bienheureux
Nicolas ROLAND
Chanoine théologal de Notre-Dame de Reims
prêtre, fondateur
(1642-1678)

Archives
Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims
Manuscrit 5 A

Recueil des Lettres écrites par la main
de Monsieur Nicolas Roland, Théologal,
à plusieurs de ses pénitentes

 

Lettre 23

autre

Je n’ai pas répondu plus tôt à votre lettre, en partie faute de temps, et en partie aussi à cause du retour de P. de Bretagne auquel j’ai cru que vous retourniez; mais comme il m’a dit de vous écrire, et que vous le désiriez, je le fais et le ferai à l’avenir plus ponctuellement, si vous m’écrivez.

Je ne doute point, supposé ce que vous m’avez dit et ce que vous m’avez écrit, que Notre-Seigneur ne vous veuille à Lui, mais d’une manière au-dessus du commun. L’attrait que vous sentez à l’oraison, la facilité à vous y tenir recueillie, le dégoût et l’éloignement des créatures en sont des marques évidentes, et votre état d’infirmité corporelle n’en est pas un moindre signe. C’est à vous à faire valoir ces talents dans toute l’étendue des desseins de Dieu sur vous, n’y mettant pas d’obstacle par vos infidélités, retours sur vous-même, respect humain, etc. ...

Je crois vous avoir déjà donné quelques règles pour votre infirmité; reconnaissez que c’est un grand présent de la main de Dieu, le moyen dont Il s’est servi pour sanctifier plusieurs grandes âmes, un avertissement continuel de vous tenir prête pour aller au-devant de l’Époux et de paraître devant son tribunal, une occasion perpétuelle de renoncer à vous-même, la meilleure espèce de mortification et de pénitence, puisqu’il y a moins de notre propre volonté: ce sont les divers éloges qu’on peut donner à la maladie et qui la doivent rendre chère et précieuse.

Pour la manière de la porter, regardez toujours Dieu, et dans la substance et dans les circonstances fâcheuses qui accompagnent l’infirmité. Ne faites point attention à la créature, mais à Dieu opérant en elle, vous affligeant et vous éprouvant par elle; abandonnez-vous sans réserve à des maladies plus fâcheuses et plus douloureuses; souhaitez que personne ne vous plaigne, qu’on ne vous croie pas si mal que vous êtes, qu’on s’imagine que vous vous flattez, qu’on vous témoigne du rebut pour la longueur de votre infirmité. N’en parlez jamais qu’étant interrogée, et pour lors en deux mots, et comme d’une chose de peu de conséquence. Je ne prétends pas cependant par là vous empêcher, quand il vous surviendra quelque chose de nouveau, de le dire à l’infirmière ou à celle qui a charge de cela, avec simplicité, sans augmenter ni diminuer; mais, cela fait, si on manque à vous soulager, souffrez et vous taisez. Voilà ce que Dieu me donne pour ce qui regarde votre corps.

Pour votre intérieur si vous êtes convaincue que l’oraison ne fait aucun tort à votre santé, je ne trouve pas à redire que vous en fassiez cinq heures, mais je voudrais qu’il y en eût deux d’oraison plus expresse, et que, les trois autres, vous vous gênassiez moins, tant pour l’application de l’esprit que pour la situation du corps, en quoi vous devez vous donner toute liberté; mais il faut que cette oraison qui peut être en quelque manière continuelle, et qui ne doit pas vous empêcher de paraître gaie, tende non pas à des vues de mort et de détachement, mais à une mort et à un détachement effectifs de toutes choses, en sorte que vous vous trouviez dans cette heureuse liberté qui fait que l’âme ne tient plus qu’à Dieu, tout l’extérieur lui étant indifférent.

Prêtez aussi beaucoup d’attention sur la fidélité à l’obéissance, mais à une obéissance simple et aveugle; enfin, travaillez à mourir à votre propre humeur, à tout sentiment de nature, vous souvenant de cette maxime d’un serviteur de Dieu: Il vaudrait mieux mourir qu’agir une seule fois par humeur ou par nature.

Lorsque vous m’écrirez, vous pourrez me mander la manière de votre oraison, comment vous vous trouvez disposée à l’égard de ce que je vous mande, et quels sont les défauts que vous croyez s’opposer le plus en vous à l’établissement du Royaume de Dieu.

Si vous avez quelque chose à demander qui demande une prompte réponse, vous le pouvez faire sur un papier que je puisse vous renvoyer, laissant, entre chaque demande, de l’espace pour écrire deux lignes.

Je vous prie de vous ressouvenir de mes misères devant Notre-Seigneur et de Lui recommander deux affaires importantes à sa gloire et au bien des âmes. C’est en son saint amour que je suis pour jamais tout à vous.[24]

Lettre 24

autre

J’ai reçu la lettre que vous m’avez adressée. Vous avez raison de croire que Notre-Seigneur demande de vous une grande séparation des créatures, beaucoup de silence, beaucoup de solitude, une mortification exacte en toutes choses, et une profonde humilité, tant intérieur, vous estimant très misérable et très digne de mépris, qu’extérieure, vous humiliant à l’égard de toutes vos Sœurs, aussi bien à l’égard des inférieurs que des Supérieurs.

Je vous exhorte derechef beaucoup au silence même pendant les récréations, parlant le moins que vous pourrez, et élevant votre esprit à Dieu quand on tiendra des discours qui pourraient vous dissiper, c’est-à-dire, en un mot, qu’il faut tenir votre esprit le plus que vous pourrez désoccupé de toutes les créatures, afin qu’il soit disposé à recevoir les impressions de votre divin Époux qui est jaloux et qui demande notre cœur tout entier.

Souvenez-vous d’abréger les entretiens du parloir; faites vos lectures dans les fondements de la vie spirituelle, continuant aussi la vie de sœur Marguerite. Mais ne lisez pas en courant, à votre ordinaire. Lisez toujours le même chapitre deux fois de suite et, quand vous aurez achevé le livre, vous le recommencerez une seconde fois pour arrêter votre avidité et votre curiosité qui demandent toujours quelque chose de nouveau. Arrêtez-vous aussi en lisant, de temps en temps, pour goûter et vous appliquer ce que vous aurez lu.

La séparation des créatures, que Dieu veut de vous, demande que vous n’écriviez de lettres que dans la dernière nécessité; c’est pourquoi vous n’écrirez à personne au nouvel an. Vous pourrez envoyer dire à vos tantes que vous vous recommandez à leurs prières, et que vous ne les oubliez pas devant Notre-Seigneur.

Je sais assez l’amour-propre, l’inquiétude et la complaisance qu’on les personnes de votre sorte à écrire des lettres; prenez garde même à cela dans celles que vous m’écrivez. Mandez les choses tout simplement, sans vous soucier qu’il y ait de la suite. Je vous défends de faire une copie, quand même tout serait plein de ratures. Ne laissez pas de m’envoyer ces lettres, les plus brouillées sont celles que j’aimerai le mieux, parce qu’il y aura plus d’humiliation pour vous.

Écrivez-moi tous les mois, après votre rénovation du mois. Marquez vos principales fautes et votre disposition. Vous n’avez qu’à m’écrire comme je vous écris, sans mettre Monsieur et sans signer, comme aussi le nom de la ville, afin que si vos lettres s’égaraient, on ne sût pas qui les a écrites. Je le reconnaîtrai bien.

La sainte Pauvreté, que vous devez chérir comme la prunelle de vos yeux, ne veut pas que vous fassiez de présents, si petits soient-ils. Aussi, ne donnerez-vous rien pour les étrennes, quoi qu’on puisse dire. C’est en cela que j’éprouverai votre fidélité. Mais, afin que vous ne pensiez plus à cela, il faut, aussitôt que vous aurez reçu cette lettre, faire une revue, dans votre cellule, de tout ce que vous pouvez avoir à donner, et ne vous coucher, ce soir-là, que vous n’ayez remis le tout entre les mains de votre maîtresse, ou que vous n’ayez tout donné, avec sa permission, à votre N...; et, dorénavant, prescrivez-vous ces deux règles qui; serviront beaucoup à votre perfection: ne rien recevoir et ne rien donner, cela s’entend sans en avoir la permission expresse de celui qui vous conduira.

Dites à N... qu’elle ne vous envoie rien; renvoyez généreusement à N... ce qu’elles vous enverront, sans vous soucier de ce qu’on en pensera. Ce sacrifice que vous ferez à Notre-Seigneur, contre votre inclination, Lui sera très agréable. Vous pouvez témoigner, civilement, que vous n’avez besoin de rien, et que vous seriez embarrassée de ce que ces personnes vous enverraient, ne sachant qu’en faire. Si N... vous envoie quelque chose, vous lui renverrez, comme aux autres; mais vous me manderez si elle l’a fait et ce qu’elle aura envoyé.

Ne gardez rien dans votre cellule, pas même une image. Vous ne sauriez croire combien l’exactitude dans la sainte pauvreté vous apportera de paix et vous attirera de grâces de Notre-Seigneur. N’oubliez pas de la demander.[25]

Lettre 25

autre

Vous pouvez continuer à lire Rodriguez: leTraité de la conformité à la volonté de Dieu, auquel vous pourrez ajouter ensuite celui de la Présence de Dieu qui est du même auteur, comme aussi ce qui est dans Les exercices du chrétien intérieur, touchant ces deux exercices. Et quand vous aurez lu ces choses à loisir, vous reprendrez la vie de la Sœur Marguerite et vous lirez les fondements de la vie spirituelle.

Il faut remercier Dieu de la diminution que vous reconnaîtrez dans la mauvaise habitude... et travailler, avec un nouveau courage, à l’acquisition de la vertu de silence contre laquelle vous manquez si souvent. Si vous acquerrez l’habitude de la présence de Dieu, cela servira à vous récolliger et à vous faire garder le silence comme aussi à chasser les distractions que vous avez en l’oraison.

Voici une nouvelle année qui va commencer. Il faut tâcher de mener une nouvelle vie. Le temps est la chose du monde la plus précieuse, puisqu’il n’est point de moment auquel nous ne puissions acquérir un nouveau degré d’amour de Dieu, une nouvelle grâce et, par conséquent, un nouveau degré de gloire dans le Ciel. Tâchons d’en profiter et de n’en pas laisser passer un moment sans tendre à Dieu de toutes nos forces.

Je vais commencer une espèce de retraite jusqu’au Carême. C’est pourquoi vous ne m’écrirez point ici à ce temps-là, à moins qu’il n’arrive quelque chose de fort extraordinaire. Ne manquez pas de prier Notre-Seigneur pour moi et de Lui demander, tous les jours, à la Messe et dans les communions, ma parfaite conversion.[26]

Lettre 26

autre, à une Religieuse

Vous pouviez, sans le jeter au sort, vous déterminer à écrire ou non dans la vue de Dieu. Ce n’est pas à moi à vous déterminer à prendre un directeur ou non, il faut que ce soit Dieu qui le fasse; beaucoup moins à vous déterminer à moi, parce que les directeurs doivent attendre de la Providence les âmes qui leur sont adressées, sans s’ingérer d’eux-mêmes dans leur conduite.

Je vous dirai seulement deux choses: la première est que la direction semble être si nécessaire pour avancer dans la vie spirituelle, qu’on ne s’en doit pas priver, à moins qu’il n’y ait une espèce d’impossibilité de trouver une personne qui ait rapport à notre grâce; la seconde, que vous me paraissez être une des âmes qui ont le besoin de direction.

Quoiqu’il vous semble avoir une douleur suffisante des péchés véniels ordinaires que vous confessez, vous ne devez pas cependant vous y fier tout à fait, et c’est un très bon conseil, pratiqué par presque toutes les âmes qui ne commettent que des péchés véniels d’infirmité ou de faiblesse, que d’ajouter un péché passé dans lequel on ne retombe plus; cela peut servir à humilier, et sert toujours à assurer la validité de la confession.

Je crois qu’ayant sur vos fautes la lumière que vous me marquez, vous pouvez faire votre examen en fort peu de temps. Vous avez raison de remarquer qu’au moment où vous avez été infidèle, une faute attire une autre, que la lumière diminue, et que Dieu vous fait connaître, dès le moment que vous êtes tombée, quoique dans des fautes qui semblent petites, qu’Il veut que vous retourniez à Lui incontinent.

Vous ferez très bien de tâcher, dans les conversations, de mourir de plus en plus à vous-même, ne disant pas les choses qui pourraient vous faire paraître. Il faut cependant que cela se fasse sans trop de gêne et d’inquiétude, sans devenir à charge aux autres par notre trop grand silence, la charité nous obligeant à contribuer à une conversation chrétienne et religieuse, cela s’entend après le repas et aux heures seulement qui sont destinées à la récréation. Je dis qu’on est obligé, quand on se trouve dans ces temps, à une conversation religieuse, car, quand elle devient profane et mondaine, vous n’êtes plus obligée à y contribuer, et c’est ce qui me fait vous dire que si l’obéissance vous oblige à rester l’après-dîner avec votre communauté, vous ferez très bien de vous retirer en vous-même, le plus que vous pourrez, et de vous retirer même, si vous le pouvez, en un lieu d’où vous n’entendrez point les discours séculiers et les nouvelles que vous me marquez, d’autant qu’il n’est que trop vrai que les idées de ces sortes de choses nuisent beaucoup aux âmes que Dieu appelle à la pureté de son amour, et qui sont encore tendres comme est la vôtre.

Si vous n’avez pas assez de générosité pour dire vos sentiments sur certaines choses aux personnes qui sont au-dessus de vous, vous devez au moins vous abstenir d’approuver ou de donner lieu de croire, par une certaine manière d’agir, que vous approuvez des choses qui seraient contre la régularité ou la perfection. Il vaut beaucoup mieux vous exposer à être mortifiée, et vous devez tellement vous remplir l’esprit que Dieu est le Seul que vous devez contenter, que toutes les réprimandes des créatures ne vous touchent qu’autant que vous croyez y avoir donné sujet devant Dieu. En sorte que ces mortifications, bien loin d’être appréhendées, doivent faire votre joie, lorsqu’elles vous arrivent sans votre faute, ou pour la défense de la justice.

Il faut que vous tâchiez de simplifier votre esprit qui est beaucoup trop raisonnant et trop réfléchissant. Lorsque l’on fait une chose qui de soi-même est bonne, et qu’on l’a entreprise dans la vue de Dieu, il ne faut pas que les pensées de vanité qui peuvent venir dans la suite empêchent de la continuer. Saint Bernard répondait, en cette occasion, à ces sortes de pensées: “Je n’ai pas commencé cette bonne œuvre pour toi, je ne la quitterai pas aussi pour toi”.

Vous pouvez simplement parler de l’oraison, lorsque vous jugez que cela est utile aux autres ou à vous-même, et pour les pensées de vanité que vous avez, chassez-les comme des mouches.

A Dieu. Priez pour moi et souvenez-vous qu’il faut bien du vide dans une âme, afin que Dieu y fasse la plénitude; que votre Époux est jaloux, et que  la moindre infidélité blesse ses yeux divins; enfin, que le Royaume de Dieu ne consiste ni en pensée, ni en parole, mais dans la fidélité, la violence continuelle à ses inclinations, dans la désoccupation de toute créature, dans le renoncement à soi-même et dans l’amour pour les trois chères compagnes du Sauveur: la pauvreté, le mépris et la douleur.

Lettre 27

autre, à une Religieuse de l’Ordre de Saint-Augustin

Ma chère Sœur, je crois que pour vivre dans l’esprit de la profession religieuse où vous avez le bonheur d’être engagée, vous devez entièrement vous séparer et vous vider de l’esprit du monde, de l’affection avec les parents, et entrer dans une grande haine de vous-même en ne vous pardonnant rien sur ce qui peut entretenir en vous l’amour-propre.

Ainsi, cette personne que vous savez ne pouvoir servir à votre perfection, mais bien plutôt vous en retirer par l’attache que je remarque en vous pour ces entretiens, je vous exhorte, par les entrailles de Jésus-Christ, notre commun Maître, de ne la plus fréquenter davantage, et de ne pas me cacher les entrevues que vous pourriez avoir avec elle, car ce serait un très grand dommage pour votre avancement spirituel.

Pour le silence, vous ne pouvez le rompre sans une grande infidélité, joint au scandale que vous donneriez. C’est pourquoi, soyez fidèle sur cet article.

Pour ce qui regarde le livre auquel vous dites ne pas prendre de goût en le lisant, vous le lirez sept fois de suite, avec attention et fréquentes pauses, pour vous apprendre à ne pas vous rechercher dans les moyens dont vous vous servez.

Croyez, ma chère Sœur, que notre bon Dieu mérite bien plus que vous ne pouvez faire, et ce que nous pouvons faire ne s’étend pas si loin que Dieu mérite. C’est ce qui vous doit exciter à ne vous épargner en rien. C’est dans cette fidélité que je vous exhorte à vivre et désirer que vous mourriez. Je suis tout à vous.[27]

Lettre 28

autre, à une Religieuse, sa pénitente, où il l’instruit sur la pratique de l’humilité

Ma chère Sœur, évitez, autant qu’il vous sera possible, d’être connue, et ne souffrez qu’avec peine d’être en réputation, considérant que c’est contre toute justice et raison que l’on vous estime. Estimez-vous si vile à vos propres yeux que l’on vous méprise comme la boue des rues. Cachez tout ce qui vous peut faire estimer; demeurez dans le silence; désirez le dernier lieu parmi les créatures, quelles qu’elles soient; souhaitez de passer pour vile dans tous les esprits, selon la parole de Notre-Seigneur: « Quand vous serez assis à table, cherchez la dernière place. »

Pour vous exhorter à cette carrière, considérez souvent les sujets qui vous portent à cette pratique d’humilité: votre néant en qualité de créature, les péchés passés et les infidélités présentes, la colère de Dieu que vous avez souvent irrité, l’enfer que vous avez mérité.

Estimez-vous donc la plus imparfaite de toutes vos Sœurs. Cherchez les plus bas emplois de la maison; souvenez-vous qu’une âme religieuse doit tendre à ce que sa mémoire périsse en la terre; puisqu’elle est morte au monde, sa vie doit être cachée en Die avec Jésus-Christ. C’est en son amour que je suis tout à vous.

Lettre 29

une autre, à une Religieuse, où il lui donne des principes pour son avancement spirituel

Ma chère Fille, il faut souvent considérer: 1 — la petitesse de la créature pour s’en désoccuper; 2 — notre propre misère et bassesse pour nous humilier; 3 — apprendre à connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa vie, ses paroles et ses mystères pour nous en remplir; 4 — les perfections de Dieu pour nous unir à Lui.

Quand vous voyez quelque personne qui fait des fautes, vous devez: vous humilier, considérant que si Dieu lui faisait le quart des grâces que vous en recevez, et s’Il lui donnait autant de lumières qu’à vous-même, elle en ferait un tout autre usage; remercier Dieu de ce qu’Il vous préserve de les commettre, étant certaine que, s’Il vous laissait à vous-même, vous en commettriez cent fois plus; prier Dieu pour elle.

Faire souvent réflexion sur ces trois mots: fidélité, violence et gémissement.

1 — Soyez fidèle à Dieu, aussi bien dans les petites choses que dans les plus grandes;

2 — Faites-vous violence pour être fidèle, et comme on ne peut être fidèle et se faire violence si Dieu ne nous assiste de sa grâce, pour l’obtenir;

3 — Il faut gémir par l’oraison.

Regardez Dieu seul en toutes choses, et toutes choses en Dieu.

Aimez Dieu en tout et par-dessus tout, et n’aimez rien que pour Lui.

Ne cherchez, ne souhaitez et ne vous attachez à rien d’autre qu’à la volonté de Dieu. Tâchez de l’accomplir parfaitement. Rendez-vous indifférente pour tout le reste. A mesure que l’on est abandonné au bon plaisir de Dieu et conforme à sa sainte volonté, on avance en sainteté.

Toute notre perfection consiste à aimer Dieu, et si vous me demandez quel est le plus grand saint dans le ciel, on vous répondra que c’est celui qui a le plus aimé Dieu. Aimez-Le donc de toutes vos forces et jusqu’à vous dessécher, pour ainsi dire, à force de L’aimer. Il est si aimable, si peu connu et si peu aimé, si persécuté, si méprisé par les mœurs et les maximes des mondains! Aimez-Le donc pour tous ceux qui ne L’aiment point. Je suis tout à vous.[28]

Lettre 30

une autre, à la même, sur le sujet de la Communion, en forme d’avis, et quelques principes pour son avancement

Ma chère Sœur, les enfants ont besoin de plus de nourriture que les grandes personnes. C’est dans ces sentiments que vous devez souvent communier, afin de croître. Faites-le donc autant de fois que vous pourrez en obtenir la permission. Quand on vous la refusera, adorez la divine Justice qui ne veut pas se prodiguer en se donnant à une si indigne créature. Lorsqu’on vous l’accordera, louez et bénissez la divine Bonté.

Rendez-vous paisible à laisser Dieu agir en vous. Ne vous occupez pas tant de vos misères, mais plongez-les dans le Sang précieux de Jésus-Christ. Ne vous en étonnez point, puisque c’est le propre du noir de noircir, et de la boue de salir.

Abandonnez-vous à la conduite de Dieu; allez à Lui avec beaucoup de simplicité, sans retour sur vous-même; ne faites pas de réflexions sur vos gains et sur vos pertes.

Tendez à la plus haute et sublime perfection, non en vue de l’excellence de la perfection, mais parce que Dieu le veut, avec une intention pure de Lui plaire, sans aucun intérêt propre. Tâchez de détruire de plus en plus tout ce qui tient en vous de la vie du vieil Adam.

À chaque heure du jour, lorsque vous vous en souviendrez, faites réflexion sur ces deux mots: fidélité et pureté. Fidélité à tout ce que Dieu demande de vous, pureté pour le faire avec le plus de perfection que vous pourrez. Je suis tout à vous.[29]

Lettre 31

autre, à une Religieuse de la Congrégation de Notre-Dame, Religieuse qui était fort inquiétée de pensées de réprobation

1674

Je ne puis vous plaindre de l’état où Notre-Seigneur vous met. Je crois qu’Il veut vous sanctifier par les mêmes choses qui paraissent vous éloigner si fort de la perfection.

Croyez-moi: ceux que Dieu réprouve effectivement n’appréhendent guère la réprobation; et la crainte que vous en avez est une marque qu’il n’en sera rien.

Il faut cependant porter cet état et ces peines tant qu’il plaira à Celui qui veut vous purifier par cette voie. Soyez seulement fidèle à tout l’extérieur: oraison, lecture, silence privation et éloignement des créatures, n’y cherchant point votre soulagement dans les angoisses qui peuvent vous serrer le cœur, et tout ira bien.

Si vous pouvez obtenir la permission de communier trois fois sans le dimanche, au lieu de deux, faites-le, quelque peu d’attrait que vous y sentiez. C’est ce que je crois vous devoir dire en attendant que je vous parle.

Quelque misérable que vous soyez, je vous prie de demander pour moi à Notre-Seigneur qu’Il Lui plaise de me faire la grâce de ne me pas perdre en travaillant au salut des autres et de pratiquer moi-même ce que je leur enseigne, etc. ... Je suis tout à vous.[30]

Lettre 32

autre, à une Religieuse du même Ordre

8 juillet 1676

Ma chère Sœur, je vois vos dispositions par votre lettre du 3 du courant. Il est bon que vous conserviez, le plus qu’il vous sera possible, cette vue et ce sentiment de l’énormité des moindres fautes, puisque c’est la vérité qu’il n’y a point de petite faute contre un Dieu si grand, si bon pour tous les hommes, et qui vous a prévenue de tant de faveurs. Je ne doute point qu’Il ne veuille continuer, et qu’Il ne prenne en vous ses délices si vous Lui êtes fidèle. Si, d’un côté, vous ressentez l’énormité des moindres fautes et que, de l’autre, vous ne laissiez pas d’y retomber, c’est le mélange de la fille d’Adam avec la fille de Jésus-Christ qui est en cause.

Ne vous troublez pas de ce chagrin que vous ressentez quelquefois de vous voir trop pressée et portée, ce vous semble, à une fidélité trop exacte par la multitude des mouvements et inspirations; cette disposition est plutôt une matière de victoire qu’elle n’est criminelle.

Je ne crois pas que vous deviez faire le vœu dont vous me parlez. Le vœu n’est que pour arrêter l’inconstance du cœur humain. Or, il faut que le pur amour vous tienne lieu de tous les vœux que vous pourriez faire.

Ne perdez point l’occasion de vous humilier, et si vous vous échappez à l’égard de cette vertu, ayez les genoux souples pour faire satisfaction à celle devant qui vous auriez pu vous oublier.

Je trouve bon que vous fassiez votre retraite, que vous vous serviez du livre de l’abjection, que vous fassiez quatre heures d’oraison et vous donniez la discipline tous les jours, supposé que votre santé le puisse porter, que vous communiiez tous les jours, supposé que votre Supérieur vous le permette, et, pour la lecture, vous pourrez choisir entre « L’Imitation » et « Le Chrétien intérieur », et « l’Introduction à la vie chrétienne » de Monsieur Olier.

N’oubliez pas de demander, avec un peu d’insistance, ma sincère conversion à Notre-Seigneur. Il travaille, ce me semble, au dehors en bien des manières pour me convertir à Lui, mais j’en fais un usage très déplorable. C’est en son saint amour que je suis, pour jamais, tout à vous.[31]

Lettre 33

autre lettre

Il semble, ma chère Fille en Notre-Seigneur, qu’il y ait eu une providence qui m’ait empêché de répondre plus tôt à votre lettre, nonobstant toute l’inclination que j’avais de le faire.

Si vous n’avez pas encore fait votre retraite, commencez-la au plus tôt. Vous pourrez prendre, pour vos sujets d’oraison, l’Être de Dieu qui est tout, et le néant de toutes créatures.

L’amour et les preuves de l’amour de Dieu envers nous, l’unité de regard que nous devons avoir vers Lui, et les autres sujets qui portent l’âme à la séparation des créatures et à l’union avec Dieu, me semblent plus propres pour vous. Un seul sujet pourrait vous servir pendant plusieurs jours. Prenez, pour vos lectures, ce qui porte l’âme à la séparation de tout créé, etc. ...

Il est bon que vous continuiez à vous désoccuper de toutes les créatures et de vous-même plus que de tout le reste; mais il faut, en même temps, que vous portiez avec résignation l’opposition et la peine que vous y ressentez, suit qu’elles viennent de la malignité de votre nature, de l’artifice du démon, ou d’une opération et permission de Dieu même.

Continuez à recommander nos affaires et ma conversion à Notre-Seigneur et me croyez pour jamais, dans son saint amour, tout à vous.[32]

Lettre 34

à une Religieuse, sur la mort d’une amie. C’était une Religieuse que M. Roland dirigeait.

J’ai reçu, hier, la nouvelle que vous m’avez donnée de la mort de notre chère Sœur N., dans le moment où, contre ma coutume, j’allais célébrer fort tard la sainte Messe. Je l’offris pour elle; j’ai continué aujourd’hui et je continuerai à le faire.

J’ai ressenti cette mort comme on doit ressentir celle des prédestinés. Puisqu’il nous est permis de regretter d’être privés de leurs exemples et de demeurer après eux dans cette vallée de larmes. Mais j’avoue que, repassant en mémoire ce que je sais de cette bonne âme, je me suis consolé facilement, croyant qu’elle était un fruit mûr pour le Ciel, qu’elle y serait notre médiatrice auprès de son Époux, et que nous n’avions qu’à nous rendre dignes de la suivre.

C’est pour les religieuses qui lui ressemblent qu’on peut mettre des éloges dans les lettres-circulaires, lesquelles, par un abus presque général, sont aussi avantageuses pour les lâches que pour les plus ferventes.

J’ai toujours eu une affection particulière pour cette âme, depuis que j’ai eu le bien de la connaître, et cette affection était fondée sur une très grande innocence et pureté de vie, jointes à une très grande ferveur qui était en elle.

Je prie Dieu de mourir d’une mort semblable à la sienne, et quoique j’offre pour elle le saint Sacrifice, je ne laisse pas de lui demander, maintenant qu’elle est dans le lieu de la lumière et qu’elle connaît nos misères, qu’elle m’obtienne la grâce d’une sincère conversion.

Je vous prie de demander à Dieu la même chose et d’offrir, à cet effet, vos communions depuis le dimanche de Quasimodo jusqu’au troisième dimanche après Pâques, parce que je crois que je serai en retraite en ce temps-là.

Je ne doute point que le souvenir de cette chère âme qui nous a été enlevée si inopinément ne vous donne un nouveau courage pour vous disposer, de plus en plus, à la venue de l’Époux, mourant à tout le créé pour vous perdre dans l’incréé. C’est le fruit que je désire que vous en tiriez.

Je me recommande aux fidélités de la Mère N. et à celles de la Sœur N... Je suis à vous toutes dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.

N. R. P. I.

Lettre 35

à une autre, de Paris

Ma très chère Fille en Notre-Seigneur, je vous écris ce mot par la charité dont je suis animé pour le bien de votre âme, et par l’autorité que vous me donnez vous-même sur votre conduite.

Je vous avoue que je n’ai pas été satisfait de votre peu d’avancement, depuis un grand moment, de vous voir si peu correspondre aux desseins de Dieu sur vous. Rentrez en vous-même et vous souvenez de la sainteté de votre état et profession. Ne vous laissez pas aller à une piété de boutade et de saillies, mais vivez dans une grande abnégation de vous même.

Ne jugez et ne condamnez personne. Laissez-vous juger et condamner par les autres, mais en silence, et par hommage aux desseins de la Providence. Mon Dieu! quand comprendrez-vous combien vaut, devant Dieu, le mépris des créatures! Quoi donc? La grâce ne sera-t-elle pas la maîtresse? Ne vous souvenez-vous pas qu’une seule grâce vaut le Sang d’un Dieu? J’attends cela de vous, et que vous ne fassiez plus le personnage de maîtresse, comme si vous étiez quelque chose, mais celui de disciple et d’humble épouse de Jésus-Christ. C’est dans son amour crucifié que je suis tout à vous.[33]

Lettre 36

à une autre de ses pénitentes

Ma très chère Fille, pour répondre à vos désirs sur la sainte oraison, dont vous souhaitez que je vous instruise pour le bien de votre âme, en satisfaisant l’inclination que j’ai pour votre avancement spirituel, je vous exhorte à ce saint exercice comme à un des moyens les plus efficaces de la perfection, où je connais que votre âme est appelée, et pour y bien réussir préparez-vous-y par un esprit de sacrifice de vous-même.

Prenez un sujet qui soit proportionné à vos besoins que je crois être d’abord les quatre dernières fin de l’homme. Commencez par vous mettre en la présence de Dieu, demandez-Lui la grâce de bien faire l’oraison, repassez souvent, au moins au commencement, le sujet que vous voulez méditer, toutefois sans vous inquiéter ne vouloir emporter à force de tête le ressouvenir de ce que vous avez lu, mais tirez les affections suivant vos besoins, descendez en vos besoins particuliers, détaillez les désordres de votre vie et voyez encore en quoi vous vous rendez coupable, pour le présent, devant la Majesté de Dieu, et de ce qui domine en vous. Concluez toujours par la reconnaissance envers Dieu de quelque bien particulier. Faites toujours quelques résolutions positives sur vos manquements ou sur la vertu qui vous manque le plus. Prévoyez aussi, avant de sortir de l’oraison, les combats que vous aurez à soutenir, ce jour-là, contre vos trois ennemis, je veux dire contre la chair, le monde et le diable.

Prévoyez aussi vos affaires pour demander à Dieu la grâce de vous sanctifier dans les exercices de votre état; ne changez pas de matière d’oraison de vous-même. Proposez-vous de conserver la présence de Dieu tout le reste du jour, autant que vos affaires et la faiblesse humaine le peuvent permettre. Chassez les distractions avec fidélité, mais sans vous en inquiéter. Défiez-vous de vous-même dans vos résolutions, mais confiez-vous à Dieu.

Si vous vous sentez touchée des vérités que vous méditez, arrêtez-vous-y tant que l’attrait durera, sans vous mettre en peine d’aller plus avant. Quand vous serez attaquée par des sécheresses, tenez-vous devant Dieu en esprit de criminelle qui satisfait à la divine Justice, pour vos égarements passés et pour la dureté de votre cœur envers Dieu, lui ayant refusé vos affections pour les donner aux créatures.

Voilà ce que je crois vous être nécessaire pour bien entreprendre et pour suivre cet exercice qui nous met dans l’emploi des Anges quand nous y sommes fidèles. C’est ce que je vous souhaite en l’amour de Jésus en qui je suis tout à vous.[34]

Lettres diverses[35]

A une autre

Vous direz à N... qu’elle doit soupirer et aspirer à l’amour de Dieu, pour effacer tous ses péchés et pour consommer sa vie en esprit d’holocauste, de sacrifice et de victime du divin Amour, si c’est la volonté de Notre-Seigneur de l’appeler à Lui: ce qu’il ne faut point lui déguiser, de sorte que si elle n’était pas entièrement informée du péril où elle est, la charité vous oblige à le lui faire connaître.

Dites-lui aussi que je me recommande à ses prières, et qu’elle demande à Dieu ma sincère conversion. Je suis en l’amour de Jésus tout à vous.[36]

N. R. P. I.

À un de ses disciples

Il est bon que la vue de votre indignité vous retire des saints Ordres; mais il est encore meilleur que vous renonciez à votre propre volonté, vous en approchant par obéissance, et que vous ne vous laissiez pas aller à votre humeur et à vos scrupules qui ont plus de part à votre délai qu’une véritable humilité.

Donnez-vous donc à Notre-Seigneur, pour qu’il soit Lui-même votre supplément aux qualités qui vous manquent pour ce ministère redoutable, et mettez l’application de votre esprit à vous y préparer avec une nouvelle fidélité, prenant à tâche, sur toutes choses, de ruiner l’humeur qui vous possède et qui vous entraîne. C’est là l’ennemi présent sur lequel vous devez porter plus d’attention que sur les maux passés.

Vous entendez bien que je veux dire que vous laissiez une certaine nonchalance, paresse et dandinerie qui vous tient à l’égard de certaine chose; que vous gardiez fidèlement votre ordre pour l’emploi du temps et l’approche des sacrements. C’est la volonté de Dieu sur vous, et c’est en ce saint amour que je suis, pour jamais, tout à vous.[37]

De la présence de Dieu et des oraisons jaculatoires

Si vous voulez faire un efficace progrès en la vertu et parvenir à une familière conversation avec Dieu, tâchez de cheminer toujours en Sa présence, vous persuadant que Dieu vous dit ce qu’il dit autrefois à Abraham: « Marche devant Moi et sois parfait », c’est-à-dire que si tu chemines en Ma présence, faisant tes œuvres pour l’amour de Moi, et comme devant Moi, pour me plaire avec intention droite, tu seras parfait.

Or, afin que vous affectionniez ce souverain exercice, prenez garde que Notre-Seigneur vous dit ces paroles, parlant au secret de votre cœur: Ayez mémoire de Moi et Je me souviendrai de vous. Tâchez de faire vos actions en pensant à Moi, et que Je vous regarde, et J’aurai soin de vous diriger pour votre avancement.

C’est ainsi que pratiquait l’Épouse des Cantiques, lorsqu’elle disait: « Je regarde mon Bien-Aimé, et il me regarde aussi; je suis attentive à Le considérer et Lui à me voir; moi, à cheminer en sa présence pour Lui plaire; et Lui à conduire mes voies, afin que je Lui sois entièrement agréable. »

Notre père saint Augustin désira de graver en nos cœurs la mémoire de la présence de Dieu; il dit que comme il n’y a aucun moment de temps auquel l’homme ne ressente des effets de la Miséricorde de Dieu, de même il ne doit laisser écouler le plus petit moment sans l’avoir présent en sa mémoire.[38]

N. R. P. I.

Divers moyens par lesquels nous devons regarder Dieu présent

Le premier moyen, c’est d’élever le cœur et les yeux de l’âme au ciel, pour y regarder la Majesté de Dieu qui se manifeste si glorieusement en cette Jérusalem céleste.

Le deuxième, Le regarder auprès de nous, comme le spectateur de toutes nos actions, paroles, pensées, et le témoin de tous nos déportements.

Le troisième, Le regarder selon le besoin que vous en avez. Si vous êtes malade, regardez-Le comme votre médecin; si vous êtes ignorante, regardez-Le comme une lumière qui vous éclairera et vous instruira; si vous êtes tiède, regardez-Le comme un feu d’amour infini qui vous embrasera; si vous êtes affligée, regardez-Le comme votre consolation; si vous êtes faible et languissante, regardez-Le comme votre force et votre soutien. Car Dieu est tout cela pour vous.

Suivant cela, en quelque lieu que vous entriez, soit en la Communauté, soit au dortoir, au réfectoire, au parloir et au jardin, et dans tous les autres lieux, ayez toujours cette pensée: Dieu est ici; Il remplit ce lieu de son immensité. Cette façon de parler et de marcher en la présence de Dieu est très utile et grandement profitable; car, qui oserait Lui déplaire, se voyant devant Lui, environné de sa toute-puissance, de sa sagesse, de sa miséricorde et de sa justice...

Le quatrième moyen, encore nécessaire pour vous faciliter cette pratique est la retraite et le silence extérieur et intérieur. Tâchez donc que vos sens soient toujours fermés à tout ce qui n’est pas Dieu, ôtant de votre esprit tout soin d’autrui, et de tout ce qui ne vous est pas commis. Demeurez dans une entière volonté d’ignorer tout ce que les autres disent, ou font, ou pratiquent; n’ayez des yeux que pour voir Dieu.

Que si la gloire du Paradis consiste à voir continuellement Dieu, et jouir d’une tranquillité et d’un repos parfaits, de même, l’âme qui s’habituera à voir et regarder Dieu dans toutes ses actions, cheminant toujours en sa présence, avec un oubli de tout ce qui n’est pas (Dieu), ou pour (Dieu), sera le vrai portrait d’une âme bienheureuse.[39]

Des oraisons jaculatoires

L’exercice des oraisons jaculatoires vous aidera grandement à vous conserver en la présence de Dieu, et à vous maintenir en une ferme et stable récollection intérieur. Ce grand Dieu est si bon aux âmes qui L’aiment et qui Le servent avec un cœur libéral et plein de bonne volonté, qu’un petit soupir qu’elles élancent vers Lui, en quelque lieu et rencontre que ce soit, leur attire des grâces. Oh! quel contentement pour une âme qui aime à converser avec son Dieu et qui Lui fait entendre ses soupirs et ses désirs! Je vous conseille et recommande fort ces oraisons jaculatoires, et de vous en rendre l’usage fréquent.

Pour vous en faciliter la pratique, dès le soir choisissez-en quelques-unes pour la journée suivante, et faites qu’elles soient votre dernière pensée du même soir, et votre première de votre réveil du matin.

Vous pourrez vous servir des aspirations suivantes, ou de quelques autres, suivant vos besoins:

— Mon Dieu et mon Tout! Grand Dieu, tirez mon cœur vers Vous !

— Dieu de mon cœur, faites que je Vous aime !

— Grand Dieu, que Vous êtes bon et miséricordieux !

— Mon bon Sauveur, faites-moi miséricorde !

— Mon doux Jésus, sauvez votre pauvre servante !

— Mon Dieu, je désire Vous aimer de tout mon cœur !

— Ah! Dieu de mon cœur, quand aimerai-je la peine et la confusion, autant que j’aime le plaisir et l’honneur...

— Mon Dieu, plutôt mourir que de Vous offenser !

Vous en pourrez former d’autres, suivant que l’Amour, la dévotion et la ferveur vous suggéreront, ou que vous jugerez plus conformes à vos besoins.[40]

Lettre
de Monsieur Nicolas Roland,
Théologal,
de Notre-Dame de Reims,
au Carmel de Beaune

— A la Révérende mère Thérèse de Jésus, sous-prieure du monastère des Carmélites de Beaune.

[Reims 1676]

Ma Révérende mère, que l’amour du Saint Enfant-Jésus et de sa sainte Mère soit toujours dans nos cœurs.

Je vous suis si obligé, à votre Révérende Mère et à toute votre Communauté, du beau présent qu’il vous a plu me faire, que je n’ai point de paroles pour vous exprimer la reconnaissance de mon cœur. Je prierai donc le Saint Enfant qu’il soit lui-même mon remerciement et encore plus qu’il soit votre récompense. Son image a été trouvée admirablement belle et je l’ai reçue sans qu’il soit arrivé d’accident, qu’un peu d’ordure attachée sur son visage, qu’on a ôtée facilement. Vous l’aviez si proprement accommodée qu’il ne pouvait pas se gâter. J’espère établir en cette ville une confrérie[41] en son honneur où on l’exposera tous les 25e...[42]

Elle est à présent dans un oratoire qui lui était préparé depuis longtemps, mais pour la placer avec plus de décence, je fais faire une niche de sculpture qui sera toute dorée, de laquelle je vous enverrai le dessein. On lui donnera aussi une couronne et un sceptre d’argent et une robe de brocart d’or afin qu’il n’ait pas sujet d’envier la condition de son petit frère qui est chez vous, quoiqu’en qualité d’aîné et d’original. Je crois que le vôtre sera beaucoup plus riche. J’ai rendu votre présent à ma sœur[43] qui a envoyé le manteau à la sainte Vierge; elle l’a reçu avec bien de la joie, elle vous en remercie bien cordialement. Je vous conjure, votre Révérende mère et toute votre Communauté, de ne me pas oublier devant le Saint Enfant et au tombeau de son épouse. Priez-Le aussi, je vous en prie, qu’il me fasse quelque part des vertus de son enfance et qu’il lui plaise répandre la dévotion à cet aimable état de sa vie et l’imitation de ses vertus dans les cœurs de fidèles de ce pays. Je me promets qu’il produira cet effet par sa sainte image que vous m’avez envoyée, si vous me secourez de vos prières, m’imaginant que votre monastère pourrait être appelé l’origine et le berceau de la dévotion à l’Enfance du Fils de Dieu en France. Tout ce qui en vient a vertu particulière pour porter à cette dévotion.

Souvenez-vous donc toujours, ma Révérende mère, des misères d’un pauvre pécheur, qui ose néanmoins se dire dans le Sacré Cœur de Jésus et de Marie.

ma Révérende mère
votre très humble et très obéissant serviteur
N. Roland P. I.

Mes remerciements particuliers, s’il vous plaît, à votre Révérende mère, à la chère Sœur Françoise de la Mère de Dieu, à la Sœur Claire et à toutes les ouvrières qui ont travaillé à l’image du Saint Enfant-Jésus, les assurant que j’aurai un souvenir particulier d’elles au Saint Sacrifice.[44]

N. R. P. I. = Nicolas Roland Prêtre Indigne


[24] Manuscrit 5 A, pages 53-58; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[25] Manuscrit 5 A, pages 58-63; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[26] Manuscrit 5 A, pages 63-66; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[27] Manuscrit 5 A, pages 75-76; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[28]   « Cette Religieuse, parlant de Monsieur Roland, dit: “Ce grand serviteur de Dieu était si pénétré des grands sentiments d’amour de Dieu qu’il aurait fallu avoir un cœur de diamant pour n’en être pas touchée lorsqu’il y excitait. Souvent, il disait que c’était une chose étonnante d’être toujours au milieu de l’essence divine et de ne pas brûler. Autant que l’on est dans le dénuement des créatures, autant on avance, et non plus.”

“Mourez tous les jours à vous-même par une mortification continuelle.”

“Fidélité, fidélité à la grâce, voilà le grand secret de la vie spirituelle.”

“Prenez garde de ne point tomber dans le découragement; confiez-vous en Dieu; abandonnez-vous à Lui; prenez soin de Le glorifier, et Lui-même prendra soin de vous perfectionner.”

Voilà ce qu’il disait de vive voix. »

Manuscrit 5 A, pages 78-80; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[29] Manuscrit 5 A, pages 81-83; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[30] Manuscrit 5 A, pages 83-85; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

« Il est à remarquer que cette Religieuse assure n’avoir pas plutôt lu cette lettre qu’elle fut entièrement délivrée de cette peine. »

“Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[31] Manuscrit 5 A, pages 85-87; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[32] Manuscrit 5 A, pages 87-89; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[33] Manuscrit 5 A, pages 92-93; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[34] Manuscrit 5 A, pages 93-96; Archives de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

[35] « Les lettres et conseils qui suivent ne se trouvent que dans le Manuscrit 3 A, de la page 200 à la page 204 incluse.

Ces lettres et conseils figuraient dans le Manuscrit ancien, disparu, puisque la copie de Rome les transcrit fidèlement et dans le même ordre. »

— Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 20, Lettre 1. Reims 1963.

[36]  Manuscrit 3 A; Lettres et Conseils. — Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 51, Reims 1963.

[37] Manuscrit 3 A; Lettres et Conseils.

— Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. pages 51-52, Reims 1963.

[38] Manuscrit 3 A; Lettres et Conseils.

[39] Manuscrit 3 A; Lettres et Conseils.

[40] Manuscrit 3 A; Lettres et Conseils.

[41] Pendant son séjour à Beaune, Nicolas Roland a étudié les statuts et le fonctionnement de la confrérie. Il se propose d’en établir une à Reims, pour associer prêtres, religieux et laïcs dans une même dévotion et un même désir de montée spirituelle.

[42] Et, en effet, tous les 25 de chaque mois, encore de nos jours, la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims, célèbre, d’une façon particulière la divine Enfance, par une journée d’adoration et de prière plus intense.

[43] Laquelle: Adrienne ou Barbe?

[44] Archives du Carmel de Beaune: vol. 39-3, f° 244.

 

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