Saint Alexandre,
premier patriarche de Constantinople, avait attiré par ses prières
la vengeance de Dieu sur Arius, qui, feignant d'être catholique et
allant à ses nécessités naturelles, rendit les entrailles et l'âme
avec les
excréments : il avait valeureusement combattu les ariens
l'espace de vingt-trois ans qu'il tint le Siège, lorsqu'il mourut le
vingt-huit août de l'an 340. Il n'ordonna pas, il est vrai, d'évêque
pour son successeur : mais sur ce qu'on lui demanda quelle personne
il désirait, il recommanda que l'on fit élection de saint Paul,
qu'il avait lui-même ordonné prêtre, remontrant qu'en effet -il
était jeune d'âge, mais que la maturité de ses mœurs suppléait à ce
défaut : de plus, que tout ce qu'ils sauraient désirer dans un
Prélat se rencontrait en sa personne, à savoir la doctrine et
l'éloquence, jointes avec une probité singulière.
Cette élection
excita un grand tumulte dans Constantinople,
parce que le peuple y était divisé en deux parties, à savoir les
catholiques et les ariens. Il est bien vrai que du vivant de saint
Alexandre les catholiques étaient les plus puissants, quelques
efforts que fissent les ariens : mais sa mort rendit ceux-ci plus
fiers qu'auparavant; ils voulurent trancher d'égal avec les
catholiques et eurent enfin l'avantage. Néanmoins les catholiques
élurent et consacrèrent saint Paul dans l'église de la Paix, qui
était proche de la grande église.
Mais l'empereur
Constance, qui était arien, arrivant sur ces entrefaites à
Constantinople, causa un grand trouble dans l'Église; parce que,
favorisant ceux de sa secte au préjudice des catholiques, il
assembla un conventicule d'évêques ariens, où il lit déposer saint
Paul de son siège, et Eusèbe de Nicomédie fut établi en sa place.
Cependant saint Paul fut relégué à Pont, et de là en plusieurs
autres lieux, selon la passion de ses ennemis, ainsi que nous
l'apprend saint Athanase, son contemporain. Cette déposition et cet
exil étaient bien capables de causer de l'affliction à tout autre
qu'à saint Paul : toutefois, par une résignation entière de toutes
ses volontés à celle de Bieu, il goûtait indifféremment et les
prospérités et les adversités de ce monde.
Tout ce qui se passait
contre lui n'était pas pour aucune chose de sa part qui fût le moins
dû monde contre la raison, mais bien par l'instigation de cet
Eusèbe, esprit brouillon et ambitieux, et qui ne pouvait pas se
contenir dans la modération, aspirant toujours à quelque plus haut
degré de fortune. C'est ainsi même que le déclarent les Pères du
synode d'Alexandrie tenu par les évêques d'Égypte, et en l'épître
synodale qu'ils adressèrent au Pape Jules (devant lequel saint
Athanase et les eusébiens devaient comparaître pour dire chacun
leurs raisons, afin de terminer leur débat) et à tous les évêques de
l'Église catholique. Saint Athanase la rapporte en entier au
commencement de sa seconde apologie.
Aussi cet Eusèbe n'en
demeura pas là : car sur ce que le Pape Jules envoya des légats à
Constantinople pour indiquer le temps d'un synode qu'il faisait
convoquer à Rome, pour justifier et terminer les accusations des
ariens contre saint Athanase, il les retint si longtemps, qu'enfin
le temps fixé se passa sous le prétexte de la guerre des Perses, qui
leur ôtait la liberté et la sûreté des chemins. (Théodoret dit que
ce qui empêcha véritablement les ariens d'aller à Rome, était qu'ils
avoient eu avis que leur malice et leurs mensonges étaient
découverts.) Là-dessus Eusèbe prit sujet de convoquer un synode à
Antioche, où l'empereur était, et d'y appeler les autres évêques par
l'autorité de l'empereur, afin d'y dédier une église que l'empereur
Constantin avait commencé à y faire bâtir. Ils s'y trouvèrent au
nombre de quatre-vingt-dix (quelques-uns disent
quatre-vingt-dix-sept, les autres quatre-vingt-dix-neuf), entre
lesquels il y en avait trente-six ariens. Là, après avoir fait
Fe qu'il désirait
contre saint Athanase, malgré les évêques catholiques qui n'y
consentirent jamais, il envoya des ambassadeurs au Pape pour le
supplier d'être le juge en la cause de saint Athanase. Mais Dieu ne
lui fit pas la grâce d'en voir la décision, et peu après son synode
il mourut.
Là-dessus le
peuple rétablit aussitôt saint Paul en son siège, mais il n'en fut
pas encore longtemps paisible possesseur, car les ariens ayant élu
en même temps un certain Macédonius, il y eut de grands troubles et
des séditions étranges, où plusieurs perdirent la vie de part et
d'autre. L'empereur Constance, qui était à Antioche, en ayant été
averti, commanda au duc Hormogène, qu'il envoyait en Thrace, de se
transporter jusqu'à Constantinople et apaiser la sédition en
chassant Paul de son Église. Mais il en a: riva autrement qu'il ne
pensait : car ayant voulu user de force, le peuple, au lieu de
s'apaiser, entra en une telle furie, que, sans considération de sa
qualité, ils assiégèrent son logis, y entrèrent, y mirent le feu, et
l'ayant lui-même tiré dehors, le massacrèrent. Néanmoins cette
fureur populaire fut bientôt apaisée. Aussitôt que l'empereur eut
appris ces nouvelles, il s'y transporta promptement, chassa lui-même
saint Paul de la ville, l'envoya en exil et châtia le peuple par de
gros impôts, sans toutefois autoriser Macédonius, contre lequel il
se fâcha grandement, pour avoir été la cause de tout ce trouble, et
de la perte de tant de personnes, d'autant plus
que son élection avait été faite sans son autorité ; après quoi il
s'en retourna à Antioche.
Saint Paul n'était pas
le seul prélat affligé : Àsclépas, évêque de Gaza, Marcel d'Ancyre
et Lucius d'Adrianopolis, furent également chassés de leurs sièges
pour divers sujets. De sorte que s'étant trouvés tous à Rome, ils se
présentèrent au Pape Jules, et lui firent entendre leurs plaintes et
le tort qu'on leur faisait. Sa Sainteté, usant du pouvoir qu'elle a
sur tous les autres évêques, écrivit aux villes d'Orient, l'an 342,
afin que chacun de ces évêques fût remis en son siège : ce qui fut
fait.
Mais saint Paul ne fut
pas plutôt à Constantinople, que l'empereur Constance écrivit au
gouverneur, nommé Philippe, et lui commanda de chasser saint Paul
derechef de son siège, et d'y établir Macédonius en sa place. Ce
gouverneur, plus avisé qu'Hermogène, et craignant l'émotion du
peuple, se servit d'une ruse, qui lui réussit ainsi qu'il désirait,
pour l'exécution de la volonté de l'empereur. Il feignit de vouloir
pourvoir à quelques affaires de la ville, et fit venir saint Paul
pour ce sujet au bain public, où il était. Là- dessus il lui fit
entendre le commandement qu'il avait de l'empereur; et aussitôt,
comme le peuple, qui se doutait de l'affaire, s'était assemblé en ce
lieu-là, il le fit passer par une ouverture sur le derrière, et le
fit embarquer dans un vaisseau qu'il avait préparé. On le conduisit
à Thessalonique, ville principale de la Macédoine, qui était le pays
natal du saint prélat, avec défense de partir de là sans jamais
retourner au Levant. Ainsi le bon saint Paul fut subtilement chassé
de son siège et de la ville, contre l'espérance et la créance de
chacun.
Après cela, ce
gouverneur s'en alla à l'église avec Macédonius en son carrosse, et
l'y établit à main armée; de sorte qu'il y eut encore un grand
trouble pour ce sujet. Socrate dit qu'il y eut bien 1,150 personnes
de tuées pour ce coup-là. Voilà la façon de procéder des hérétiques.
Ce fut ainsi que Macédonius usurpa le siège de Constantinople sur
saint Paul.
Cependant saint
Paul trouva moyen de sortir de Thessalonique et de s'enfuir en
Italie, en feignant d'aller à Corinthe; saint Athanase
s'étant aussi trouvé en ce pays, ils firent tous deux leurs plaintes
à Constant, empereur d'Orient. Constant s'étant employé pour leur
rétablissement envers l'empereur, son frère, mais sans effet, il fit
convoquer, avec l'autorité du Pape Jules, un concile à Sardique,
l'an 347, en partie pour le même sujet.
Ce concile était
composé de trois cents évêques de l'Occident, et de septante-six
seulement du Levant : ceux-ci se tinrent à part et ne voulurent pas
se joindre avec les Occidentaux, si Athanase et Paul n'étaient
chassés de l'assemblée, ce qu'ils ne purent obtenir. Car il est vrai
que saint Paul et saint Athanase assistaient à ce concile : encore
que saint Paul fut averti par le peuple de Constantinople qu'il ne
s'y trouvât pas, parce que les ariens lui voulaient jouer un mauvais
parti, ainsi que nous l'apprend Théodoret. Les ariens donc furent
condamnés par ces doctes prélats, comme n'osant pas poursuivre
l'accusation intentée contre ces deux grands personnages, saint
Athanase et saint Paul; et puis les décrets du concile furent
confirmés; enfin ce mot de consubstantiel éclairci et
autorisé contre l'erreur des ariens.
Après cela, le concile
envoya saint Vincent, évêque de Capoue, et Euphrates, évêque de
Cologne, en ambassade vers l'empereur Constance, pour lui faire
connaître ce qui s'était passé en ce concile. Ce que fit aussi
Constant son frère, empereur d'Occident, par une autre ambassade, le
suppliant tous de rétablir en leurs sièges saint Athanase, saint
Paul et les autres évêques qui en avoient été chassés. Mais
l'empereur Constance tirant cette affaire trop en longueur,
Constant, son frère, l'envoya derechef prier de les rétablir
promptement, et que s'il ne le faisait, il irait lui-même le faire :
lui déclarant la guerre en ce cas-là. Par ce moyen saint Paul fut
honorablement reçu dans Constantinople, et les autres en leur siège,
par le commandement de l'empereur ; car Constance, intimidé par les
menaces de son frère, ne le voulait pas désobliger jusqu'à ce point
d'avoir la guerre contre lui pour cette considération.
Mais comme
Constance était le prince le plus inconstant du monde, après la mort
de Constant, son frère, qui arriva l'an 350,
n'ayant plus rien à craindre, il se laissa gagner facilement par les
ariens : tellement qu'il chassa encore une fois saint Paul de son
siège et l'envoya en exil à Cueuse, petite ville de Cappadoce. Les
ariens, vrais esprits de division et de sang, non contents de le
voir retiré et solitaire en ce petit lieu, envoyèrent des gens
cruels, ministres de leur passion, qui l'étranglèrent en public le
septième jour de juin, l'an de Notre-Seigneur 351, autorisés en cela
du gouverneur Philippe, qui leur prêta main-forte pour exécuter leur
méchant dessein.
Il est vrai que ce
grand saint a souffert de furieuses bourrasques pour le soutien et
la défense de la foi orthodoxe contre les ariens ou eusébiens, et
qu'il a été comme le jouet de leurs passions. Car il fut
premièrement envoyé en exil à Pont, d'où ayant été rappelé,
l'empereur l'envoya après chargé de chaînes, dont on l'avait lié, à
Singre en Mésopotamie ; depuis il fut encore exilé à Emèse, puis
enfin à Cueuse, petite ville d'Arménie, près des déserts du mont
Taurus, où il trouva le couronnement de ses travaux. Saint Athanase
a eu la curiosité de compter tous ses exils.
Cependant le cardinal
Baronius remarque que ce préfet qui autorisa et procura même sa
mort, ne vécut pas longtemps sans ressentir la main vengeresse de la
justice divine. Car Dieu permit que, cette même année-là, il fut
ignominieusement dépouillé de sa préfecture, et exposé à la risée du
peuple : de sorte que, privé de la compagnie des siens, il s'en
allait errant, vagabond, loin de son pays, comme un autre Caïn,
toujours pleurant et tremblant, et finit malheureusement ses jours.
Trente ans après,
l'empereur Théodose Ier
ayant appris tout ce qui s'était passé à l'endroit de saint Paul
pendant sa vie et après sa mort, il fit transférer son corps
d'Ancyre, où il reposait, à Constantinople ; il le reçut avec tous
les honneurs imaginables, et le posa avec beaucoup de respect dans
l'église même que Macédonius, son grand persécuteur, avait fuit
bâtir, et que les macédoniens avoient longtemps occupée : laquelle
depuis a toujours porto le nom de saint Paul.
Tous les
Martyrologes latins font une honorable mention de
saint Paul le Patriarche : comme aussi le Ménologe des Grecs, le 6
septembre. Sa vie a été écrite par Métaphraste, qui l'a recueillie
des anciens monuments; par Lipomani et par Surius. Saint Athanase,
son contemporain, Socrate, Sozomène et Théodoret décrivent assez
particulièrement toutes ses actions. Plusieurs auteurs parlent
encore fort honorablement de lui, selon le rapport du cardinal
Baronius; comme aussi ce dernier, tant en ses Annales
ecclésiastiques qu'eu ses
Annotations sur le Martyrologe romain. |