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“Vers
la Vérité tout entière”
Désormais, deux dimanches nous séparent de l’Ascension de Notre
Seigneur.
Les évangiles sont maintenant tirés du Discours après la Cène,
dernier repas, dernier entretien du Christ avant sa mort, tandis que
les lectures sont d’une part des aperçus de la vie des premiers
chrétiens, d’autre part des extraits de la même Première Épître de
Pierre.
Comme dans toute institution humaine, dès le début l’Église de Dieu
n’a pas échappé aux turbulences psychologiques et théologiques de
ses membres. Dans la première communauté, se sont déjà formés des
groupes, des chapelles, les uns parlent hébreux, d’autres grec, et
ces derniers manifestent de la jalousie envers les premiers,
apparemment on ne leur aurait pas donné autant qu’aux autres. Où
l’esprit de division ne va-t-il pas se nicher !
Mais Pierre ne tombe pas dans le panneau ; avec douce autorité, sans
discuter avec les murmurateurs, il admet qu’on a pu manquer de
vigilance, à cause de tout le travail à fournir ; alors, comme Moïse
qui institua les soixante-dix juges dans le désert (Ex 18:13sq),
Pierre promulgue le diaconat : les diacres seront là pour s’occuper
de diverses tâches pratiques, pour laisser aux Apôtres le temps de
prier et de prêcher. Prier et prêcher, d’abord prier et ensuite
prêcher. Le pêcheur qu’était Pierre a vraiment subi une conversion
intérieure profonde et radicale ; il ne cède pas à l’activisme et
prend bien garde de toujours donner la primauté à la prière. Sans la
prière, sans l’écoute silencieuse de la parole de Dieu, toute notre
activité devient activisme, course effrénée ; c’est un peu le mal de
notre siècle de moteurs et de portables.
Le psaume 32 fait bien écho à ce choix de Pierre : il faut chanter
au Seigneur, Lui qui est fidèle, qui veille sur ceux qui Le
craignent, Lui qui les délivrera de la mort et les gardera en vie
aux jours de famine.
Les sept premiers Diacres ne nous sont guère connus, à part Etienne
(en grec Stéphanos), que nous fêtons le lendemain de Noël. Mais les
autres sont bien connus de la Tradition, et ils sont mentionnés dans
notre Martyrologe Romain (28 juillet), sauf Philippe (11 octobre) ;
l’apostolat de ce dernier est relaté dans les Actes des Apôtres
(Voir Ac 8).
Dans l’extrait de l’épître, saint Pierre revient sur la Pierre
d’angle, rejetée par les bâtisseurs (Ps 117). Quelle grâce a-t-il
donc reçue pour savoir ainsi expliquer ces textes si mystiques que
sont les psaumes, les mettre en rapport avec les Prophètes ! Il cite
en effet Isaïe (Is 28:16 ; 8:14sq) et Osée (1:9 ; 2:25) avec
l’aisance d’un spécialiste en exégèse. Mais surtout, il expose une
doctrine toute nouvelle, appelant tous ces nouveaux baptisés “race
choisie, sacerdoce royal, nation sainte, peuple de Dieu”.
Ces baptisés — et nous dans leur sillage — sont en effet les
héritiers du Peuple choisi de l’Ancien Testament. Ayant reconnu le
Christ, ils en ont reçu le message et la grâce. L’élection est donc
passée du peuple juif au peuple des baptisés, l’Église tout entière.
Un mot est nécessaire ici pour situer comme il faut ce “sacerdoce
royal”, qu’il ne faut pas confondre avec le pouvoir sacerdotal
propre aux prêtres. En vertu de l’appel de Dieu par l’intermédiaire
de l’Église, des hommes reçoivent des pouvoirs surnaturels pour
célébrer les Sacrements et faire passer la Grâce divine aux
fidèles ; c’est le sacerdoce institutionnel ou ministériel. Mais
Pierre rappelle ici que chaque baptisé(e) a un rôle important et
irremplaçable dans l’Église, par l’offrande personnelle qu’il (elle)
peut faire de sa vie quotidienne, en unissant toutes ses actions et
sa prière à la Prière de l’Église tout entière.
“Les fidèles concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent
leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et
l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur
renoncement et leur charité effective”, dit le Concile Vatican
II (Lumen Gentium, n°10). Que serait en effet une Église où les
fidèles seraient seulement des observateurs, des spectateurs,
laissant les prêtres et les évêques agir seuls de leur côté, sans
unir profondément leurs prières, leurs efforts, leurs souffrances et
leurs joies ?
Avant de quitter les Apôtres pour aller s’offrir sur la Croix, Jésus
converse avec eux. Il vient de les ordonner prêtres ; ils doivent
encore faire du chemin et ils posent à Jésus des questions qui
dévoilent leurs hésitations, mais qui nous valent de la part de
Jésus des réponses fondamentales : “Moi,
je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” — “Celui qui m’a vu,
a vu le Père… Je suis dans le Père et le Père est en moi”. Et
cette promesse-prophétie, étonnamment surprenante, par laquelle
Jésus fait allusion à l’apostolat héroïque de ses Apôtres et de tous
les Saints : “Celui
qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en
accomplira même de plus grandes”.
Quand Jésus dit “Moi
je suis le Chemin, la Vérité et la Vie”, il nous montre en
quelque sorte sa carte d’identité : il est Chemin, parce qu’Il nous
guide ; Vérité, parce qu’Il nous enseigne ; Vie, parce qu’Il nous
donne la Nourriture.
A propos des “œuvres”, comment ne pas rappeler ici celles, par
exemple, de saint Thomas, justement, qui évangélisa l’Inde et tout
l’Extrême Orient ? ou les trois cent mille baptêmes administrés par
saint Pierre Claver ? ou les dizaines de milliers de conversions
opérées par saint François de Sales à Genève, par saint Pierre
Canisius en Allemagne, contre la formidable hérésie protestante ?
Rappelons sainte Jeanne d’Arc, saint Vincent de Paul, saint Giovanni
Bosco à Turin, sainte Elisabeth de Hongrie, saint Édouard
d’Angleterre, sainte Rose de Lima, saint Crispin de Viterbe, sainte
Thérèse d’Avila… et des milliers, des millions d’autres.
Jésus ajoute ces mots : “Puisque
je pars vers le Père”. Ce n’est pas que les Saints opéreront
toutes ces actions merveilleuses “parce que” Jésus va vers son Père,
comme si son absence leur permettrait de “mieux” agir ; mais c’est
parce que Jésus va “vers son Père”, et qu’ensuite Il enverra son
Esprit, l’Esprit d’Amour, l’Esprit des bonnes œuvres, l’Esprit qui
renouvellera la face de la terre, l’Esprit qui conduira les Apôtres
et tous les Saints jusqu’aux confins de la terre.
Avec les Apôtres, préparons-nous au prochain retour de Jésus “vers
son Père”, au jour de l’Ascension, et à l’effusion de l’Esprit Saint
au jour de la Pentecôte, l’Esprit qui nous conduira “vers
la Vérité tout entière” (Jn
16:13).
Alléluia !
Abbé
Charles Marie de Roussy |