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Que notre vie soit une pentecôte continue
Le récit des
Actes des Apôtres est toujours le même chaque année : c'est
l'unique récit de la Pentecôte dans le Nouveau Testament.
La fête de la
Pentecôte était déjà une fête juive, qui avait lieu
cinquante jours après la Pâque. Elle célébrait d'abord le
jour où Dieu remit à Moïse la Loi (Ex 19:1), puis elle fut
la fête des Prémices, quand on offrait à Dieu les premiers
fruits de la terre.
Or le jour de
la Pentecôte que nous célébrons aujourd'hui, fut le jour de
la promulgation de la Loi nouvelle par les Apôtres, sur
lesquels descendit l'Esprit Saint sous forme de langues de
feu. En outre, au terme de la prédication de Pierre, trois
mille personnes reçurent alors le baptême, qui furent ainsi
les prémices de l'Église naissante, la première "pêche"
d'âmes offerte à Dieu. On ajoutera enfin qu'à l'époque où
Luc écrit les Actes (dans les années 60), la
Pentecôte juive ne se célèbre plus.
Donc, ce
matin-là (il est neuf heures du matin), ils étaient "tous
ensemble" ; le mot grec signifie plus précisément "dans une
grande entente, en parfaite concorde", dans une attente
intense de l'Esprit d'Amour et d'Unité, car l'Esprit de Dieu
ne vient pas là où il y a la division.
Pourquoi donc
l'Esprit descend de nouveau sur les Apôtres, puisque Jésus,
au soir de la Résurrection, leur avait déjà "soufflé"
l'Esprit Saint, en leur conférant le pouvoir de remettre les
péchés ? C'est qu'à la Pentecôte, l'Esprit agit en eux d'une
façon nouvelle, et ce feu purifie, illumine, réchauffe et
élève vers les hauteurs, tandis que la force de cet Esprit
leur donnera l'ardeur dans la prédication.
S. Jean
Chrysostome
commente : "Mettons ensemble un bateau vide, un
capitaine, des marins, des cordes, des ancres, et tout le
matériel qu'il faut, s'il n'y a pas de vent, rien ne bouge.
De même, si quelqu'un jouit d'une grande faculté de parler,
d'un esprit profond, d'éloquence, d'intelligence, si
l'Esprit n'est pas présent, tout cela ne sert à rien" (Homélie
sur l'Esprit Saint, 3).
Ces "langues"
appellent divers commentaires. On aurait pu ne parler que de
"flammes", car en soi l'organe de la langue n'a rien
d'esthétique. Mais Luc a voulu précisément parler de
"langues de feu".
La langue est
l'organe de la parole et du goût, et ces deux aspects
revêtent ici une importance fondamentale.
En effet,
l'Esprit apparaît sous forme de langues parce que les
Apôtres doivent recevoir la science de parler à toutes les
populations de toutes langues et d'en comprendre les
idiomes; ainsi disparaîtra cette malédiction qui était
tombée sur les constructeurs de la Tour de Babel, dont
l'orgueil fut puni par la multiplicité des idiomes et
l'impossibilité de communiquer entre eux.
En plus,
l'Esprit va aider les Apôtres à bien user de leur langue,
pour discerner le vrai du faux, exprimer la Vérité, le Bien,
pour diffuser partout un enseignement sans erreurs. Que de
mal se dit avec notre langue, quand l'Esprit ne domine pas
notre parole : demandons en ce jour à l'Esprit de nous aider
à bannir toute conversation méchante, toute médisance, tout
mensonge, toute parole déplacée.
Ainsi donc, en
même temps que la science du parler, l'Esprit confère aux
Apôtres le "goût" de choisir les bonnes paroles, d'éliminer
toute erreur. Et cela rejoint tout à fait l'enseignement de
Paul aux Romains, quand il oppose l'Esprit de Dieu et de
Christ à la chair. Celui qui se laisse guider par la chair,
par l'esprit terrestre, par les convoitises diverses, ne
parle pas selon l'Esprit de Dieu. Ayant reçu l'Esprit de
Dieu, toute notre vie "renaît" avec Christ ressuscité, nous
sommes des créatures nouvelles, nous ne pouvons plus revenir
à notre comportement précédent, à nos passions d'avant :
nous devons "tuer les désordres de l'homme pécheur", précise
Paul.
Quand les
Apôtres reçoivent l'Esprit Saint au jour de la Pentecôte,
ils ne reçoivent pas un autre Esprit que celui que Jésus
leur a insufflé au soir de la Résurrection, en leur
communiquant le pouvoir de remettre les péchés. D'abord
Jésus les a consacrés Prêtres et Évêques au soir de la Cène,
leur confiant la mission de perpétrer l'Eucharistie (Faites
ceci en mémoire de moi) et le Sacerdoce ; puis ils devaient
faire l'expérience de la Passion et de la Résurrection, dont
l'Eucharistie est l'expression. Au soir de la Résurrection,
les Apôtres reçoivent le pouvoir de remettre les péchés dans
le nouveau sacrement de la Réconciliation. À la Pentecôte,
désormais "prêts" pour leur mission, après le retour au ciel
de Jésus, ils reçoivent la Force et la Lumière de l'Esprit :
c'est leur Confirmation.
Établis prêtres
et évêques par le Christ, ils ne sont pas encore "adultes"
et ne peuvent pas encore transmettre les sacrements de la
Loi nouvelle tant qu'ils n'ont pas reçu l'Esprit. C'est bien
à juste titre que ce Sacrement s'appelle "Confirmation", et
qu'il est indispensable à la vie chrétienne. Quelle
transformation, dans le cœur de ces humbles pécheurs de
Galilée, en l'espace de cinquante jours !
Rappelons-le au
passage : un baptisé ne peut pas accéder au mariage chrétien
ou à l'ordination sacerdotale s'il n'a pas reçu le sacrement
de la Confirmation. Ce serait un peu comme si on montrait
une quelconque attestation, un laissez-passer, sans la
signature, le sceau de l'Autorité légitime. Ainsi les
Chrétiens doivent être marqués du Sceau de l'Esprit-Saint,
cette marque de l'Huile sainte que l'Évêque leur fait sur le
front.
Revenons un
instant sur le miracle des langues, pour lequel on s'est
parfois demandé s'il consista dans le fait que tous
comprirent l'unique langue des Apôtres, ou bien si les
Apôtres reçurent alors la science de toutes les langues. Les
Pères de l'Église opinent pour l'une ou l'autre explication.
Mais dans l'histoire de l'Église d'autres faits similaires
se produisirent : saint Vincent Ferrer
et saint François Xavier
furent d'illustres exemples de l'une et de l'autre opinion.
Saint Vincent
Ferrer expliqua lui-même, à Gênes, pourquoi les matelots de
toutes nations le comprenaient : "Je parle ma langue
maternelle, la seule que je sache avec le latin et un peu
d'hébreu, et c'est le bon Dieu qui vous la rend
intelligible" ; tandis que de saint François Xavier, un
témoin affirma au procès de canonisation qu' "il parlait
avec tant d'élégance et de facilité la langue de divers
pays, pour leur enseigner l'Évangile, alors qu'il ne les
avait pas étudiées, qu'on aurait dit qu'il y était né et
qu'il y avait vécu."
Une dernière
remarque concernant la Pentecôte, est la réflexion — non
reprise dans l'extrait d'aujourd'hui — que firent certains à
ce moment-là : "Ils sont pleins de vin doux" (Ac 2:13).
Certainement cette critique était mal intentionnelle, car —
habituellement — on n'est pas ivre à neuf heures du matin,
comme le fait remarquer Pierre dans son discours, mais aussi
parce qu'en mai, on n'a pas encore récolté le fruit pour le
vin nouveau, et donc qu'on n'a pas encore ce "moût", ce vin
doux. Très certainement, ces moqueries venaient d'esprits
forts, qui refusaient toujours d'admettre la vérité.
En ce jour
saint de la Pentecôte, où s'achève le Temps Pascal et qu'on
éteint le Cierge pascal, ouvrons bien grand notre cœur à
l'Esprit de Dieu, pour embrasser généreusement la Vérité
unique, et retenir l'unique Parole de Dieu. Que notre vie
soit une pentecôte continue, un témoignage authentique de
vie chrétienne selon l'Esprit. Que Dieu "continue dans les
cœurs des croyants l'œuvre d'amour entreprise au début de la
prédication évangélique" (Prière du jour).
Abbé Charles
Marie de Roussy
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