Saint Romaric
était d'extraction noble et même royale, selon quelques historiens.
Son père s'appelait Romulfe, et sa mère Romulinde. Nous n'avons
point de détails sur son enfance nous savons seulement que, bien
qu'élevé dans un palais, au milieu de toutes les splendeurs du luxe,
il n'en reçut pas moins une instruction chrétienne, qui le tint en
garde contre les dangers du monde. Le goût de la piété avait grandi
en lui avec l'âge il éprouvait surtout un plaisir singulier à
visiter les monastères et les basiliques qui renfermaient les
reliques des Saints. Il aimait aussi à verser l'aumône dans le sein
des pauvres et dans un sens plus vrai que l'empereur païen, il
répétait souvent qu'il regardait comme perdu le jour où il n'avait
pas eu occasion de soulager quelque membre souffrant de
Jésus-Christ. Il occupait un poste important à la cour de
Théodebert, roi d'Austrasie, et s'y était lié d'une étroite amitié
avec un noble seigneur nommé Arnould, également au service de ce
prince. Aussi pieux que braves, les deux officiers, tout en
remplissant avec une scrupuleuse fidélité les fonctions de leur
charge, n'en réservaient pas moins leurs cœurs à un Maître plus
digne. Convaincus de la vanité des honneurs, ils aspiraient à s'en
dépouiller et à se consacrer à Dieu dans la retraite.
L'opinion la plus
probable est que saint Romaric fut marié avec une fille de noble
origine, dont le nom est resté inconnu. Selon les auteurs qui
embrassent ce sentiment, il aurait eu de ce mariage trois filles,
nommées Asselberge, Adsalsude ou Adzaltrude, et Segeberge. Déjà
détaché lui-même des choses de la terre, il s'efforça d'inspirer le
même 'esprit à ses filles. Deux d'entre elles, répondant à ses vues,
se dévouèrent à la vie monastique dans le couvent même fondé par
leur père, à Remiremont. L'aînée, Asselberge, préféra rester dans le
monde, et contre l'avis de son père, épousa un riche seigneur franc,
nommé Béthilihus.
Cependant
Thierry, roi de Bourgogne, avait déclaré la guerre à son frère
Théodebert, et l'avait défait près de Toul. L'ayant ensuite
poursuivi à la tête d'une nombreuse armée, il le battit de nouveau à
Tolbiac. Théodebert, trahi par les siens, fut livré à ce prince
cruel, qui le remit à leur aïeule commune Brunehaut, par l'ordre de
laquelle il fut d'abord torturé, puis mis à mort. Enflé de sa
victoire, Thierry s'avance vers la ville de Metz, fait mourir en
passant le père de Romaric, et oblige celui-ci à fuir car, toujours
fidèle à son maître, Romaric avait préféré la ruine et l'exil à une
lâche trahison. Tous ses biens furent confisqués. Il s'enfuit à Metz
et alla trouver l'évêque Aridius, homme brutal et entièrement dévoué
aux intérêts de Brunehaut. Il se jeta à ses pieds, et le pria
d'intercéder près de cette princesse, à l'effet de lui faire rendre
sa fortune mais cet indigne prélat repoussa sa demande, et même,
dans un mouvement de colère, lui donna un coup de pied. Alors
Romaric se relève et va se prosterner dans l'église Saint-Martin, en
disant « 0 bienheureux Martin, je me suis mis sous votre protection.
Où êtes-vous donc? Que faites-vous? Venez en aide à un infortuné, si
vous voulez que l'on ait encore confiance en vous.
Sa prière ne fut
point vaine peu de temps après, on apprit la mort de Thierry, et les
affaires changèrent tellement de face, que les vainqueurs de la
veille devinrent les vaincus du lendemain. Aridius et Brunehaut
elle-même se virent réduits à prier humblement Romaric de vouloir
bien favoriser leur fuite de Metz ce qu'il fit généreusement, sans
se souvenir en aucune manière des injures qu'il avait reçues. On lui
rendit son palais et ses biens; Clotaire même, héritant de l'amitié
de Théodebert pour lui, lui donna une place distinguée à sa cour.
Ces événements
n'avaient pas peu contribué à détacher entièrement Romaric des biens
de la terre. Il venait de recevoir une leçon frappante de
l'instabilité des choses d'ici-bas. Dès ses premières relations,
avec saint Arnould, il avait formé avec lui le projet de se rendre à
Lérins; divers obstacles s'opposèrent à l'exécution de leur dessein,
et, pour ce qui regarde Arnould, il devint visible que la Providence
les avait suscités. Car, après la mort de Pappolus, évoque de Metz,
il fut, tout d'une voix et malgré sa résistance, désigné pour le
remplacer. C'était la deuxième année du règne de Clotaire sur toutes
les Gaules, en 614.'Romaric, privé de son ami, ne songeait peut-être
plus à exécuter son projet, quand un incident, ménagé par le ciel,
le ramena dans la voie où il devait s'engager.
Saint Amé, moine
de Luxeuil, évangélisait alors quelques villes d'Austrasie. Ayant
sans doute entendu parler de la piété de Romaric, il alla lui
demander l'hospitalité. Invité, pendant le repas, à parler des
choses de Dieu, le Saint prit pour sujet le détachement absolu,
conseillé par l'Evangile, tonna contre les richesses, proie de la
rouille et des vers, et parla avec tant d'éloquence, que Romaric
sentit se fixer toutes ses incertitudes. Il distribua immédiatement
presque tous ses biens aux pauvres, prit avec lui ceux de ses
serviteurs qui voulurent l'accompagner, en donnant aux autres la
liberté, et partit avec Amé pour le monastère de Luxeuil. Saint
Eustaise le dirigeait alors et telle était la ferveur qui y régnait,
qu'on pouvait justement l'appeler la pépinière des Saints. Romaric
ne se montra point indigne de cette glorieuse phalange. Il avait
apporté à l'abbaye la plus grande partie de sa fortune, et amené
plusieurs de ses serviteurs or, telle était son humilité, qu'on le
vit obéir avec une parfaite docilité à ceux mêmes d'entre eux qui
avaient rempli dans son palais les plus viles fonctions. On
remarquait son empressement à rechercher les emplois bas et pénibles
comme s'il eût eu besoin d'expier par l'humiliation son ancienne
grandeur. Tous les exercices de la pénitence lui étaient doux. La
culture du jardin avait surtout de l'attrait pour lui, parce qu'elle
était l'occupation des novices; mais, tout en s'adonnant à ce
travail, il trouvait moyen d'exercer son esprit, en apprenant les
psaumes par cœur. En peu de temps, Romaric parvint à une haute
perfection.
L'étroite amitié
qui s'était formée entre Romaric et Amé n'avait fait que grandir
dans le cloître, et, malgré la pureté d'intention qui en était le
principe, elle ne laissa pas que de devenir, pour Romaric, une
occasion de chute. Saint Amé s'étant laissé, jusqu'à un certain
point, entraîner dans le schisme d'Agrestin, son autorité y entraîna
aussi son disciple. Quelques négligences sur certains points de la
règle attirèrent à Amé et à Remarie des reproches de la part d'Eustaise.
Nous ne savons si ce fut à cette occasion, ou en suite d'un dessein
déjà prémédité, que les deux moines sortirent de Luxeuil pour
l'objet que nous allons dire.
De son immense
fortune, Remarie avait conservé un domaine dans les Vosges,
probablement d'après le conseil de saint Amé, et dans le but de s'y
établir plus tard. Ce lieu était un ancien château ou castrum appelé
Habendi, situé sur une montagne, près de la Moselle. Quand le moment
fut venu, et peut-être à raison des dissentiments qui s'étaient
élevés entre eux et Eustaise, les deux moines fondèrent d'abord là
un couvent de femmes, à la tête duquel ils mirent la vierge
Mactefelde ou Macteflède. Amé, tout en portant le titre d'abbé, en
laissa la direction à Romaric. Bientôt les religieuses y affluèrent
deux des filles mêmes de Remarie y prirent le voile une admirable
ferveur animait cette communauté naissante et les saints fondateurs
virent se reproduire dans un sexe plus faible l'admirable spectacle
que leur avait présenté Luxeuil, avec ses six cents moines, marchant
d'un même pas dans les voies de la perfection. Mactefelde joignait
ses efforts et ses exemples aux leurs, pour imprimer à cette
création une impulsion vigoureuse elle l'établit sur le plus solide
fondement possible la vie et la mort d'une Sainte car elle ne le
gouverna que peu de temps Dieu l'ayant appelée de bonne heure à
jouir de la gloire éternelle.
A sa mort,
Romaric, craignant que, dans la suite, de mauvais choix imposés du
dehors n'amenassent des troubles dans le monastère, voulut lui
assurer une pleine indépendance. Il régla donc que l'abbesse serait
uniquement élue par la communauté, qu'au temporel Habendi ne
relèverait que de l'autorité royale, et, au spirituel, du siège de
saint Pierre. Que si, par hasard, le sujet élu se montrait peu digne
de sa charge, la communauté avait le droit de remontrance; et, dans
le cas où le scandale aurait franchi le seuil du monastère, c'était
au souverain Pontife seul à y mettre ordre. Ce règlement fut
approuvé par le roi Clotaire le pape Jean IV le confirma plus tard,
par des lettres écrites de sa main. |