Richard de Saint-Vanne
Bénédictin, Abbé, Saint
† 1046

 

Richard naquit à Bauton, dans l’Argonne, près de Montfaucon. Son père s’appelait Vautier et sa mère Theodrade. Il fut élevé dans les célèbres écoles du Chapitre de Reims, dont il devint une des gloires. Cet Moine bénédictinhomme de science et de vertu, disent les chroniqueurs, y remplit tour à tour les fonctions de sous-chantre, de chantre et de doyen, vers l’année 1000, comme l’attestent des titres de cette année, où il souscrit.

Il avait un grand amour de la justice et une piété remarquable. Tous les jours, à genoux, il récitait le psautier ; il disait de nombreuses prières en regardant la croix pour laquelle il brûlait d’amour. Aussi un jour, affirme l’archidiacre de Rouen qui en fut témoin, le crucifix le bénit de la main droite dans l’église de Sainte-Marie, sans doute Notre-Dame de Reims.

Depuis ce moment, il conçut un grand mépris pour les richesses. Persuadé qu’il était aimé de Notre-Seigneur, il voulut être tout à lui et mener une vie plus parfaite. Il vendit tous ses biens, les distribua aux pauvres, et, dépouillé de tout comme son divin Maître, il quitta ses frères du Chapitre et se rendit au monastère de Saint-Vanne de Verdun comme simple religieux, avec le bienheureux Frédéric, comte de Verdun, son ami, qui en revenant de visiter les Saints Lieux, s’était arrêté chez lui et lui avait fait part de son désir de se consacrer à Dieu.

Toutefois, avant de prendre un parti définitif, ils consultèrent Odilon, abbé de Cluny, qui eut la générosité de faire le sacrifice de ces deux vertueux amis, et leur conseilla de suivre leur première idée.

Ils revinrent au monastère de Saint-Vanne, et furent reçus par l’abbé Fingen. Richard, n’ayant pas sollicité le consentement de l’archevêque Arnould, éprouva de grands difficultés ; l’abbé du monastère vint trouver à Reims le pontife, qui consentit, bien à regret, à se séparer de cet homme vertueux. Il prit donc l’habit avec le comte Frédéric.

L’abbé Fingen étant mort, Richard, qui avait conquis l’estime des religieux, fut élu à sa place en l’année 1004, et continua la réforme entreprise par son prédécesseur. Dans le désir d’obtenir des faveurs pour son monastère, il prit avec lui Frédéric, de sang royal, et se présenta devant l’empereur saint Henri entouré de toute sa cour. En cette circonstance, Frédéric excita l’admiration de tous les princes et seigneurs présents ; il ne crut pas devoir s’asseoir sur un siège en présence de l’abbé ; il se mit à ses pieds sur un escabeau. L’empereur, touché de ce grand acte d’humilité, fit venir l’abbé Richard près de lui, ordonna au moine Frédéric de prendre le siège voisin et se mit à converser avec l’abbé, qui charma sain t Henri par sa sagesse, ses saints conseils, sa prudence et sa finesse, comme le prouvent les dons précieux que l’empereur fit à sa communauté. Cette visite mit Richard en lumière ; sa réputation se répandit bientôt au loin ; on accourait de tous côtés pour le voir et le consulter.

L'église du monastère tombant en ruines, l'abbé Richard, largement aidé par le moine Frédéric, en construisit une nouvelle. Pendant que l'œuvre se continuait, le bienfaiteur donna un grand exemple d'humilité. Comme certains religieux dédaignaient de prêter la main aux ouvriers, il se fit un bonheur de porter des matériaux, des pierres et du ciment. On autre jour, il donna encore une preuve de l'amour qu'il avait pour cette vertu en recevant à la cuisine, où le tenait l'obéissance, son frère Godefroy. Il n'acceptait jamais les services des religieux : « Ce n'est pas la peine d'avoir quitté les honneurs que je recevais dans le monde pour en recevoir ici. »

L'église du couvent étant terminée, l'abbé l'enrichit d'ornements et de reliques précieuses. Il transporta dans la crypte les corps des pontifes de Verdun qu'il avait dû déplacer, et il déposa dans un riche tombeau de marbre le corps de saint Mauve, évêque de Verdun. Le chœur fut orné d'un pupitre en bronze doré, où l'on voyait de nombreuses figures d'anges, de prophètes, etc. : Abel, Isaac, Jacob, Moïse, Tobie, David, Notre-Seigneur sur un trône, la Très Sainte Vierge, l'apôtre saint Pierre, saint Jean-Baptiste, saint Jean l'Évangéliste avec son aigle.

Dans le sanctuaire il éleva un maître-autel dédié à saint Pierre, l'orna d'or et d'argent, et il y déposa le bras de saint Pantaléon. Il dota l'église de tout ce qui devait servir au culte et de nombreuses fondations, faites toujours par le moine Frédéric, par ses parents et par son frère Hermanne, dont la fille Mathilde fut inhumée dans l'église du monastère. Richard lui avait, prédit le jour de sa mort, et, en effet, elle rendît son âme à Dieu selon la prédiction de l'abbé. Quand tous les travaux de l'église furent terminés, des princes, des grands et des pontifes demandèrent à y être inhumés. Beaucoup de personnes sollicitèrent également la faveur d'être sous la direction de l'abbé de Saint-Vanne.

La réputation du vénérable Richard se répandait de plus en plus ; de tous côtés accoururent des sujets recommandables ; le nombre en fut si grand qu'il fallut agrandir le monastère. En conséquence de ces succès qu'il obtint à Saint-Vaune, il fut chargé de réformer et de gouverner les monastères de Lobes, de Saint-Laurent de Liège, de Saint-Amand, de Saint-Bertin de Corbie, de Saint-Waast[1], de Saint-Pierre de Châlons-sur-Marne, de Saint-Vandrille et de Saint-Hubert, où il fit refleurir l'esprit de saint Benoît[2]. Il procédait avec beaucoup de douceur, mais aussi avec fermeté, ne craignant pas d'agir avec vigueur. Quand il rencontrait de la résistance, il appelait quelques religieux de Saint-Vanne pour donner l'exemple. Malgré cela, il ne réussissait pas toujours. Ainsi., il connut un jour, par révélation, que des religieux d'Arras avaient juré sa mort. Dans la nuit du jeudi saint, deux d'entre eux devaient venir le frapper d'un glaive. Il pria pour eux avec ferveur. Ils vinrent en effet dans sa cellule, mais celui qui devait le tuer et qui déjà tenait le bras levé, se sentit touché de repentir ; il réveilla l'abbé et lui avoua sa faut. Richard lui pardonna, le traita depuis en ami et lui confia même le gouvernement de cette maison.

La puissance de sa prière éclata dans une autre circonstance. On venait d'achever d'élever les tours de l'église du monastère de Saint-Laurent de Liège, dont l'évêque Ralderic, son ami, lui avait donné le gouvernement. Il crut devoir visiter les religieux, il les trouva tous en pleurs : les deux tours menaçaient de s'écrouler. Il leur dit d'avoir confiance. Pendant la nuit, il se rendit dans l'église et se unit en prières ; bientôt un grand bruit se fit entendre : les tours reprenaient leur aplomb avec fracas.

L'empereur Henri eut tant de confiance dans les vertus, la sainteté et les lumières de l'abbé Richard, qu'il le consultait souvent. On dit même que voulant quitter l'empire pour vivre en simple religieux sous sa conduite, il sollicita d'entrer dans le couvent en qualité de novice. L'abbé lui fit promettre obéissance : aussitôt après, il lui ordonna de reprendre le gouvernerncnt de son royaume et la couronne qu'il avait humblement déposée.

Ce prince le nomma ambassadeur près de Robert, roi de France, et lui adjoignit Gérard, évêque de Cambrai, comme lui ancien chanoine de l'Église de Reims. Ils conclurent à Compiègne une paix durable entre l'Allemagne et la France. De concert avec saint Odilon, abbé de Cluny, il fit adopter dans la Neustrie, aujourd'hui la Normandie, la Trêve de Dieu.

Ce qui précède démontre quelle est la puissance de la vertu sur les cœurs les plus rebelles. Le vénérable Richard avait reçu du Ciel le don de convertir et les qualités nécessaires à ceux qui sont obligés de commander. Il était d'une bonté extrême pour ceux qu'il dirigeait. Il leur accordait toujours ce qu'ils demandaient, quand il croyait pouvoir le faire. Ceux qui venaient, lui confesser leurs fautes le trouvaient d'une miséricorde inépuisable. Au Chapitre, comme supérieur, il était d'une sévérité inflexible pour les manquements à la règle ; mais quand les coupables venaient le trouver après la réunion, il les accueillait avec la mansuétude d'un père. Homme de bon conseil, il avait le cœur noble, délicat et reconnaissant, comme le prouvent les nombreuses fondations qu'il fit en faveur des bienfaiteurs vivants et défunts. A la prudence de la justice, il Joignait la force de la modération. De 1011 à 1027 il fut en relations avec les Souverains Pontifes, avec des évêques, des rois et de nombreux abbés qui aimaient à le consulter dans les affaires difficiles. Sa correspondance prit encore plus d'étendue vers l'année 1028. La France était en proie à la famine. Il envoya au loin de telles aumônes que le couvent épuisa ses ressources. Il écrivit donc de tous les côtés pour solliciter des secours en faveur des malheureux, mourant de faim. La peste, vint se joindre à la famine. Il soigna les malades, guérissant les uns, et indiquant aux autres le moyen de se guérir.

Malgré ses charges nombreuses, ses occupations de tous les jours, le gouvernement de plusieurs maisons, il sut trouver le moyen de visiter les Saints Lieux. Il partit accompagné de 700 pèlerins, avec Humbert de Bajeux et son fils qu'il avait guéri. Au moment du départ, il se vit entouré d'une foule nombreuse en larmes, ce qui prouve combien il était aimé.

Nous ne pouvons le suivre dans ce long voyage, toutefois, signalons, d'après les chroniques du temps, quelques épisodes merveilleux. Dans le désert il changea de l'eau en vin, comme les pèlerins l'ont attesté au retour. Chez les Sarrasins il fut mal accueilli, on lui jeta des pierres ; mais après une prière fervente, il se les rendit favorables. A Constantinople l'empereur le reçut avec grand honneur. A Jérusalem il ne put contenir la joie qu'il ressentait à la vue de tous les souvenirs qui lui rappelaient son divin Maître. Il arriva en cette ville le jour des Rameaux. Le jeudi saint, il fit la cène ; le samedi saint, devant une nombreuse assistance, il fit descendre par sa prière le feu du ciel dans les lampes du sanctuaire. Après avoir quitté le patriarche qui lui avait fait don de nombreuses reliques, il revint à son monastère, tout embrasé d'un nouvel amour pour la Passion, dont il ne pouvait plus parler sans verser d'abondantes larmes et sans émouvoir les assistants.

Quelque temps avant sa mort, dont il prédit le jour, le vénérable Richard tomba malade. Il fut tout heureux de remettre la charge du couvent à un de ses religieux. Un moine était alors épuisé par la fièvre : il l'en délivra. Sentant sa fin approcher, il se fit donner les précieuses reliques qu'il avait rapportées de Jérusalem, se les appliqua avec une grande foi, et il ne cessait d'embrasser avec amour la croix qu'il possédait depuis son pèlerinage. Les chroniqueurs du temps affirment que le crucifix lui répondait. Ses larmes alors coulaient plus abondantes, et il serrait avec plus d'effusion l'image de son divin Maître. C'est dans ces dispositions qu'il expira, le 14 juin 1046. L'évêque de Verdun lui ferma les yeux. Son corps fut exposé dans l'église du couvent, puis le lendemain dans la cathédrale, pour satisfaire à la piété des fidèles. Ramené à la communauté, il fut déposé dans la crypte où lui-même avait pieusement placé saint Mauve. La pierre de son tombeau fut recouverte d'un riche pallium. Les fiévreux y vinrent en grand nombre et y trouvèrent la guérison. Comme on doutait de la haute sainteté du vénérable Richard, des anges révélèrent qu'il avait au ciel une gloire égale à celle de saint Mauve. Les religieux qui le pleuraient tous éprouvèrent alors une grande consolation, et le prirent pour leur patron. Toutefois sa fête ne fut jamais célébrée dans l'Église. Les martyrologes et les chroniqueurs lui donnent le titre de Vénérable. Le Martyrologe universel et celui de Saint-Allais disent qu'on le vénérait à Verdun et dans toute la contrée.

Si nous en croyons Ménard qui écrivit sa Vie, il aurait eu le bonheur de voir saint Pierre, saint Victor et saint Nicaise de Reims. Un jour, disant la messe, il aurait été élevé de terre. Malade en carême et ne pouvant jeûner, il mangeait du pain fait avec de la farine, de l'eau et de la cendre.

Charles Cerf
“Vie des Saints du diocèse de Reims” ; Tome 1, p.313-323.


[1] A la prière de son ami Gérard, évêque de Cambrai, ancien chanoine de Reims.
[2] Wassebourg dit qu'il avait le gouvernement de 21 abbayes.

 

 

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