Bonmuc, ayant détrôné Vitiza, roi des
Goths d’Espagne, s’empara de la souveraine puissance en 711. Le
comte Julien, dont il avait déshonoré la fille, résolut de s’en
venger en invitant les Maures ou Sarrasins d’Afrique à
passer
en Espagne. Mousa, gouverneur de ces infidèles, envoya, du
consentement du calife Miramolin, douze mille hommes, qui, sous
la conduite du général Tarif, s’emparèrent du Mont-Calpé
et
de la ville Hiéraclée, qu’on appela depuis Gibraltar ou mont de
Tarif, du nom de leur général. Ils se maintinrent dans cette
forteresse, et,
avec les nouveaux secours qu’ils reçurent d’Afrique, ils
défirent les Espagnols dans l’Andalousie. On n’entendit plus
parler du roi Roderic après cette bataille. Mais deux cents ans
après, on découvrit son corps dans une église de la campagne de
Portugal ; ce qui a fait conjecturer qu’il s’était enfui dans ce
pays, et
qu’il y était mort.
Tarif se rendit maître de différentes places, entre
autres
de Tolède, capitale de l’empire des
Goths. Mousa, jaloux de ses succès, passa le détroit, et
réduisit sous sa puissance Séville, Mérida, et
plusieurs autres
villes. Enfin les Sarrasins se virent maîtres de toute l’Espagne
au bout de trois ans. La mésintelligence s’étant mise entre
Tarif et
Mousa, Miramolin les rappela l’un et
l’autre, donna le gouvernement de l’Espagne à Abdalasisa, fils
de Mousa, et
fit de Séville la capitale de ses nouveaux états.
En 716, les Goths d’Espagne placèrent sur le trône Pélage, le
seul prince du sang royal qui leur restât. Celui-ci rassembla
une armée sur les montagnes des
Asturies, reprit ce pays, avec la Galice et
la Biscaye, et
jeta les fondements du royaume chrétien, dit des
Asturies, puis d’Oviedo, enfin de Léon. Sa valeur et
sa piété lui méritèrent de grands succès. Alphonse son
successeur, surnommé le Catholique, marcha sur ses traces,
et
eut le même bonheur.
Les gouverneurs sarrasins, et
surtout le troisième, nommé Ahdéramène, se conduisirent avec
beaucoup de cruauté. Ils portèrent souvent leurs armes dans le
midi de la France. Mais ils furent vigoureusement repoussés par
Charles-Martel. En 719, Abdéramène, surnommé Adahil,
s'affranchit de la dépendance des
sultans d’Égypte, prit le titre de roi, et
fixa sa cour à Cordoue. Les autres
gouverneurs sarrasins suivirent son exemple. Lorsque le feu de
la guerre eut été amorti, ces princes infidèles tolérèrent les
chrétiens dans leurs états ; ils leur permirent même, à
certaines conditions, de bâtir des
églises et des
monastères ; mais dans le neuvième siècle, la persécution contre
le christianisme recommença à Cordoue, et
continua sous les règnes Ahdéramène II, et
de son fils Mahomet.
Une multitude innombrable de martyrs
scellèrent leur foi par l’effusion de leur sang. On compte,
parmi les plus célèbres, Nunillon et
Alodie. C’étaient deux sœurs d’une extraction noble. Leur père
était mahométan, et
leur mère chrétienne. Celle-ci, devenue veuve, se remaria à un
autre mahométan. Nunillon et
Alodie, qui avaient été élevées dans la religion chrétienne,
eurent beaucoup à souffrir de la brutalité de leur beau-père,
qui occupait un rang distingué dans la Castille. On voulut
inutilement engager les deux saintes dans le mariage ; elles
avaient résolu de servir Dieu dans la virginité. Enfin elles
obtinrent la permission de se retirer chez une tante qui était
une chrétienne pleine de ferveur. Elles eurent alors une entière
liberté de vaquer aux exercices de leur religion, qu’elles
n’interrompaient qu’autant qu’elles y étaient forcées par
d’autres
devoirs.
La ville où elles vivaient se nommait Barbite ou Vervète. On
croit que c’est Castro-Viejo, près de Najare en Castille, sur
les frontières de la Navarre. Cette ville était soumise aux
Sarrasins, lorsqu’Ahdéramène fit publier ses édits contre les
chrétiens. Nunillon et
Alodie étaient trop connues par leur naissance, leur ferveur
et
leur zèle, pour qu’on ne les arrêtât pas les
premières. Ayant été conduites devant le juge, elles montrèrent
une constance inébranlable. On voulut inutilement les intimider
par des
menaces et
les séduire par des
caresses. Tous les moyens qu’en avait employés étant inutiles,
on les livra à des
femmes impies, dans l’espérance qu’elles viendraient a bout de
les gagner ou de les corrompre. Mais Jésus-Christ protégea ses
épouses par les lumières et
la force de sa grâce. Enfin les femmes à la méchanceté
desquelles on les avait abandonnées, déclarèrent aux juges que
rien n’était capable de les faire renoncer au christianisme. On
les condamna donc à être décapitées dans la prison où elles
avaient été renfermées. La sentence fut exécutée le 22 octobre
851. On les enterra dans le même lieu. On garde la plus grande
partie de leurs reliques dans l’abbaye de Saint-Sauveur de
Castro-Viejo en Navarre.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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