

CHAPITRE 25.
MALGRÉ SES GRANDES OCCUPATIONS,
IL CONTINUE AVEC ZÈLE LE MINISTÈRE APOSTOLIQUE DES MISSIONS,
AUQUEL DIEU L'AVAIT APPELÉ.
Dieu avait choisi notre
bienheureux pour ramener un grand nombre d'âmes à la pénitence, et réveiller
parmi les chrétiens le souvenir de la passion de son divin Fils. Il le destinait
en même temps à prêcher dans les villes et les campagnes, Jésus-Christ crucifié,
mourant pour les hommes au milieu des plus grands tourments. Certain d'une
vocation qui lui avait été manifestée par des signes incontestables, et que ses
légitimes supérieurs avaient approuvée, le père Paul s'appliqua avec tout le
zèle possible à donner des missions partout où il était demandé. Ainsi, aux
austérités d'une vie pénitente, il joignait encore les fatigues de la vie
apostolique. Elles étaient d'autant plus grandes pour lui que son zèle était
plus ardent, et qu'après ses missions, tout son repos consistait à passer à
d'autres occupations fort graves que rendait encore plus lourdes la stricte
observance de la règle. Je ne saurais exprimer la grandeur des fruits qu'il
recueillit partout de ses missions. On peut s'en faire une idée par ce que nous
avons dit dans le cours de cette histoire au sujet de ses premières missions. En
entendant un homme dont la parole semblait sortir d'une fournaise de charité, un
homme qui, transporté par son zèle, ne voulait que la gloire de Dieu et le salut
des âmes; un homme, toute tendresse pour les pécheurs qui voulaient revenir à
Dieu, toute compassion pour ceux qui étaient plongés dans le malheureux état du
péché; un homme rempli de respect pour le clergé et pour tous les gens de bien;
un homme enfin qui était tout brillant de l'amour de Dieu et ne respirait que
Jésus-Christ crucifié; on se figure aisément quelle devait être l'émotion des
auditeurs. Pour secouer le pécheur endurci, le père Paul avait assez coutume de
le citer au tribunal de Dieu, mais avec une telle vivacité de sentiment qu'on
eût dit qu'il le voyait. Alors, recueillant dans sa main la sueur qui découlait
de son front, il disait d'une manière saisissante que ces sueurs auraient porté
témoignage contre ceux qui ne seraient point rentrés en eux-mêmes, puis
appliquant au mur sa main ainsi mouillée, il en laissait l'empreinte pour
exciter par ce souvenir sensible les remords et la terreur dans les cœurs
obstinés.
Partout où il allait, le
serviteur de Dieu détruisait par le feu de son zèle le désordre et le péché et
embrasait les âmes d'amour pour Jésus crucifié. Il n'est pas facile de compter
les conversions que Dieu opéra par son moyen. Chacune de ses missions recevait
une bénédiction spéciale du ciel. Elles semblaient renouveler en quelque sorte
la face des pays où il prêchait. Voici quelques dépositions de témoins oculaires
: «Dans le temps que je demeurais à Orbetello, les habitants du pays vivaient
avec régularité et étaient fort pieux. Ce bien était le fruit des travaux
continuels du père Paul et de son frère Jean-Baptiste. Ils y prêchaient et y
confessaient avec beaucoup de zèle, en sorte que plusieurs des officiers qui
étaient en garnison à Orbetello, et qui étaient aussi mes camarades, changèrent
de vie, touchés par les prédications du père Paul. Ils se confessèrent à lui et
persévérèrent ensuite dans les pratiques de la piété chrétienne... Le père Paul
prêchait avec tant de zèle qu'on lui voyait le visage tout en feu; sa parole
atterrait les pécheurs. Ils en étaient fort pénétrés et comme tout changés ;
enfin le doigt de Dieu était visible. J'atteste la chose comme ayant été témoin
oculaire, et pour avoir éprouvé les mêmes impressions avec d'autres officiers
qui étaient mes compagnons ... Il est très vrai, qu'autant le père Paul
répandait de terreur en prêchant, autant il usait de douceur à la fin de son
discours; il amollissait les cœurs, il encourageait tout le monde à se confier
en Dieu et à espérer le pardon; aussi voyait-on tout le peuple, touché et
contrit, verser des larmes abondantes, comme je l'ai vu de mes propres yeux...
Il est encore vrai qu'autant le père Paul semait dans la prédication, autant il
recueillait de fruits en confessant. Il le faisait avec tant de charité, que
plusieurs soldats qui n'osaient aller se confesser, effrayés de la multitude de
leurs péchés, y furent engagés par d'autres de leurs camarades, qui s'étaient
adressés au père Paul. En effet, ils l'avaient trouvé d'une affabilité, d'une
charité et d'une douceur extraordinaire envers les pécheurs, surtout envers les
plus coupables et les plus malheureux. Je tiens cela des militaires mêmes qui
s'étaient confessés au père Paul et qui revinrent d'auprès de lui extrêmement
satisfaits... Il est encore vrai que les prédications du père Paul produisirent
à Orbetello des conversions admirables. Je sais que plusieurs personnes qui ne
s'étaient pas confessées depuis vingt ans et plus, le firent au père Paul; ils
allaient le trouver là où il était logé et y retournaient quatre et cinq fois et
même plus souvent, jusqu'à ce qu'ils eussent recouvré la paix de la conscience.
Pour ce qui regarde la conversion des pécheurs, j'ai toujours vu le père Paul
appliqué sans relâche à les ramener à Dieu, même les plus invétérés dans le
vice; et de fait, il eut, avec la grâce de Dieu, le bonheur d'en ramener un très
grand nombre à la pénitence... Ses ferventes prédications opérèrent encore un
autre bien dont j'ai été aussi témoin. Plusieurs personnes de l'un et de l'autre
sexe, et même des personnes de qualité qui depuis quelque temps vivaient dans
l'inimitié, touchées de ses discours, se réconcilièrent en pleine place publique
et se demandèrent réciproquement pardon. J'ai vu pareillement de mes yeux
plusieurs soldats de la garnison d'Orbetello, qui avaient vieilli dans la
débauche, le jeu et le blasphème, donner des signes publics de repentir, après
un sermon du père Paul, puis s'étant confessés, porter leurs cartes et leurs dés
sur l'estrade, où ils furent brûlés publiquement par le père, ce qui excita
singulièrement les assistants au repentir. En somme, tel fut le fruit de la
mission que le père Paul donna à Orbetello, lorsque j'habitais cette ville,
qu'on y vit toute la garnison changer de vie, et cette réforme dura plusieurs
mois, si bien qu'officiers, soldats et bourgeois, tout le monde s'abstint des
passe-temps et des divertissements même permis. J'ai été témoin oculaire du
fait». Telle est la déposition d'un militaire. D'autres témoignages de grand
poids concordent parfaitement avec elle; nous les omettons pour ne pas être trop
long.
On peut donc dire de cette
mission qu'elle a été vraiment une mission bénie. Je dois ajouter qu'elle fut
accompagnée de prodiges peu communs. Domino cooperante et sermonem confirmante,
sequentibus signis (Mc 16,20).
La place d'Orbetello étant
soumise à l'empereur, la garnison était composée en partie de soldats allemands
et luthériens, dont un très petit nombre comprenaient l'italien. Le bon père
ayant commencé la mission, le général commandant obligea tous les soldats d'y
assister. Mais quels fruits auraient-ils pu en retirer, ne comprenant pas le
missionnaire? Ils semblaient donc devoir être privés du bienfait de la parole de
Dieu. Mais le Seigneur qui voulait le salut de ces pauvres âmes, renouvela les
prodiges qu'il avait opérés autrefois. Le saint missionnaire parlait l'italien,
et il était néanmoins entendu de ces allemands qui ne savaient que leur langue
maternelle. Ils assurèrent qu'ils avaient parfaitement compris ses sermons. Et
ce ne furent pas là de vaines paroles; ils firent voir qu'en effet l'homme de
Dieu les avait convaincus et touchés, car ils se pressèrent en foule au
voisinage de l'estrade disant qu'ils voulaient abjurer entre ses mains. Ils
détestèrent en effet leurs erreurs et se convertirent sincèrement. Ainsi les
prédications du père Paul renouvelaient les prodiges de l'Église naissante et
opéraient des conversions merveilleuses. On a compté soixante-dix hérétiques,
tant luthériens que calvinistes, qui firent leur abjuration pendant cette
mission. L'un d'eux, qui était un fort beau jeune homme, entraîné par sa
ferveur, voulut faire cette abjuration de la manière la plus solennelle. II
monta sur l'estrade, pendant que Paul prêchait, et dit à haute voix, d'un ton
qui édifia toute l'assistance : « J'abjure, je déteste et j'ai en horreur la
secte à laquelle j'ai été attaché jusqu'à présent, je la tiens pour fausse. Je
reconnais, je crois et je confesse que l'Église catholique romaine est la
véritable Église établie par Jésus-Christ ».
Parmi les conversions qui se
firent alors, il y en eut deux dans lesquelles la main du Seigneur agit d'une
façon plus prodigieuse. Entre les soldats de la garnison, il s'en trouva un qui
persistait dans son obstination, lorsqu'un soir le père Paul, bénissant le
peuple à la fin du sermon, selon sa coutume, c'est-à-dire avec l'image du
crucifix, ce misérable obstiné vit le crucifix détacher sa main droite de la
croix et donner la bénédiction au peuple, comme si, par un miracle si visible,
le Seigneur avait voulu confirmer les vérités annoncées par son fidèle
serviteur. A cette vue, le soldat éclairé et touché intérieurement de la grâce,
sentit naître la componction dans son cœur et se mit à détester ses péchés, de
sorte que cette brebis égarée depuis longtemps eut également le bonheur de
rentrer dans le bercail du bon Pasteur. Un autre soldat, déterminé à se
réconcilier avec Dieu, était allé se mettre aux pieds d'un compagnon du père
Paul, qui était occupé à confesser dans l'église; mais pendant qu'il accusait
ses fautes, il se sent tout d'un coup saisi avec violence par une main invisible
qui le tirait hors du confessionnal. Le pénitent s'y attache fortement; mais
telle était la violence avec laquelle on le tirait que le confessionnal changea
de place et avec lui le confesseur et le pénitent. On appelle le serviteur de
Dieu pour prêter secours au confesseur et au pénitent que cette scène
terrifiait. Paul accourt aussitôt, il lui met au cou un chapelet qu'il portait
avec lui, car il savait que Marie, la Reine du ciel, est celle qui a écrasé la
tête du serpent infernal, et plein de courage, il prend ce pénitent sous son
manteau, le conduit à la sacristie, entend sa confession et réconcilie le pauvre
pécheur avec Dieu par la sainte absolution. Le soldat, reconnaissant la bonté du
Seigneur dans le pardon qui lui était accordée, se relève d'auprès de son bon
confesseur, si pénétré de douleur et de contrition qu'il n'avait plus d'autre
désir que de mourir dans la grâce de Dieu. Or, il crut dans sa bonne foi que
pour se préserver de toute rechute, il pouvait se donner la mort à lui-même.
Là-dessus il ouvre un des tombeaux qui étaient dans l'église et s'y jette. On
peut se figurer la surprise du père Paul à cette nouvelle. Il courut aussitôt au
lieu où était le soldat et lui ordonna d'en sortir. Le pauvre homme ne se rendit
pas si facilement; il lui fallut des ordres réitérés.
Aussi le père Paul, racontant ce
fait à un digne ecclésiastique, son grand ami, lui disait, gracieusement à son
ordinaire, qu'il avait eu beaucoup plus de mal tirer ce pauvre converti de son
sépulcre que pour l'arracher aux mains du démon.
Le serviteur de Dieu ne
travaillait jamais sans beaucoup de fruit pour les âmes. Mais en certaines
occasions le Seigneur communiquait à ses discours une force si extraordinaire
que personne n'y pouvait résister. Donnant la mission à
Saint-Laurent-des-Grottes, au diocèse de Monte-Fiascone, au dernier discours
qu'il fit et après lequel il devait donner la bénédiction papale, le père Paul
parla à un peuple très nombreux accouru des lieux voisins. Ce fut avec tant de
ferveur et avec un feu si divin que chacune de ses paroles, comme l'a témoigné
un des assistants, témoin digne de foi, semblait une flèche enflammée, capable
de pénétrer les cœurs les plus durs. Mais pour qu'on sut bien d'où lui venait ce
feu et qui lui suggérait des paroles si brûlantes, le Seigneur fit un prodige.
Au lieu de rapporter moi-même l'événement, je le laisse raconter par un témoin
oculaire, dom Joseph Paci, alors chanoine et depuis archiprêtre de
Saint-Laurent-des-Grottes. « Enfin, dit-il, arriva le dernier jour de la mission
auquel devait se donner la bénédiction... Il désira que, revêtu du rochet, je
montasse sur l'estrade et que je me tinsse à sa gauche avec le crucifix qu'il
portait dans les missions. C'est ce que je fis. Le sermon commencé, je sentis
une voix me frapper l'oreille, mais qui n'allait pas plus loin; et le père Paul
répétait exactement les mêmes paroles que j'entendais avant qu'il les dît au
peuple. Je dus donc croire que lui aussi les entendait, puisqu'elles étaient les
mêmes. Je fus très surpris. Jamais chose semblable ne m'était arrivée ni ne
s'est renouvelée depuis. Je me mis à penser d'où cette voix pouvait venir.
J'observais qu'il n'y avait personne sur l'estrade, sinon le père Paul et moi.
Ainsi je dus croire que cette voix n'était pas humaine, mais divine... Elle
continua pendant tout le discours et le sermon produisit un tel fruit qu'il n'y
eût pas une âme qui ne versât des larmes abondantes. Les paroles étaient
d'ailleurs capables d'amollir un cœur de roche ».
On ne doit pas être surpris après
cela si les missions du père Paul opéraient tant de conversions, amenaient tant
de réconciliations parmi les personnes mêmes de qualité, faisant cesser tant de
désordres et de scandales. Dieu donnait à sa voix, une voix pleine de puissance
et d'efficacité pour le bien des âmes.



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