4-L’œuvre de Frédéric Ozanam

4-1-Les Conférences de Saint Vincent de Paul. – Les pauvres sont le visage du Christ

Aux yeux de Frédéric Ozanam, la foi sans la charité n'a aucun sens. Surtout dans le Paris de Louis-Philippe, où les pauvres pullulent.  S'adresse à des jeunes il ne craint pas de dire:"La terre s'est refroidie, c'est à nous, catholiques, de ranimer la chaleur vitale qui s'éteint, c'est à nous de recommencer le grand oeuvre de la régénération, fallût-il recommencer l'ère des martyrs... Resterons-nous inertes au milieu du monde qui souffre et qui gémit?... Et nous, ne ferons-nous rien pour ressembler à ces saints que nous aimons?...

Nous ne savons pas aimer Dieu comme il faut “car il semble qu'il faille voir pour aimer et nous ne voyons Dieu que des yeux de la foi, et notre foi est si faible! Mais les hommes, mais les pauvres, nous les voyons des yeux de la chair! Ils sont là et nous pouvons mettre le doigt et la main dans leurs plaies et les traces de la Couronne d'épines sont visibles sur leur front; et ici l'incrédulité n'a plus de place possible, et nous devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec l'apôtre:  ‘Vous êtes nos maîtres et nous serons vos serviteurs, vous êtes pour nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas, et ne sachant pas l'aimer autrement, nous l'aimerons en vos personnes’..."

Frédéric Ozanam multiplie les conseils aux membres des conférences de Saint Vincent de Paul qui visitent les pauvres: "Ne pas se faire voir, mais se laisser voir", car si le pauvre abhorre toute ostentation, il a horreur de la clandestinité.” Admirables paroles, échos de celles de Saint Vincent de Paul. 

Lorsque Ozanam sera élu président des Conférences de Saint Vincent de Paul, il donnera quelques précisions: "Cette société est catholique mais laïque, humble mais nombreuse, pauvre mais surchargée de pauvres à soulager, surtout dans un temps où les associations charitables ont une mission si grande à remplir pour le réveil de la foi, pour le soutien de l'Église, pour l'apaisement des haines qui divisent les hommes." Il profitera de ce mandat pour rappeler les exigences de la charité: discrétion, délicatesse, respect de la dignité de la personne, exclusion de tout prosélytisme déplacé. "N'introduisons la religion dans nos entretiens qu'au moment où elle y sera naturellement amenée... Craignons qu'un zèle impatient de faire des chrétiens ne fasse que des hypocrites". Aux yeux d'Ozanam, la visite des pauvres à domicile, tâche essentielle des Confrères, doit être faite dans un esprit d'humilité.

4-2-Les conférences de Notre-Dame

Frédéric tient beaucoup à la défense et à l'exaltation de la foi catholique. C'est pourquoi, avec de nombreux étudiants qui la partagent avec lui, il s'adresse, en 1833, à l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, pour lui demander qu’une prédication forte et convaincante, soit organisée, pour le grand public, la jeunesse en particulier, en la cathédrale Notre-Dame de Paris. C'est ainsi que naissent, après deux ans de tractations et d’hésitations de la part du prélat, les célèbres "Conférences de Notre-Dame". Et Henri Lacordaire, leur donnera, par sa foi, son enthousiasme, et son éloquence sans pareille, les premières lettres de noblesse.

4-3-Le métier d'enseignant considéré comme un sacerdoce

Agrégé de la Faculté des Lettres, Frédéric Ozanam connut aussi l'humble tâche du professeur d'université affronté à l'accumulation des examens à faire passer, les longues préparations des cours, la fatigue de la parole publique... Mais il était récompensé par le respect dont l'entoure son large auditoire, sensible à son érudition, à sa conscience professionnelle, à sa clarté, et aussi à son éloquence née de l'enthousiasme de celui qui communique sa science et sa foi.

Un épisode illustre ce qui précède: en 1852, au lendemain du Coup d'État de Louis-Napoléon, la Sorbonne était au bord de l'émeute. Le bruit courait que les professeurs, pourtant payés par l'État, ne voulaient plus donner leurs cours. Quoique gravement malade, Ozanam se rendit à la Faculté et, devant des étudiants médusés, prononça ces paroles admirables:"Messieurs, on reproche à notre siècle d'être un siècle d'égoïsme, et l'on dit les professeurs atteints de l'épidémie générale. Cependant, c'est ici que nous altérons nos santés. C'est ici que nous usons nos forces. Je ne m'en plains pas. Notre vie, ma vie, vous appartient, nous vous la devons jusqu'au dernier souffle et vous l'aurez. Quant à moi, Messieurs, si je meurs, ce sera à votre service".

5-Le savant

5-1-Un homme assoiffé de connaissances

Frédéric Ozanam fut un savant, mais sa volonté était de mettre  ses connaissances au service de la Vérité chrétienne et de montrer par ses travaux et dans son enseignement universitaire, l'alliance naturelle de la foi et de la science. Et cela, à une époque où nombre d'érudits et de scientifiques, déniaient à l'Église le droit de se dire en accord avec la science moderne.

Frédéric, suivit au Jardin des Plantes des cours de chimie et de botanique. Il apprit le sanscrit afin de déchiffrer les textes sacrés des Hindous. Il dévora des oeuvres apologétiques, des ouvrages aux conceptions matérialistes, toujours en vue de réaliser le rêve de son adolescence: "démontrer la vérité de la religion catholique par l'antiquité des croyances historiques, religieuses et morales."

On admire qu'à 20 ans, dans le cadre de la "Conférence d'Histoire", qui préludera à la "Conférence de Charité", il ait pu traiter de sujets aussi difficiles que la mythologie en général, les religions de Confucius et de Lao-Tseu, la philosophie religieuse de l'Inde, la réforme de Bouddha...  En 1831, il publia des Etudes diverses sur le langage et la pensée, la philosophie du langage et son action dans la société, et un remarquable article, paru dans le journal lyonnais, "Le Précurseur", sous le titre: "Réflexions sur la doctrine de Saint-Simon."

En 1836, Frédéric Ozanam soutint des thèses de doctorat en droit, l'une en latin (De interdictis), l'autre en français (Des actions possessoires), puis il s'orienta vers les Lettres et l'Histoire. A 24 ans, il s'imposait déjà comme l'un des meilleurs connaisseurs de Dante et de "la Divine Comédie".

En 1839 il soutint deux nouvelles thèses: l'une en latin, "De frequenti apud veteres poetas heroum ad inferos descensu", et l'autre en français: "Essai sur la philosophie de Dante". Il s’orienta ensuite vers les littératures étrangères. Il maîtrisait pleinement les langues italienne et allemande, et connaissait l'anglais et l'espagnol. Enfin, il avoue qu’il avait "une teinture des langues orientales," et il pouvait lire la Bible dans le texte hébreu.

5-2-L’universitaire

À 27 ans, Frédéric Ozanam était nommé suppléant de Claude Fauriel, un des rénovateurs de l'histoire littéraire en France, dans la chaire de Littérature étrangère à la Sorbonne. A la mort de ce maître et ami, en 1844, Frédéric lui succèdera comme titulaire de cette chaire. Il souhaitait faire une étude approfondie de la civilisation italienne et de la civilisation allemande, dans la perspective d'une "noble étude" comparative sur les sujets suivants: "Rome et les barbares", "le Sacerdoce et l'Empire", "Dante et les Nibelungen", "Thomas d'Aquin et Albert le Grand", "Galilée et Leibniz".

Cette érudition rigoureuse nourrit un enseignement exigeant. Cependant Ozanam a constamment à l'esprit une certitude: c'est l'Église qui a recueilli l'héritage de l'Antiquité et du Paganisme barbare. Cette universalité, jointe à une grande ouverture sur les autres, lui vaut une audience et une vocation internationales... 

Enfin Frédéric rêve d'une grande chose: montrer le christianisme "civilisant les Barbares par son enseignement, leur transmettant l'héritage de l'Antiquité, créant, avec la vie religieuse et la vie politique, l'art, la philosophie et la littérature du Moyen Age". Le livre s'appellerait: "Histoire de la civilisation chrétienne chez les Germains", avec un premier volume traitant de "La Germanie avant le christianisme" (avant et sous les Romains) et "L'établissement du christianisme en Allemagne". Un second volume contiendrait: "L'État", ou la constitution de l'Empire depuis Charlemagne jusqu'aux Hohenstaufen,et "Les Lettres", avec la formation des écoles monastiques et la floraison de la littérature ecclésiastique.

Le premier volume est presque entièrement terminé à l'été de 1846 quand il tombe malade et part pour l'Italie, à la recherche de documents sur la culture de la Péninsule entre les VIIe et Xe siècles. A son retour, grâce aux soins dévoués d'Ampère, le premier volume a paru (1847). Le second, mis en chantier en 1848, est rédigé  au prix d'un effort surhumain. Rassemblés sous le titre commun d'"Études germaniques" (avril 1849), les deux volumes se voient attribuer le Grand Prix Gobert de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Frédéric songeait aussi à "une vaste fresque qui embrasserait l'histoire de la civilisation, des temps barbares à l'époque de Dante". Premier jalon: la publication, en 1850, de "Documents inédits pour servir à l'histoire littéraire de l'Italie depuis le VIIIe siècle jusqu'au XIIIe".

Hélas! la maladie le prendra de court... Son œuvre demeurera inachevée.

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