Le Livre des douze Béguines

Deuxième partie

Contre les graves hérésies

9 Mise en garde contre les hérésies

10 L'unité de Dieu et la Trinité des Personnes

Troisième partie

L'univers et la vie spirituelle de l'homme

11 Création et nature de l'homme

12 La charité

13 La vie spirituelle

14 La vie chrétienne et sainte

15 L'union à Dieu

16 Considérations importantes de Ruysbrœck sur le clergé

2

Deuxième partie

 Contre de graves hérésies

 

 Ruysbrœck dans la première partie du Livre des Douze Béguines a longuement parlé de l'Amour de Dieu pour nous et de l'amour que nous devons lui rendre, malgré notre impuissance. Il s'est attardé sur ce qui devrait constituer la vie chrétienne authentique: la vie active, la vie intérieure et la vie contemplative.  

Il consacrera la deuxième partie de son Livre à mettre ses contemporains en garde contre les nombreuses hérésies qui sévissaient alors, surtout dans les sectes. Il écrit notamment: "Tous ceux qui vivent en péché mortel et n'obéissent ni à leurs prélats, ni à la sainte Église... séparés et divisés par le fait de leurs multiples péchés et malices, sont réprouvés et méprisés de Dieu et de tous les saints: s'ils persévèrent et meurent en cet état, le diable sera leur maître et ils iront dans le feu de l'enfer."  

Cela peut nous paraître sévère, mais les dégâts occasionnés par les sectes ou les hérésies, à son époque, étaient tels qu'il se sentait le devoir de réagir violemment.

 

9
Mise en garde contre les hérésies

 

Certaines personnes pensent être très sages et même saintes. Elles savent se recueillir, mais seulement dans leur propre essence, au-dessus de la raison. Là elles trouvent l'oisiveté, le repos et le dépouillement d'images; mais comme c'est sans la grâce et sans la vertu, elles ne pourront jamais rencontrer Dieu, ni posséder son royaume glorieux; ce qu'elles découvrent, c'est leur propre essence dans l'oisiveté naturelle qui les éloigne de la vie active et de la charité. "De là proviennent quatre espèces d'incrédulité et d'erreurs, et de tous maux qu'on commet d'ordinaire dans le monde."  

Ruysbrœck décrit alors les erreurs qui s'opposent au Saint-Esprit. 

9-1-Première erreur 

La première espèce de mal qui va être décrit par Ruysbrœck, va contre le Saint-Esprit et contre sa grâce. Il faut démasquer ces faux prophètes qui "prétendent être l'essence divine... Ils pensent être au-dessus du Saint-Esprit et n'avoir besoin ni de lui, ni de ses grâces. Et il en est qui osent dire que leur âme est créée de l'essence divine et que lorsqu'ils mourront, ils seront cette même substance qu'ils étaient auparavant...  

Ils disent encore que si l'on parcourait le ciel tout entier, on n'y trouverait point de diversité d'anges ni d'âmes... ni de récompense... Et ils ajoutent que les méchants, les bons et Dieu lui-même, ne seront, après le dernier jour, qu'une seule essence divine, en repos et sans opération pour l'éternité...  

Ils veulent être au-dessus de Dieu... et être libres de toutes vertus. Voilà ce qu'ils appellent la parfaite pauvreté d'esprit. Mais ce n'est qu'une diablerie et une pauvreté infernale... Car dans l'enfer il n'y a ni connaître, ni aimer, ni remercier, ni louer, ni vérité, ni sagesse, ni justice mais honte et douleur, feu infernal et malheur sans fin..."  

Tous ces gens pèchent contre le Saint-Esprit, auteur de tous les modes de béatitude. Telle est la première espèce d'incrédulité où les hommes sots trouvent leur condamnation. Par comparaison Ruysbrœck décrit la vraie pauvreté: "Les vrais pauvres en esprit, morts à eux-mêmes... vivent dans le Saint-Esprit et jouissent de la béatitude éternelle... Nés du Saint-Esprit, ils pratiquent toutes les vertus, possèdent la joie éternelle sans mesure qui est Dieu même..." (Chapitre 19) 

9-2-Deuxième erreur  

La deuxième erreur est orientée contre le Père céleste et sa souveraineté.  C'est l'erreur de ceux qui croient être Dieu par nature. Ces maudits osent dire: "C'est par libre volonté que je suis sorti et devenu ce que je suis. Si j'avais voulu, je ne serais rien devenu, et je ne serais pas une créature... Avec Dieu je me suis créé moi-même et j'ai créé toutes choses... Dans mon être je suis Dieu par nature..." 

Ces gens disent aussi: "Je ne puis ni prier, ni adorer, car je ne puis donner à Dieu de gloire ou de supériorité au-dessus de moi. En Dieu il n'y a de distinction ni de Père, ni de Fils, ni de Saint-Esprit, il n'y a qu'un Dieu, et avec lui je suis un... avec lui j'ai créé toutes choses, et sans moi rien n'existe..." 

Ruysbrœck ne peut s'empêcher de s'écrier: "Quelle incrédulité de blasphème!... L'orgueil spirituel de ces gens qui prétendent être Dieu même, est si grand et si indignement stupide, bien qu'ils aillent à la messe... et entendent tous les jours les enseignements de la foi chrétienne... qu'ils sont pires et plus damnables que Lucifer et tout son cortège." (Chapitre 20) 

9-3-Troisième erreur  

La troisième erreur est celle de ceux qui s'opposent à Notre-Seigneur Jésus-Christ et à sa sainte humanité. À quelques vérités, ils mêlent une fausse croyance: ils se prennent pour Jésus-christ, et chacun d'entre eux ose dire: "Comme lui, je suis vie et sagesse éternelles, né du Père dans la nature divine, tout comme lui... je suis un avec lui, Dieu et homme...  car tout ce que Dieu lui a donné, il me l'a donné à moi avec lui et pas moins qu'à lui-même... Et il a été envoyé dans une vie active pour me servir, afin de vivre et de mourir pour moi, tandis que moi je suis envoyé dans une vie contemplative, qui est bien plus élevée... et ainsi je me découvre être la Sagesse de Dieu, qu'il est lui-même en sa personne... Nous ne sommes, en effet, qu'un avec lui dans la nature divine comme dans la nature humaine, et c'est pourquoi tout l'honneur qu'on lui rend, c'est à moi qu'on le rend... " 

On sent que Ruysbrœck est vraiment retourné quand il décrit une telle hérésie et il va s'efforcer de la réfuter en montrant toute la folie de telles affirmations. Il s'écrie: "C'est grandement étonnant que tu sois assez fou et insensé pour croire que tu es le Fils de Dieu par nature..."  

Ruysbrœck rédige alors une sorte de véritable cours de doctrine chrétienne sur la Sainte Trinité, la création... et, le jugement dernier. S'adressant à l'hérétique, il déclare, entre autres: "Dieu ne t'a pas demandé conseil, car alors tu n'étais pas encore... il n'avait pas besoin de toi. Lorsqu'il forma le premier homme, il te connaissait bien déjà, mais tu n'y pensais pas. Et le dernier jour, où il jugera le monde, lui le connaît bien, mais tu l'ignores... Il connaît tout ce qui est et tout ce qu'il pourrait faire, tandis que tu ne te connais même pas toi-même... Et s'il est vrai que Dieu vit dans toutes les créatures et que toutes les créatures vivent en Dieu, cependant les créatures ne sont pas Dieu, ni Dieu les créatures... Et bien que Dieu soit devenu homme... cependant la divinité n'est pas l'humanité, ni l'humanité la divinité; éternellement elles demeurent deux choses distinctes, le créé et l'incréé, Dieu et la créature. Et s'il est vrai que le Verbe éternel du Père a pris notre nature, la chair et le sang, et une âme vivante, il demeure que le Christ est Dieu et homme en deux natures...  

En effet, éternellement il est né de la substance de son Père, Fils de Dieu, Dieu véritable; et dans le temps il est né de la substance de sa Mère, la Vierge Marie, vrai homme en notre nature. C'est ainsi qu'il est le Fils de Dieu et le Fils de Marie... Le Christ est Fils de Dieu et Fils de Marie, Dieu et homme, deux natures en une seule personne divine, qui est le Fils même de Dieu... " 

Ruysbrœck poursuit sa longue démonstration, et après avoir mis en évidence les pouvoirs du Christ sur la terre, il demande à l'insensé: "Et tu oses encore prétendre que tout ce que Dieu a donné à l'humanité du Seigneur, il te l'a donné aussi, sans diminution ni exception aucune! C'est là un mensonge grossier... Vois donc bien maintenant, pauvre homme insensé, que Dieu ne t'a pas donné les pouvoirs du Christ...  

Et tu oses dire, misérable, que le Christ était envoyé dans une vie active pour te servir...  

Comprends donc, dans ton abjection et ton aveuglement, que l'âme du Christ était plus illuminée de la Sagesse divine et avait une contemplation plus claire et plus haute que tous les hommes qui furent ou seront jamais. Pour toi, tu ne possèdes ni vie contemplative, ni vie active, ni même aucune vertu qui puisse plaire à Dieu et te sauver...  

Tu penses posséder la contemplation divine, alors que tu ne connais rien ou fort peu de Dieu..." 

Et Ruysbrœck de conclure: "C'est le Christ que nous adorons: c'est en lui que nous croyons et que nous espérons, car il est notre Dieu: et si nous agissions envers toi de telle façon, nous serions, comme toi, incrédules et maudits..." (Chapitre 21) 

NOTA: C'est afin de mieux montrer l'erreur de ces hérétiques, que Ruysbrœck a rédigé un véritable cours sur l'Eucharistie. (Voir notre paragraphe 3)  

9-4-Quatrième erreur  

La quatrième hérésie qui s'attaque à Dieu, aux saintes Écritures et à toute la sainte chrétienté, méprise aussi les personnes divines et toutes les œuvres que Dieu a accomplies ou qu'il fera encore. "Ceux qui professent ces erreurs dédaignent la vie éternelle que nous possédons dans la Sagesse de Dieu en disant: 'Dieu n'est pas, non plus que nous-mêmes; il n'y a ni béatitude ni damnation, ni activité ni oisiveté, ni Dieu, ni créature, ni bien, ni mal.' Voyez ils ont perdu leur propre être créé pour devenir rien, de même que Dieu selon leur pensée n'est rien... C'est là une erreur manifeste. Car si tu n'es pas, tu ne cherches pas, et tu ne peux trouver; et si tu n'es pas, et si Dieu n'est pas, il ne peut y avoir aucune créature...  

Mais Dieu est notre vie, et il est tout ce dont nous avons besoin et que nous souhaitons pour le temps et pour l'éternité. Il est l'éternel et le vivant qui dépasse... tout ce qu'il a créé ou peut faire..." 

Curieusement, mais n'est-ce pas un peu cela: être prophète, c'est comme si Ruysbrœck s'adressait à nos sociétés athées des XXème et XXIème siècles, employant pratiquement la logique scientifique nécessaire pour convaincre nos esprits, des esprits qui se croient intelligents, mais qui sont surtout bornés et obstinément en refus de la vérité. C'est dans cette optique que Ruysbrœck poursuit sa diatribe: "Voici maintenant que ces gens en délire nous disent qu'ils ne sont pas, et que Dieu n'est pas non plus, et c'est là chose impossible. Car être et n'être pas est quelque chose de contradictoire en soi-même. Néanmoins cela s'est réalisé en eux. Car Dieu a fait toutes choses de rien, et ce rien qu'ils sont, cela leur reste..."  

À partir de là il convient de mettre en garde nos lecteurs contre quelques difficultés de vocabulaire. Pour nous, gens du XXIème siècle, le néant c'est l'inexistant, c'est-à-dire rien, mais le rien existentiel. Dès que quelque chose existe, il n'y a plus de néant. Or pour Ruysbrœck, le néant dont il va traiter maintenant, c'est le péché, ou le mal. Il écrit: "Ce néant c'est le péché, la fausse oisiveté et la désobéissance: ce néant c'est à eux[1] qu'il revient; tout ce que Dieu a fait, c'est de l'être. Mais le néant du péché a été fait sans Dieu, selon saint Jean. Le premier néant de péché a été fait dans le ciel. En créant les ordres et les hiérarchies des Anges, Dieu leur avait ordonné d'agir en toute obéissance, et de l'aimer, le remercier et le louer. Ceux qui ont agi ainsi sont... éternellement heureux dans la gloire de Dieu. Ceux qui n'ont pas obéi et qui, dans leur orgueil, ont méprisé l'ordre de Dieu et ses œuvres, sont tombés du ciel dans le néant ténébreux du péché et dans le faux repos, de sorte qu'ils ne pourront plus jamais connaître ni aimer Dieu, le remercier ni le louer, ni pratiquer aucune vertu; car le néant du péché et la fausse oisiveté mettent un obstacle infranchissable entre eux et Dieu..."  

S'étant probablement rendu compte des difficultés de vocabulaire, puisque le péché, c'est-à-dire le mal, existait, il n'était pas le néant mais seulement la séparation d'avec Dieu, Ruysbrœck précise sa pensée. Il fait remarquer "que le néant en lui-même n'est ni bon ni mauvais, ni heureux ni malheureux, ni pauvre ni riche, ni Dieu ni créature. Pourtant ces gens dans leur folie disent que l'essence de l'âme est le néant, et que l'essence de Dieu est ce néant même des âmes arrivées au repos."   

Et Ruysbrœck de s'écrier: "Cela est faux, et contre la foi. Car Dieu est tout en tout, l'être éternel, tout-puissant, infini et incréé, auteur de toutes les créatures: c'est ce que témoigne aux yeux de l'intelligence et confesse en maintes façons tout ce qu'il a créé. Il vit par sa grâce dans les puissances de notre âme, et nous ordonne d'opérer des œuvres de salut éternel, puisqu'il est lui-même une opération éternelle."  

Ruysbrœck atteint maintenant le sommet de sa pensée, parfois si difficile à comprendre. Il écrit: "C'est par ces bonnes œuvres d'éternité que nous lui ressemblons et demeurons toujours avec lui... Mais Dieu, au-dessus de la grâce et des bonnes œuvres, vit encore par lui-même dans la propre essence de l'âme: c'est là que nous lui sommes unis et que nous sommes élevés dans la vie sainte et bienheureuse. Mais entre cette union avec Dieu au-dessus de nous et la ressemblance avec lui au-dedans de nous-mêmes, il nous faut placer l'intermédiaire des œuvres bénies qui attirent sa complaisance, et qu'il nous a commandées et conseillées: nous ne pouvons autrement atteindre l'union avec Dieu, devenir saints ni bienheureux." (Chapitre 22)

 

10
L'unité de Dieu et la Trinité des Personnes

 

Ayant stigmatisé avec force les hérésies qu'il côtoyait fréquemment, Ruysbrœck eut à cœur de préciser, également avec force et netteté, la nature de Dieu, son unité et la Trinité des personnes. Ruysbrœck insiste sur la haute nature de Dieu, un en trois personnes. Il écrit: "Dieu est la superessence de tous les êtres; sa divinité est un gouffre sans fond... Dieu est un en nature; trine en personnes. La trinité demeure éternellement dans l'unité de la nature, et l'unité de la nature dans la trinité des personnes: c'est ainsi que la nature est vivante et féconde pour l'éternité. 

Pourtant Ruysbrœck n'hésite pas à affirmer: "L'essence divine est oisive, en tant qu'elle est appelée essence, et en même temps, éternel principe et fin, et soutien vivant de tout ce qui est créé. Et cette même essence est nature, et fécondité, et domaine propre de la personnalité dont les trois propriétés sont: la paternité, la filiation, et la troisième propriété qui y est cachée: la spiration volontaire. La nature ne peut être sans les personnes, ni les personnes sans leur substance, soutien vivant des personnes. Ainsi la nature est une en elle-même, féconde en trinité, et la trinité vit dans l'unité, et l'unité dans la trinité." 

Ruysbrock sent qu'il doit s'expliquer. Il ajoute: "La trinité, en effet, est féconde en elle-même... La  trinité, c'est l'unité de la nature. La nature produit les personnes distinctes, selon la raison, et aussi selon la réalité, c'est-à-dire: le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ce sont trois personnes distinctes et cependant une seule divinité, qu'on ne peut ni séparer ni diviser en aucune façon. Ainsi confessons-nous un seul Dieu en trois personnes.  

Les trois personnes... sont une seule essence, une seule nature, un seul Dieu, sans séparation ni division d'aucune sorte. Cependant chacune des personnes est Dieu, parce que chacune comprend la nature tout entière, mais nous ne pouvons pas dire trois Dieux comme nous confessons trois personnes, car elles sont une seule unité de nature, indivisée et indivisible."  

10-1-Les personnes de la Trinité: le Père 

Ruysbrœck peut maintenant traiter son sujet favori: les Personnes de la Sainte Trinité et dire: "Entre les personnes, le Père est un principe éternel et ce principe est en même temps essentiel et personnel. Les autres personnes sont avec le Père ce même principe; elles sont éternelles... égales en toutes manières quant à l'être, la vie et l'opération.  

Mais selon la raison, selon l'ordre de la nature, et aussi selon la manière de parler de la Sainte Écriture, le Père est dans la divinité la première personne; il engendre son éternelle Sagesse, c'est-à-dire, son Fils égal à lui-même et une seule substance avec lui; et il connaît son Fils unique, éternellement inné en lui et sans cesse naissant de lui à nouveau, toujours engendré comme personne distincte et toujours un seul Dieu avec lui dans la nature." 

10-2-Le Fils et le Saint-Esprit 

"Le Fils, Sagesse du Père, connaît le Père, son principe, et il se voit inné dans le Père selon la nature et émanant de la substance du Père... comme une autre personne distincte du Père, et toujours dans la même nature un avec le Père. De ce regard mutuel entre le Père et le Fils jaillit une complaisance éternelle, le Saint-Esprit, la troisième personne qui procède des deux ensemble: car il est une seule volonté et un seul amour au-dedans d'eux, jaillissant éternellement du Père et du Fils, mais de nouveau refluant dans la nature de la divinité.  

Ainsi la nature sublime de Dieu consiste dans une trinité de personnes réellement distinctes, et dans une unité de nature, qui est simple et sans distinction. De cette manière vous tiendrez fermement et croirez au Fils avec le Père dans l'unité du Saint-Esprit, trois personnes en une nature, vrai Dieu qui vit et règne au ciel et sur la terre au-dessus de toutes les créatures, dans le temps et pour l'éternité."   

Ruysbrœck peut revenir à la création de l'homme: "Dieu a créé l'âme raisonnable douée de trois facultés... Ainsi l'homme est apte, assez sage et puissant pour vaincre tous les péchés et accomplir toutes les vertus; il peut se régir et s'ordonner lui-même... en toutes bonnes habitudes et toutes vertus, selon la très chère volonté de Dieu. Et ainsi il est semblable à Dieu, par sa grâce et par la vie vertueuse qu'il mène..." (Chapitre 28) 

10-3-L'œuvre du Saint-Esprit en nous 

Pour clore ce chapitre dédié à la très Sainte Trinité, il nous a semblé utile d'intégrer ici des extraits du chapitre 66 de la troisième partie du Livre de Ruysbrœck. Ruysbrœck écrit: "La source vivante du Saint-Esprit s'écoule en quatre fleuves... Le premier fleuve de grâces et de vertus... meut notre puissance aimante, conviant notre esprit à suivre le Christ en Dieu et à posséder avec lui l'unité d'amour Et ainsi nous vivons en Dieu et Dieu en nous. Là nous possédons la liberté d'esprit sans attache, immuable, inoccupée, sans entrave, et qui est élevée au-dessus de toutes créatures. 

Le deuxième fleuve de grâces représente notre vie sensible, et il éclaire notre raison et meut notre désir; il nous invite à dominer et à vaincre la chair et le sang, à obéir à Dieu et à la sainte Église... selon la très chère volonté de Dieu... 

Le troisième fleuve des grâces meut notre cœur et notre âme, et nous invite à être patients, doux et humbles de cœur... de sorte que nous puissions porter et subir tout ce que Dieu permet que nous souffrions de la part de l'ennemi et des pécheurs...

Le quatrième fleuve de la grâce divine qui s'écoule du Saint-Esprit est chaud et clair, et coule au midi de notre vie spirituelle, dans notre intime, dans notre âme et dans toutes nos puissances... et il exige de nous une charité sincère envers Dieu et envers tous les hommes..."  

      10-3-1-D'où le résultat pour notre vie spirituelle 

"Ceux qui sont nés de Dieu, vivent de Dieu et pour Dieu, ils vivent en Dieu et Dieu en eux... Ils vivent avec Dieu au ciel et le fruit de leurs labeurs est pour l'éternité... Ils recourent à Dieu pour les pécheurs... afin qu'il leur pardonne leurs crimes...

Dieu veut être entièrement nôtre avec tout ce qu'il est, et il invite l'intime de notre âme à lui répondre et à être à lui avec tout nous-mêmes... Nous devons nous servir mutuellement en bonnes œuvres et en toutes les vertus, comme les anges glorieux servent Dieu et nous servent: c'est leur béatitude éternelle." 

      10-3-2-Le Christ notre modèle 

"Le Christ, le Fils de Dieu, nous a été envoyé pour nous servir en vraie humilité et en vraie obéissance... Il nous a rachetés par sa mort afin que nous vivions pour lui en liberté éternelle. Nous vivons pour lui et il vit pour nous. Nous vivons en lui et il vit en nous. Il nous aime et nous l'aimons de retour: et il est un en nous par amour, et nous sommes un avec lui et avec tous ses bien-aimés dans la grâce et la gloire. Et ainsi sommes-nous réunis en une seule sainte Église, en grâce et en amour, et en une seule sainte chrétienté, au ciel et sur la terre. 

Le Christ nous a choisis et aimés en son Esprit avec tous les saints et tous les hommes. Et il nous a fait monter avec lui-même... jusque devant son Père céleste.... Là nous nous sentons un avec Dieu par amour dans le Saint-Esprit. Et cette unité est la source et le principe de tous les dons, de toutes les vertus, de toute sainteté, et de toutes les bonnes œuvres... Elle attire dans l'unité d'amour tout ce qu'elle a doté de diversité de grâces et de vertus; et l'unité en amour demeure toujours intérieurement immobile, comme un abîme sans fond de jouissance et de joie..." (Chapitre 66- Voir aussi nos paragraphes 4-2-1 et 4-2-2) 

 

Troisième partie

 

L'univers et la vie spirituelle de l'homme

 

 Lorsque Ruysbrœck veut aborder les difficiles questions liées à la vie spirituelle et à la vie contemplative, y compris à ses plus hauts niveaux, il revient presque toujours sur les grandes étapes de l'histoire de l'homme: sa création, sa chute et son salut, grâce à l'Incarnation, à la Passion et à la Résurrection du Fils de Dieu, Jésus-Christ. Dans un premier temps, on a l'impression que Ruysbrœck redit toujours les mêmes choses, et l'on peut craindre que ses lecteurs, à la longue, se lassent. En réalité, il faut noter encore une fois, que Ruysbrœck est un remarquable pédagogue qui sait parfaitement qu'un maître doit constamment répéter les mêmes choses, pour que ses disciples entendent puis comprennent correctement ses enseignements, et enfin les retiennent. À plus forte raison si les sujets traités sont particulièrement délicats. 

Dans la troisième partie de son livre intitulé Les Douze Béguines, on sent très bien que Ruysbrœck veut, à tout prix, rendre accessibles à ses disciples, les vérités premières du christianisme, vérités attaquées de toutes parts par les nombreux adeptes des sectes qui sévissaient autour de lui. Pour rendre ces vérités encore plus proches de ses contemporains, il n'hésitera pas à utiliser les connaissances scientifiques de son époque, et particulièrement ce que l'on croyait être alors une véritable astronomie, laquelle nous semble aujourd'hui beaucoup plus proche de l'astrologie que de connaissances scientifiques authentiques.  

Le lecteur est presque obligé de sourire devant quelques descriptions du système solaire et de l'univers, dont certaines remontent à Ptolémée. Nous ne nous y attarderons jamais. Il nous paraît en effet plus important de nous attacher à ce qui est, en fait, le véritable but de Ruysbrœck, et surtout de suivre le développement progressif de sa pensée: partir des vérités premières, bien connues de ses contemporains et faciles à comprendre, puis développer le mécanisme de la vraie vie spirituelle, obligatoirement active et orientée vers les œuvres de charité, pour aller, via la vie intérieure, jusqu'à la Béatitude en Dieu, fruit d'une contemplation très élevée. Cette sorte de passivité spirituelle qui unit une âme à Dieu et à sa volonté divine, n'a rien à voir avec la passivité naturelle, vraie paresse prônée par les faux mystiques des sectes combattues par Ruysbrœck. Au contraire, la véritable contemplation, même la plus haute, impose toujours le retour vers les œuvres et le prochain. 

 

11
Création et nature de l'homme

 

11-1-Qui est Dieu? 

Ruysbrœck commence par une affirmation de sa foi: "Nous croyons et confessons de Dieu tout-puissant, notre Père céleste, qu'il est par nature être éternel, vie, connaissance et volonté, et que c'est par libre volonté, et moyennant sa sagesse éternelle, qu'il a créé toutes choses de rien... Dieu est lui-même éternel et incréé, sa propre béatitude et celle de tous ceux qui l'aiment. Il est aussi la superessence de tous les êtres et la félicité de tous les bienheureux, le premier objet des esprits élevés, dépouillés d'images. 

Cette pure et superessentielle béatitude embrasse en elle-même les personnes divines et, selon leur superessence, tous les esprits élevés, sans distinction, dans une simplicité vide de toute composition. Là, il n'y a ni temps ni lieu, ni avant ni après... Dieu est un être éternellement en repos selon l'essence; sa nature est toute-puissante; connaître, aimer et vouloir sont son œuvre éternelle, qu'il est lui-même: en lui rien n'est passé ni futur, mais toutes choses lui sont à découvert et présentes." (Chapitre 29) 

"Dieu, de par sa nature et son essence, est éternellement silencieux et immobile, immuable dans sa simple essence, mais mû sans cesse dans la nature, transparent, lumineux... incorruptible. Dieu est comme une sphère éternelle qui enveloppe tout ce qu'il fait de matériel...  Lui-même est un ciel caché et spirituel dans l'unité et la trinité de sa nature, au-dessus de tous les cieux, de toutes les créatures et de tout ce qu'il a créé à sa ressemblance...  

Dieu est au-dessus de tous les cieux et de tout ce qu'il a créé de corporel et de spirituel, de toutes les créatures, qu'il régit et ordonne selon sa volonté... La nature sublime de Dieu meut elle-même tout ce qui est mobile dans les créatures matérielles... La nature suprême de Dieu est à la fois mobile et immobile, transparente et pénétrée d'une clarté sensible, qui est si grande et si singulièrement claire, qu'aucun œil ne peut la contempler, sinon les yeux glorieux des bienheureux... C'est là le royaume des cieux où Dieu vit et règne avec tous les saints." (Chapitre 30) 

      11-1-1-Retour sur la nature de Dieu et la Trinité 

"Ce royaume ressemble à Dieu: il est éternellement en repos selon l'essence, mais sans cesse agissant selon la nature et pénétré d'une clarté simple. L'être souverain de la divine Trinité est éternellement dans le repos, inactif et immobile selon l'essence. Mais cette nature des personnes est féconde, éternellement agissante quant aux personnes. Car le Père engendre de sa nature le Fils comme une seconde personne, et le Fils naît du Père comme la Sagesse éternelle de Dieu, distincte en tant que personne et un avec le Père par la nature; et du Père et du Fils émane le Saint-Esprit qui est une seule nature avec les deux et ainsi on trouve là l'unité de nature et la distinction des personnes. 

Dans les relations des personnes il y a connaissance et amour réciproques, flux et reflux entre le Père et le Fils par le moyen du Saint-Esprit qui est leur amour mutuel. Cette unité du Saint-Esprit, dans laquelle vivent et règnent les personnes, lorsqu'elle s'écoule au dehors, est active et féconde, formant toutes choses selon la libre générosité, la sagesse et la puissance des personnes. Mais dans le reflux des personnes, cette unité du Saint-Esprit est attirance fruitive et inhabitation des personnes, au-dessus de distinction, dans une fruition d'amour sans fond, qui est Dieu lui-même dans son être et sa nature.  

Voyez, de la sorte Dieu vit avec lui-même en lui-même, par la connaissance, l'amour, la possession et la fruition de lui-même au-dessus de toutes les créatures. C'est là le plus haut degré de vie qu'on puisse exprimer de Dieu...   (Chapitre 30) 

      11-1-2-L'homme 

Dieu a créé l'homme et lui a "donné deux natures qui ne se ressemblent pas et se contrarient l'une l'autre: c'est l'âme et le corps, la chair et l'esprit, l'animalité et la raison, la vie et la mort, le temps et l'éternité, une nature qui meurt sur la terre et une autre qui vit au ciel, inférieure à Dieu et semblable à lui, image de Dieu et sa figure. Dieu a donné à l'homme selon l'âme une vie immortelle, semblable à celle des anges au-dessus du firmament..." (Chapitre 29) 

      11-1-3-L'âme raisonnable 

Tous nous avons besoin de nous connaître nous-mêmes, de vénérer Dieu et de l'aimer.. Tous nous sommes nés de la chair et mortels de nature... Mais si nous sommes élevés au-dessus de la nature et de nouveau nés de l'Esprit de Dieu, alors nous sommes les fils de Dieu par la grâce, et c'est lui qui règne dans notre esprit par son Esprit...  

Dieu a mis l'âme raisonnable entre la vie naturelle et la vie de la grâce; elle est sensible dans sa partie inférieure, raisonnable en elle-même et spirituelle dans la partie supérieure... À cette âme raisonnable Dieu a donné en mains la balance où il s'est mis lui-même avec tout ce qu'il a créé... et il souhaite que notre raison et notre puissance aimante... choisissent ce qui est le meilleur, c'est-à-dire Dieu lui-même. La raison naturelle nous avertit que nous devons agir ainsi, car par nature nous sommes inclinés vers ce qui nous paraît le mieux." (Chapitre 68) 

11-2-Dieu a créé l'homme à son image 

Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance. "De toute éternité Dieu nous a vus et connus dans sa sagesse... De toute éternité aussi il nous a appelés et il veut que nous tendions l'oreille intérieure pour écouter les inspirations de sa miséricorde; de toute éternité il nous a élus, et il veut que nous le choisissions au-dessus de tout le créé. Il nous aime et il nous a aimés éternellement; il nous ordonne maintenant de l'aimer en retour pour l'éternité... L'amour exercé entre Dieu et nous ressemble à un anneau d'or qui n'a ni commencement ni fin... Nous portons l'image de Dieu en notre esprit, et nous vivons de Dieu, pour Dieu et en Dieu, un avec lui... Être semblables à Dieu c'est être ordonnés dans l'amour, la dilection et la charité, et dans toutes les vertus." (Chapitre 69) 

      11-2-1-La vie de l'homme en Dieu 

La vraie béatitude, rappelle souvent Ruysbrœck, c'est de faire la très chère volonté de Dieu. "La charité ne se cherche pas elle-même; mais sa plus grande joie est de vivre selon la très chère volonté de Dieu... Dieu a créé notre volonté, non pas pour qu'elle nous appartienne en propre, mais pour qu'elle soit à celui qui l'a créée..." et qu'elle doit servir.  

Mais attention, "qui sert le démon se tue lui-même et il perd le libre retour vers Dieu en amour... tandis que ceux qui vivent en grâce et dans la gloire n'ont qu'une même volonté, et c'est la très chère volonté de Dieu..."  (Chapitre 69) 

      11-2-2-La volonté propre 

Dieu a créé l'homme libre; aussi l'homme peut-il, de par sa propre volonté, vouloir s'éloigner de Dieu. Ruysbrœck présente notre volonté propre qui n'est pas celle de Dieu. Il écrit: "La volonté propre veut aller de l'avant et elle souhaite que Dieu la suive, et qu'il fasse selon qu'elle veut et non pas comme Dieu veut. La volonté propre est orgueilleuse et désobéissante: elle est source de tout mal, car elle veut être maîtresse au-dessus de Dieu et au-dessus de tous les hommes...  

Notre propre volonté est nôtre par nature; elle ne peut rien de bon par elle-même, comme de son fonds propre, car tout ce que nous pouvons vient de Dieu. C'est pourquoi Dieu nous commande de renoncer à nous-mêmes et à toute volonté propre, et de nous livrer à son libre vouloir... Il nous ordonne de le poursuivre et de l'aimer au-dessus de nous-mêmes et au-dessus de toute créature... Alors nous sommes unis avec lui en liberté et nous sommes d'un seul vouloir avec lui... Librement nous devons choisir de le servir éternellement, de lui rendre grâces et de le louer, comme font les anges et les saints. C'est la vie éternelle...  

Ceux qui ne veulent pas être là où Dieu veut, mais là où ils veulent, ne sont pas consommés en amour... Ils ressemblent bien au démon et aux hommes damnés, qui s'opposent à Dieu de toutes les façons. Ils seraient volontiers bienheureux contre la volonté de Dieu..." Mais Dieu, qui peut tout, ne peut pas aller contre la liberté qu'il a donnée aux hommes. Et ceux qui veulent être bienheureux sans aimer Dieu, vivent en état de péché mortel. 

"Les bons veulent être là où Dieu veut. Car ils sont une seule volonté avec Dieu, et pour cela ils jouissent d'une paix sans fin... C'est pourquoi, si vous voulez vivre pour Dieu et lui ressembler, vous devez haïr ce que Dieu hait, c'est-à-dire le péché et l'occasion du péché... Vous devez porter votre croix et suivre le Christ, mépriser votre volonté propre, la bonne opinion de vous-même, et la pensée que vous êtes plus sage et meilleur que d'autres...  

De plus Dieu veut que nous aimions avec lui tout ce qu'il aime... Il nous a tant aimés qu'il nous a donné son Fils unique pour être homme avec nous tous. Celui-ci s'est humilié jusqu'à la mort et il nous a élevés jusqu'à la vie éternelle. C'est ainsi que le voulait son Père céleste, et sa raison ne pouvait pas vouloir autrement que Dieu..." Le Christ est notre grand modèle. 

      11-2-3-La bonne volonté 

"La bonne volonté est la base de toutes les vertus; l'unité de volonté avec Dieu est au-dessus de toutes les vertus. L'homme de bonne volonté qui se renonce lui-même et mortifie sa propre volonté, et qui s'abandonne au libre vouloir divin, a une bonne volonté parfaite... Il veut avec Dieu tout ce que Dieu veut, et sa paix avec Dieu et en Dieu ne peut être troublée par personne... Le Christ vit en lui avec tous ses dons... Il nous communique son amour et son Esprit-Saint... C'est là notre foi et la règle commune de la sainte chrétienté, de toute éternité prévue et écrite dans le livre de vie qui est la Sagesse divine. Le Christ a apporté cette règle, l'a vécue et enseignée, et les apôtres et les saints l'ont expliquée et éclairée...   

La vie et la règle du Seigneur sont le fondement de tout ordre, de tout état religieux, de toutes les manières de sainte vie, de toute pratique de la sainte Église, du sacrifice, des sacrements et de tout ce dont on peut vivre spirituellement. 

La foi chrétienne est fondée sur le Christ et sur sa vie. La vie du Christ est notre règle: observer tous les commandements divins par une vraie obéissance, et porter avec une humble patience la très chère volonté de Dieu. C'est là la loi des préceptes et des Évangiles, que le Christ a vécue et qu'il a enseignée à tous ceux qui désirent être sauvés...   

La règle de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous ordonne d'obéir, de combattre notre propre volonté et les inclinations de la nature, et de suivre le Christ dans les commandements qu'il pratiquait et enseignait lui-même... Là se trouve la consommation des préceptes et des conseils, et là on possède l'unité d'amour avec Dieu dans la plus haute noblesse."  (Chapitre 69) 

Malheureusement l'homme a souvent préféré sa volonté propre, et il est devenu pécheur. 

11-3-Le péché des hommes a divisé le Royaume de Dieu 

      11-3-1-Un peu d'histoire 

Pour mieux se faire comprendre, Ruysbrœck revient sur l'histoire du peuple de Dieu, pour arriver "à tous ceux qui, nés de Dieu, sont héritiers et fils légitimes de Dieu, car baptisés dans le Saint-Esprit et dans le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Certes, les fils naturels, nés de la chair et sang, sont fils de Dieu selon la nature; mais bien qu'ils soient nés pour son royaume, ils méprisent Dieu et le royaume des cieux, préférant le monde et tout ce qui est périssable. parce qu'ils ne sont pas nés de nouveau du Saint-Esprit... Ils haïssent les fils légitimes, qui sont nés de Dieu..."   

Cela est depuis le commencement du monde, depuis Adam... et Abraham. Et Ruysbrœck montre la haine qui a souvent existé, même entre des frères: Ismaël et Isaac, Ésaü et Jacob. Il cite aussi les fils de Jacob qui "haïssaient et méprisaient le vertueux Joseph". Et Ruysbrœck de poursuivre: "Ceux qui sont puissants et riches ont des fils illégitimes et des serviteurs, et souvent ils méprisent sans motif l'innocent... Ils sont cruels et sans pitié, semblables au démon. Les fils légitimes de Dieu, qui sont nés de Dieu, ne font tort à personne... ils souffrent et supportent tout le mal qu'on leur fait... Ils vivent en paix et en repos avec Dieu pour le temps et pour l'éternité." 

      11-3-2-La chute des hommes 

Oui, les hommes ont péché, et Ruysbrœck le déplore vivement, car "le royaume de Dieu se divise entre bons et mauvais... Les méchants n'ont que mépris pour Dieu et son service: ils préfèrent tout ce qui est périssable... et par là ils tombent sous le juste jugement de Dieu et sont condamnés. Les bons méprisent le péché et le monde, et tout ce qui peut les détourner de Dieu, et ils préfèrent Dieu, sa gloire, son amour et son service et ils sont élevés par la miséricorde divine..."  

Ruysbrœck revient sur les choix de Dieu et sur ceux qu'Il a placés au-dessus des autres: les rois, les ducs et les comtes, les princes du monde et les puissants... Et il déplore de nouveau les graves péchés des responsables, laïcs et ecclésiastiques qui manquent à leurs engagements et à leurs obligations. Il précise que certains sont élus par les hommes selon que Dieu le permet et l'accepte: tels les empereurs, les papes, les évêques, les abbés, les moines, les princes et les prélats.  

S'ils sont de vrais serviteurs de Dieu et des vertus, ils plaisent à Dieu. "Mais ceux qui désobéissent à Dieu, se mettent au service de l'injustice, du démon, du monde et de la chair; de quelque rang qu'ils soient, ils appartiennent tous à l'enfer. Ceux qui ont été choisis et appelés comme Aaron pour devenir clercs le sont légitimement et sont l'objet des complaisances divines; mais ceux qui se choisissent et s'élèvent eux-mêmes, pour s'établir prélats au-dessus des autres hommes, sont rejetés par Dieu... Ils vivent manifestement en péché mortel et ne sont pas dignes de posséder l'héritage du Christ ni d'en vivre... Ils ne sont ni brebis ni pasteurs, mais loups ravisseurs, voleurs et meurtriers: car ils tuent, pillent et corrompent ceux qui leur sont soumis, et ils sont cause et principe de beaucoup de péchés, même à leur insu..." 

      11-3-3-Liberté des hommes et choix de Dieu 

Pourtant chaque homme a conservé sa liberté, ainsi que le rappelle Ruysbrœck: "Toutes les personnes qui naissent dans la nature humaine reçoivent de Dieu également noblesse et liberté, de sorte qu'elles peuvent en toute libre volonté soit se détourner de Dieu, soit se tourner vers lui..."  

Cependant, c'est Dieu qui choisit les vocations spéciales. Ainsi: "plusieurs d'entre ces personnes, néanmoins, depuis le commencement du monde, ont reçu de Dieu grande dignité, domination, honneur et gloire au-dessus des autres hommes de leur temps... Les uns commandent et les autres leur obéissent... Les uns gardent et protègent les villes, d'autres les provinces et les pays contre les ennemis et tout mal... À tous Dieu est récompense débordante et sans mesure... cela dépasse compréhension et sens... tous les pécheurs en sont exclus... Être un avec Dieu en amour impose le silence... Par-delà pratiques de vertu, c'est vivre, mourir et ressusciter en Dieu: c'est le plus haut don de Dieu, je pense. Le péché n'y a plus de place..." 

Ruysbrœck rappelle que "tout pouvoir ordonné descend d'en haut, du Père des lumières. C'est lui qui éternellement a choisi notre pontife Jésus-Christ, et lui a donné pouvoir sur tout ce qu'il a créé au ciel et sur la terre... Il lui a remis la plénitude de toutes les grâces, des préceptes et des lois et lui a ordonné de vivre et de mourir pour le salut de son peuple et du monde entier. Tout cela il l'a accompli selon la très chère volonté de son Père. Et c'est pourquoi son nom a été exalté au-dessus de tout nom...  

Notre-Seigneur Jésus-Christ a, par sa mort, fondé et rassemblé la sainte Église, et il donne la grâce et la gloire à tous ceux qui le servent dans la foi chrétienne..." 

11-4-Quelques péchés des hommes 

Ruysbrœck traite de trois péchés qui empêchent la sainteté des hommes. Il déclare: "Trois péchés règnent partout dans le monde, aussi bien dans le clergé, que dans tous les états de religion[2]... depuis les supérieurs jusqu'aux plus humbles, quelques-uns seulement exceptés. Ce sont: la paresse, la gourmandise et une vie impure... 

La paresse c'est l'ennui et le dégoût pour Dieu et son service... C'est lire, chanter, prier, dire ou entendre la messe sans recueillement, sans dévotion ni attention intérieure... c'est avoir le cœur inconstant, rempli d'images des choses terrestres, inattentif, loin du labeur des bonnes œuvres extérieures; l'on recherche et l'on désire l'aise et le bien-être pour le corps en toutes choses... Les gens de cette espèce ne peuvent pas avoir de goût pour la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

De ce vice détestable de la paresse naît un autre péché qui est la gourmandise... On juge ce péché qui règne sur le monde entier sans importance, et pourtant c'est le plus répandu parmi tous les hommes... qui méprisent la mesure et la sobriété que le Christ lui-même montrait dans sa vie et son enseignement... Tous ceux qui sont esclaves du gosier, se complaisant en la gourmandise, ne peuvent point goûter Dieu ni sa grâce. L'ivresse, le désordre et la mauvaise conduite sont leur partage... On trouve de ces gens aussi bien dans les ordres et parmi les personnes ecclésiastiques que dans le monde.  

L'on rencontre encore dans les ordres et dans tous les états de religion, où il y a réunion d'hommes, un péché diabolique; et c'est la division des cœurs, des âmes et des biens terrestres..." On parlerait aujourd'hui d'inégalités: les maîtres ont tout, les autres rien ou presque.  Et Ruysbrœck de condamner: "Les riches dans les cloîtres... laissent leurs sœurs et leurs frères à côté d'eux dans la maladie, la faim et la soif, périr de pauvreté... Actuellement on ne connaît plus le Christ; sa vie, sa doctrine, ses œuvres ne sont point aimées de tous ceux qui sont au service du péché, et qui font leur propre volonté."  (Chapitre 62) 

11-5-Qui sont les pécheurs? 

Souvent Ruysbrœck délaisse le sujet qu'il est en train de traiter pour développer longuement un thème qui lui vient à l'esprit. Cela lui arrive de nouveau tandis qu'il est en train de raconter la Passion de Jésus dans le cadre des heures de l'Office divin.  

Aussi, selon notre habitude, pour des raisons de commodité et afin de faciliter la compréhension de ses textes, nous présentons ci-dessous ce que Ruysbrœck appelle les "six espèces d'hommes qui pèchent contre le Seigneur Jésus." 

"Soyez maintenant attentif et écoutez, si vous voulez vivre pour Dieu et garder le testament du Seigneur. Le jour où Jésus est mort pour nos péchés, il y avait six espèces de pécheurs opposés à Dieu et à Jésus...  

Les trois premières espèces de pécheurs reçurent la grâce et le pardon de leurs péchés par la mort du Seigneur; les trois autres espèces, ceux qui rejetèrent Jésus et sa mort, et persistèrent en ce péché, sont tous damnés... Ces six espèces de pécheurs règnent encore dans le monde..."  

      11-5-1-Les pécheurs pardonnés 

"Les premiers pécheurs opposés au Seigneur furent ses propres disciples, qui s'enfuirent loin de lui lorsque les serviteurs des juifs le saisirent et le lièrent. Ils avaient pourtant l'esprit d'amour envers l'humanité du Seigneur, puisqu'ils avaient tout quitté et méprisé pour être avec lui. Mais leur angoisse et leur crainte étaient si grandes, que leur cœur et leurs sens étaient frappés, distraits et refroidis par la crainte de la mort... Cependant cette chute fut permise par Dieu à cause du fruit qui plus tard devait en sortir... Aussi restèrent-ils dans la crainte et le souci jusqu'au jour de la Pentecôte, lorsqu'ils reçurent le Saint-Esprit qui leur donna la force... Cette première espèce de pécheurs... ce sont les hommes de bonne volonté qui suivent Jésus avec intention droite et un amour sincère... S'ils tombent dans le péché à cause de l'infirmité de leur amour... ils ne persistent pas longtemps dans le péché...  

La deuxième espèce de pécheurs opposés à Jésus au jour de son martyre était celle des soldats de Pilate et des serviteurs des juifs qui le saisirent, le lièrent, le flagellèrent, le crucifièrent et le mirent à mort. Ils y furent contraints par leurs chefs, de sorte qu'ils étaient obligés de le faire... bien que ce fût contre leur volonté... Pour ceux-là Jésus pria son Père céleste, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient... Mais pour ceux qui savaient bien qu'ils faisaient mal... Jésus ne demanda pas qu'ils obtinssent leur pardon. Cette abominable espèce de pécheurs existe encore de nos jours: ce sont ceux qui persécutent, frappent et emprisonnent les bons, qui prennent et volent tout ce qu'ils peuvent atteindre...  

La troisième espèce de pécheurs c'étaient les meurtriers crucifiés avec Jésus. En voulant mourir au milieu d’eux, Jésus montrait qu'il ne rejetait aucun pécheur. Il n'est pas venu pour condamner, mais pour sauver tous les pécheurs, qu'il appelle tous à la pénitence et à sa grâce... Ce sont les incrédules qui ne respectent pas Dieu, qui ne craignent pas l'enfer et qui n'ont pas d'espoir pour le ciel... S'ils restent sans regretter ni confesser leurs péchés ils n'obtiendront plus jamais la grâce." 

      11-5-2-Les pécheurs impardonnables 

"La quatrième espèce de ceux qui péchaient contre le Seigneur, c'étaient les pontifes et les prêtres des juifs, les scribes et les anciens du peuple, qui tous étaient extérieurement des personnes spirituelles... Mais ils étaient orgueilleux, désobéissants, mauvais, envieux, avares et ladres... Ils ne voulaient pas que Jésus les instruisît ou leur reprochât leurs péchés... Néanmoins il y avait encore en ce temps de bons prélats, de bons prêtres et beaucoup d'hommes de bien, dont la vie était conforme aux prescriptions de la loi juive. 

La cinquième espèce de pécheurs qui livrèrent le Seigneur à la mort, ce furent les deux rois païens et le juge infidèle, païen lui aussi. Le premier de ces rois était Hérode, qui régnait sur la Judée et sur Jérusalem lorsque Jésus naquit...  et chercha à le mettre à mort... Plus tard son fils, Hérode roi de Gaulée... mit à mort saint Jean-Baptiste, à cause de sa vertu et de sa justice, et après la mort du Christ, l'apôtre saint Jacques, frère de saint Jean l'Évangéliste...  

Cette mauvaise espèce de pécheurs régna de longues années encore après la mort du Christ, parmi les empereurs, les rois... Ils sont impies et infidèles à l'égard du Christ, leur frère, et envers ses serviteurs. Par contre, à ceux qui croient en lui et qui le servent, le Christ a donné et promis le royaume des cieux... Ici-bas dans le temps, il a orné et rempli de multiples dons spirituels ceux qui le servent et qui lui appartiennent."  (Chapitre 76) 

Les ennemis des hommes sont, selon Ruysbrœck "deux royaumes en vente depuis le commencement du monde: le premier est le royaume des cieux avec toute sa gloire et Dieu qui y réside..." Le deuxième est le royaume de la terre avec tout ce que la nature possède pour les mauvais et les bons, les insensés et les sages; tous sont des marchands. "Ils sont sages les marchands qui méprisent la richesse du monde, les plaisirs désordonnés de la nature et tout ce qu'ils pourraient posséder avec affection dans le temps. Ainsi ils achètent le royaume de Dieu, la grâce et la gloire, la vie éternelle et le Christ pour leur maître. 

Le Christ est la perle précieuse: celui qui le trouve, vend tout ce qu'il a et achète cette pierre précieuse... Dans le champ de la vie spirituelle se trouve, caché pour le monde, le trésor de la richesse: le sage marchand qui a trouvé le trésor, vend avec grande joie tout ce qu'il a et il achète le champ de la vie spirituelle où est caché le trésor de la richesse divine...  

Les marchands insensés sont contraires aux sages... et en tout ce qu'ils semblent avoir, ils se trompent. Car tout ce qu'ils ont amassé demeure ici-bas, et ils n'ont et ils ne trouveront que châtiment d'enfer et feu éternel. 

Ce sont des banquiers insensés, ceux qui méprisent le Christ et Dieu, et qui préfèrent servir le monde, le péché et le démon...  Ils seront complètement oubliés de Dieu, méprisés dans la misère éternelle... Toutes les vertus doivent être récompensées et tous les péchés punis, ce que nous apprend notre raison naturelle et le Christ lui-même... 

Outre les démons, nous avons encore un ennemi qui nous est tout proche, que nous devons vêtir et nourrir, qui avec notre esprit ne fait qu'une personne dans la nature humaine: c'est notre vie sensible qui s'oppose à notre vie spirituelle... Aussi devons-nous combattre par notre esprit et avec la grâce de Dieu notre propre chair et sa nature... Aussi devons-nous la rendre utile pour le service de Dieu...   

La sagesse du monde et la sagesse infuse de Dieu sont contraires et se combattent mutuellement: grâce et nature, vertus et péchés, bons et mauvais, insensés et sages sont tous des marchands. Ceux qui méprisent le monde et qui font choix de Dieu, le servent et l'aiment, sont des marchands sages. Mais ceux qui méprisent Dieu... pour préférer le monde, la richesse et l'honneur... sont des marchands insensés..." Comme nous le démontre le combat des anges, c'est par la lutte que l'on triomphe de la nature. 

Adam... était un marchand insensé... Le Christ au contraire, le Fils de Dieu et de Marie, était un marchand prudent et un lutteur puissant dans le combat. Il l'emporta sur tous nos ennemis... Il vainquit le monde et l'ennemi, qui avait le monde en sa possession... Il rompit les verrous de fer et délivra ses amis élus de la prison du démon... Il nous a appris à nous renoncer nous-mêmes vis-à-vis de toutes les créatures et à nous abandonner sans préférence à la libre volonté divine... 

Le Christ est un marchand prudent: il nous a acheté la vie éternelle par sa mort soufferte dans le temps... Il nous a servis par amour... Il a été pauvre pour nous rendre riches. Il nous a donné sa chair et son sang en nourriture et en breuvage, afin qu'il demeurât en nous et nous en lui: et là tout combat est gagné. 

Nous possédons encore dans notre âme vivante une vie raisonnable, que Dieu nous a donnée, qui est éternelle et qui ne peut mourir, ni dans le bien, ni dans le mal, par où nous ressemblons aux anges. Nous sommes tous enfants de Dieu selon notre nature spirituelle qui ne peut pas périr..." (Chapitre 67)

11-6-Vers la perfection 

Parfois, Ruysbrœck s'interrompt dans ses raisonnements pour contempler ce qui lui tient tant à cœur et qui se passe autour de lui: "En notre temps, on trouve encore grand nombre de bons prélats, de bons prêtres et d'autres hommes vertueux, disciples du Christ et successeurs des apôtres dans leur vie, leurs paroles et leurs œuvres. Nombreux sont toutefois les prélats, les prêtres et les clercs, qui bien qu'ils doivent gouverner la sainte Église et bien qu'ils vivent du patrimoine que le Christ s'est acquis par son sang, méprisent le Christ, sa vie et son enseignement, pour servir volontairement et sciemment le démon, le monde et la chair... Ils sont semblables à Judas... Au-dessus de Dieu ils préfèrent l'argent et l'or, et les dignités du monde, idoles auxquelles ils se consacrent jour et nuit..." 

      11-6-1-Les saints prêtres 

"Il n'en était pas ainsi à l'origine de la foi chrétienne...  Un grand nombre de saints papes, d'évêques, de prêtres et de saints personnages méprisaient le monde, prêchant par leur enseignement et leur vie la vérité et la foi chrétienne dans le monde entier. Ceux-là étaient humbles, pleins de charité, patients dans la souffrance... Ils étaient pleins de miséricorde et fidèles envers tous, priant pour ceux qui les persécutaient et les mettaient à mort. Grande fut la persécution, et elle dura de nombreuses années; mais Dieu opérait par eux des merveilles, des prodiges et des miracles si grands, que leurs ennemis devaient céder... Ils fondaient des églises et des monastères... et la sainte Église croissait et fleurissait...  

Tant que les prélats de la sainte Église et les prêtres restaient humbles et aimaient la pauvreté... le Christ régnait sur eux et la sainte Église était en honneur et en paix avec tous. Mais lorsque les prélats et les prêtres... devinrent orgueilleux, avares et ladres... au-dessus même de Dieu, de la justice, de la grâce et des préceptes divins..." les âmes se perdirent.  

Et Ruysbrœck de s'extasier devant la grandeur des bons prêtres: "Les bons prêtres sont des vases de sainteté... quotidienne de sa passion, de sa mort, de sa fidélité et de son amour... Intermédiaires entre les pécheurs et Dieu, ils sont pleins de miséricorde et de bienveillance envers tous ceux qui ont besoin d'eux... Avec une dévotion ardente ils prient et intercèdent auprès du Dieu tout-puissant pour tous les besoins de la sainte chrétienté et pour tout ce qui lui est utile... Les bons prêtres sont un miroir pour la sainte Église et pour tous les hommes de bien qui veulent mener une vie raisonnable et sage... Aux âmes nobles les prêtres donnent aussi une nourriture et un breuvage éternels, qui sont le corps et le sang du Christ...

      11-6-2-Digressions sur la vie spirituelle et la marche vers la perfection 

Selon son habitude, Ruysbrœck profite de ce qu'il vient de constater pour exposer ce qui fait la vie parfaite de ceux "qui sont morts à eux-mêmes en Dieu, à leur propre volonté et à toute propriété pour la très chère volonté de Dieu et qui trouvent la vie éternelle, et une béatitude sans fin... Ils ont reçu la richesse sans fond et la liberté sans entrave, qui leur permet de pratiquer toutes les œuvres bonnes extérieures, et de se recueillir en toutes les vertus et pratiques d'amour...  

Dès lors ils sont assurés de la vie éternelle, car par amour ils ont comme échappé à eux-mêmes, perdus pour toujours, et personne ne peut plus les atteindre... Ils ne peuvent pas tomber dans le péché mortel, à cause de cette inhabitation divine qu'ils ressentent et qu'ils expérimentent en eux, jour et nuit..."

Et comme toujours, Ruysbrœck met en garde ses lecteurs: "Ce mode élevé de vie ne peut être enseigné à aucun; il est caché et inconnu. Mais seuls ceux à qui Dieu le donne et qui en sont capables peuvent le recevoir: ce sont ceux qui au moyen de la grâce divine renoncent à eux-mêmes et meurent en Dieu et dans l'amour essentiel sans images... Dieu se manifeste dans leur pensée élevée au-dessus des images. On appelle ceci la vie contemplative..."  (Chapitre 77) 

      11-6-3-Comment marcher vers la perfection 

Les hommes sont pécheurs... mais Dieu ne voulant pas leur perte a envoyé son Fils vivre au milieu d'eux. Pour assister les hommes dans la marche difficile de leur conversion, le Christ a fondé son Église. Avant de montrer comment ceux qui veulent se rapprocher de Dieu doivent vivre, Ruysbrœck commence par décrire la vie de la Primitive Église.  

Il enseigne: 

"Le Christ avec ses apôtres a fondé et établi la sainte Église... nous léguant la règle commune selon laquelle on doit vivre... La foi chrétienne en est le fondement, établi sur la fidélité et la charité mutuelles, selon qu'en témoigne le Christ, ses apôtres et les saints... Tous ceux qui ont accueilli cette règle du Seigneur et ont fait profession dans la foi chrétienne, ont été baptisés dans sa mort, purifiés de leurs péchés et remplis du Saint-Esprit. Leur communauté n'était pas grande... et l'on mettait en commun tout avoir...  

Ce petit groupe avait beaucoup d'ennemis... Lorsque le Christ fut monté vers son Père céleste, il envoya le Saint-Esprit à ses disciples et à tous ceux qui croyaient en lui. Tous devinrent libres, pleins d'audace et de courage... Lorsque les païens et les juifs virent que le nom du Christ était partout exalté... ils voulurent mettre à mort tous les chrétiens, pensant ainsi sauver la loi ou leurs idoles..."  

Il y eut beaucoup de martyrs. "Comme des loups dévorants parmi d'innocentes brebis, les persécuteurs se saisissaient des chrétiens, les frappaient, les crucifiaient, les mettaient à mort, créant ainsi maints martyrs, qu'ils envoyaient dans la gloire de Dieu. Mais, en même temps,  le Christ suscitait parmi les persécuteurs, des croyants, qu'il donnait à la sainte Église, et ainsi croissait le nombre de ses fidèles au ciel et sur la terre...  

Il fallut bien deux cents ans de persécutions et de tourments pour les chrétiens avant que fût prêchée, enseignée et mise à découvert la vraie foi, donnée clairement et en toute sincérité au monde entier." 

Quand les empereurs et les rois reçurent la foi chrétienne, ils comblèrent de privilèges la sainte Église... et ils donnèrent des biens et des richesses à ceux qui voulaient servir Dieu dans l'état ecclésiastique... au service de la sainte Église...  

Mais voyant les dangers et les tentations que susciteraient de tels avantages, beaucoup d'hommes de bien, inspirés par Dieu, désirèrent abandonner le monde et fuir au désert pour servir Dieu continuellement, dans la solitude et la pauvreté. "Ainsi agirent beaucoup de gens de bien, établissant leur demeure dans les cavernes, les creux des rochers et les grottes, se faisant des cabanes et des cellules pour y habiter... Le Christ répandait alors son Esprit dans le monde entier, et beaucoup de bonnes âmes désirèrent vivre selon la règle des apôtres, au-dessus des préceptes et des pratique de la sainte Église." (Chapitre 58) 

 

12-La charité

 

12-1-La charité envers Dieu 

La charité parfaite comprend deux modes; celui qui a été exposé ci-dessus dans le pararaphe 11-6-2, Digressions sur la vie spirituelle, et la marche vers la perfection. "C'est le mode le plus élevé d'amour qu'on puisse vivre... L'amour y est achevé et, en Dieu, y est aimé sans fin.  

Un autre mode de vivre et d'aimer s'y ajoute: celui que Dieu impose de façon rigoureuse à tous les hommes, à savoir qu'il doit être aimé au-dessus de tout ce qu'il a créé. Ce mode d'amour fut pratiqué par le Christ selon sa nature humaine; il nous l'a enseigné en paroles et en œuvres, il est mort pour cet amour et il l'a emporté avec lui au ciel... Ce mode d'amour durera éternellement. La charité parfaite est enracinée et établie en Dieu, et c'est le Saint-Esprit lui-même qui est son fondement...

Dieu doit être aimé par-dessus tout. L'âme raisonnable qui fait choix d'aimer le Christ par-dessus toutes choses, possède en elle la vie du Christ avec tous ses dons, et il lui enseigne la vérité et toutes les vertus. La charité envers Dieu est de si grand poids, qu'elle l'emporte sur toutes choses... L'âme raisonnable est semblable à un marchand qui cherche des perles précieuses et, lorsqu'il en a trouvé une, il vend tout ce qu'il a et il achète cette précieuse gemme. Qui aime Dieu par-dessus tout, a trouvé la perle. Aimer Dieu par-dessus toutes choses, c'est le trésor des anges, des saints et des hommes parfaits... La sagesse de Dieu enseigne l'amour éternel et procure la gloire et la béatitude pour l'éternité." 

12-2-Le pur amour 

"L'âme raisonnable possède trois manières de vivre pour Dieu. Le mode le plus élevé est celui du pur amour par lequel l'esprit est uni à Dieu sans images... et il lui est impossible de tomber en péché mortel. Puis l'âme raisonnable s'élève vers Dieu en action de grâces louange et révérence: c'est le deuxième mode... Elle ne peut plus commettre de péchés, de même que l'arbre bon ne peut produire de fruits mauvais. Car adhérer à Dieu avec amour, hommage et respect, c'est la vie éternelle qui reçoit Dieu et ne peut pas mourir.  

L'homme raisonnable qui cherche et qui aime Dieu vit selon la très chère volonté de Dieu... Le Christ vit en lui par sa grâce et opère avec lui ce qui est de précepte comme ce qui est de conseil... Cet homme est innocent et juste, désireux d'accomplir promptement la très chère volonté de Dieu... Le retour amoureux vers Dieu lui est facile... Sans cesse il doit croître et monter dans la charité et dans la vertu... En lui vit l'esprit de miséricorde. Il est intimement et uniquement uni à Dieu pour toujours... Il vit en Dieu et Dieu en lui de façon immuable. Ses péchés véniels lui sont facilement pardonnés car sa pratique est vie éternelle." (Chapitre 77) 

12-3-Vivre selon les conseils évangéliques 

      12-3-1-La pauvreté 

"Jésus-Christ a établi une règle qu'il a vécue lui-même et qu'il a enseignée à ses disciples... Le nombre est petit de ceux qui vraiment la pratiquent et la vivent. Elle n'est pas commandée, mais conseillée par le Saint-Esprit; elle n'est pas de nécessité, mais de libre volonté... pour répondre aux paroles du Christ:  'Que celui qui veut me suivre, se renonce à lui-même, porte sa croix et me suive' Et encore 'Qui veut être parfait, doit vendre tout ce qu'il a... qu'il le donne aux pauvres, et vienne à ma suite.' Le Christ venu en ce monde... était Dieu et homme, roi des rois, créateur de toutes les créatures, prince et seigneur au-dessus de tous les hommes... Mais il méprisa le monde... et il fit choix de la pauvreté, se faisant un pauvre serviteur au-dessous de tous les hommes..." (Chapitre 59)  

      12-3-2-La chasteté 

"Le second point de la règle susdite consiste dans la pureté de l'âme et du corps. Quiconque est lié à la loi du mariage, ou appartient à quelque état de religion, doit garder le lien qu'il a contracté ou les vœux qu'il a émis, et demeurer fidèle: c'est justice et commandé par Dieu. Jésus le Fils de Dieu... était pur et innocent... Cependant il mortifiait son âme et son corps, et... marchait selon son esprit... et... la volonté du Père... Ceux qui, dès leur jeune âge, promettent à Dieu de garder la pureté, soit dans un ordre de religion, soit en dehors... doivent jeûner, pratiquer veilles et prières, et se contenter de ce qui leur est nécessaire, lire et écouter la parole de Dieu, aimer la solitude, et ne chercher que Dieu... et porter imprimé dans leur cœur Jésus torturé, crucifié par amour, mort pour tous les pécheurs... Ceux qui demeurent ainsi, seront vainqueurs de la chair et du sang, de l'ennemi et du monde, et de toutes les tentations de l'âme et du corps...  

Jésus disait à ses disciples que le Fils de l'homme serait livré aux princes des prêtres et aux scribes, qu'on le condamnerait à la mort et qu'on le livrerait aux païens... Les apôtres n'en voulaient rien entendre ou comprendre...  Mais lorsque vint son heure, Jésus voulut mourir pour les péchés du monde entier. Et alors il sentit la tristesse..." la tristesse de Gethsémani et de la Croix. Ruysbrœck décrit cette tristesse: 

"Le ciel, la terre et tous les éléments furent plongés dans la tristesse lorsqu'il mourut... Il en est encore ainsi de par le monde: les pécheurs crucifient le Seigneur par leurs péchés... et les bons pleurent et prient pour leurs propres péchés, et pour les péchés du monde entier... Mais, dit Jésus: 'Bienheureux ceux qui pleurent et sont dans la tristesse, car ils seront consolés.'...  Et il en fut ainsi pour les apôtres, le troisième jour, quand le Christ, ressuscité, vint lui-même se montrer à saint Pierre et aux autres apôtres...  

Puis ce fut la Pentecôte. Les apôtres furent remplis du Saint-Esprit et ils furent élevés au-dessus de la raison jusqu'à la pureté de leur esprit... Le Christ ne leur donna pas d'autre signe extérieur de vêtements, que celui qu'il avait porté toute sa vie, à savoir: une vie innocente et humble, des mœurs honnêtes, douces et clémentes, le mépris du monde, l'amour du labeur et de la peine, la fidélité envers tous les hommes, la disposition à servir, à mourir, à enseigner par leur vie, et à être dévoué à tous, par obéissance à son Père céleste et à nous tous jusqu'à la mort..." 

De nouveau Ruysbrœck gémit: "Tel était l'habit extérieur dont le Christ revêtit ses disciples. Mais pour ceux qui maintenant en religion portent un habit religieux et vivent en opposition avec ces points, ce leur sera une confusion et une honte, aussi bien ici-bas que dans l'éternité...  

Le Christ donne un autre habit à ses disciples qui renoncent à eux-mêmes, dominent leur nature sensible et suivent son invitation et son conseil dans une vie spirituelle intérieure. Et cet habit est tissé de trois couleurs réunies. Il s'appelle pureté d'âme, de corps et d'esprit: pureté dans le corps, limpidité dans le cœur, netteté dans l'esprit..." 

      12-3-3- L'obéissance volontaire 

La perfection de toutes les vertus, c'est "l'humble obéissance et l'abandon volontaire à la très chère volonté de Dieu. Ce manteau orne et recouvre toutes les vertus et les rend agréables à Dieu... La vie sainte authentique, sans défaillance, consiste dans l'obéissance à Dieu, à la sainte Église, aux prélats et à tous les hommes en vraie discrétion. C'est là un habit que tous doivent avoir également pour être sauvés..." Ce devrait être le manteau de tous ceux qui vivent selon les conseils du Christ. 

Mais Ruysbrœck est obligé de constater "qu'il y a beaucoup d'hommes dans les ordres ou divers états religieux qui ont promis de vivre selon les conseils de Dieu, et qui n'observent ni les conseils ni les préceptes. Ils ont voué la pauvreté et le dépouillement de toute propriété; la pureté et l'obéissance à Dieu, et à leurs supérieurs jusqu'à la mort. C'était là l'habit intérieur, dont le Christ était revêtu..."  

Malheureusement "L'habit intérieur de la vertu a presque complètement disparu... Quant à l'habit extérieur il ressemble aussi à ceux du monde, autant que possible, par la couleur et la variété en toute manière propre à charmer les yeux du monde... Le démon a vaincu le monde, qui lui est soumis. Il a pris les armes contre le clergé et contre tous ceux qui criminellement vivent de biens ecclésiastiques. Il a revêtu sa famille, ceux qui le servent, de son habit infernal, c'est-à-dire de dureté, d'impureté et de désobéissance. C'est par là que se perd tout état de religion. Bien qu'ils aient des yeux, ils ne voient pas, des oreilles, ils n'entendent pas, des pieds, ils ne marchent pas, des mains, ils ne travaillent pas. Toute vie fidèle leur est en dégoût. Car ils sont entièrement tournés au dehors vers les choses terrestres, et peu ou point du tout vers la vie intérieure..." 

Ruysbrœck poursuit ce noir tableau en le comparant à la charité qui régnait dans l'Église primitive, puis il exprime sa souffrance: "Maintenant la charité envers Dieu et envers le prochain s'est bien refroidie... Maintenant chacun possède les propres revenus qu'il a pu acquérir; dans les monastères et les communautés il y a des riches et des pauvres comme dans le monde. Les riches mangent et boivent ce qu'ils aiment; ils sont bien habillés; ils accumulent les richesses et donnent peu ou rien. Si même ceux qui sont auprès d'eux ont faim et soif et sont dans une grande misère, ils n'y font point attention... Ce sont des loups dévorants qui usent du bien divin commun pour le mal... Ceux qui servent la chair et le monde et qui méprisent le service de Dieu, en quelque état ou ordre qu'ils soient... sont incapables de plaire à Dieu..."   (Chapitre 61) 

      12-3-4-Conseils de Ruysbrœck pour vivre les conseils évangéliques 

Ruysbrœck donne de nouveaux conseils à ceux qui veulent vivre uniquement pour Dieu: "Aimez tous les hommes d'un commun amour, pour la louange et la gloire de Dieu. Ne jugez ni ne méprisez personne; haïssez le péché et aimez les pécheurs... N'attirez personne à vous et ne vous laissez attirer par personne par affection désordonnée... Aimez ceux qui sont purs d'âme et de corps, qui désirent et poursuivent l'honneur de Dieu en vous et en tous les hommes. Mais détestez et fuyez les manières affectueuses, quelque saintes qu'elles paraissent. Écoutez volontiers parler de Dieu... Aimez toujours à vous taire plutôt que de parler beaucoup sans utilité, ni nécessité. Gardez vos yeux et vos oreilles de la curiosité...  

Soyez sobre et mesuré en nourriture et breuvage, selon que votre nature peut le porter. Soyez pur de bouche et gardez votre langue de paroles vaines, inutiles et sans fruit... Car mentir, détracter par envie, dire de faux témoignages, jurer, maudire, blasphémer le nom de Dieu, ce sont là péchés maudits d'enfer. 

Voulez-vous être trouvé pur? Gardez-vous avec soin de ces péchés. 

Demeurez volontiers seul... et mettez toute votre consolation en Dieu... À la pureté du corps doit s'ajouter une disposition intérieure de l'esprit: c'est la pureté du cœur élevé par la grâce divine, en des désirs et des vœux, jusqu'au Christ et son Père céleste. La pureté du cœur ressemble à une lampe remplie d'huile qui brûle et dont la flamme monte vers le ciel... Le Christ confère le feu de sa charité à l'huile des bonnes œuvres, afin que la lampe puisse brûler toujours: et ainsi la lampe est nourrie de la grâce, du désir et des bonnes œuvres entre nous et Dieu, et toujours davantage. Mais lorsqu'on n'entretient pas, par la pratique, le désir des bonnes œuvres, celui-ci se refroidit et l'on perd le goût et le plaisir des vertus, et la pureté du cœur diminue de plus en plus."  

En effet... "l'ennemi d'enfer tente l'homme pur en lui suggérant des pensées inutiles, des images impures, des imaginations étranges et maintes idées sottes, par quoi l'homme oublie Dieu et perd son temps. Le monde tente aussi l'homme pur au moyen de joie et de tristesse... Nous devons lutter contre tous nos ennemis pour avoir le triomphe de la victoire... C'est pourquoi nous devons prendre les armes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lesquelles il nous a délivrés de tous nos ennemis et de la mort éternelle... Nous devons porter son nom et sa vie dans la mémoire et dans le cœur, avec désir et amour... nous souvenant de sa vie bénie d'Homme-Dieu, de sa doctrine sainte, de son humble service jusqu'à la mort, de sa passion, de son sang versé, de sa mort, de sa résurrection glorieuse, de son ascension merveilleuse au-dessus de tous les cieux...  

      12-3-5-Le chemin de la contemplation 

Ruysbrœck, brusquement, retrouve sa contemplation coutumière: "Si nous portons dans le cœur l'image du Christ, Dieu et homme, crucifié, martyrisé, vivant et mourant par amour à cause de nous, il vit en nous et nous en lui, nous triomphons de la chair et du sang, du monde, de l'ennemi et de toutes ses tentations. Au-dessus de cette pratique et au-dessus des images sensibles du Christ, nous devons être élevés par la pureté de l'esprit, jusqu'à une vie spirituelle intérieure, et jusqu'aux images intellectuelles, pour connaître la sagesse, la vérité et toutes les vertus, qui ornent et éclairent l'esprit en face de la présence divine.  

Au-dessus de tout cela nous devons avoir un regard pur sans images, dans la lumière divine, sur la vérité éternelle qui est le Christ: là est pureté de cœur et pureté d'esprit pleinement achevées. Là nous verrons Dieu et le Christ nous revêtira de l'habit de pureté qu'il est lui-même. La vie pure fait ressembler aux anges c'est le conseil de Dieu et le deuxième précepte pour tous les états religieux. Celui qui y croit et l'observe bien dans un ordre ou en dehors se revêt du Christ. La vie du Christ est son habit intérieur: s'il demeure pur au dehors et au-dedans jusqu'à la mort, il est heureux éternellement et sans fin." (Chapitre 60) 

      12-3-6-Dieu et l'homme 

Selon Ruysbrœck, "dans la superessentielle béatitude qui embrasse en elle-même les personnes divines et les êtres créés qui y sont appelés, nous, les hommes, sommes morts à nous-mêmes en Dieu et notre vie est cachée en Dieu; là il n'y a ni commencement ni fin, personne n'y peut nous trouver; notre demeure n'est nulle part; c'est au-dessus de tout le créé que nous sommes ravis avec Dieu dans notre superessence, dans une béatitude toute simple qui n'est jamais connue autrement que par elle-même..."  

Mais attention! Seuls les hommes aimants, unis à Dieu en amour et ravis avec Lui dans la béatitude superessentielle, "peuvent trouver ce repos dans la superessence qui est Dieu même... Dès l'origine du monde, Dieu nous a donné son royaume, si nous voulons bien vivre pour lui; et son royaume c'est lui-même... Si donc d'un esprit amoureux nous nous attachons librement à lui, nous sommes élevés au-dessus de notre propre nature et devenons un seul esprit avec lui, et nous nous unissons à lui par l'amour éternel qu'il est lui-même. cela s'appelle une vie contemplative, qui est à la portée de tous ceux qui savent s'affranchir d'images et qui servent et aiment Dieu seul dans la liberté de leur esprit..." (Chapitre 29) 

Ruysbrœck a expliqué, à plusieurs reprises, comment Dieu vit dans la nature suprême du ciel. "Il nous a appelés et élus: si donc nous le cherchons, nous le trouverons en nous-mêmes et au-dessus de nous-mêmes, là où il jouit de lui-même dans sa gloire, avec ses élus, contemplant, connaissant et aimant, jouissant et s'écoulant en tous, en béatitude éternelle." 

Mais Ruysbrœck revient à ses conseils. Délaissant momentanément le sujet de la vie contemplative, "que Dieu est lui-même et qu'il confère à ceux qui ont renoncé à eux-mêmes et ont suivi son Esprit là où il jouit de lui-même en ses élus dans la gloire éternelle", il écrit: "Si vous voulez monter par votre entendement de la terre jusqu'au ciel suprême, vous devez dépasser les éléments et tous les cieux qui se trouvent entre les deux, alors vous trouverez par votre foi Dieu dans son royaume. De même, si vous voulez monter au-dessus de la foi jusqu'au sommet de votre nature créée, qui est un ciel caché, vous devez être orné de toutes les bonnes œuvres au dehors et des vertus et saintes pratiques au dedans; alors vous dépasserez vos sens et votre imagination, et toutes les images, corporelles et spirituelles, raisonnement et concept, et toute observation. Élevé ainsi jusqu'au regard sans image ni voile, dans la lumière divine, vous contemplerez le royaume de Dieu en vous et Dieu dans son royaume." (Chapitre 30) 

      12-3-7-Vers la vie contemplative 

Ruysbrœck a multiplié ses conseils pour que ceux qui ont renoncé à eux-mêmes et suivi le chemin qui mène à la contemplation, arrivent à la vraie vie contemplative. Mais il sent que ses lecteurs ne le suivent plus. Alors il précise: "Dieu vit en nous par ses grâces et nous en lui par nos vertus, et ainsi nous pouvons toujours croître et grandir dans sa complaisance et orner toutes nos facultés intérieures, les faire resplendir et les enrichir par de nouvelles vertus: c'est là une vie intérieure et vertueuse, dont nous avons tous besoin pour être sauvés. 

Dieu nous a créés aussi sensibles et mortels... Il a revêtu notre âme vivante d'un corps mortel, né d'un père et d'une mère, afin que nous vivions pour lui et le servions dans l'abstinence et la pénitence... et dans les saintes œuvres extérieures..." 

Notre modèle, Jésus-christ, Dieu et homme, est venu nous servir en vivant et en mourant, jusqu'à expirer sur la croix. Ainsi, de même que le Christ était obéissant envers son Père céleste, de même nous devons le suivre, si nous voulons être ses disciples et porter notre croix, et nous renoncer en toute manière. "Ainsi, par le Christ, nous pouvons aller librement vers son Père et notre Père, obéir aussi à ses commandements et à notre raison, aux Évangiles et aux saintes Écritures... humblement, et en nous soumettant aux bons usages et à toutes les bonnes coutumes qu'on pratique parmi les bons chrétiens. C'est là la vie active, qui nous est à tous nécessaire..." pour entrer dans la vie sainte et intérieure conduisant à la vie contemplative et à l'union à Dieu. (Chapitre 29) 

      12-3-8-L'univers et la vie spirituelle 

Pour être mieux compris, Ruysbrœck donne l'exemple du ciel étoilé, des étoiles fixes et errantes et de leur influence. Nous n'entrerons pas dans ces détails trop liés à l'astrologie, et nous mentionnerons simplement que Ruysbrœck veut nous montrer "que toutes les créatures nous enseignent comment il faut vivre... au moyen d'une vie spirituelle intérieure et cachée, que personne ne connaît et ne ressent que celui qui la vit, l'exerce et la pratique. Et cette vie spirituelle intérieure commence ainsi: notre Père céleste crée au plus profond de nous-mêmes un firmament intérieur spirituel, pourvu que nous suivions l'inclination naturelle de notre âme, que Dieu nous a donnée à tous, et qui par nature désire toujours le bien... Mais elle est souvent obscurcie par la grossièreté des péchés... En conséquence, elle a besoin du secours de la grâce pour pouvoir s'élever au-dessus d'elle-même... Tant que la volonté est mauvaise et veut rester mauvaise, l'homme s'oppose à Dieu et à tous ses dons, et il ne peut ni pratiquer ni comprendre la vertu, la sagesse ni la vérité. Il est dès lors rejeté de Dieu et il n'a aucune part à tout le bien qui s'accomplit au ciel et sur la terre, car une volonté mauvaise est le fondement et le principe de tout mal..."  (Chapitre 31) 

Ruysbrœck traite de la volonté bonne "où Dieu vit et règne avec ses dons, en tout semblable au firmament du ciel, car elle (la volonté bonne) est toujours mue d'en haut par le Saint-Esprit, qui est le premier mobile de toute sainteté... Ce firmament est... un intermédiaire spirituel qui établit la séparation... entre les vertus et les œuvres de vertu, entre le temps et l'éternité, entre la vie active au dehors et la vie spirituelle à l'intérieur... entre les œuvres des sens qui périssent, et les œuvres de l'esprit faites par la grâce qui demeurent éternellement." (Chapitre 32) 

Dans son chapitre 33, Ruysbrœck décrit le ciel tel qu'on le concevait de son temps pour en faire l'application à la vie intérieure. Ainsi, comme les cieux, "notre vie intérieure possède une clarté spirituelle toute transparente, en raison de la grâce et de l'inhabitation de Dieu en nous, qui nous unit à lui. Par contre, les puissances de notre âme ne sont pas transparentes; elles reçoivent clarté et couleur... selon la noblesse des vertus qu'elles présentent à Dieu, ces vertus pratiquées venant de Dieu et allant vers Dieu..."  

Ruysbrœck fait remarquer aussi que lorsque  "nous élevons notre puissance amoureuse pleine de désirs jusqu'à la bonté de Dieu, notre esprit s'enflamme. Alors jaillissent des étincelles d'ardeur et d'impatience d'amour, qui doivent brûler jusqu'à ce que l'esprit défaille dans l'amour: et ainsi les esprits aimants ressemblent-ils aux étoiles de feu qui brillent au ciel." (Chapitre 34) 

Ruysbrœck s'attarde ensuite très longuement sur la signification mystique des sept planètes et leur influence sur les hommes. Nous n'insisterons pas. Il racontera aussi, avec de nombreux détails, toute la vie de Jésus et s'attachera à les mettre en relation avec les textes et les évènements figuratifs de l'Ancien Testament. C'est toute l'économie du salut par Jésus-Christ qui est ainsi traitée, jusqu'au jour du jugement: "Ce jour-là Saturne, la planète terrible, régnera sur tout le monde, lorsque Jésus viendra avec les anges et les saints juger selon la justice et sans merci tous ceux qui n'auront pas vécu pour lui et seront morts en péché mortel. Les cieux s'ébranleront, la terre tremblera et toute créature frémira à l'approche de la justice divine. Les pécheurs souhaiteront que les montagnes et la terre s'entr'ouvrent, afin de s'y cacher devant la face terrible du Seigneur." (Chapitre 35) 

Heureusement Ruysbrœck ne reste pas sur ces notes terribles, et il ajoute: "Actuellement Jésus-Christ est tout prêt à donner sa grâce à quiconque abandonne le péché et se convertit à la vertu et à la vérité. Votre crainte ne doit donc pas être trop excessive, car la crainte désordonnée engendre la défiance et le désespoir: et c'est là un grand péché mortel, car la source en est un fond mauvais et pernicieux, qui s'oppose au Saint-Esprit." (Ch 36) 

Considérant la planète Jupiter qui préside au printemps et rend fécondes toutes les créatures, Ruysbrœck revient encore une fois sur la création et la faute d'Adam. Il en profite pour aborder le thème du péché. Il écrit: "Le péché d'Adam ne devait pas durer toujours, car il rentra en grâce et nous tous avec lui, pourvu que nous recherchions par repentir et bonne volonté le pardon de nos péchés. Quatre espèces de péchés règnent aujourd'hui dans le monde... La première catégorie de pécheurs se compose des païens et des mauvais chrétiens, qui soutiennent des choses contraires à la foi chrétienne. en quelque point. La deuxième est propre à ceux qui volontairement et sciemment vivent en péché mortel... La troisième espèce, ce sont les hommes dissimulés et hypocrites, qui sans avoir de vertu intérieure font montre au dehors d'une apparence de sainteté, non pas pour Dieu, mais en vue de choses périssables. La quatrième espèce comprend ceux qui servent non par amour, mais pour eux-mêmes et en vue de leur propre gain: ce sont des mercenaires et des serviteurs à gage..." 

Car, explique Ruysbrœck: "Servir Dieu c'est aimer Dieu, et celui qui sert Dieu pour quelque gain ou pour quelque avantage, n'aime pas Dieu; en effet, le véritable amour ne cherche pas son propre intérêt... Ce qui est né de la chair est chair et nature charnelle, et ne peut voir Dieu ni le trouver. Mais l'esprit qui est né de Dieu, s'élève au-dessus de la nature, de la chair et de toutes choses; il voit Dieu et trouve son royaume caché en lui-même..." 

Ruysbrœck peut justifier ses comparaisons avec les planètes: "Comprenez-vous maintenant qui sont les enfants selon la nature? Ce sont tous ceux qui sont soumis aux éléments et demeurent sous l'influence du cours des cieux et des planètes; mais les fils qui sont nés de Dieu dominent la nature et sont affranchis de ces influences des cieux et des planètes, et toutes choses leur sont soumises." (Chapitre 37) 

Ruysbrœck poursuit ces comparaisons pour exposer l'influence des astres sur la diversité des tempéraments chez les hommes. Ainsi, il écrit: "Dans la nature des hommes on peut distinguer sept sortes de tempéraments, qui sont reçus à la naissance, sous l'influence des sept planètes, dont on porte ensuite la ressemblance." Nous n'irons pas plus loin dans ces comparaisons exposées dans les chapitres qui suivent: 38 à 43.

 

13-La vie spirituelle.

 

Ruysbrœck essaie parfois de résumer sa pensée qu'il sait difficile à comprendre. Ainsi, dit-il, concernant la vie spirituelle, "si nous voulons expérimenter et vivre le plus haut degré de vie où l'on puisse arriver dans le temps, notre esprit doit être séparé de notre âme et s'élever au-dessus de la raison, au-dessus des images, au-dessus des pratiques de vertu, par un regard simple dans la lumière divine, une vue intérieure élevée de notre esprit et une adhésion à Dieu par pur amour. Dans l'action nous sentons entre nous et Dieu une distinction et une différence; mais là où nous sommes ravis en Dieu au-dessus de l'esprit, en sa majesté infinie, là nous avons repos et habitation avec Dieu en une unité essentielle, qui demeure toujours avec Dieu immobile et sans action, dans un repos d'éternité. Ainsi nous devons posséder repos et action, ce qui est vivre sans labeur..." (Chapitre 51)  

13-1-Le premier mode de vie spirituelle 

Ruysbrœck a présenté très rapidement "le premier mode de notre esprit en libre élévation, par pur amour, jusqu'à la hauteur infinie de Dieu." Très expérimenté en matière spirituelle, il s'applique à conduire ses lecteurs vers les cimes de la vie spirituelle. Il écrit: "La pratique de vie éternelle a un triple mode: deux modes spirituels et un mode sensible. Le Christ mit ces trois modes en pratique et il les enseigna aux apôtres... Il conduit ses disciples avec lui au ciel vers son Père céleste... Le Christ leur enseigne à remercier avec lui, à louer, à servir et à aimer le Père céleste dans un respect infini, et à posséder avec lui et avec son Père céleste l'unité du Saint-Esprit pour en jouir dans la béatitude éternelle. C'est la clôture de l'amour: penser sans images et pratiquer le pur amour dans un repos éternel. Tel est le premier mode spirituel enseigné par le Christ..." (Ch.78) 

13-2-Le deuxième mode de la vie spirituelle 

Puis vient le second mode de vie spirituelle. Ruysbrœck nous apprend que "c'est l'humble mépris de nous-mêmes au-dessous de tous les modes d'humilité... Nous sommes humblement contents, dans le renoncement à nous-mêmes et dans un humble abandon. Notre regard s'engloutit dans la profondeur d'abîme de Dieu..." (Chapitre 51) 

"Dans le deuxième mode spirituel, le Christ nous fait descendre avec lui et nous apprend à mourir à nous-mêmes et à notre propre volonté, par une humble démission devant le libre vouloir divin... L'Esprit du Christ... est commun à tous ceux qui se gardent purs du péché... Leur vie consiste à vivre pour Dieu et à supporter l'injustice sans murmurer ni se plaindre... Ceux qui le suivent ainsi lui sont semblables. Il veut que nous soyons obéissants, dociles... Ceux qui vivent ainsi pour lui s'alimentent du pain céleste. Il veut que nous soyons de mœurs honnêtes et que nous accomplissions les bonnes œuvres... alors nous serons toujours en paix avec lui. Il veut que nous soyons raisonnables et discrets: et tous les vices nous viendront en dégoût... Il ne faut pas être bourru, ni grincheux, mais doux de cœur, d'un esprit joyeux, d'une âme généreuse... alors il nous donne son esprit de miséricorde... Le Christ supporte et tolère le pécheur en ses péchés, mais les hommes de bonne volonté lui sont unis en amour. 

      13-2-1-Comment vivre ce mode de vie 

Ruysbrœck découvre de nombreux défauts qu'il contre lesquels il faut lutter, "car le pécheur qui cherche et désire la grâce, est cher et agréable à Dieu...  Certains portent une apparence dévote et se croient les disciples du Christ. Parmi eux on trouve "les mélancoliques et les faibles... En beaucoup de choses ils sont mauvais et cruels... Souvent ils ont souffrance et tristesse. S'ils étaient d'âme simple, ils n'auraient rien de semblable." En effet, "Dieu, notre Père céleste, en créant la nature humaine, a donné à tous liberté et faculté de choisir librement, de se détourner ou de se retourner, de faire le bien ou le mal... Dieu et avec lui tous les saints et tous les anges, veulent que nous nous retournions vers lui par l'amour, l'action de grâces et la louange... Oui, il veut... que nous lui rendions action de grâces et louange...  Dans cette condition nous sommes ses disciples et lui nous donne la vie éternelle. De plus Dieu donne ordre à tous les hommes de pratiquer la charité mutuelle, la fidélité et la justice entre eux. Ceux qui dès le commencement du monde ont aimé, honoré et adoré Dieu, ont trouvé et possèdent la béatitude éternelle. Ceux qui se sont détournés de lui, qui adorent le bois et la pierre, et les statues qu'ils fabriquent, sont damnés pour l'éternité..." 

      13-2-2- Qui sont les damnés, disciples de Satan 

Ruysbrœck réaffirme: "Ceux qui aiment tous les hommes pour Dieu et pour sa grâce sont les disciples du Seigneur, pleins de grâce et de miséricorde. Mais les disciples de Satan sont impitoyables et remplis de malice; ils font œuvre de brigands, tuent, volent, se battent, et sont pleins d'actions mauvaises." D'accord, pourrait-on dire à Ruysbrœck, mais ces gens, qui sont-ils vraiment, comment se présentent-ils? Ruysbrœck nous répond: "Certains portent un extérieur dévot et veulent être les disciples du Christ, mais ils sont méchants et sans pitié, mélancoliques et faibles, incapables de toute vertu. Ils injurient, se fâchent, se battent, mentent, jurent, blasphèment, et ne peuvent se corriger de leurs vices. Il en est d'autres encore qui ont pour autrui de la mésestime et le montrent en paroles, en procédés, en affectation de silence, par des signes ou des attitudes méprisantes; et ce sont tous des vases vides de grâce et remplis de péchés. Ils ont délaissé Dieu: ils sont tous disciples de Satan et rejetés de Dieu."  

Plus loin il dira: "Ceux qui ne cherchent ni n'aiment Dieu sont aveugles dans leur connaissance. Ils ne peuvent pas se vaincre et toute leur vie est folie... Ceux qui portent volontiers des soucis étrangers ont souvent un sentiment de tristesse... ils ont souvent peines et mécontentements... Volontiers ils se plaignent des autres, mais s'ils se regardaient eux-mêmes, ils garderaient le silence et supporteraient tout...  

Beaucoup de gens qui s'exaltent eux-mêmes ne supportent personne au-dessus d'eux. Ils ont une volonté propre et orgueilleuse, et ils préfèrent leur propre opinion à celle des autres hommes: ceux-là ne sont pas nés de Dieu... Ils veulent dominer les autres... Lorsqu'ils se rencontrent avec ceux qui leur ressemblent par leurs vices, ils doivent s'injurier et se battre, car l'un ne veut pas céder à l'autre... Ils ne sont que des vases vides." Ruysbrœck aurait-il écrit pour nous, du XXIème siècle? 

      13-2-3-Comment vivre avec tous ces gens-là? 

Ruysbrœck n'est aucunement démodé et nous en prenons souvent conscience. C'est vraiment pour nous qu'il écrit; c'est nous qu'il met en garde contre ceux qui suivent Satan. Ainsi, Ruysbrœck précise: "Le Christ ordonne à ses disciples qui l'aiment et le servent, de supporter et de souffrir toute injustice, sans murmure ni plainte: ainsi peuvent-ils en Dieu obtenir toute béatitude et avec tous les saints se réjouir éternellement..."  

Cependant, affirme Ruysbrœck, certains disciples ont encore des craintes; le royaume de Dieu leur est caché... "Ils ne veulent de mal à personne, mais ils sont faibles et facilement déprimés..." Que peuvent-ils faire? C'est alors que Ruysbrœck conseille: "Le Christ demande à ses disciples de mépriser les choses de la terre... d'abandonner le péché et de s'en purifier... Ils confesseront devant Dieu leurs péchés... et sans hésiter ils mettront en Dieu leur confiance: c'est là un signe de vrai repentir. Ceux qui se déplaisent eux-mêmes, confessant et reconnaissant leurs péchés sont bénis de Dieu. Avec une charité sincère ils lui rendront grâce, le loueront, et commenceront la pratique des vertus. Ceux qui agissent ainsi auront la vie éternelle. Le Christ leur montre sa bonté sans fin, la grâce qui s'écoule de lui et son inhabitation avec eux pour l'éternité... Devant sa face et remplis de respect, ils pratiquent l'amour ardent, connaissent toute vérité, et avec lui ils aiment tous les hommes, pour la béatitude éternelle..." (Chapitre 78) 

      13-2-4-Le Christ notre modèle  

"Jésus nous a donné sa mort par laquelle il a acheté la vie éternelle, afin que nous l'offrions à son Père céleste... L'humilité, fille du Christ, est morte à elle-même, sage et prudente; elle a foulé le monde aux pieds, et sait supporter patiemment toute injustice... Elle s'est chargée de sa propre croix. Elle sait tout supporter, et suivre le Christ jusqu'à la mort... Rien ne peut atteindre ces gens humbles: ils sont fixés dans le repos avec Dieu et personne ne peut les troubler. Ils compatissent aux besoins de tous... Ceux-là sont généreux et riches devant les yeux du Christ qui servent les pauvres de tout leur pouvoir. 

Dieu, notre Père céleste, est une source de grâce sans fond. Il a envoyé son Fils dans notre nature, afin de nous purifier des péchés et de nous amener avec lui dans sa gloire. Le Christ, notre ami éternel, nous a servis par sa mort... Il veut que nous le suivions sans cesser jamais. Sa vie sensible était innocence, endurait faim, soif, chaleur et froid, peine et labeur. Sa vie intérieure était sagesse... Sa vie contemplative était au-dessus de toute hauteur et consistait à remercier et à louer son Père, à l'honorer et à l'aimer dans un respect sans fin... Sa vie parfaite était un abandon volontaire aux mains du Père jusqu'à la mort: sa passion, l'effusion de son sang, sa nourriture; tout endurer et porter patiemment, mourir enfin en humble obéissance... 

Telles sont la règle du Christ, sa doctrine et sa vie; si nous voulons le suivre, il nous enseignera toute vérité. Il veut qu'avec lui nous portions son joug, et que nous aimions les bons et les mauvais pour le service de Dieu et pour sa grâce. Le joug de l'amour est doux et suave; il est la rançon de tous les péchés. Le fardeau du Christ est léger de poids: tout ce dont il charge, il aide à le porter. Il envoie ses disciples dans le monde comme des agneaux au milieu des loups... Ils se sont humiliés avec le Christ et sont devenus les serviteurs du monde entier: c'est l'état le plus haut, en toute vérité et justice... Avec le Christ ils sont morts à eux-mêmes en humble soumission; ils se sont engloutis et se sont réfugiés avec tous les esprits aimants dans la béatitude sans fond." (Chapitre 78) 

      13-2-5-Le don de Jésus  

"Jésus nous a légué, par pure charité, sa chair vivante et son sang précieux. Nous pouvons manger et boire, et faire mémoire de lui avec un goût pénétrant. Il nous donne son âme glorieuse, pleine de beauté, de gloire, de dons, qui peuvent nous remplir de grâces et de bienfaits. Il nous donne son esprit créé, qui nous a mérité la vie éternelle. Il nous donne aussi son Esprit incréé, qui est un seul Dieu avec lui et avec le Père céleste, qui pénètre et inonde tout notre intérieur de suavité divine; ceux qui le servent ressentent la douceur éternelle. Tout ce qu'il est et tout ce qu'il peut, il nous l'a donné." 

Mais attention! "Être Dieu et homme en une seule personne, cela il ne peut le communiquer à quiconque; cette majesté et cette noblesse ne sont qu'à lui seul. Il n'y a qu'un Christ, qui est Dieu et homme en deux natures: c'est lui que nous devons aimer, remercier et louer pour l'éternité... Avec le Christ ils sont morts à eux-mêmes en humble soumission; ils se sont engloutis et se sont réfugiés avec tous les esprits aimants dans la béatitude sans fond."  (Chapitre. 78)  

      13-3-Le troisième mode de la vie spirituelle 

Ruysbrœck s'est longuement attardé sur les deux premiers modes de vie spirituelle. Il résume: "Selon ces deux modes, l'esprit est élevé au-dessus de l'âme; néanmoins l'esprit et l'âme ne sont qu'une seule vie. Mais pour l'âme la vie est dans les grâces, les observances et maintes pratiques de vertu. Et l'esprit vit au-dessus de la raison et des pratiques de vertu, uni à Dieu et affranchi d'images dans le pur amour." (Chapitre 51) 

Et voici "le troisième mode de vie éternelle dans les exercices sensibles de la vérité sans fin." Ruysbrœck, évoque d'abord très rapidement le plus haut degré de la vie spirituelle: "Il nous a donné sa divinité, au-dessus de tout être créé, et sa superessence, que nous possédons dans la béatitude éternelle, au-dessus de nous-mêmes, en nous-mêmes; voulez-vous en avoir l'expérience? Là s'achève toute raison, là il y a vie sans labeur... "  

Puis Ruysbrœck revient à la nécessité, à l'obligation du service: "La raison éclairée par Dieu ordonne aux hommes de dominer et de régir la vie des sens et de l'ordonner à la gloire du Seigneur... Ils servent Dieu seul par leurs bonnes œuvres... Ils usent de leurs sens pour les bonnes œuvres, par lesquelles ils servent Dieu et qui leur servent à eux-mêmes jusqu'à la mort: c'est là grande sagesse..."   

En résumé: "Les hommes éclairés de Dieu aiment les vertus et les bonnes œuvres... Tous leurs péchés véniels leur sont facilement pardonnés, car ils sont unis à Dieu par amour. Rentrer en Dieu par amour et sortir pour les bonnes œuvres, ce leur est également facile, car ils sont unis à Dieu au-dessus de joie et de douleur. Toute défaillance, en cette vallée de larmes, se change et se consume en amour et en retour vers Dieu car leurs vertus et bonnes œuvres sont sans nombre. Ces hommes ont obtenu la victoire..." (Chapitre 78) 

 

14-La vie chrétienne et sainte

 

Ruysbrœck va achever la troisième partie de son œuvre: Les douze Béguines. Il lui reste encore de longues années à vivre durant lesquelles il devra conseiller beaucoup de personnes désireuses de vivre vraiment pour Dieu et en Dieu. Cependant, il est toujours obligé de constater que de trop nombreux membres de la hiérarchie de son temps ne vivent pas selon ce que leur état leur ordonne. Dans presque toutes ses œuvres, et notamment dans Le Livre des douze Béguines, il s'est violemment élevé contre ce scandale, et l'on peut supposer qu'il dut rencontrer de vives oppositions, voire des persécutions. Par ailleurs, les sectes, surtout celle du Libre esprit, continuaient à sévir dans tout le Brabant et les Flandres. Quelle souffrance pour Ruysbrœck! Comment faire comprendre à ses contemporains qu'ils doivent changer de vie?  

Oui, comment inciter le peuple et tous ceux qui le dirigent à conformer leur vie à leur foi? Ruysbrœck a mis ses talents d'écrivain au service de Dieu, et il a écrit de nombreuses œuvres, dont la dernière: "Les douze Béguines", est comme un condensé de toute sa doctrine. Il semble, dans son chapitre 79,  qu'il veuille résumer encore davantage toute sa pensée. 

14-1-La vie chrétienne et sainte 

Ruysbrœck commence par résumer sa pensée. Il écrit: "La sagesse divine, la vie de Jésus-Christ et les saintes Écritures, nous apprennent trois modes selon lesquels toute vie parfaite est pratiquée. Le premier mode est sensible, exercé et dominé par la raison. Le deuxième mode est spirituel, et il s'exerce dans la raison et la sagesse; le troisième mode est au-dessus de la raison et dépasse toute raison. Ces trois modes ont un fondement qui est plus profond que l'enfer, plus haut que le ciel, plus large que le monde, plus long que l'éternité. Ce fondement nous enseigne qu'il nous faut aimer Dieu au-dessus de tout ce qu'il a créé, et nous-mêmes pour lui, et en lui, et tous les hommes comme nous-mêmes. 

      14-1-1-La vie sensible 

Le premier mode sensible, selon Ruysbrœck, est commun aux hommes et aux animaux: "Il est l'ornement sensible de la nature raisonnable. L'inclination des sens et de la nature entraînant plaisir et désir est matière de péché véniel; l'inclination déréglée et désordonnée opposée à la nature, à la raison et à la loi divine est matière de péché mortel... C'est le dégoût de Dieu... C'est mépriser Dieu et se rendre incapable de le servir et cela c'est paresse..." 

Ruysbrœck passe ensuite en revue quelques péchés, parmi les plus courants: la gourmandise de ceux qui "ont leur ventre pour dieu... les inclinations impures de la chair de ceux qui méprisent Dieu et se mettent au service du démon et du péché..."

Par contre, "ceux qui sont nés de Dieu à nouveau... servent Dieu par leur vie sensible; ils détestent tout ce que Dieu déteste en eux... Ils mettent les sens au service de toutes les bonnes œuvres, selon la volonté divine et l'ordonnance de la sainte chrétienté... Ils ne peuvent vouloir autre chose que ce que Dieu veut...  car, par l'amour, ils sont si fermement unis à Dieu, qu'ils sont incapables de le mépriser et de l'abandonner pour servir le démon en péché mortel... Car par la foi ils sont nés de Dieu, enfants libres, fils de la grâce et non de la nature... Le Christ vit en eux et eux en lui; avec lui ils sont trépassés en Dieu et leur vie est cachée au monde; et ils sont ressuscités avec lui et ils vivent avec lui au ciel devant son Père céleste..."  Ils vivent dans la charité "qui s'exerce et se donne à tout le monde... Tel était l'état des apôtres, lorsqu'ils eurent reçu le Saint-Esprit... Ainsi faisaient les martyrs, les confesseurs et les vierges dès le commencement... Ils étaient libres et affranchis par l'esprit..." (Ch. 79)  

      14-1-2-Comment utiliser les biens que Dieu nous donne? 

Dieu a mis à notre disposition de nombreux biens, pour subvenir à notre vie terrestre: les fruits et les animaux de toutes sortes. C'est avec ces biens que nous devons le servir et lui rendre hommage. Nous donnerons une partie de ces biens pour l'entretien des édifices sacrés, pour assurer la subsistance des prêtres, comme "cela a été pratiqué depuis le commencement du monde." Puis, une autre partie de nos biens "nous aidera à vivre avec sobriété, dans la nourriture et le breuvage, dans les vêtements et tout ce qui est utile à la vie de notre corps." Enfin, la troisième part, nous la donnerons joyeusement aux pauvres, "pensant qu'ils sont les membres du Christ, qui, au dernier jour, dira à ceux qui ont secouru les pauvres: 'Ce que vous avez fait au plus petit en mon nom, c'est à moi que vous l'avez fait'..."  (Ch. 48) 

      14-1-3-La vie dans l'humilité 

Ruysbrœck revient souvent à l'humilité, vertu essentielle de la vie spirituelle. Il n'hésite pas à écrire et à réécrire: "Le second mode de vie spirituelle est l'humble mépris de nous-mêmes au-dessous de tous les hommes... de sorte que nous soyons humblement contents dans un humble abandon... dans la profondeur d'abîme de Dieu... Là, dans notre humilité tout abandonnée, nous devenons le royaume, où il vit et règne, et nous en lui, en dehors de tout le créé. Ce second mode de vie spirituelle consiste à descendre et à nous perdre dans la profondeur d'abîme de Dieu... L'esprit est élevé au-dessus de l'âme; néanmoins l'esprit et l'âme ne sont qu'une seule vie. Mais, pour l'âme, la vie est dans les grâces, les observances et maintes pratiques de vertu. Et l'esprit vit au-dessus de la raison et des pratiques de vertu, uni à Dieu et affranchi d'images dans le pur amour."  (Chapitre 51) 

      14-2-Les vices contre la charité 

Ruysbrœck peut énumérer les vices qui vont à l'encontre de la charité. Il y a d'abord "la mauvaise volonté, qui est disposée à tout péché... puis la la sainteté feinte de ceux qui ressemblent aux pharisiens et aux hypocrites..."  

Il y a aussi le désespoir des "hommes qui pèchent contre l'Esprit du Seigneur et contre sa miséricorde..." Et encore l'orgueil spirituel qui veut tout dominer, comme fit Satan, contrairement à Jésus qui se fit notre serviteur.  

Le cinquième groupe des vices selon Ruysbrœck, c'est "la fausse trinité de la colère, de la haine et de l'envie: l'emportement est un péché dans le sentiment, qui réside en des sens non maîtrisés. La haine est un péché dans l'esprit, qui se nourrit longtemps dans une volonté perverse. Et l'envie effrénée est un péché diabolique, fortement enraciné dans l'esprit... source, cause et commencement de toute perversité et de tout péché. L'envie est la mère de tout mal. Elle est incapable de se dominer... Elle veut toujours se venger sans jamais pardonner... elle a oublié la miséricorde divine." 

Viennent ensuite d'autres vices, toujours contraires à la charité, donc "au Christ qui est notre charité." Tout d'abord voici l'avidité et l'avarice, contraires à la libéralité divine et au Christ "qui s'est donné lui-même dans le saint Sacrement: sa chair, son sang, son âme, sa vie, son esprit, sa divinité..." 

Voici enfin une espèce de péchés graves, pires encore: "Ceux qui en sont coupables méprisent Dieu... Ils maudissent, jurent, mentent, blasphèment contre Jésus et son Père céleste... Leur méchanceté est sans frein... toute leur vie n'est que souillure tournée contre Dieu et leur salut éternel. Aussi sont-ils maudits par la justice divine... La huitième espèce de pécheurs ce sont les mercenaires, qui servent Dieu pour leur propre gain et profit, ce qui ne peut attirer la grâce... Ils s'aiment eux-mêmes contre la raison..." 

Les pécheurs qui "ont été vaincus par le démon et leur propre chair, les servent  en impureté. S'ils meurent en cet état, ils sont rejetés et détestés de Dieu... Mais, s'ils recherchent et désirent la grâce de Dieu... et si, appuyés sur la grâce, ils servent Dieu jusqu'à la fin, ils recevront de toutes choses le pardon, car ils ne viennent pas trop tard." 

Attention! Des hommes de bonne volonté peuvent tomber dans des péchés graves. Mais ils "veulent vivre pour eux-mêmes et pour Dieu; ils sont occupés et encombrés de choses multiples... Sous l'empire de grandes tentations du démon, du monde et de la chair, ils peuvent tomber en péché mortel, ainsi que fit Pierre lorsqu'il renia Jésus."  

Cependant, immédiatement après la Pentecôte, ayant reçu l'Esprit de Jésus et trouvé la charité parfaite, les apôtres surent rendre témoignage à Dieu. (Chapitre 80) 

14-3-La conversion 

L'homme est pécheur, et cela Ruysbrœck le constate chaque jour; avec grande douleur lorsqu'il écrit: "Servir le péché, c'est perdre son temps, abandonner la vie, et préférer la mort." Mais, s'ils se convertissent, Dieu, plein de miséricorde, pardonne même aux plus grands pécheurs. Cependant Dieu veut éviter que nous nous séparions de Lui par le péché et Il ne cesse de nous envoyer sa grâce pour nous donner la force nécessaire pour résister aux tentations.  

Alors, l'homme "qui s'est affranchi et dépouillé vis-à-vis de toutes les créatures, et qui s'est ouvert à Dieu et à ses dons devient avide de Dieu et de toutes les vertus. Les puissances de l'âme se réjouissent en cette expérience de la grâce de Dieu." (Chapitre 47) 

C'est alors seulement que l'homme atteint l'union à Dieu

 

15-L'union à Dieu

 

15-1-Qu'entend-on par cette expression: l'union à Dieu 

Souvent lorsque Ruysbrœck veut introduire ses lecteurs dans la haute contemplation, il utilise des expressions difficiles à comprendre. Dans le Livre des Douze Béguines il devient soudain plus accessible. Il écrit: "Dieu se montre à l'âme élevée tel qu'il est dans sa nature, c'est-à-dire sans figure ni image, sans forme ni mode, sans mesure et sans fin: c'est ainsi qu'il est l'objet des désirs élevés et de l'âme dépouillée. Dieu est au-dessus de tout nom et sa nature ne connaît point de nom; cependant le cœur aimant le nomme de maintes façons dans ses œuvres, car Dieu est tout ce qu'il désire, beaucoup plus même qu'il ne peut souhaiter. Dieu est pour chacun surabondance et rassasiement d'amour: il est plénitude de tous les biens pour ceux qui ne désirent que lui. 

Le cœur intimement uni à Dieu est tout à la fois avide et généreux, toujours prêt à donner et à recevoir. En donnant il touche Dieu et en recevant, il est touché par Dieu... Ces deux touches constituent une vie intime et vertueuse, c'est le jubilus, qui vit dans le cœur enrichi des dons de Dieu... Donner mutuellement et recevoir, entre nous et Dieu, c'est un commun mouvement qui grandit jusqu'à la vie éternelle." 

Cependant Ruysbrœck nous met en garde: "Ceux qui servent Dieu d'une façon purement naturelle et pour leur propre avantage, ne peuvent rien savoir ni goûter de Dieu, car ils sont avides et rapaces; ils veulent toujours recevoir de Dieu ce qu'ils désirent, tandis qu'ils ne savent rien donner en retour..." 

15-2-En quoi consiste la vie spirituelle 

Pour Ruysbrœck la vie spirituelle consiste en ceci: "Dieu nous donne sa grâce et nous lui donnons en retour tout ce que nous pouvons en hommages, vertus, et toutes sortes de bonnes œuvres... Mais ce n'est point notre vie la plus haute... C'est seulement lorsque l'homme est affranchi et dégagé de toutes les créatures et qu'il s'élève en pleine liberté de désir vers Dieu, que le soleil de la grâce répand alors sa lumière et darde ses rayons vers ce désir élevé et affranchi, et toutes les puissances de l'âme se meuvent pour répondre à la grâce de Dieu qui les attire. Et c'est la cause d'une inquiétude et d'une impatience de désirs: car tout ce que l'âme donne à Dieu ou reçoit de lui, semble à ses yeux trop peu de chose; elle sent entre elle et Dieu un intermédiaire et une différence, et c'est la grâce de Dieu qu'elle ne peut vaincre... Elle aime Dieu, et c'est pourquoi elle vit en ardeur et en impatience car elle manque de ce qu'elle désire donner et recevoir... Parce qu'elle rencontre une différence entre elle et Dieu, et qu'elle aime et désire l'unité... elle ne goûte pas le plus haut degré de l'amour. En elle règne encore quelque chose de son propre vouloir, et c'est pourquoi ne pouvant monter plus haut au moyen de la grâce, elle s'humilie et dit avec le Christ: 'Seigneur, non pas ma volonté, mais que votre volonté se fasse.' Et c'est là le sommet de sa vie...   

Si nous voulons goûter de la façon la plus haute le fruit de l'amour, nous devons nous élever par la grâce et le désir, avec toutes nos puissances, aussi haut que nous pouvons atteindre... Là nous devons nous perdre entièrement, afin que le plus haut esprit d'amour vienne en nous, et que nous puissions dire avec le Christ à notre Père céleste: 'Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains.' Et alors nous nous abandonnons à la libre disposition du Dieu tout-puissant.  

Et lorsque nous sommes élevés jusque dans notre pur esprit, au-dessus de tout ce que Dieu a créé, le Saint-Esprit donne à notre esprit son rayon éternel qui est lumière et feu; et notre esprit ressemble à une huile bouillante et vive, qui vit et bout au feu de l'amour divin. Tant que l'huile jette de l'écume, crépite et bout, c'est qu'il y a en elle du mélange; mais lorsque le feu a consumé et brûlé toute scorie, l'huile est pure et chaude, elle est tranquille et sans mouvement comme le feu lui-même. C'est ce que nous pouvons éprouver dans notre esprit, que nous comparons à l'huile: lorsque nous sommes élevés au-dessus de l'impatience des désirs et des pratiques des vertus, dans la pureté de notre esprit, nous devenons dépouillés d'activité et dès lors l'Esprit-Saint répand son éclat éternel en notre pur esprit; là nous sommes agis et passifs, car le Saint-Esprit est un feu dévorant qui consume et absorbe en lui-même tout ce qu'il saisit.  

Le plus haut degré de chaleur est obtenu, lorsque notre esprit est embrasé et supporte l'ardeur de l'amour divin; mais ce qui dépasse toute chaleur est réalisé lorsque l'esprit est tout embrasé et possédé par la transformation divine. Alors qu'il est ainsi tout dévoré par le feu et un seul esprit avec Dieu, il devient l'amour essentiel et vide de toute autre chose: c'est le sommet pour le plateau de la balance d'amour." (Chapitre 47) 

15-3-Ce que vit notre esprit uni à Dieu 

      15-3-1-Le repos en Dieu 

La vie spirituelle dans notre humanité terrestre est chose difficile. Aussi Ruysbrœck revient-il souvent sur ces questions en donnant des exemples toujours nouveaux. Ainsi, il nous expose ce que notre esprit peut vivre quand nous sommes vraiment unis à Dieu. "D'abord, notre esprit doit être séparé de notre âme et s'élever au-dessus de la raison, au-dessus des images... par un regard simple dans la lumière divine... et une adhésion à Dieu par pur amour... Nous sommes ravis en Dieu au-dessus de l'esprit, en sa majesté infinie, là nous avons repos et habitation avec Dieu en une unité essentielle, qui demeure toujours avec Dieu immobile et sans action, dans un repos d'éternité... qui est vivre sans labeur. C'est là le plus haut mode selon lequel nous puissions expérimenter en nous une vie divine, illuminée de la vérité éternelle. C'est le premier mode de notre esprit en libre élévation, par pur amour, jusqu'à la hauteur infinie de Dieu." 

      15-3-2-La charité parfaite 

"À ceux qui vivent en la charité parfaite, Dieu a donné quatre ornements, qui n'appartiennent qu'à ceux que Dieu a choisis pour apercevoir et comprendre son mode céleste. Le premier ornement, où commence toute sainteté, n'est connu à fond que par peu de gens. Le Père céleste donne, avec son Fils... l'humble abaissement non forcé... qui demeure toujours libre au-dessous de tout, qui peut tout supporter sans murmure ni plainte, et doit toujours croître en vertus et en bonnes œuvres, car Dieu demeure en lui avec tous ses dons. Le deuxième ornement est de grand prix. Le Père, avec le Fils donne aux esprits cachés une largeur d'amour sans mesure... appelée charité... Elle est le commencement et la cause de toutes les vertus...  

Le troisième ornement céleste est unité avec le Père et le Fils, et avec tous les bien-aimés dans le Saint-Esprit... Ces bien-aimés de Dieu jouissent de Dieu sans fin... La fruition de Dieu c'est un écoulement spirituel de Dieu en nous et de nous en Dieu. La table sur laquelle nous prenons le repas c'est la présence divine: chacun y apporte la nourriture qu'il a préparée: la charité, les vertus et toutes les bonnes œuvres offertes à Dieu... Le Christ veut manger avec tous... Là il y a joie sans mesure et vie éternelle sans mort...   

Le quatrième mode: hauteur au-dessus de tout, est offert à tous les esprits aimants qui dépassent tout être créé pour entrer dans la superessence de la divinité. Là nous prendrons sommeil, repos et habitation avec Dieu et avec tous les saints, dans la béatitude éternelle, au-dessus de toute distinction... Le Christ miséricordieux et juste donnera à chacun ce qui lui revient... Ceux qui croient en lui, il les conduira dans le sein de son Père." (Chapitre 81) 

15-4-D'importants conseils 

      15-4-1-Le constat 

Ruysbrœck fait d'abord remarquer que "toutes les créatures sans raison que Dieu a faites lui obéissent et sont à son service et au nôtre... De même, les créatures douées d'intelligence, les anges, les saints et les hommes qui vivent en grâce avec Dieu, lui sont soumis... et tous, nous formons une seule famille..."  

Curieusement, "les pécheurs, qui méprisent Dieu et son service, ont cependant de Dieu, licence de persécuter les gens de bien... leur donnant ainsi occasion d'une plus grande récompense..."  

Et Ruysbrœck de résumer: "Poursuivre et faire le mal, c'est vivre comme un démon; subir, souffrir et supporter pour Dieu, c'est vivre en bon chrétien." 

      15-4-2-De bons conseils 

Ce qui prédède est un constat. Certes, on a toujours l'impression que Ruysbrœck se répète sans cesse; en fait, il connaît parfaitement l'âme humaine et ses difficultés à entendre la Loi d'Amour de Dieu. Alors, il insiste, à temps et à contre-temps... Comme nous ne voulons pas faire l'impasse sur ce qui lui paraît essentiel, nous rapportons, une nouvelle fois, quelques-uns de ses bons conseils: "Voulez-vous être disciple du Christ? Cherchez à lui ressembler... Vous devez aimer le pécheur et haïr ses péchés, car c'est la loi du Christ... Vous devez aimer tous les hommes et ne haïr personne... Ne méprisez, opprimez, jugez ni ne condamnez personne, ce qui est le fait ordinaire des hypocrites. On doit se juger, s'accuser soi-même, mais non se condamner, car Dieu est proche et veut le retour du pécheur. 

Êtes-vous pauvre, méprisé, dans la détresse, vous pouvez vous en réjouir, car ainsi vivait le Christ sur la terre... Aimez toujours et souhaitez l'humble soumission... Être également content de supporter ou d'agir, c'est être simple, sage et sensé. Ne cherchez pas à dominer les autres... mais celui qui est mis au-dessus des autres, sans qu'il le cherche ou le veuille, doit obéir et garder le silence, demeurer humble et effacé, car l'humble est aimé et apprécié de ceux qui sont bons...   

Ceux qui observent de près les autres, pour les critiquer, ressemblent bien aux hypocrites. Ils sont mauvais au dehors et au dedans, incapables de vaincre l'orgueil... Mais si l'on vous envie, opprime et calomnie, il faut le supporter joyeusement pour Dieu... Gardez-vous toujours de la médisance qui met les hommes en fureur; ainsi êtes-vous sage et prudent... 

Supportez toutes choses et ne vous vengez point; quoi qu'on vous fasse et qui vous arrive, apprenez à le porter humblement... La complaisance en vous-même vient-elle vous surprendre, c'est une dangereuse tentation. En ressentez-vous des pensées d'orgueil... taisez tous vos sentiments... Ceux qui par l'humilité entrent en joute contre l'orgueil ce sont des bacheliers en théologie... L'orgueil est un serpent dangereux qui mène ses disciples en enfer... La vraie humilité donne... le repos, en toute souffrance une douce patience, et à travers toute tribulation la paix de l'esprit... 

Recherchons et souhaitons la parfaite humilité, qui est simplicité immuable, dans la pureté de notre esprit. C'est la simplicité de tous les saints, la patience en toute souffrance, le commencement et le principe de toutes vertus; elle est la paix sans fin, la vitalité de toute vie sainte... obtenue et possédée, dans la pureté de notre esprit..." (Chapitre 50) 

 

16
Considérations importantes de Ruysbrœck sur le clergé

 

Ruysbrœck contemple la fondation de l'Église du Christ. Il ne peut pas ne pas comparer la ferveur des apôtres et des chrétiens de la primitive Église, avec le spectacle qui s'étale devant lui. Il constate: "La sainte Église est actuellement divisée en deux parties, les mauvais et les bons: mais il semble que Satan ait plus de disciples que le Christ lui-même."  (Chapitre 55) 

La douleur de Ruysbrœck est immense. Pour inciter les responsables de l'Église à se convertir, il va établir un tableau dramatique entre les prélats de la primitive Église et ceux de son temps. Il n'hésitera pas à brandir les menaces de la damnation. Certaines de ses imprécations peuvent nous sembler excessives, à nous chrétiens du XXIème siècle. Mais, qui est dans la vérité? D'une manière générale Ruysbrœck suit l'Écriture au pied de la lettre, ce qui peut nous étonner. Mais qui a raison? Nous qui édulcorons la Parole, ou celui qui "croit" les Paroles de Dieu et les met en pratique? 

Nous aurions pu sauter ces textes difficiles de Ruysbrœck, ces textes qui nous semblent exagérés, manquant de compassion, trop rigides et sévères. Mais n'aurions-nous pas trompé nos lecteurs en taisant quelques aspects du caractère de Ruysbrœck? Ruysbrœck, grand mystique? Oui! Ruysbrœck plein de charité et de compassion pour tous ses frères humains? Oui! Ruysbrœck amoureux de Dieu? Oui! Et c'est parce qu'il est amoureux de Dieu et qu'il désire ardemment sauver ses frères, en grand péril de mort éternelle, que Ruysbrœck les appelle à se convertir, n'hésitant à faire de certains d'entre eux un portrait repoussant et à leur montrer tous les risques qu'ils encourent. 

16-1-Comparaison entre les prélats de l'Église du temps de Ruysbrœck et ceux de la primitive Église 

"La religion que le Christ et ses disciples ont fondée au commencement, Satan et ses fils s'efforcent de la détruire. Le Christ et ses apôtres étaient pauvres de biens terrestres et riches en vertus célestes: mais les prélats et les prêtres, qui conduisent maintenant la sainte Église, sont riches en possessions et pauvres en vertus..." 

      16-1-1-L'amour des richesses 

Ruysbrœck ajoute cependant, afin d'atténuer son constat: "Néanmoins l'on trouve encore beaucoup de bons prélats et de saints prêtres..." Cette parenthèse fermée, Ruysbrœck continue: "Entre cent prélats et prêtres qui gouvernent la sainte Église et vivent du patrimoine que le Christ a acheté de son sang, on en trouve à peine un seul qui suive le Christ extérieurement et intérieurement, comme le faisaient les apôtres..." Et Rusbrœck va poursuivre sa comparaison entre ceux qui, "au début de la sainte chrétienté, ont fondé... une vraie religion, et la plupart de ceux qui aujourd'hui gouvernent la sainte Église, mais , disciples de Judas...  méprisent les biens éternels... Ce ne sont plus que des publicains, ou pécheurs publics." 

      16-1-2-Les sacrements et l'argent 

"Le Christ s'est donné lui-même à nous dans le saint Sacrement, nous livrant ainsi sa passion et sa mort...  Il a confié à ses disciples le soin de distribuer et d'administrer à chacun, sans nul profit, en pure charité, tous les sacrements et tout le trésor spirituel qu'ils ont reçus de Dieu. C'est ainsi qu'agissaient les apôtres et les saints prêtres au commencement; ainsi font encore ceux qui suivent le Christ et vivent selon la règle qu'il a enseignée... Mais il y a aujourd'hui des disciples de Judas, qui ont des charges dans la sainte Église; ils sont avides, envieux et ladres, et ils tirent profit des biens spirituels."  

Et Ruysbrœck ajoute une parole terrible: "S'il était possible et s'ils en avaient le pouvoir, ils vendraient aux pécheurs, pour de l'argent, le Christ, sa grâce et la vie éternelle... Ils sont tous méprisés de Dieu, rejetés et pendus pour la mort éternelle de l'enfer..." 

16-2-Les pouvoirs spirituels des prêtres  

"Cependant, l'on rencontre encore dans la sainte Église de vrais pasteurs, que le Christ a choisis et établis au-dessus de tout son peuple, des bons et des méchants... ils ouvrent le ciel aux justes par la main du Christ et en son nom; et ils ne le ferment pas aux pécheurs qui, avec foi et vrai repentir, confessent sans feinte leurs péchés et implorent leur pardon de la miséricorde divine..."  

Le Christ est le pontife suprême qui a tout pouvoir au ciel et sur la terre, qui peut fermer et ouvrir, et sans lui le prêtre ne peut rien. Et c'est pourquoi alors même que les prêtres eux-mêmes seraient en péché mortel et destinés à l'enfer, ils ne peuvent ni infirmer ni souiller les sacrements. Mais ils ont le pouvoir de lier et de délier par la vertu de Dieu, en la personne du Christ, bien qu'ils en soient indignes... et le Christ communique son pouvoir... aux mauvais prêtres comme aux bons... Car la sainte Église ne peut errer, ni les justes être trompés à cause de la malice des prêtres..."  (Chapitre 56) 

      16-2-1-Les bons et les mauvais pasteurs 

Ruysbrœck établit un parallèle entre les bons et les mauvais pasteurs. Les bons et vrais pasteurs suivent la volonté du Christ. "Ils méprisent tout ce qui est capable de les séparer de Dieu. En toute vérité ils poursuivent Dieu et l'aiment au-dessus de toutes choses... Sobres et purs, doux et humbles de cœur, miséricordieux... sages et prudents, constants et riches en vertus... le cœur ouvert, l'âme accueillante, compatissant à toute souffrance, ils se contentent du nécessaire, et donnent le surplus aux pauvres... 

Mais les gens d'église avares, qui toujours désirent avoir, demeureront vides de toutes choses... Tout ce qui est né de l'Esprit de Dieu remporte la victoire sur la chair et le sang, et vit de Dieu. Ceux-là sont fils de Dieu et disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ... Mais tout ce qui est né seulement de la chair, est chair, vit pour la chair et le monde, s'oppose à Dieu, et ne ressemble ni au Christ ni à ses disciples, ni aux bons pasteurs... Ce sont des mercenaires, ils gouvernent et servent dans la sainte Église pour un gain temporel. Le Christ dit que ce sont voleurs et des larrons..."  

      16-2-2-Les biens de l'Église 

"Le Christ a donné et légué à la sainte Église son héritage et ses biens... acquis par sa sainte mort. Les biens extérieurs sont nécessaires au corps pour qu'il vive; les sacrements riches de grâces le sont à nos âmes... Ce bien, le Christ l'a donné et confié aux mains des prélats et des prêtres, et il veut qu'on le distribue à tous les fidèles qui le servent et qui en sont dignes... Son trésor est gratuit et il le donne gratuitement par amour... Tout bon ouvrier, qui sert et aime Dieu, a droit à ce qui lui est nécessaire; mais ceux qui vivent publiquement en péché mortel, qui sont au service du démon... ne méritent pas de vivre du patrimoine que le Christ a acquis par sa mort bénie.  

Revenant sur l'enseignement de saint Paul qui estime juste "que les prêtres pauvres... puissent recevoir pour leur labeur et leur service les ressources dont ils ont besoin pour vivre, Ruysbrœck  affirme qu'on ne doit pas servir Dieu en vue du manger et du boire, et de tout ce qui est périssable, mais pour Dieu lui-même et pour sa gloire éternelle... Mais cela, on l'ignore trop et on ne le pratique guère... " 

      16-2-3-Les grandes fautes du clergé contemporain de Ruysbrœck 

Ruysbrœck se fâche presque: "Le clergé est devenu aveugle et très éloigné du droit chemin de la vérité. Nous ne pouvons juger, blâmer, ni mépriser personne car cela appartient à Dieu seul. Surtout cela nous est défendu à l'égard de ceux qui sont au-dessus de nous et qui nous gouvernent au nom de Dieu dans la sainte Église. Mais nous pouvons bien blâmer les péchés et louer la vertu... comme l'a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ..."  

En effet, "ceux qui sont plus élevés et gouvernent le peuple de Dieu, comme tenant la place du Christ, doivent être humbles, miséricordieux, bienveillants et justes, prêts à secourir chacun comme de vrais serviteurs du Christ... Il en est autrement pour tous ceux qui possèdent l'héritage du Christ, et ont en abondance richesses, possessions seigneuriales, luxe, bien-être, qui vendent à haut prix l'apposition de leur sceau, font payer la cire et le papier si cher que les pauvres et simples gens peuvent à peine les obtenir... Ils verront à l'heure de la mort, lorsque le Christ leur dira: 'Rendez compte de votre gérance.' Le Christ permet en ce temps que de mauvais prélats et de faux pasteurs s'élisent et se mettent eux-mêmes en avant... et prennent empire spirituel sur son peuple. Ils n'ont pour le Christ, pour sa vie, sa doctrine et ses commandements que mépris... Ils dominent et gouvernent le peuple de Dieu, non comme des pasteurs mais comme des tyrans. Ils sont mauvais, envieux, avares et ladres. Ils n'ont nul souci des pauvres âmes... Ils négligent les indigents... Des ressources qui appartiennent aux pauvres ils enrichissent leurs parents déjà fortunés. Tout péché devient licite pourvu qu'il rapporte quelque bien terrestre...  

C'est depuis le commencement du monde que les hommes se partagent en deux camps, les bons et les mauvais...  Mais ceux dont la conduite est contraire et qui méprisent le Christ jusque dans la mort, ils seront ensevelis dans la poix brûlante de l'enfer." (Chapitre 57) 

Remarque: 

Nous avons souvent constaté combien Ruysbrœck avait longtemps peiné pour la conversion des adeptes des sectes de son temps, et particulièrement du Libre esprit, et mis en garde ses contemporains contre la fausse mystique à laquelle il fut si souvent affronté. Nous comprenons mieux alors, que, douloureusement blessé par la vie plus ou moins dissolue d'un grand nombre de prêtres, religieux, prélats de son temps, il ait décidé, en 1343, alors qu'il était déjà âgé de 50 ans, de fuir ce monde perverti et d'aller vivre dans la solitude et la pénitence.  


[1] Les hérétiques athées.
[2] c'est-à-dire les Ordres religieux

VOIR : K - Les douze Béguines 3

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