Notre-Dame du Dimanche

Saint Bauzille de la Sylve

Nous sommes en 1873, le 8 juin, dimanche de la Sainte Trinité. Auguste Arnaud travaille dans sa vigne depuis 5 heures du matin. Journalier pendant la semaine, il travaille pour lui, dans sa petite vigne, le dimanche,  afin de pouvoir subvenir à tous les besoins de sa famille. Auguste a trente ans, il est marié depuis six ans et il a deux enfants.

Vers sept heures du matin, Auguste fait une pause pour déjeuner et fumer une pipe. Tout est tranquille alentour, cependant Auguste est inquiet: le phylloxéra ravage les vignes de la région; il n’a pas encore atteint Saint Bauzille, mais le danger est bien là. Si tout va bien, la récolte sera bonne, et le pain sera assuré pour la famille. Sinon...

Il est 7h30. Auguste est sur le point d’allumer sa pipe quand, soudain, à un ou deux mètres de lui, apparaît, noyée dans une grande lumière, une femme de taille moyenne, vêtue de blanc, et la tête surmontée d’une sorte de couronne haute “comme la mitre d’un évêque... Un grand voile blanc l’enveloppe jusqu’aux pieds... Les mains sont croisées sur sa poitrine.” D’un bond Auguste se lève, et un dialogue s’engage, en patois occitan:

— Qui êtes-vous ?

— Je suis la Sainte Vierge... N’ayez pas peur. Vous avez la maladie de la vigne [1]

Suivent un reproche et quelques injonctions :

— Vous avez abandonné Saint Bauzille (le saint de la paroisse, bien oublié alors). Jeudi, il faudra aller à Saint Antoine en procession et y dire la messe. D’aujourd’hui en quinze, il faut aller en procession à Notre-Dame: tout le canton de Gignac, Montpellier et Lodève.

Puis Marie ajoute encore :

— Il vous faut placer une nouvelle croix et changer l’autre. Vous placerez une croix chargée d’une Vierge au fond de la vigne, et y ferez la procession chaque année. Allez dire cela à votre père et au curé, tout de suite.

Le message est terminé ; l’apparition donne un autre rendez-vous.

— Dans un mois je viendrai vous remercier.

Et la Vierge s’éleva dans le ciel...

Auguste laissa immédiatement son travail et, rentré à la maison, raconta à son père ce qui  était arrivé. Les deux hommes se rendirent immédiatement au presbytère où ils furent reçus par le curé, l’abbé Coste, qui arrivé à Saint Bauzille depuis à peine deux mois, ne connaissait pas encore la famille Arnaud. Le curé écouta Auguste, hésita... Il était, par ailleurs, scandalisé qu’un chrétien osât profaner ainsi le dimanche...

L’entretien dura un quart d’heure. Finalement l’abbé Coste, rempli d’incertitudes, renvoya les deux hommes en leur recommandant vivement de garder le silence sur cette affaire. En s’en allant, Auguste Arnaud dit à son curé :

“Moi, je ne vous oblige pas à croire à tout ce que je viens de vous dire. La Sainte Vierge qui m’est apparue réellement (et je sais que je l’ai bien vue puisque je la voyais comme je vous vois... et que je l’entendais me parler comme je vous entends, vous, me parler), eh! bien, la Sainte Vierge m’a ordonné de venir vous le dire... et je suis content de vous l’avoir dit. Et si je fais tout ce qu’elle m’a ordonné de faire, je sais qu’elle reviendra me remercier comme elle me l’a promis.”

Dès le lendemain de l’apparition, Auguste s’appliqua à faire ce que la Sainte Vierge lui avait demandé:

            – il fit fabriquer une croix en bois qu’il installa à l’endroit indiqué par Marie. Mais le curé refusa de bénir cette croix.

            – le jeudi 12 juin, avec quelques membres de sa famille, Auguste Arnaud fit un pèlerinage à l’ermitage de Saint Antoine dont la chapelle avait été restaurée en 1867.

            – le dimanche 22 juin, il se rendit, encore accompagné de quelques parents, à Notre Dame de Grâce à Gignac.

            – le vendredi 4 juillet, il fit sceller, sur un piédestal en pierres de taille, une croix en fer, dorée et argentée, qu’il avait commandée à Montpellier, pour remplacer la croix de bois provisoire.

Auguste, ayant accompli tout ce que la Sainte Vierge lui avait demandé, n’avait plus qu’à attendre le rendez-vous fixé au mardi 8 juillet.

Le 8 juillet 1873

La nouvelle d’une apparition de la Sainte Vierge, à Saint Bauzille, s’était largement répandue : d’ailleurs, Auguste Arnaud ne s’en cachait pas, malgré les recommandations de silence de l’abbé Coste. Et plus le 8 juillet approchait, plus les conversations allaient bon train.  Des doutes s’installaient: la Vierge reviendra-t-elle vraiment? Seul Auguste Arnaud restait calme. Pour cet homme simple, illettré, la chose était sûre: il avait fait tout ce que la Vierge lui avait demandé, c’était absolument certain, Marie viendrait.

Le mardi 8 juillet, dès quatre heures et demie du matin, Auguste était dans sa vigne, et piochait sa terre. Une foule nombreuse (on a parlé de 6 à 800 personnes) arrivait peu à peu... Un témoin, ami d’Auguste, un dénommé Jalabert, demanda si la Vierge viendrait vraiment. Auguste répondit:

“Oui, je suis sûr de la voir encore. Elle m’a promis... Quant à l’heure précise, elle ne l’a pas fixée. J’espère pourtant que ce sera à sept heures et demie, mais je n’en suis pas sûr. Dans tous les cas, je vais travailler jusqu’à huit heures; si elle n’est pas venue, j’irai déjeuner et je reprendrai mon travail jusqu’à ce qu’elle vienne.” Et Auguste reprit son travail tandis que Jalabert allait s’asseoir au fond de la vigne, là où il pourrait tout voir...

Auguste, qui travaillait avec ardeur, arrivait juste devant Jalabert qui raconte: “Sept heures et demie allaient sonner... La foule augmentait de minute en minute... Auguste... travaillait toujours avec la même ardeur...” Bientôt il se releva pour prendre une “boucada”, une bouffée d’air frais, et se remit au travail. Jalabert raconte toujours: “Déjà sa main avait saisi de nouveau la pioche pour reprendre le travail. Tout à coup la pioche lui échappe; de nouveau il est droit, la tête élevée, les yeux grandement ouverts, fixés en haut. Sa main droite saisit énergiquement son chapeau et le jette à terre avec quelque violence. En même temps ses deux bras s’élèvent en l’air, son visage est devenu pâle, très pâle, ses mains me paraissent démesurément allongées; ses yeux grandement ouverts... n’éprouvent aucun mouvement de paupière; ils sont fixés sur un objet qui l’attire.”

Comme chaque fois que des témoins doivent raconter un fait, les récits peuvent diverger  légèrement: c’est normal. Mais ce qui suit a été rapporté par la totalité des nombreux témoins. Tout à coup, toujours dans la même posture, bras et yeux levés, Auguste est brutalement emporté dans une course extraordinaire, d’une rapidité surhumaine, foudroyante vers la croix située à une trentaine de mètres.” On a dit qu’Auguste était arrivé à la croix, “à la vitesse de la foudre sans avoir trébuché sur une seule souche... Il semblait nager...”

De son côté, le voyant ne s’est rendu compte de rien; il racontera plus tard: “Tout à coup, à deux mètres de moi, j’aperçus de nouveau la même personne de la première apparition. À peine l’eus-je vue que, rapide comme l’éclair, elle fut sur la Croix, me trouvant toujours devant elle, à la même distance de deux mètres. Je ne sais, je ne puis comprendre comment je me suis trouvé là, ni comment j’ai pu parcourir la distance qui me séparaît du lieu où j’étais d’abord, de la Croix, au pied de laquelle je me suis ensuite trouvé.”

D’après les récits des témoins, il semble qu’Auguste ait lévité d’une trentaine de centimètres au dessus du sol, pendant sa contemplation et sa prière qui durèrent environ dix minutes. Ces mêmes témoins n’ont rien vu de l’apparition. Quelques-uns ont parlé d’un nuage de vapeur, d’une colonne de fumée blanchâtre, mais rien de bien précis. Certains auraient vu la Croix surmontée d’une boule brillante et chargée d’étincelles... et d’éclairs. Peu importe... Ce qui est plus  intéressant c’est l’enseignement que la Vierge Marie était venue apporter à son peuple. En ce sens, le 8 juillet complète l’enseignement du 8 juin.

L’apparition se plaça au sommet de la Croix et dit à Auguste, dans le patois du pays :

“Il ne faut pas travailler le dimanche,” puis elle enchaîna:

“Heureux celui qui croira et malheureux celui qui ne croira pas. Il faut aller à Notre-Dame de Gignac en procession. Vous serez heureux avec toute votre famille.”

Marie fit ensuite glisser le chapelet qu’elle portait sur sa main gauche, puis bénit la foule de sa main droite, en disant:

“Que l’on chante des cantiques.”

Puis elle disparut. Dès qu’Auguste revint à lui, il demanda à son père: “Dis-leur de chanter.” La foule entonna le Magnificat.

Auguste, protégé par son père et quelques amis, de la foule qui se précipitait vers lui pour le toucher... réussit, tant bien que mal, à se faufiler et à rentrer chez lui. Mais l’effervescence suscitée par l’événement se prolongea toute la journée.

Il y eut des miracles au pied de la Croix qui devint un lieu de pèlerinage.

Phénomènes annexes

Quelques phénomènes annexes ont accompagné les deux apparitions de Notre-Dame du Dimanche.

Lors de la première apparition du 8 juin 1873

Au moment où la Sainte Vierge disparaissait, un voisin d’Auguste, Adrien Souchon, qui travaillait lui aussi dans sa vigne, non loin de là, entendit un bruissement si violent qu’il fut saisi d’épouvante et rentra immédiatement au village. Louis Souchon, aussi, qui revenait de sa terre de Vendémian, sur une charrette, vit passer devant lui ”avec la rapidité de la foudre, quelque chose comme un gros oiseau tout blanc... Il était environ 7h30.”

Lors de la 2ème apparition du 8 juillet 1873

Ce qui est le plus remarquable, c’est la course effrayante d’Auguste vers la Croix, course dont tous les témoins ont parlé. Humainement parlant, une telle course au milieu d’une vigne, à cette époque de l’année, était absolument impossible. En dehors de cette course, les témoins n’ont rien vu. On a bien parlé d’un nuage de vapeur, d’une colonne de fumée, d’une boule brillante surmontant la Croix, mais toutes sortes d’explications naturelles ont pu être avancées pour justifier ces faits.

Après le 8 juillet 1873

Durant les mois qui suivirent, on parla de quelques faits extraordinaires, mais comment les  prouver? Certes, il y eut des miracles, des guérisons inexplicables, et surtout des conversions. Mais ce qui restera le plus remarquable, c’est la conversion d’Auguste.

Auguste Arnaud continuera à vivre très simplement après les deux apparitions, et ne changera rien à ses habitudes. Cependant, peu de temps après le 8 juillet 1873, il ira se confesser, chose qu’il n’avait plus faite depuis son adolescence, comme d’ailleurs la majorité des hommes à son époque. Dorénavant, il vivra en chrétien exemplaire, observera une stricte pratique religieuse et communiera plusieurs fois par an[2].

Auguste Arnaud mourut le 8 février 1936, à l’âge de 93 ans.

La position de l’Église

Portrait d'Auguste Arnaul, vers l'âge de 60 ans

Le curé du pays, l’abbé Coste demeura d’abord extrêmement réservé. Cependant il constatait, avec satisfaction, que ses paroissiens se transformaient. Il organisa même pour eux deux grandes processions à N.D. de Gignac et à Saint Antoine, pendant l’été de 1874. Pourtant, il n’osait toujours pas parler des événements à son évêque, Mgr Le Courtier. Toutefois, à la suite d’une mission prêchée par un missionnaire diocésain, l’érection de la Croix fut approuvée par le nouvel évêque, Mgr de Cabrières. Plus tard, après une longue enquête, Mgr de Cabrières continuera à s’intéresser à l’affaire et autorisera, en 1879 l’érection d’un sanctuaire en l’honneur de la Très Sainte Vierge Marie.

 

Paulette Leblanc


[1] On peut donner deux interprétations à cette remarque de Marie :
- Votre vigne est malade, ce qui ne semble pas être encore le cas malgré les craintes.
- C’est vous qui êtes malade de la vigne, vous ne pensez qu’à elle...
[2] On communiait très peu souvent à cette époque

 

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