CHAPITRE 20.

LES PREMIERS COMPAGNONS DE PAUL L'ABANDONNENT.
DIEU LUI EN ENVOIE D'AUTRES.
ON COMMENCE A BÂTIR LA PREMIÈRE RETRAITE AVEC UNE ÉGLISE
SOUS LE TITRE DE LA PRÉSENTATION DE LA SAINTE VIERGE,
AU MONT ARGENTARIO.

Le lecteur a remarqué sans doute que bien souvent nous glissons en peu de mots sur cette pénitence extraordinaire et surprenante que pratiquaient les deux frères. Ce genre de vie était un parfait holocauste d'eux-mêmes. Pour s'y maintenir avec persévérance, que de victoires ne durent-ils pas remporter sur la nature? Aussi, en peu d'années, que de vertus et de riches trésors de mérites n'acquirent-ils pas? Mais, cette vue rapide des jeûnes, des veilles, du pénible repos pris sur la terre nue ou sur des planches, des cilices, des disciplines, des voyages à pieds nus, pourrait faire sur le lecteur l'effet d'un grand et noble édifice, qu'on embrasse d'un seul coup d'œil, sans considérer le grand travail qu'ont exigé les détails et la symétrie. Nous croyons donc que pour faire apprécier à sa valeur la fidélité et la constance généreuse des deux frères dans leur difficile vocation, il est bon de faire observer que plusieurs autres furent rebutés de cette vie, après un court essai, bien qu'ils eussent débuté avec un vif et sincère désir de leur perfection. Les premiers compagnons de Paul et de Jean-Baptiste les abandonnèrent l'un après l'autre. On ne peut nier que ce coup ne fût très sensible au cœur de Paul; mais il ne perdit pas pour cela la confiance et n'en fut point abattu.

« Le vaisseau, dit-il à un ami auquel il exprimait ses sentiments dans cette circonstance, le vaisseau est lancé dans la mer sans voile et sans rame ; mais il est guidé par le grand pilote qui le conduira sûrement au port. II est battu par les vents et les tempêtes, afin de faire briller davantage la puissance et la sagesse de Celui qui tient le gouvernail. Vive à jamais Jésus-Christ, qui nous donne la force de souffrir toutes nos peines pour son amour ! Les œuvres de Dieu sont toujours combattues, afin que la divine magnificence éclate davantage. Quand les choses paraissent le plus près de leur ruine, c'est alors qu'on les voit se relever. Dominus magnificat ; deducit ad inferos, et reducit. Priez tous pour nous, afin que nous triomphions de la multitude des ennemis armés contre nous et que nous obtenions la victoire per Jesum Christum Dominum nostrum... Que la sainte volonté de Dieu soit toujours accomplie, car voilà le point capital de la vie dévote : mépris de nous-mêmes et union parfaite avec la volonté divine. Que Dieu nous en fasse la grâce à tous, amen. Je termine en vous priant de me donner votre bénédiction sacerdotale ».

Le serviteur de Dieu ne fut pas déçu dans son attente. Le Seigneur lui envoya d'autres compagnons dont la ferveur et la vie parfaite lui donnèrent beaucoup d'assistance et de consolation. Parmi eux, l'un des plus fidèles et des plus généreux fat le père Fulgence de Jésus. A une grande austérité de vie, à une patience inaltérable dans les infirmités dont il souffrit bien des années, il unissait une suavité et une douceur de caractère admirable. Ses manières étaient si insinuantes qui il semblait que personne ne pût résister à sa parole. Mais nous aurons occasion de revenir sur cet homme vraiment vertueux et intérieur.

L'autre compagnon qui mérite une mention spéciale pour sa rare vertu, fut un certain frère Joseph de Sainte-Marie, natif d'Aouste, en Sicile. Il n'était que laïque; toutefois le père Paul s'en faisait souvent accompagner dans les missions, et par la ferveur de ses prières, par la sainteté de ses exemples, il concourait puissamment à leur réussite. Après avoir passé toute sa vie dans l'exercice des vertus, il mourut de la mort des justes, si précieuse aux yeux de Dieu. Aussi le père Paul put-il écrire en toute vérité à cette occasion : « J'ai grande confiance que sa mort a été précieuse, in conspectu Domini. Il brûlait du désir de s'envoler au ciel, pour être plus uni à Dieu ».

Paul, voyant que la divine bonté lui avait envoyé d'autres compagnons, et espérant qu'il lui en viendrait encore de nouveaux, pensa à bâtir une retraite et une église suffisantes pour faire les saints offices avec l'ordre, la facilité et la décence convenables, et pratiquer parfaitement les observances régulières. Il ne s'inquiéta pas des dépenses très considérables qu'exigeait cette entreprise ; il avait trop avant dans le cœur cette maxime qu'il enseigna depuis aux autres, savoir, que les fondations doivent être le fruit de la prière. Il se recommandait donc au Seigneur, dans cette vue, lorsqu'un jour qu'il cheminait seul et qu'il roulait cette pensée dans son esprit, il arriva à cet endroit où l'on voit à présent la retraite de la Présentation, en face de la ville d'Orbetello. Selon sa pieuse coutume, il se mit à genoux pour adorer le Saint-Sacrement que l'on conservait dans les églises de la ville ; puis, éprouvant un mouvement particulier de dévotion pour la sainte Vierge, il commença ses litanies. Tout à coup il est élevé en Dieu par une douce extase, et une lumière très claire lui révèle que c'était précisément en ce lieu que devait être établie la première retraite de la congrégation. Assuré par là de la volonté du Seigneur, qui était la règle de ses entreprises, il adressa une humble requête à la ville d'Orbetello, afin de mettre son dessein en bonne voie. Les magistrats, ayant réuni le conseil, furent unanimement d'avis de contribuer à la nouvelle construction ; ils condescendirent avec beaucoup de charité aux désirs du serviteur de Dieu. On ne put cependant pas alors en venir à l'exécution. Mais deux ans après, le père Paul ayant été invité à donner la mission à Orbetello, dans le temps du carnaval, les principaux de la cité, témoins de la ferveur de l'homme de Dieu et des fruits que produisait sa parole, frappés d'ailleurs de quelques traits prodigieux dont nous parlerons plus tard, conçurent une haute idée de sa sainteté, et applaudirent vivement au projet de fonder au plus tôt le nouvel établissement. Ils se réunirent donc, et la charité de l'un servant d'exemple et d'aiguillon à l'autre, le montant de leurs offrandes s'éleva à une somme très considérable. On mit aussitôt la main à l'œuvre. Paul traça le plan sur le sol avec son bâton. L'édifice devait être un assortiment intelligent des convenances et de la pauvreté religieuses.

Le vénérable fondateur partit ensuite pour aller prêcher le carême au peuple de Piombino, laissant au père Jean-Baptiste, son frère, les instructions nécessaires pour continuer le travail. Celui-ci s'y prêta avec tout le zèle possible. Comme il fallait faire venir l'eau de fort loin, et que le transport causait beaucoup de dépenses et de retard, il recourut au Seigneur, qui fait jaillir les sources en abondance de ses trésors; puis, animé d'une foi vive, comme s'il avait été certain du miracle, il prit un jour la croix et alla processionnellement avec ses compagnons à un endroit peu éloigné des constructions. Là, il fait une prière et ordonne de creuser à une place qu'il indique. On s'empresse de lui obéir et, chose vraiment merveilleuse, on y découvre une source d'eau fort limpide qu'on n'y avait jamais vue. Cette eau, dirigée par un conduit, servit alors pour la construction et sert encore aujourd'hui pour la commodité des religieux et des passants. C'est parmi ces gages visibles de la faveur divine qu'on mit la main à l'œuvre.

Déjà les murs s'élevaient de deux cannes au-dessus du sol, lorsque le père Paul revint da Piombino. Mais on dut suspendre les travaux, parce que les Espagnols, étant venus assiéger le mont Philippe, le tumulte de la guerre ne permettait plus de les continuer tranquillement. Soumis aux dispositions de la Providence, Paul attendit un temps plus favorable, et pendant la durée du siège, il occupa son zèle comme nous allons le dire.

   

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