On trouve les
premières traces de la dévotion aux douleurs de la Vierge, à la fin
du XI° siècle, particulièrement dans les écrits de saint Pierre
Damien (+1072), de saint Anselme (+ 1109), d’Eadmer de Cantorbéry (+
1124), de saint Bernard (+ 1153) et de moines bénédictins et
cisterciens qui méditent le passage de l'Evangile qui montre Marie
et Jean au pied de la Croix.
Saint
Anselme
écrit : Votre peine, Vierge sacrée, a été la plus grande qu'une
pure créature ait jamais endurée ; car toutes les cruautés que nous
lisons que l'on a fait subir aux martyrs, ont été légères et comme
rien en comparaison de votre douleur. Elle a été si grande et si
immense, qu'elle a crucifié toutes vos entrailles et a pénétré
jusque dans les plus secrets replis de votre cœur. Pour moi, ma très
pieuse Maîtresse, je suis persuadé que vous n'auriez jamais pu en
souffrir la violence sans mourir, si l'esprit de vie de votre
aimable Fils, pour lequel vous souffriez de si grands tourments, ne
vous avait soutenue et fortifiée par sa puissance infinie.
La Compassion
de la Vierge au pied de la Croix alimenta la piété des fidèles
jusqu'au XV° siècle et l'on connaît bien des morceaux composés sur
ce thème, qui n'ont rien perdu de leur fraîcheur, quoique la plupart
soient bien oubliés, puisque la dévotion privée ne s'alimente plus
de prières latines. Jacopone de Todi nous a laissé le chef d'œuvre
du genre dans le Stabat Mater, poème de l'amour qui souffre
sans désespérer, du contrit qui s'attache au Christ et à Marie, et
qui goûte la joie surnaturelle retrouvée par son union aux douleurs
du Fils et de la Mère. La messe de Notre-Dame des douleurs
comprend ce poème de compassion.
Les XIII° et XIV°
siècles ne contemplent que la douleur de Marie au pied de la Croix,
comme en témoignent les écrits franciscains
de saint Bonaventure ou de saint Bernardin de Sienne (1380-1444), et
les écrits dominicains de Jean Tauler (1294-1361)du bienheureux
Henri Suso (1295-1366) ou de saint Antonin (1389-1459) ; c’est
encore l’objet unique de l’office de la Compassion de la
bienheureuse Vierge Marie instituée par le concile de Cologne
(1423), comme de celui que les Annonciades
célébraient, au début du XV° siècle, le lundi de la semaine de la
Passion. A cette époque, le culte de Marie sous le titre de Mater
Dolorosa prend une extension considérable, singulièrement dans
les Flandres où abondent les livres liturgiques, les monuments d’art
religieux et les opuscules de piété.
Il faut attendre
le XIV° siècle pour que l'on parle communément des sept douleurs
(sept glaives) de la Vierge : la prophétie du
vieillard Siméon, le massacre des Innocents et la fuite en Egypte,
la perte de Jésus au Temple de Jérusalem, l'arrestation et les
jugements du Christ, la mise en croix et la mort du Christ, la
déposition de la croix et la mise au tombeau.
Au cours des
temps, comme elle l’avait déjà fait pour ses joies, la piété
populaire étendit la compassion de la Vierge à toute sa vie, mais il
est assez difficile d'en suivre l'évolution. Peut-être a-t-on
commencé à opposer aux cinq joies de la Vierge ses cinq douleurs :
la prophétie de Siméon, la perte de Notre-Seigneur à Jérusalem,
l'arrestation, la Passion et la mort du Christ. Rapidement, le
nombre augmenta : on a des séries de dix, de quinze, voire de cent
cinquante.
Le nombre sept allait bientôt l'emporter, sans doute en rapport avec
la célébration des sept joies de la Mère de Dieu que les fondateurs
de l’Ordre des Servites
célébraient chaque samedi et que saint Louis d’Anjou, franciscain et
archevêque de Toulouse
(+ 1297) offrait après les Complies. Signalons quelques schémas.
Les sept heures
sont une méditation des peines de la Vierge pendant la Passion : à
matines, l'arrestation et les moqueries ; à prime, la comparution
devant Pilate ; à tierce, la condamnation ; à sexte, la mise en
croix ; à none, la mort ; à vêpres, la descente de croix ; à
complies, la mise au tombeau.
Les sept glaives
s'étendent à toute la vie de la Vierge : le premier glaive est la
prophétie de Siméon à qui la métaphore est empruntée (Vois, cet
enfant est fait pour la chute et le relèvement d'un grand nombre en
Israël ; il doit être un signe en but à la contradiction, et
toi-même, un glaive te transpercera l'âme, afin que se révèlent les
pensées de bien des cœurs) ; le second glaive est le massacre
des Innocents ; le troisième, la perte de Jésus à Jérusalem ; le
quatrième, l'arrestation et les jugements du Christ ; le cinquième,
la mise en croix entre deux larrons et la mort ; le sixième, la
déposition de croix ; le septième, la mise au tombeau.
Les sept
tristesses de la Vierge forment une série un peu différente : la
prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus au
Temple, son arrestation et sa condamnation, sa mise en croix et sa
mort, sa descente de croix, enfin la tristesse de la Vierge restant
sur la terre après l'Ascension.
Le chiffre de
sept, si aimé des symbolistes chrétiens, imposait un choix parmi les
épisodes de la vie de la Vierge et l'on s'explique assez les
fluctuations des auteurs ; la série suivante finit par l'emporter :
la prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus à
Jérusalem, la rencontre de Jésus sur le chemin du Calvaire, le
crucifiement, la descente de croix, la mise au tombeau.
Ces sept douleurs
furent pour la première fois exprimées d’une façon formelle, par
Jean de Coudenberghe, doyen de Saint-Gilles d’Abbenbroeck, curé de
Saint-Pierre-Saint-Paul de Reimerswal, et de Saint-Sauveur de
Bruges : pendant la guerre civile qui suivit la mort de Marie
d’Autriche, duchesse de Bourgogne,
il fit placer dans ses églises une image de la Vierge avec une
inscription mentionnant ses sept douleurs, pour qu’on la vénérât en
lui demandant la cessation des fléaux. Là, en 1492, il se forma une
confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs, favorisée par le
duc de Bourgogne, Philippe le Beau,
dont le confesseur, le dominicain Michel François de Lille, avait
composé un ouvrage sur les douleurs de Marie (1495) ; cette
confrérie qui célébrait la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs
le dimanche dans l’octave de l’Ascension, fut approuvée par le pape
Alexandre VI Borgia (1495). C’est encore à cette confrérie, dans un
livre de miracles (1510), que l’on doit la première représentation
de la Vierge avec les sept glaives. En action de grâce pour les
miracles on établit une fête à Delft (1° octobre) et à Bruges (13
novembre) où Marguerite d’Autriche
fonda un couvent en l’honneur de Notre-Dame des sept douleurs.
Les artistes
devaient bientôt choisir et traiter avec prédilection le plus
douloureux épisode de la vie de la Vierge, quand le corps de son
fils, détaché de la croix, est déposé sur ses genoux. Les Pieta,
et les Mater Dolorosa abondent et si certains artistes
modernes ont eu plus de virtuosité, ils n'ont jamais atteint à ce
degré d'émotion ; assez souvent, avec une audace que les Primitifs
peuvent seuls se permettre, les sculpteurs ont ramené le corps du
Christ aux proportions de celui d'un enfant, pour montrer que, de la
Crèche au Crucifiement, nous célébrons un profond et même mystère. A
la Vierge, soutenue par saint Jean, personnage central des mises au
tombeau monumentales, les artistes ont su donner une expression de
douleur calme, bien loin du conventionnel.
La dévotion ne
fit que croître. Saint Ignace de Loyola avait un culte particulier à
l’image connue sous le nom de Notre-Dame du Cœur ; de 1603 à
1881, sans compter les traités, les panégyriques et les méditations,
les Jésuites ne publièrent pas moins de quatre-vingt-douze ouvrages
sur cette dévotion aux douleurs de Marie. En 1617, Antoinette
d’Orléans,
aidée par le P. Joseph, fonda les Bénédictines de Notre-Dame du
Calvaire (les Filles du Calvaire).
La fête de la
Compassion, de Notre-Dame des Douleurs ou de
Notre-Dame de Pitié, ou encore de la
Transfixion
de Notre-Dame,
est instituée au concile de Cologne (1423) contre les Hussites
qui désolent les églises et détruisent les saintes images et fixée
au vendredi après le dimanche de la Passion : afin d’honorer
l’angoisse et la douleur qu’éprouva Marie lorsque, les bras étendus
sur l’autel de la Croix, notre Rédempteur Jésus-Christ s’immola pour
nous et recommanda cette Mère bénie à saint Jean (...) surtout afin
que soit réprimée la perfidie des impies hérétiques Hussites.
Cette fête est célébrée pour la première fois à Bruges en 1494, puis
ailleurs ; elle entre en France par Paris, Angers et Poitiers. et
Benoît XIII l'étendit à toute l'Eglise latine (22 avril 1727) elle a
été inscrite au martyrologe par Sixte IV (1471-1484).
Après avoir été
fixée à des dates différentes (on l'a connue en France au 17 mars,
au lundi de la Passion et à la veille des Rameaux), elle est
définitivement marquée au vendredi de la première semaine de la
Passion, avec le titre des Sept Douleurs. Benoît XIII l’étend
à toute l'Eglise latine (22 avril 1727).
La fête de
Notre-Dame des douleurs qui a subsisté dans la liturgie
postérieure à Vatican II, vient des Servites qui l'obtinrent de
Clément IX. Depuis 1668 l’Ordre des Servites commémorait les Sept
Douleurs au troisième dimanche de septembre, ce qu’Innocent XI
leur confirma comme un privilège propre. Adoptée par le Saint-Empire
(1672) elle fut enrichie d'indulgences pour les fidèles par Clément
XI (1704). Rendu à la liberté, Pie VII étendit cette fête à l'Eglise
universelle (18 septembre 1814) ; lors de la réforme du bréviaire
Pie X la fixa au jour octave de la Nativité de Notre-Dame, le 15
septembre (1908). Dans le calendrier festif de Paul VI, la première
fête, celle du vendredi après le dimanche de la Passion, la plus
ancienne, disparut, mais l’on conserva la seconde, celle du 15
septembre.
D'aucuns auraient
bien voulu profiter des bouleversements que nous savons pour rejeter
la Mater Dolorosa, sous prétexte que saint Ambroise affirme :
Je lis qu'elle se tenait debout, je ne lis pas qu'elle pleurât.
L'objection n'est pas nouvelle et Benoît XIV y répondait déjà, au
milieu du XVIII° siècle : Plusieurs autres écrivains ne craignent
point de la dépeindre arrosée de pleurs. Les larmes et les sanglots
ne sont point toujours l'indice d'un courage abattu. Les larmes
de Jésus sur Jérusalem, devant le tombeau de Lazare ou à l’Agonie,
seraient-elles le signe de la faiblesse du Rédempteur ? Au siècle
précédent, le franciscain Ambroise Saxius soulignait : Qu'on
admette les premiers mouvements de la nature, quelques gémissements
modérés et quelques larmes : l'amour ne souffre aucune atteinte, et
la magnanimité conserve toute son énergie. Saint Antonin avait
dit qu'elle se tenait debout, pleurant sans doute et noyée dans
la douleur, mais calme, modeste, pleine d'une réserve virginale.
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