Richard naquit à Bauton, dans l’Argonne, près de Montfaucon. Son
père s’appelait Vautier et sa mère Theodrade. Il fut élevé dans les
célèbres écoles du Chapitre de Reims, dont il devint une des
gloires. Cet
homme de science et de vertu, disent les chroniqueurs,
y remplit tour à tour les fonctions de sous-chantre, de chantre et
de doyen, vers l’année 1000, comme l’attestent des titres de cette
année, où il souscrit.
Il
avait un grand amour de la justice et une piété remarquable. Tous
les jours, à genoux, il récitait le psautier ; il disait de
nombreuses prières en regardant la croix pour laquelle il brûlait
d’amour. Aussi un jour, affirme l’archidiacre de Rouen qui en fut
témoin, le crucifix le bénit de la main droite dans l’église de
Sainte-Marie, sans doute Notre-Dame de Reims.
Depuis ce moment, il conçut un grand mépris pour les richesses.
Persuadé qu’il était aimé de Notre-Seigneur, il voulut être tout à
lui et mener une vie plus parfaite. Il vendit tous ses biens, les
distribua aux pauvres, et, dépouillé de tout comme son divin Maître,
il quitta ses frères du Chapitre et se rendit au monastère de
Saint-Vanne de Verdun comme simple religieux, avec le bienheureux
Frédéric, comte de Verdun, son ami, qui en revenant de visiter les
Saints Lieux, s’était arrêté chez lui et lui avait fait part de son
désir de se consacrer à Dieu.
Toutefois, avant de prendre un parti définitif, ils consultèrent
Odilon, abbé de Cluny, qui eut la générosité de faire le sacrifice
de ces deux vertueux amis, et leur conseilla de suivre leur première
idée.
Ils
revinrent au monastère de Saint-Vanne, et furent reçus par l’abbé
Fingen. Richard, n’ayant pas sollicité le consentement de
l’archevêque Arnould, éprouva de grands difficultés ; l’abbé du
monastère vint trouver à Reims le pontife, qui consentit, bien à
regret, à se séparer de cet homme vertueux. Il prit donc l’habit
avec le comte Frédéric.
L’abbé Fingen étant mort, Richard, qui avait conquis l’estime des
religieux, fut élu à sa place en l’année 1004, et continua la
réforme entreprise par son prédécesseur. Dans le désir d’obtenir des
faveurs pour son monastère, il prit avec lui Frédéric, de sang
royal, et se présenta devant l’empereur saint Henri entouré de toute
sa cour. En cette circonstance, Frédéric excita l’admiration de tous
les princes et seigneurs présents ; il ne crut pas devoir s’asseoir
sur un siège en présence de l’abbé ; il se mit à ses pieds sur un
escabeau. L’empereur, touché de ce grand acte d’humilité, fit venir
l’abbé Richard près de lui, ordonna au moine Frédéric de prendre le
siège voisin et se mit à converser avec l’abbé, qui charma sain t
Henri par sa sagesse, ses saints conseils, sa prudence et sa
finesse, comme le prouvent les dons précieux que l’empereur fit à sa
communauté. Cette visite mit Richard en lumière ; sa réputation se
répandit bientôt au loin ; on accourait de tous côtés pour le voir
et le consulter.
L'église du
monastère tombant en ruines, l'abbé Richard, largement aidé par le
moine Frédéric, en construisit une nouvelle. Pendant que l'œuvre se
continuait, le bienfaiteur donna un grand exemple d'humilité. Comme
certains religieux dédaignaient de prêter la main aux ouvriers, il
se fit un bonheur de porter des matériaux, des pierres et du ciment.
On autre jour, il donna encore une preuve de l'amour qu'il avait
pour cette vertu en recevant à la cuisine, où le tenait
l'obéissance, son frère Godefroy. Il n'acceptait jamais les services
des religieux : « Ce
n'est pas la peine d'avoir quitté les honneurs que je recevais dans
le monde pour en recevoir ici. »
L'église du
couvent étant terminée, l'abbé l'enrichit d'ornements et de reliques
précieuses. Il transporta dans la crypte les corps des pontifes de
Verdun qu'il avait dû déplacer, et il déposa dans un riche tombeau
de marbre le corps de saint Mauve, évêque de Verdun. Le chœur fut
orné d'un pupitre en bronze doré, où l'on voyait de nombreuses
figures d'anges, de prophètes, etc. : Abel, Isaac, Jacob, Moïse,
Tobie, David, Notre-Seigneur sur un trône, la Très Sainte Vierge,
l'apôtre saint Pierre, saint Jean-Baptiste, saint Jean l'Évangéliste
avec son aigle.
Dans le
sanctuaire il éleva un maître-autel dédié à saint Pierre, l'orna
d'or et d'argent, et il y déposa le bras de saint Pantaléon. Il dota
l'église de tout ce qui devait servir au culte et de nombreuses
fondations, faites toujours par le moine Frédéric, par ses parents
et par son frère Hermanne, dont la fille Mathilde fut inhumée dans
l'église du monastère. Richard lui avait, prédit le jour de sa mort,
et, en effet, elle rendît son âme à Dieu selon la prédiction de
l'abbé. Quand tous les travaux de l'église furent terminés, des
princes, des grands et des pontifes demandèrent à y être inhumés.
Beaucoup de personnes sollicitèrent également la faveur d'être sous
la direction de l'abbé de Saint-Vanne.
La réputation du
vénérable Richard se répandait de plus en plus ; de tous côtés
accoururent des sujets recommandables ; le nombre en fut si grand
qu'il fallut agrandir le monastère. En conséquence de ces succès
qu'il obtint à Saint-Vaune, il fut chargé de réformer et de
gouverner les monastères de Lobes, de Saint-Laurent de Liège, de
Saint-Amand, de Saint-Bertin de Corbie, de Saint-Waast,
de Saint-Pierre de Châlons-sur-Marne, de Saint-Vandrille et de
Saint-Hubert, où il fit refleurir l'esprit de saint Benoît.
Il procédait avec beaucoup de douceur, mais aussi avec fermeté, ne
craignant pas d'agir avec vigueur. Quand il rencontrait de la
résistance, il appelait quelques religieux de Saint-Vanne pour
donner l'exemple. Malgré cela, il ne réussissait pas toujours.
Ainsi., il connut un jour, par révélation, que des religieux d'Arras
avaient juré sa mort. Dans la nuit du jeudi saint, deux d'entre eux
devaient venir le frapper d'un glaive. Il pria pour eux avec
ferveur. Ils vinrent en effet dans sa cellule, mais celui qui devait
le tuer et qui déjà tenait le bras levé, se sentit touché de
repentir ; il réveilla l'abbé et lui avoua sa faut. Richard lui
pardonna, le traita depuis en ami et lui confia même le gouvernement
de cette maison.
La puissance de
sa prière éclata dans une autre circonstance. On venait d'achever
d'élever les tours de l'église du monastère de Saint-Laurent de
Liège, dont l'évêque Ralderic, son ami, lui avait donné le
gouvernement. Il crut devoir visiter les religieux, il les trouva
tous en pleurs : les deux tours menaçaient de s'écrouler. Il leur
dit d'avoir confiance. Pendant la nuit, il se rendit dans l'église
et se unit en prières ; bientôt un grand bruit se fit entendre : les
tours reprenaient leur aplomb avec fracas.
L'empereur Henri
eut tant de confiance dans les vertus, la sainteté et les lumières
de l'abbé Richard, qu'il le consultait souvent. On dit même que
voulant quitter l'empire pour vivre en simple religieux sous sa
conduite, il sollicita d'entrer dans le couvent en qualité de
novice. L'abbé lui fit promettre obéissance : aussitôt après, il lui
ordonna de reprendre le gouvernerncnt de son royaume et la couronne
qu'il avait humblement déposée.
Ce prince le
nomma ambassadeur près de Robert, roi de France, et lui adjoignit
Gérard, évêque de Cambrai, comme lui ancien chanoine de l'Église de
Reims. Ils conclurent à Compiègne une paix durable entre l'Allemagne
et la France. De concert avec saint Odilon, abbé de Cluny, il fit
adopter dans la Neustrie, aujourd'hui la Normandie, la
Trêve de Dieu.
Ce qui précède
démontre quelle est la puissance de la vertu sur les cœurs les plus
rebelles. Le vénérable Richard avait reçu du Ciel le don de
convertir et les qualités nécessaires à ceux qui sont obligés de
commander. Il était d'une bonté extrême pour ceux qu'il dirigeait.
Il leur accordait toujours ce qu'ils demandaient, quand il croyait
pouvoir le faire. Ceux qui venaient, lui confesser leurs fautes le
trouvaient d'une miséricorde inépuisable. Au Chapitre, comme
supérieur, il était d'une sévérité inflexible pour les manquements à
la règle ; mais quand les coupables venaient le trouver après la
réunion, il les accueillait avec la mansuétude d'un père. Homme de
bon conseil, il avait le cœur noble, délicat et reconnaissant, comme
le prouvent les nombreuses fondations qu'il fit en faveur des
bienfaiteurs vivants et défunts. A la prudence de la justice, il
Joignait la force de la modération. De 1011 à 1027 il fut en
relations avec les Souverains Pontifes, avec des évêques, des rois
et de nombreux abbés qui aimaient à le consulter dans les affaires
difficiles. Sa correspondance prit encore plus d'étendue vers
l'année 1028. La France était en proie à la famine. Il envoya au
loin de telles aumônes que le couvent épuisa ses ressources. Il
écrivit donc de tous les côtés pour solliciter des secours en faveur
des malheureux, mourant de faim. La peste, vint se joindre à la
famine. Il soigna les malades, guérissant les uns, et indiquant aux
autres le moyen de se guérir.
Malgré ses
charges nombreuses, ses occupations de tous les jours, le
gouvernement de plusieurs maisons, il sut trouver le moyen de
visiter les Saints Lieux. Il partit accompagné de 700 pèlerins, avec
Humbert de Bajeux et son fils qu'il avait guéri. Au moment du
départ, il se vit entouré d'une foule nombreuse en larmes, ce qui
prouve combien il était aimé.
Nous ne pouvons
le suivre dans ce long voyage, toutefois, signalons, d'après les
chroniques du temps, quelques épisodes merveilleux. Dans le désert
il changea de l'eau en vin, comme les pèlerins l'ont attesté au
retour. Chez les Sarrasins il fut mal accueilli, on lui jeta des
pierres ; mais après une prière fervente, il se les rendit
favorables. A Constantinople l'empereur le reçut avec grand honneur.
A Jérusalem il ne put contenir la joie qu'il ressentait à la vue de
tous les souvenirs qui lui rappelaient son divin Maître. Il arriva
en cette ville le jour des Rameaux. Le jeudi saint, il fit la cène ;
le samedi saint, devant une nombreuse assistance, il fit descendre
par sa prière le feu du ciel dans les lampes du sanctuaire. Après
avoir quitté le patriarche qui lui avait fait don de nombreuses
reliques, il revint à son monastère, tout embrasé d'un nouvel amour
pour la Passion, dont il ne pouvait plus parler sans verser
d'abondantes larmes et sans émouvoir les assistants.
Quelque temps
avant sa mort, dont il prédit le jour, le vénérable Richard tomba
malade. Il fut tout heureux de remettre la charge du couvent à un de
ses religieux. Un moine était alors épuisé par la fièvre : il l'en
délivra. Sentant sa fin approcher, il se fit donner les précieuses
reliques qu'il avait rapportées de Jérusalem, se les appliqua avec
une grande foi, et il ne cessait d'embrasser avec amour la croix
qu'il possédait depuis son pèlerinage. Les chroniqueurs du temps
affirment que le crucifix lui répondait. Ses larmes alors coulaient
plus abondantes, et il serrait avec plus d'effusion l'image de son
divin Maître. C'est dans ces dispositions qu'il expira, le 14 juin
1046. L'évêque de Verdun lui ferma les yeux. Son corps fut exposé
dans l'église du couvent, puis le lendemain dans la cathédrale, pour
satisfaire à la piété des fidèles. Ramené à la communauté, il fut
déposé dans la crypte où lui-même avait pieusement placé saint
Mauve. La pierre de son tombeau fut recouverte d'un riche pallium.
Les fiévreux y vinrent en grand nombre et y trouvèrent la guérison.
Comme on doutait de la haute sainteté du vénérable Richard, des
anges révélèrent qu'il avait au ciel une gloire égale à celle de
saint Mauve. Les religieux qui le pleuraient tous éprouvèrent alors
une grande consolation, et le prirent pour leur patron. Toutefois sa
fête ne fut jamais célébrée dans l'Église. Les martyrologes et les
chroniqueurs lui donnent le titre de Vénérable. Le Martyrologe
universel et celui de Saint-Allais disent qu'on le vénérait à
Verdun et dans toute la contrée.
Si nous en
croyons Ménard qui écrivit sa Vie, il aurait eu le bonheur de voir
saint Pierre, saint Victor et saint Nicaise de Reims. Un jour,
disant la messe, il aurait été élevé de terre. Malade en carême et
ne pouvant jeûner, il mangeait du pain fait avec de la farine, de
l'eau et de la cendre.
Charles Cerf
“Vie des Saints du diocèse de Reims” ; Tome 1, p.313-323.
|