CHAPITRE 12.

PAUL QUITTE DE NOUVEAU SON PAYS. SAINTS AVIS QU'IL LAISSE A SA FAMILLE.

Les deux bons frères, Paul et Jean-Baptiste, nourrissaient le même désir de servir Dieu, le même zèle pour propager sa gloire, la même dévotion envers la Passion de Jésus-Christ; ils se voyaient maintenant vêtus du même habit de deuil et de pénitence. Ils passèrent ensemble quelques mois à l'ermitage de Saint-Étienne, donnant une nouvelle et grande édification au peuple par l'extrême austérité de leur vie pénitente, par leur éloignement du commerce du monde, par leur grande assiduité à l'église et le long séjour qu'ils y faisaient; car c'était leur habitude d'y rester plusieurs heures, immobiles, en oraison. Enfin, le premier dimanche de carême, jour où on lit à l'évangile de la messe, que le Seigneur, conduit par l'Esprit-Saint, se retira au désert, ils quittèrent le pays pour aller au Mont Argentario, et là, dans cette profonde solitude, se plonger avec plus de liberté dans la contemplation de la bonté divine. On ne quitte pas ainsi sa patrie et sa famille, sans que la voix de la chair et du sang se réveille; elle fut impuissante pour les retenir. La ferveur dont ils étaient animés tous deux, surtout Paul, engagea celui-ci à ne rien omettre, pour que les membres de la famille qui restaient, servissent et aimassent le Seigneur, chacun dans son état. Nous en avons une preuve manifeste dans les avis qu'il leur laissa par écrit et qui sont de clairs indices de la droiture de son cœur et de l'ardeur de son zèle. Nous croyons qu'ils méritent d'être rapportés ici en propres termes pour l'édification du lecteur.

Lettre de Paul aux siens.

« Que la sainte paix de Jésus-Christ, qui surpasse tout sentiment, garde notre cœur !

Très chers frères et sœurs en Jésus-Christ !

Moi, très pauvre et très grand pécheur, Paul-François, votre frère et le très indigne serviteur des pauvres de Jésus-Christ, je me sens obligé, par une disposition de la Providence, de quitter le pays pour obéir aux saintes inspirations du ciel, de me retirer dans la solitude pour exciter, non seulement les créatures raisonnables, mais encore celles qui sont privées de raison et de sentiment, à s'unir à moi pour pleurer mes grands péchés et pour louer notre bon Dieu que j'ai tant offensé !

Avant donc de partir pour cette sainte retraite, je crois devoir vous laisser, à vous, mes frères et mes sœurs, quelques .avis spirituels, afin que vous avanciez chaque jour avec une plus grande ferveur dans l'amour d'un Dieu si bon.

En premier lieu, observez avec grande exactitude la sainte loi du Seigneur. Ayez une crainte filiale pour ce Dieu aimable qui nous a créés et rachetés. Sachez, mes bien-aimés, que plus un fils aime tendrement son père, plus il craint de lui déplaire, de le mettre en colère, enfin de l'offenser. Ainsi, vous, mes bien aimés, ayez une sainte crainte d'offenser Dieu; elle sera pour vous comme un frein qui vous empêchera de tomber dans le péché. Aimez ce tendre Père d'un amour très ardent, ayez pour lui la plus tendre et la plus respectueuse confiance; en un mot, que toutes vos actions, toutes vos paroles, vos soupirs, vos peines, vos travaux, vos larmes, soient un holocauste offert à son saint amour.

Pour vous maintenir dans sa divine grâce, fréquentez les sacrements, c'est-à-dire, la confession et la communion. Quand vous vous approchez du saint autel, proposez-vous pour fin principale de purifier toujours de plus en plus votre âme dans le feu du saint amour. Ah! mes bien-aimés, je ne vous parle pas de la préparation, parce que je pense que vous ferez de votre mieux. Souvenez-vous qu'il s'agit de l'action la plus sainte qu'il soit possible de faire. Ah! certes, notre bon Jésus n'a rien pu faire de plus que de se donner lui-même en nourriture; aimons donc ce tendre amant. Soyez fort dévots envers le Saint-Sacrement; allez souvent à l'église, et visitez avec grande piété l'autel de la sainte Vierge, et cela, faites-le surtout avant d'aller en classe, et engagez les autres enfants à le faire. Ne passez pas un jour sans faire une demi-heure ou au moins un quart d'heure d'oraison mentale sur la douloureuse passion du Sauveur; faites-en plus, si vous pouvez; mais du moins employez-y toujours ce temps.

Ayez un souvenir continuel des douleurs de notre Amour crucifié, et sachez que ces grands Saints qui maintenant triomphent dans l'amour, là haut, dans le ciel, sont arrivés à une haute perfection par cette voie. Ainsi exercez-vous dans cette céleste pratique le plus que vous pourrez, et surtout le jour de la sainte Communion. Ayez une tendre dévotion aux douleurs de Marie, à sa sainte et immaculée Conception, à votre Ange gardien etc., à vos saints patrons, et surtout aux saints Apôtres. Rendez-vous familières les oraisons jaculatoires, et accoutumez votre coeur à en faire. J'en mets ici quelques-unes pour votre plus grand avantage.

Ah ! Mon bon Dieu ! Que ne vous ai-je jamais offensé ! Espérance de mon cœur, plutôt mourir mille fois que de pécher encore ! Ah ! Mon Jésus! Quand est-ce que je vous aimerai ? Ah ! Mon souverain Bien ! Blessez, blessez mon cœur de votre saint amour ! Celui qui ne vous aime pas, 0 mon Dieu ! Ne vous connaît pas ! Ah ! Si tous vous aimaient, ô Amour infini ! Quand est-ce que mon âme sera tout embrasée de votre sainte charité ?  Actes de résignation. Que votre sainte volonté soit faite ! Que les traverses soient bienvenues ! Chères souffrances, je vous embrasse et je vous serre contre mon cœur ! Commandements du Seigneur, soyez ma joie ! Quelle belle souffrance ! Ah ! Main paternelle de mon Dieu, je vous baise ! Soit bénie la verge sainte qui me frappe avec tant d'amour ! Ah ! Tendre Père ! Il m'est bon d'être humilié ! Mon Dieu, vous êtes tout mon bien !

Faites fréquemment des actes de repentir de vos péchés et d'amour de Dieu. Vous pouvez faire cela en allant et venant, en travaillant, et même dans la compagnie des autres, parce qu'enfin, si les hommes sont autour de votre corps, ils ne sont pas autour de votre cœur ; ainsi vous pouvez produire beaucoup d'actes intérieurs, même au milieu des occupations les plus sérieuses ».

Il continue en les exhortant efficacement à pratiquer une exacte obéissance envers leur père et leur mère. Il appelle l'obéissance une perle céleste, une vertu dont le Seigneur nous a donné un exemple éclatant, en laissant par obéissance sa très sainte vie sur l'arbre de la croix. Il les avertit que ce ne serait pas pratiquer l'obéissance avec perfection, si, quand il s'agit de choses importantes, ils ne se faisaient pas un devoir de dépendre de la volonté et des conseils de leur père et de leur mère. Voulant ensuite les tenir éloignés des dangers du monde : « Lisez, leur dit-il, dans le cours de la journée, quelque ouvrage de piété, et fuyez comme le diable les mauvaises compagnies ». Il leur recommande ensuite d'être justes envers tout le monde, de payer leurs dettes sans retard s'ils en avaient, et s'ils ne le pouvaient pas, de prier humblement leurs créanciers d'avoir compassion d'eux. « Humiliez-vous, leur dit cet homme véritablement humble, humiliez-vous devant tout le monde, pour l'amour de Dieu ».

Comme il avait, de la sainte charité, cette estime singulière qui lui est due, il continue en ces termes : « Enfin, je vous prie de vous souvenir toujours du saint commandement de l'amour que Jésus donna à ses disciples pendant la dernière cène, avant d'aller à la mort. Voici ce qu'il leur dit : « Mes chers apôtres, je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés moi-même ». Ah ! Quel doux langage ! Le modèle est sous nos yeux : aimez-vous, aimez-vous ! Chers frères et chères sœurs, souvenez-vous que jamais vous ne plairez à Dieu, si vous ne vous aimez les uns les autres. Qu'il n'y ait jamais aucune dissension parmi vous ; et si quelquefois il vous échappe une parole aigre, adoucissez-vous aussitôt, ne continuez pas à parler, ne laissez pas maîtriser votre cœur par l'indignation. Je vous répète donc avec saint Jean, apôtre et évangéliste : Aimez-vous, aimez-vous, parce que c'est à cela qu'on reconnaît l'amour de Dieu. Ayez aussi beaucoup de compassion et de charité pour les pauvres du Seigneur ».

Enfin, il conclut tous ces avis par ces paroles pleines de piété et d'affection : « Je vous laisse donc dans les plaies sacrées de Jésus, sous la protection de Marie, la Vierge des douleurs ; oui, c'est là que je vous laisse, vous et toute la famille. Je prie cette bonne Mère de vous baigner le cœur de ses larmes douloureuses, afin que vous ayez un continuel souvenir de la passion très amère de Jésus-Christ et de ses propres douleurs. Je la prie de vous obtenir la persévérance dans le saint amour de Dieu, la force et la résignation dans les souffrances. Recevez donc pour votre grande protectrice Notre- Dame-des-Douleurs, et n'abandonnez jamais à l'avenir la méditation de la passion de Jésus-Christ. Que Dieu, dans sa miséricorde, répande sur vous  tous sa sainte bénédiction! Priez-le aussi pour moi. Deo gratias, et Marioe semper virgini.

Votre frère très indigne, Paul-François Danéo, le dernier des serviteurs des pauvres de Jésus-Christ ».

   

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