
suffisant car tous les juifs doivent connaître par coeur les textes
sacrés. Les consonnes ne sont, à vrai dire, que de simples points de
repère destinés, peut-être, à soutenir des mémoires défaillantes.
Le temps chez les juifs
Un autre point délicat et
difficile à exprimer pour nous occidentaux du XXe siècle, est la notion
du temps telle que la concevaient les juifs du temps de Joseph.
“L’instant présent, comme tout instant, déborde pour eux (les
juifs) ses limites, et se situe dans la durée continue qui va du
début à la fin des temps, c’est-à-dire de la création jusqu’à la venue
du Messie. Leur vie n’est pas chronologique. Ils la passent en compagnie
des grands hommes du passé qui demeurent toujours présents: rois,
patriarches et prophètes sont toujours à leur côté, dans leurs émotions
et leurs actes. Ils croient à la réalité présente de tout fait qui s’est
accompli au cours de l’histoire d’Israël, mais aussi de tout fait qui
reste à accomplir... Et le culte juif est une reconstitution de
l’histoire,” vécue comme si elle était véritablement actuelle.
“Chaque instant fugitif
possède pour le juif du temps de Jésus la saveur de l’éternité. Présent,
passé et futur se rejoignent...” Pour mieux comprendre, on peut
citer cet apologue midrashique: “Rabbi Lieber a eu une apparition du
prophète Élie. Mais ce n’est pas à Rabbi Lieber qu’a été accordé le
privilège de voir Élie, c’est Élie qui a obtenu le privilège d’une
révélation de Rabbi Lieber.”
[4] Pour
le juif des temps bibliques, célébrer un évènement, c’est,
véritablement, le revivre dans toute son intensité.
Pour nous, le temps est un
instrument de mesure.”Pour les juifs et pour Joseph, c’est l’étoffe
même de la vie sur laquelle chacun peut, à sa guise, à l’envers ou à
l’endroit, d’un point direct ou inverse, tisser la trame de ses jours...
Selon Abraham Heschel
[5],
“l’existence n’implique essentiellement aucun pouvoir spacial, mais les
années de notre vie sont pour nous d’une importance absolue; le temps
est la seule propriété que nous possédons réellement et d’une façon si
naturelle qu’il nous faut un effort pour en prendre conscience; les
objets sont le rivage, mais le voyage se déroule dans le temps.”
Vie quotidienne et vie
religieuse
Chez les juifs pieux de
l’époque de Joseph, et tout laisse à penser que Saint Joseph était un
juif pieux, vie religieuse et vie quotidienne sont si étroitement
mêlées qu’elles sont pratiquement indissociables. Pour bien comprendre
cela, il faut essayer de se représenter la vie quotidienne d’un
religieux appartenant à un grand ordre monastique. Les activités peuvent
être nombreuses et prenantes, mais tout se passe constamment sous le
regard de Dieu; les exercices spirituels prévus qui jalonnent la vie
d’un religieux transforment même ses activités profanes en activités
sacrées.
Saint Joseph se comporte,
comme tous les juifs fidèles, en religieux chrétien avant l’heure. Il
pratique les innombrables prescriptions de la Loi. Sur la porte de sa
maison il a placé une mezouza, petit tube de métal renfermant un
parchemin sur lequel est inscrite la profession de foi fondamentale du
judaïsme. “Écoute Israël, l’Éternel est UN...” Il porte sur son front
le phylactère, il récite, matin et soir, le texte sacré. Il pratique
tous les autres rites domestiques: prières rituelles du lever, de la
toilette, du déjeuner, du travail, du repos, etc, du coucher, et de tous
les actes de la journée, même les plus vulgaires. On loue Dieu quand le
soleil paraît, on loue Dieu quand il pleut, on le bénit de fertiliser la
terre, etc, etc... Chez lui, on mange kacher bien sûr. Même le
vin doit être kacher, c’est-à-dire fabriqué par les seules mains
juives, sinon il serait profané.
Puis il y a toutes les
cérémonies domestiques et synagogales du Shabbat. “Le monde dans
lequel vit le juif, est un monde entièrement sacré. Ses aspects, en
apparence les plus laïcs, sont rattachés au divin: et l’homme, afin de
participer à cet ordre à la fois surnaturel et naturel, doit en chaque
circonstance passagère, en rendre hommage à l’Éternel.” Le Talmud
d’ailleurs précise: “Celui qui use du bien de ce monde sans réciter
une bénédiction, profane une chose sainte...”
[6] C’est
seulement par la bénédiction, (la Berakha) que l’homme obtient le droit
d’user des biens de ce monde. Il y a ainsi cent bénédictions
quotidiennes qui, du lever au coucher, accompagnent le juif pieux du
temps de Joseph.
Les principales prières
[7]
Outre les cent bénédictions
qui jalonnent la journée, plusieurs offices et de nombreuses prières
sanctifient la journée:
– l’office du soir ou
Arbit ou Maarib, institué par Jacob commence la journée, car le
monde a été créé à partir des ténèbres,
– l’office du matin, dit de
Schahrit, de l’aurore, institué par Abraham,
– et l’office de
l’après-midi, office de Minha, institué par Isaac.
Ainsi, pour les juifs,
aucune heure n’est profane.
Parmi les principales
prières que Joseph et Jésus ont récitées, et qui ont très certainement
influencé la pensée de Jésus, on doit citer:
– Tout d’abord les psaumes,
puis
– L’Alénou , qui
évoque la mission d’Israël,
– Trois oraisons, leshema,
l’Amida, prière silencieuse, encore appelée le
Shemomé-Esré, et le Barekhou,
– Enfin le Kaddisch,
probablement l’ancêtre du Notre-Père.
Et il ne faut pas oublier
les nombreuses fêtes... qui ponctuaient l’année, fêtes dont la Pâque est
la principale.
Pour résumer on peut dire
que le peuple juif n’existe et ne vit que pour Dieu.
C’est dans ce monde de
prière continuelle que vit, au jour le jour, la Sainte Famille, guidée
par saint Joseph. Nous verrons plus loin, et plus en détails, et
replacée dans ce contexte biblique, ce que dut être la vie à Nazareth.
Mais avant, il convient de se poser la question: “Saint Joseph, qui
es-tu?”
Joseph, qui es-tu ? d’où
viens-tu ?
Les généalogies. Son nom
Nous l’avons vu plus haut,
au chapitre 3, comment Saint Joseph avait été, en quelque sorte, annoncé
dans l’Ancien Testament.“La Bible est un livre particulièrement
typologique. Les personnages décrits y sont souvent image première et
annonce d’un personnage à venir.”
[8] Souvenons-nous,
notamment, de Joseph ben Jacob qui présente de nombreuses analogies avec
Joseph, le Charpentier:
– similitude de
destin: l’un et l’autre durent aller en Égypte, l’un comme esclave,
l’autre pour fuir ceux qui voulaient la mort de Jésus.
– l’un fut appelé
“Père des Pharaons”, car Pharaon (celui qui vivait à l’époque de Joseph)
remit son empire entre ses mains et le nomma “Celui qui donne la vie”;
l’autre fut appelé “Père de Jésus” par le milieu social qui ignorait les
circonstances extraordinaires de la naissance de L’Enfant-Dieu.
– Joseph ben Jacob
fut initié aux connaissances des Égyptiens. On peut penser, avec Émile
Moreau, “que Joseph le Charpentier, ‘père’ du Roi des Rois de
l’univers a lui aussi reçu une formation spirituelle pendant son séjour
égyptien... Car, dans ces sociétés orientales, il n’y avait pas de
séparation entre “manuels” et “intellectuels”. On était souvent les deux
à la fois. Le travail manuel, qui n’était pas méprisé, assurait
seulement l’indépendance matérielle nécessaire.”
– tous les deux
reçurent le charisme des songes et de leur interprétation.
– de plus,
“grâce à Joseph ben Jacob la survie du peuple de Dieu fut assurée dans
la terre de Gessen. Grâce à Joseph le Charpentier, la survie de Jésus
fut assurée, et la Rédemption put avoir lieu.”
– Enfin,”similitude
de destin: Joseph ben Jacob, par son intelligence technique économique,
devint le père nourricier de l’Égypte, qu’il sauve des sept années de
famine. Et Joseph le Charpentier, par la technique (et l’exercice)
de son métier de charpentier devint le père nourricier de la Sainte
Famille.”
Les généalogies
Le midrash explique que la
Thorah “subordonne la descendance de Jacob à celle de Joseph.”
Le psaume 77 (verset 16) dit par ailleurs: “Ton peuple, les fils de
Jacob et de Joseph.”
Dans Matthieu il est
écrit: “Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né
Jésus.” Ici Jésus est rattaché à Marie. Quant à Luc, il dit:
“Jésus était comme on le pensait, fils de Joseph.” Jésus est
rattaché à Joseph.
Jésus a deux généalogies,
toutes deux davidiques, mais l’une est royale (par Marie), et l’autre
est sacerdotale. Ainsi, pour les hommes, Jésus était à la fois le
Messie-Prêtre, et par l’élection de Salomon, le Messie-Roi.[9]
On peut également rappeler
ici comment Saint Ambroise
[10] explique
les différences existant entre les généalogies selon Saint Matthieu et
selon Saint Luc: Joseph fils de Jacob, lui-même fils de Mathan, selon le
premier. Fils d’Héli, lui-même fils de Melchi selon le second.
C’est en se penchant sur
certaines particularités de la Loi juive que Saint Ambroise trouve la
solution: “Suivant la prescription de la Loi, les deux frères Mathan
et Melchi engendrèrent des fils utérins de la même épouse. Selon la
tradition, Mathan, dont l’ascendance remonte à Salomon, a engendré
Jacob, et il mourut laissant son épouse à Melchi, son frère, qui la
maria et engendra ainsi Héli. Le même Héli ayant un frère décédé sans
enfant, s’unit à sa veuve et engendra Joseph, lequel selon la Loi était
appelé fils de Jacob: car c’est ainsi que suivant la Loi, le frère
survivant suscitait une postérité au frère défunt.
Joseph est ainsi le fils
de deux hommes différents et non pas engendré par les deux. Il est fils
de l’un par la génération, et fils de l’autre légalement...”
Le
nom de Joseph
Nos civilisations
occidentales matérialistes et athées ont perdu le sens profond du nom
auquel s’attache souvent toute une histoire et qui nous intègre dans
notre famille, dans la vie de nos ancêtres, et nous rattache à nos
racines profondes. Mais en Israël le nom avait une grande signification.
Le nom de certaines personnes fut parfois imposé par Dieu Lui-même: ce
fut le cas pour Jean le Baptiste, et pour Jésus.
Et le nom de Joseph, d’où
vient-il? Ce nom, Joseph, ”vient de la naissance du premier Joseph,
le fils de Jacob.” Quand son épouse bien-aimée mais stérile,
Rachel, put enfin enfanter, elle nomma son fils: Joseph, “Dieu a
enlevé mon opprobre.” Le deuxième Joseph, Joseph le Charpentier“méritait
bien de s’appeler Joseph, car, en recevant chez lui Marie, il enlevait
l’opprobre de son apparent adultère.” [11]
En hébreu, Joseph signifie
également augmenter, croître, grandir. Plus que tous les autres hommes,
Saint Joseph a été celui “qui croît”, en âge, en taille, en
sagesse et en grâce, jusqu’à devenir l’époux de la Vierge choisie, et le
“père” et le gardien du Fils de Dieu. Joseph aura aussi autorité
sur ce Fils de Dieu. Or,“ce mot autorité provient précisément du mot
latin “augere” qui veut dire augmenter et rejoint ainsi la signification
du nom hébreu de Joseph... Joseph a été appelé à établir son autorité
sur le Fils de Dieu Lui-même. Celui qui commande au soleil, à la lune et
aux étoiles lui sera obéissant.”
[12]
Jésus, dans le Nouveau
Testament, sera toujours considéré comme le fils de Joseph, le
Charpentier. Pendant lontemps on a estimé que le métier de Joseph, donc
de Jésus, était un métier manuel, d’artisan humble, jouissant de peu de
considération. Des travaux récents montrent qu’au contraire, le fait
d’être charpentier dans le monde de la Bible, c’était exercer un métier
noble, et jouir d’une certaine notoriété religieuse.
Joseph le Charpentier
Le peuple de Dieu était
devenu au fil des temps, un peuple de paysans, d’artisans et,
probablement de commerçants à Jérusalem. Il y avait aussi des sages, les
docteurs, qui enseignaient bénévolement à leurs disciples, lesquels ne
parlaient pas en leur propre nom mais au nom de leur maître: “mon
maître Untel enseigne ceci...” Tous les docteurs en Israël étaient
tenus de travailler de leurs mains pour vivre.
“Au temps de Joseph
vivaient deux des plus grands Maîtres en Israël: Hillel et Shammaï ,
dont les “académies étaient rivales... Hillel était de son métier,
bûcheron, et Shammaï, charpentier. C’est seulement après avoir assuré le
pain du jour à leur famille qu’ils étudiaient ou qu’ils donnaient leur
enseignement gratuitement à leurs disciples...”
[13]
David Flusser, professeur à
l’Université hébraïque de Jérusalem écrit: “Les scribes avaient
certes des défauts, mais ils n’étaient pas des mandarins. Ils
demandaient qu’à tout enfant soit enseigné un métier manuel, et la
plupart d’entre eux en exerçaient un par eux-mêmes. Ainsi les menuisiers
étaient tenus pour une corporation particulièrement savante. Dans la
discussion d’une question difficile, on avait coutume de dire: “N’y
a-t-il pas parmi vous un charpentier, fils de charpentier, pour résoudre
cette question?”
[14]
Jésus, charpentier, fils de
charpentier, “est venu résoudre toutes les questions, par son
enseignement, sa passion, sa mort et sa Résurrection... Justin, martyr
du IIe siècle, a encore entendu parler en Palestine, de charrues sorties
de l’atelier de Joseph, que Jésus aurait fabriquées...” C’est des
païens, notamment d’Hiram, roi de Tyr, que les charpentiers juifs
auraient acquis tous les secrets et le savoir-faire du métier de
charpentier. Et les charpentiers étaient des personnages très
importants. On lit, en effet, dans Jérémie (24, 1): “C’était après
que Nabucatnetsar, roi de Babylone, eût emmené captifs, de Jérusalem à
Babylone: Jéchonias, fils de Joachim, roi de Judah, les chefs de Judah,
les charpentiers et les serruriers.”
Par ailleurs, “dans les
sentences talmudiques, le mot araméen signifiant charpentier ou artisan
était aussi employé pour désigner un savant ou un homme instruit.”
Le Talmud de Babylone dit: “il n’y a pas de charpentier, ni de fils
de charpentier qui puisse expliquer cela.” Et celui de Jérusalem:
“C’est quelque chose que nul charpentier, fils de charpentier ne peut
expliquer.”
[15]
Joseph était-il donc un rabbi ?
Ce qui précède laisse
supposer que la corporation des charpentiers aurait fourni à Israël ses
meilleurs rabbis. Il y avait une transmission familiale, à la fois des
connaissances professionnelles et des connaissances religieuses. Le
Deutéronome ne dit-il pas: “ces préceptes que je te donne, tu les
inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta
maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te
lèveras.” ? (Deut. VI, 7; XI, 19) Dans ces préceptes se trouve
incluse la loi de Dieu. Après la formation familiale, le futur rabbi
pouvait aller dans une communauté de prophètes, soit, entre autres, au
Mont Carmel ou chez les Esséniens de Qumrân.
Alors, notre Joseph, père
nourricier de Jésus?
“Au temps
de Joseph, le Charpentier, il semble bien établi que Qumrân avait
essaimé un peu partout en Israël, sous la forme de petites fraternités
locales, vivant l’esprit et la théologie de l’essénisme, dans ce que
nous appelons le laïcat, sous la conduite d’un Maître. Les prêtres
esséniens avaient déserté le Temple et remplaçaient les sacrifices
d’animaux par des purifications par l’eau: des immersions.” Nous
reconnaissons là le Baptême proposé par Jean le Baptiste.
Notre Saint Joseph ne
pouvait ignorer Qumrân. Peut-être même y est-il allé?...
En ce qui concerne Qumrân
quelques points sont à signaler. Selon Émile Moreau, “Qumrân était en
opposition avec les grands prêtres et les sadducéens.” Pour les
adeptes de Qumrân, le Temple était profané, et les sacrifices qu’on y
faisait étaient sans valeur, car les responsables, contraints de
fraterniser avec les autorités romaines se trouvaient en état d’impureté
légale. Par contre, on a trouvé des analogies entre l’enseignement de
Jésus et celui de Qumrân. Des prêtres esséniens se seraient même
convertis au christianisme après la Pentecôte. Par ailleurs “lorsque
Jésus passa quarante jours dans “le désert”, cela signifiait Qumrân dans
le langage du temps. C’était là un “centre accueillant de solitude et
de silence.” Et d’après le cardinal Daniélou, le lieu traditionnel
de la Tentation de Jésus au désert est situé sur la falaise où l’on a
trouvé les Manuscrits de la Mer Morte.
Émile Moreau fait également
remarquer que les Esséniens ne sont pas nommés dans les Évangiles: ils
ne font pas opposition à l’enseignement de Jésus. Mais l’enseignement de
Jésus est parfois assez proche de celui du grand rabbin Rabbi Hillel
lequel enseignait quand Joseph était plus jeune. “Et l’on pourrait
aussi bien se poser la question de savoir si Joseph n’aurait pas été
l’un des disciples de ce grand Rabbi.” Il est possible aussi que
Joseph ait subi l’influence d’une perspective de pensée émanant de la
diaspora juive: sens apocalyptique de la guerre messianique.
On ignore la formation
spirituelle et théologique reçue par Rabbi Joseph le Charpentier qui
“allait être chargé de l’éducation de Jésus... Mais ce n’est pas sans
signification de savoir qu’il était Charpentier, et qu’ainsi Jésus,
serait, à sa suite: “Charpentier, fils de Charpentier”...[16]
De son côté Lucien Deiss[17] dira:“Le
métier de charpentier, tektôn, était un métier estimé. Dans les
sentences talmudiques, on disait par exemple, à propos d’une chose
difficile à expliquer et à comprendre: c’est une chose que nul
charpentier, fils de charpentier, -sous entendu: tout instruit qu’il
soit- ne peut expliquer.”
[18] Plus
tard Jésus se souviendra de son travail de charpentier...
Voilà des informations
nouvelles qui nous rassurent. Le Seigneur Dieu, le Père du Fils Unique,
n’a pas confié l’éducation de Jésus à un ignorant mais à Joseph qui,
humble parmi les humbles après Marie, devait cependant connaître et
observer la Loi de Moïse, donc de Dieu dans toute sa perfection.
Joseph, comment as-tu vécu?
Voici donc Joseph replacé
dans son milieu de vie. C’est probablement un juif pieux, mais cela ne
fait pas encore de lui le futur époux de Marie et encore moins le futur
père adoptif de Jésus. Il nous faut aller encore plus loin dans la
connaissance du monde qui fut celui dans lequel le futur Saint Joseph
évolua. Pour cela écoutons le Père Émile Moreau qui estime que “nous
devons ouvrir notre esprit à la compréhension ou à la connaissance de ce
qu’était le mariage chez les Hébreux, les modalités de la vie de famille
et de la vie religieuse.”
Le Père Moreau nous fait
comprendre, toute l’importance du mariage à l’époque de Joseph, et ce
qu’il était dans sa réalité vécue. Il nous montre la réalité du mariage
de Joseph et de Marie, il nous décrit la vie de la Sainte Famille à
Nazareth, et il sait nous conduire dans les colonies juives d’Égypte,
souvent considérées comme des lieux de refuge.
Ainsi, grâce et au-delà des
contingences humaines, Émile Moreau nous montre le rôle de Saint Joseph
dans le Mystère de l’Incarnation, rôle peu connu et pourtant tellement
important.
Le
mariage de Joseph
Marie a été élevée au
Temple à une époque où l’on était dans une ardente attente du Messie. La
destinée commune des juifs de cette époque était le mariage qui était le
grand devoir à assumer dans la vie. On se mariait jeune: treize à
quatorze ans pour les jeunes filles; environ vingt cinq ans pour les
jeunes hommes, une fois qu’ils possédaient le métier qui ferait vivre le
ménage.
Le mariage, chez les
hébreux, se déroulait en deux temps: “Le premier temps était constitué
par une sorte d’accord juridique... Le fiancé remettait alors en cadeau,
un bijou dans la main de la jeune fille en disant: “Ce bijou est le
signe que tu es désormais ma femme... Ils étaient, à ce moment,
définitivement engagés l’un et l’autre, mais n’habitaient pas encore
ensemble... Ensuite les noces étaient célébrées publiquement, avec de
nombreux invités.”
La première phase du
mariage, c’était vraiment le mariage, le mariage au sens propre,
pourrait-on dire. Rompre ce mariage était déjà un adultère, et la femme
qui s’était rendue coupable de cet acte devait être lapidée. C’est donc
ce que risquait Marie, enceinte. On comprend alors l’importance du “Oui”
de Joseph à lAnge qui lui demanda de prendre chez lui son épouse. Ce
sont donc deux vrais époux qui arrivèrent à Bethléem, qui présentèrent
Jésus au Temple, qui accueillirent les mages, et qui durent ensuite fuir
en Égypte.
La mission confiée à Joseph
“n’était pas de tout repos. Elle avait commencé dans l’épreuve d’un
apparent adultère, elle se continuait par l’épreuve d’un exode
particulièrement délicat et dangereux... Les ordres n’étaient donnés que
sur le moment. Il fallait obéir à l’instant même, sans bénéficier d’une
perspective rassurante sur l’avenir. A chaque jour suffisait sa peine,
dans l’humilité profonde d’une humble vie, vécue dans le mystère de la
plus haute vocation.”
[19]
Joseph en Égypte
L’Égypte a joué un grand
rôle dans l’histoire du peuple hébreu. Quand Joseph le Charpentier dut
fuir en Égypte, vers quels lieux se dirigea-t-il? On pense à Alexandrie
ou à Héliopolis. La communauté juive d’Héliopolis, en effet, étant
réputée pour sa parfaite orthodoxie juive, on peut penser que c’est vers
cette ville que Joseph se dirigea. Il faut savoir aussi qu’à cette
époque, la “connaissance” s’était fixée en Égypte,”ce monde sacral où
il y avait toujours correspondance entre les lois de la nature et les
lois spirituelles.”
[20]
Joseph à Nazareth
Averti en songe, Joseph
alla s’établir à Nazareth. Après plusieurs années d’absence, il doit se
créer une nouvelle clientèle afin d’assurer la subsistance des siens.
Pour nous, la famille de
Joseph et de Marie installée à Nazareth est l’icône de la Sainte Famille
du ciel: “Le père est Joseph, il représente, quoique putatif, le Père
créateur et législateur du monde, le Fils est Jésus, Verbe Incarné,
encore dans son enfance humaine, et le Saint-Esprit a ouvert et imprégné
pleinement Marie son épouse... Mais aux yeux des nazaréens, c’est une
simple famille d’artisans-paysans... probablement alliée à d’autres
familles du bourg...“ Il convient de rappeler ici“qu’en Israël on
appelait “frères” les parents proches.”
Dans cette famille
apparemment ordinaire, Joseph, homme jeune et courageux, sera le
protecteur naturel de sa femme et de son fils. Joseph, en plus de son
métier, devait s’occuper des cultures vivrières: blé, orge, vigne,
olivier, figuier, légumes... et le lin qui, avec la laine des moutons,
permettait la confection des vêtements. De son côté Marie, aidée de
Jésus, devait aller chercher l’eau, faire le pain, ramasser plantes et
baies comestibles, s’occuper du petit troupeau familial, filer et tisser
le lin et la laine, et confectionner les vêtements. Et tout en
travaillant, on chantait les psaumes ou quelques paragraphes de la
Thorah.
Quand Jésus eut cinq ans,
il passa “du gouvernement principal de sa mère, à celui de son père,
comme le voulait la tradition juive.” Et dorénavant, chaque jour, Joseph
apprendra à Jésus un nouveau récitatif, et lui fera réciter, par coeur,
ceux appris précédemment. Cette fonction du père était une obligation
qu’on ne pouvait transiger. “Lorsqu’un étranger se substituait au père
selon la nature, pour enseigner quotidiennement la Thorah à son fils,
cela constituait une sorte d’adoption et de paternité spirituelles... Et
c’est ainsi qu’on peut considérer Joseph, comme véritablement père de
Jésus, bien qu’il ne soit pour rien dans son engendrement charnel, car
il a effectivement été son père sur le plan spirituel, en l’engendrant
petit à petit, en tant qu’être humain, enfant bien sûr! dans la vie du
monde à venir.”
Vers l’âge de douze ans,
l’enfant juif accède à sa majorité spirituelle. Jésus pourra dès lors,
comme tous les enfants de son âge, revêtir le talith (châle de prière),
lire et commenter les livres saints dans la synagogue.
Le rôle pédagogique de
Joseph le Charpentier ne s’arrête pas là. Quand Jésus sut la Thorah par
coeur, il lui fit étudier la Mishna, commentaires oraux donnés par les
Sages, puis les traditions orales et populaires, les haggada. Quand
Jésus fut adolescent, Joseph dut probablement poursuivre cet
enseignement, mais sous forme de dialogues, de réflexions et de
discussions avec Jésus.
Sa mission remplie, Joseph
disparaîtra, toujours discrètement et silencieusement de la vie de la
Sainte Famille.
Joseph dans sa famille
La maison familiale était
très simple et très peu meublée. Mais, à chaque porte de la maison, il y
avait un petit tube, la mezouzah qui contenait quelques extraits de la
Thorah. A l’intérieur de la maison on trouvait d’autres objets consacrés
au culte familial: la menorah, chandelier à huit branches, destiné à la
fête de Hanouka, mémorial de la purification du Temple après la victoire
des Macchabées sur les Grecs, et aussi le chandelier à sept branches,
lequel représentait les six jours de la création appuyés sur la branche
centrale symbolisant le Shabbat de Dieu. Comme toutes les maîtresses de
maison, Marie disposait d’un petit chandelier à deux branches (les deux
tables de la Thorah), et c’est elle qui accomplissait le rite
hebdomadaire de l’ouverture du Shabbat.
Parmi les objets du culte
familial on notera aussi la coupe réservée au prophète Élie, toujours
attendu chaque shabbat; et une méguilah, rouleau de parchemin sur
laquelle on pouvait lire “Le Livre d’Esther”.
Le culte familial pascal
était présidé par Joseph, et c’est Jésus qui posait les questions
rituelles. Les jours de shabbat ordinaire, la Sainte Famille se rendait
à la synagogue. Joseph et Jésus portaient la Kippa, la calotte rituelle,
car on se couvre la tête devant Dieu, par respect. “Ainsi, dans la
simplicité la plus banale d’une famille juive, se formait l’Enfant-Dieu,
auprès d’un père charpentier. On ignore jusqu’à quel âge dura cette
formation “ de Jésus, car l’Évangile ne nous en parle pas.
[21]
Certes, nous ne savons que
très peu de choses sur Joseph le Charpentier, mais, le fait d’avoir
essayé de le resituer dans son contexte socio-historique contemporain,
nous montre l’importance de la religion dans la société juive de
l’époque de Jésus-Enfant. Et, dans ce contexte, on comprend l’impact que
pouvait avoir, en Israël, le fait d’être un “charpentier, fils de
charpentier.”
Mais revenons à
Joseph.“Pour l’éducation humaine de l’Enfant qui... est, était et sera
éternellement le Roi... de l’Univers entier, le Père divin allait-il
prendre n’importe quel tenant-lieu de père, n’importe quel tout-venant
d’homme?... Alors... quelle ne dut pas être la mesure de ce Joseph
auquel une mission aussi extraordinaire a été confiée! Quelle valeur lui
fallait-il posséder dans son humanité, avec les qualités de coeur, de
courage et de culture que cela suppose?... “ Joseph a dû peser “le poids
de son ‘oui’ Sans l’amen de Joseph, l’Incarnation, et donc
potentiellement la Rédemption étaient inconcevables.”
Le premier et le plus grand
des docteurs de l’Église, c’est Joseph le Charpentier, celui qui a
instruit Jésus,“charpentier, fils de charpentier.” Seul Joseph a reçu
l’unique, l’extraordinaire et sublime mission d’être constitué
réprésentant légal de Dieu le Père auprès de Jésus-Enfant, avec la
charge de sa formation humaine et religieuse. Et cet homme, hors du
commun, entre dans la vie et en sort dans une discrétion totale. Une
fois sa mission accomplie, il s’efface, s’ensevelissant dans l’oubli.
Quelle humilité! Et comme tout cela nous dépasse!
Émile Moreau terminera son
étude consacrée à Joseph le Charpentier par ces mots: “Pour être justes
et complaire à Jésus et à Marie, magnifions donc Joseph le Charpentier,
Docteur et Saint unique, qui n’a jamais eu et n’aura jamais de
semblable, ni de similaire. Il ne s’agit pas là de pieuseté enfantine ou
“rétro”, mais d’un acte adulte de justice et d’amour.”
La
prière de Joseph et de la Sainte Famille
Comme nous l’avons déjà dit
plus haut, deux occupations principales sanctifiaient la journée des
juifs pieux de l’époque de Saint Joseph: la prière et le travail. Nous
nous sommes longuement attardés sur le travail, et surtout le travail
manuel. Nous n’y reviendrons pas.
Nous avons aussi longuement
parlé de la prière juive. Nous y reviendrons cependant, et nous
essaierons de contempler, simplement pour notre propre enseignement, la
prière qui fut celle de la Sainte Famille pendant de longues années.
La
prière à Nazareth
Nous savons déjà que“tout
prend un sens religieux dans la vie d’une famille juive et que tout est
soumis à un ordre voulu par Dieu. Joseph était trop ‘juste’ pour ne pas
observer toutes les prescriptions et les suggestions même de la Loi. Or,
dans la Loi et dans ses applications traditionnelles, la prière tient la
première place... Pour montrer à Dieu son amour, le juif pieux se
mettait chaque jour, et plusieurs fois par jour en prière... La prière
était en honneur dans Israël, même si elle avait parfois à redouter le
pharisaïsme... L’usage était de prier le matin et le soir, et aussi au
“plein midi”, selon un mot des psaumes, c’est-à-dire à la sixième heure,
comme on disait alors.
Le juif fidèle, pour prier,
revêtait une sorte d’écharpe appelée taleth. C’était comme un ‘châle à
prière’. Il était généralement fait de soie blanche ornée de broderies
et se terminait par des franges appelées tsitsit. Pendant la prière on
se fixait au front les téphilim, sortes de petites boîtes noires et
carrées, faites de peaux d’animaux purs, dans lesquelles se trouvaient
des passages de l’Écriture écrits sur parchemin. On se tournait vers la
direction de Jérusalem, et si l’on était dans cette ville, vers la
direction du Temple, et, si l’on était dans le Temple, vers la direction
du Saint des Saints.”
[22]
En principe, on ne priait
pas à genoux, sauf dans les grandes circonstances: et cela était le
signe d’une insistance particulière auprès de Dieu. La prière était
marquée souvent par des gestes significatifs: “on se prosternait soit en
pliant les genoux, soit, les genoux ployés, en étendant les mains, soit
en inclinant le front très bas, ou même en se jetant la face contre
terre... On ne joignait pas les mains... on devait prier humblement, les
yeux baissés, en se frappant parfois la poitrine, et d’ordinaire à haute
voix.”
Le schéma, commandement
d’aimer Dieu de toutes ses forces, était récité matin et soir, et en
maintes circonstances. “Il y avait une autre prière, plus longue, les
“dix-huit bénédictions”.
La prière de Joseph et de
la Sainte Famille.
Contexte contemporain
[23]
Il est certain que la
prière a tenu une grande place dans la vie de la Sainte Famille.
Lucien Deiss, rappelant le
Traité des Pères, pour l’éducation des garçons, écrit dans “Joseph,
Marie, Jésus”: “A cinq ans, on est prêt pour l’Écriture, à dix ans pour
la Mishna, à treize ans pour les Commandements, à quinze ans pour le
Talmud, à dix-huit ans pour le dais nuptial.”
[24]
La
prière du Shabbat
Le Shabbat commence le
vendredi soir. Toute la famille se rend à la synagogue pour participer à
l’office du soir. Les hommes portent la kipa, calotte qui indique la
soumission à Dieu. Marie se rend seule dans la tribune réservée aux
femmes...
A cette époque la prière
était composée, en plus des psaumes, du schema, prière qui rappelle
l’unicité de Dieu et que tout juif pieux doit réciter matin et soir, des
Bénédictions, les Berakhot, une pour la lumière, une pour le don de la
terre, et la dernière pour rendre grâce de l’alliance, et de l’Amida,
les dix-huit bénédictions, dont seules les trois premières étaient
utilisées à l’époque de Jésus.
Le matin du Shabbat, dès
son réveil, “Joseph, après avoir prononcé une courte prière, revêt le
petit tallith, sous-vêtement dont les quatre coins sont ornés de
tsitsits,ou franges rituelles. Il se lave les mains, le visage, se rince
la bouche en accompagnant ces gestes d’une prière de bénédiction. Il se
couvre la tête du châle de laine à rayures appelé grand tallith. Il
loue Dieu, il prend les tephilims (petites boîtes renfermant des bandes
de parchemin où sont inscrits des passages de l’Écriture) qu’il fixe au
front et au bras gauche. Il peut maintenant partir vers la synagogue.
Remarque : l’office
matinal des juifs, Shaharith, comprenait un ensemble de prières, de
psaumes et de lectures bibliques, et à nouveau le Shema récité en se
couvrant les yeux par respect.
A la maison, Marie a
préparé un repas plus soigné que d’habitude et procédé à l’allumage des
lumières: la cérémonie du Kiddoush. Joseph bénit la coupe remplie de
vin et tous les trois: Joseph, Marie et Jésus boivent à la même coupe en
signe de communion. Vient ensuite un rite dont le Seigneur s’inspirera
probablement lorsqu’Il instituera l’Eucharistie: “Après avoir pris le
pain et l’avoir béni, Joseph le rompt et distribue à chacun un petit
morceau. Jésus regarde avec une extrême attention: ne renouvellera-t-il
pas le même geste lors de la multiplication des pains,” mais en
transformant complètement le sens de cette liturgie, la remplissant de
sa présence.
[25]
Quand nous entendons Jésus
prononcer “les béatitudes”, nous ne pouvons pas ne pas penser que Jésus
devait s’inspirer de ce qu’il avait vécu à Nazareth, pendant trente ans
auprès de Marie et de Joseph.
[26]
La piété de Joseph et de la
Sainte Famille s’enracine dans la piété juive de l’époque. Il est très
difficile à un chrétien de l’an 2000, même fidèle, même pieux, et même à
un religieux, d’imaginer ce qu’était la vie du juif fidèle au temps de
Jésus, cette vie qui était un face-à-face permanent avec l’Éternel, une
louange incessante au Dieu Très-Haut. A chaque étape de la journée,
avant chaque action on bénissait le Seigneur.
Ainsi, dès le matin au
réveil, on disait:“Sois loué, Éternel, toi qui rends la vie aux morts!”
En ouvrant les yeux “Béni soit Celui qui donne la vue aux aveugles!”
Puis en se levant: “Béni soit Celui qui délie les captifs!” En mettant
les pieds à terre: “Béni soit Celui qui dirige les pas de l’homme!” En
nouant sa ceinture: “Béni soit Celui qui ceint Israël de force!” En se
lavant: “Fais en sorte qu’aujourd’hui et chaque jour je sois un sujet de
grâce, de faveur et de miséricorde à tes Yeux comme aux yeux de tous
ceux qui me voient. Sois loué, Éternel, toi qui accordes tes bienfaits à
Israël ton peuple!” Et le soir, en allant se coucher sur sa natte: “Béni
soit Celui qui verse le sommeil sur mes yeux et l’assoupissement sur mes
paupières!”
Et naturellement chaque
acte de la vie quotidienne était précédé d’une bénédiction particulière:
en apercevant une étoile filante, ou des éclairs, en entendant le
tonnerre, en subissant la tornade, en admirant des paysages, en
respirant le parfum des violettes, des narcisses, du jasmin et de toutes
les fleurs. On bénissait le Seigneur avant les repas:”Tu es béni,
Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, Toi qui as tiré le pain de la
terre!” et après, pour le remercier.
On bénissait le Seigneur et
on Lui rendait grâce dans le bonheur: “Béni soit le Bon et le
Bienfaiteur!” dans le malheur: “Béni soit le Juge de la Vérité!” dans
son travail, en un mot, à chaque instant. Il y avait même des
bénédictions qui maintenant nous font sourire, ou au contraire nous
exaspèrent, c’est selon... Ainsi les hommes avaient une bénédiction
particulière:”Béni sois-tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui
ne m’as pas créé femme!” Les femmes, elles, étaient plus modestes et
plus sages aussi: “Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers,
Toi qui m’as créée selon ta Volonté!”
Comme on le voit, la
louange et l’action de grâce étaient permanentes sur les lèvres des
juifs de l’époque de Joseph.
[27]
[1] Les
Baals étaient des génies locaux, en nombre illimité car chaque
colline, chaque arbre, chaque source, etc, avait son Baal. Il y
avait le Baal du blé, de la danse, le Baal guérisseur des
maladies.
[2] “Les
années obscures de Jésus” de Robert Aron. Éditions Desclée
de Brouwer
[3] “Les
années obscures de Jésus” de Robert Aron. Éditions Desclée
de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2
[4] “Les
années obscures de Jésus” de Robert Aron. Éditions Desclée
de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2
[5] “La
notion du temps dans la Bible” n° 74 (nov.-déc. 1958) de
A.J. Heschel
[6] Les
années obscures de Jésus” de Robert Aron. Éditions Desclée
de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2
[7] Les
années obscures de Jésus” de Robert Aron. Éditions Desclée
de Brouwer -Livre 1- Chapitre 4
[8] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre III
[9] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre IV
[10] Voir
Chapitre 6 - Saint Joseph vu par les Pères de l’Église
[11] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre V
[12] Notre
père, Joseph le charpentier de Daniel FOUCHER - Éditions
de MONTLIGEON
[13] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre VI
[14] “Jésus”
de David Flusser. Éditions Le Seuil (pages 27-28)
[15] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre VII
[16]MOREAU
Émile“Joseph le Charpentier, tel qu’en Orient”
Éditions RÉSIAC - Chapitre VII
[17]DEISS
Lucien “Joseph, Marie, Jésus” Éditions Saint Paul
[18]DEISS
Lucien “Joseph, Marie, Jésus” Éditions Saint Paul
[19] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre I
[20] “Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre II
[21] ”Joseph
le Charpentier, tel qu’en Orient” d’Émile Moreau. Éditions
RÉSIAC - Chapitre IX
[22] S”aint
Joseph “ de Mgr Cristiani. Éditions de l’Apostolat de la
Presse (1962) - 1ère partie Chapitre III
[23] “Joseph,
Marie, Jésus” de Lucien DEISS- Éditions Saint Paul
[24] ”Joseph,
Marie,Jésus “ de Lucien DEISS - Éditions Saint-Paul
[25] “Notre
père, Joseph le charpentier” de Daniel FOUCHER - Éditions de
Montligeon
[26]”Saint
Joseph “ de Mgr CRISTIANI. Éditions de l’Apostolat de la
Presse (1962) - 1ère partie Chapitre III.
[27] D’après
DEISS Lucien “Joseph, Marie, Jésus” Éditions Saint
Paul.
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