AVIS
donnés
par feu
Monsieur Nicolas Roland,
Théologal de Reims,
pour la conduite des personnes régulières
1
pour le réveil et premier exercice de la journée
Au moment de votre réveil considérez-vous devant Dieu comme
un néant, et reconnaissez-le pour le souverain Créateur et conservateur de votre
être, qui ne vous donne et conserve la vie qu’afin que vous l’employez à son
service. Dans ces sentiments reconnaissez sa bonté, adorez-Le de tout votre
cœur, offrez-vous à Lui en vous consacrant entièrement à son service, demandez
son secours, abandonnez-vous à sa conduite pour faire et souffrir tout ce qui
vous arrivera de sa part, levez-vous promptement, et précisément à l’heure
ordonnée par vos règles, sans consulter votre chevet un seul moment, vous
imaginant que Dieu vous dit ce qui est dans l’Écriture: “Levez-vous, mon
épouse, mon amie, ma colombe.” Correspondez à ses paroles, et dites au fond
de votre âme: “Je me lèverai, et chercherai Celui que mon cœur aime.”
Levez-vous donc promptement et, vous attachant à son service, tâchez de vous
avancer en son saint amour, Lui disant qu’Il vous revête de son esprit. En
prenant vos habits, résolvez-vous dès ce temps de vous rendre très ponctuelle à
tous les exercices de la Communauté; car souvent la fidélité dépend de cette
bonne résolution
2
l’oraison
Soyez très fidèle à ce saint exercice de l’oraison, d’autant
que c’est le fondement de toutes les vertus, la fontaine ou vous pouvez puiser
toutes les grâces et les lumières dont vous avez besoin, tant pour vous
sanctifier, que pour vous bien acquitter de vos emplois. Gardez toujours, par un
humble sentiment de vous-même, la méthode et les voies ordinaires tant que Dieu
vous y laissera. Mais si sa Bonté vous donne un attrait, ou un sentiment de sa
présence, ou bien une vue de quelque mystère, ou vérité, laissez-vous conduire à
son esprit. Ne recherchez rien de sensible; attachez-vous à ce qui est de la foi
et qui vous porte à une plus grande abnégation de vous-même et de toutes choses
créées. Ne changez pourtant pas de sujet ni de méthode sans le conseil de ceux
qui conduiront votre âme; prenez garde, soigneusement, de conserver la présence
de Dieu pendant tout le temps de l’oraison, plutôt que de vous bander la tête à
des considérations qui pourraient, dans la suite, vous retarder plutôt que de
vous avancer. Chassez avec fidélité toutes les distractions, mais doucement,
sans vous en inquiéter. Employez plus de temps à produire des affections et à
faire des résolutions qu’à des considérations. Entrez toujours dans une grande
défiance de vous-même dans la vue de vos infidélités, mais confiez-vous
entièrement à Dieu dans la vue de ses bontés. Autant
que subsistent les affections et l’attrait de Dieu, vous ne devez point passer à
d’autres considérations: quand Il se communique à l’âme, l’opération doit
cesser, ou elle se rend infidèle. Persévérez constamment dans l’oraison quelques
sécheresses, aridité, tentation, et difficultés que vous puissiez avoir;
souvenez-vous que vous êtes toujours trop heureuse que Dieu ne vous abîme pas
pour vos péchés; que c’est beaucoup pour vous de vous souffrir en sa présence.
et pour cela, lorsque vous vous présentez devant sa divine Majesté, jetez
toujours un regard sur votre indignité, et renoncez à tout ce qui peut
satisfaire l’amour-propre.
3
du respect envers le très Saint-Sacrement
Soyez modeste et respectueuse dans les Églises, n’y parlant
jamais, sinon en cas d’extrême nécessité, et pour lors à voix basse, et en peu
de mots. Veillez exactement sur vos yeux, ne regardant jamais volontairement.
Allez les yeux baissés ou arrêtés sur les objets de dévotion. Renouvelez souvent
la pensée de la présence de Dieu, et du respect que les Anges ont devant sa
Majesté. Si vous êtes obligée de réciter quelques prières ou offices,
appliquez-vous autant que vous pourrez au sens des paroles, et aux mystères qui
y sont cachés... Prescrivez-vous une méthode pour entendre la sainte Messe avec
fruit; attachez-vous particulièrement à celle de l’Église, qui offre ce divin
sacrifice pour remercier Dieu de ses grâces, pour l’honorer de la manière la
plus excellente dans sa souveraine grandeur, pour satisfaction des péchés
commis, et pour impétrer les grâces dont on a besoin. Faites-vous souvent
l’application du sacrifice qui est offert pour vos besoins particuliers.
4
de l’emploi envers le prochain
Rendez-vous fidèle à Dieu dans l’exercice de votre emploi, ne
l’envisageant que par l’œil de la foi, dans une grande confusion de vous-même,
en considérant son excellence et votre incapacité; ne le regardez jamais comme
un ouvrage de mercenaire, mais comme une œuvre ou un exercice apostolique;
employez-vous dans la vue et l’esprit de Jésus-Christ même, puisque c’est
continuer ce qu’Il a fait dans sa vie conversante.
Priez-Le souvent qu’Il vous fasse part du zèle qu’Il avait pour le salut des
âmes. Pour vous en rendre digne, dépouillez-vous de tous intérêts spirituels et
temporels, car une vraie maîtresse d’école doit être morte à tout et ne doit
chercher que la pure gloire de Dieu. Tenez votre cœur en vos mains comme un
bouquet composé de trois fleurs, la première est la rose qui vous représente la
charité qui doit animer vos actions. La seconde est le lis qui vous représente
la pureté de cœur et d’intention avec laquelle vous devez agir. La troisième est
la violette qui vous remet en mémoire la mortification de corps et d’esprit que
vous devez offrir continuellement à Dieu pour le salut de celles qui sont
soumises à vos instructions.
Gardez de plus une grande modestie et retenue dans tous vos
déportements. Instruisez par vos exemples aussi bien que de paroles.
Remettez-vous souvent en mémoire que vous êtes en présence de Dieu, et d’autant
d’Anges gardiens que vous avez de personnes qui vous écoutent. Tâchez que vos
instructions soient succinctes et profitables; évitez toutes paroles étudiées;
gardez la simplicité chrétienne en tout et pour tout.
5
du travail des mains
Dans tout ce que l’obéissance et la charité exigeront de
vous, comportez-vous-y avec courage, comme si Dieu Lui-même vous apparaissait
pour vous ordonner telles choses. Demandez-Lui souvent ses grâces, mais surtout
au commencement de vos actions. Tâchez, par la pureté de vos intentions, de vous
rendre agréables à ses yeux. Portez-vous toujours aux choses les plus villes et
méprisables de la maison, mais surtout au service des pauvres enfants qui sont
soumis à vos soins; si vous avez le choix, prenez les emplois où vous trouvez
plus de répugnance. Représentez-vous le plus que vous pourrez dans vos actions
Jésus-Christ, la sainte Vierge et saint Joseph travaillant, comme le modèle de
vos actions. Entrez, entrez dans leurs intentions et désirs qu’ils avaient de
glorifier Dieu. Évitez autant que vous pourrez l’ouvrage où l’on peut tirer de
la vanité? Renoncez à l’inclination qu’on a de paraître, et de bien réussir.
6
du silence
Estimez et gardez volontiers le silence comme le gardien de
toutes les vertus, et l’obstacle à tous les vices, puisqu’il empêche la
médisance et toutes les paroles contre la charité, vérité et modestie.
Considérez souvent qu’une âme parleuse ne peut devenir spirituelle: celui qui ne
pèche pas par la langue est un homme parfait, dit le Saint-Esprit.
Quand vous serez obligée de parler hors des récréations, que
ce soit toujours à voix basse et en peu de mots. Évitez même les choses
nécessaires, lorsqu’elles ne sont point de saison et qu’elles se peuvent
remettre à un autre temps: cette mortification et suspension est d’un très grand
profit et avance la perfection d’une âme en peu de temps, d’autant que les
grâces et communications de Dieu sont semblables à une liqueur qui s’épanche et
se perd par la superfluité des paroles.
S’il arrive que quelqu’une de vos Sœurs se dissipe ou
s’oublie en cet article, vous devez, par un esprit de charité, l’avertir avec
respect et civilité en mettant le doigt sur votre bouche, pour lui donner à
entendre qu’il n’est pas temps de parler. Ce sera à elle de s’humilier.
7
de l’examen particulier
Soyez très fidèles à vos examens tant général que
particulier, comme à la chose qui vous puisse le plus aider dans le chemin de la
vertu; c’est la pratique et le sentiment de tous les pères de la vie
spirituelle, comme celle de tous les saints, tant pour connaître et déraciner en
nous tous les vices et mauvaises inclinations, que pour pouvoir entreprendre la
pratique des vertus qui vous manquent. Apportez donc un soin très exacte, vous y
appliquant dans les temps marqués, et même autant de fois que vous le pourrez
pendant la journée. Commencez par un acte de la présence de Dieu, lui demandant
les lumières pour connaître vos péchés, et particulièrement appliquez-vous aux
fautes que vous vous êtes résolue de combattre, d’autant qu’il est nécessaire de
vous en particulariser une de celles que vous croyez qui mets plus d’obstacle à
votre perfection et pour laquelle, vous sentez plus de reproches intérieurs. Il
en est de même de l’examen sur les vertus qui vous manquent: prenez celle sur
laquelle Dieu vous donne plus d’attraits, et qui est plus conforme à votre état.
Prenez aussi les résolutions en particulier pour les rendre efficaces. Les
matières que vous prendrez plus particulièrement dans vos examens sont les
vertus d’humilité, d’obéissance, de pauvreté, de douleur, de charité envers Dieu
et le prochain, tant pour en supporter les défauts que pour lui rendre service.
Toutes ces choses vous sont nécessaires pour vous acquitter de vos obligations.
Vous spécifierez même dans l’examen de vos fautes celles qui sont opposées à ces
vertus, mais surtout, vous remarquerez de quelle manière vous vous êtes
comportée à garder l’ordre de la journée, la fidélité dans les occasions de
souffrances, de mortifications, du silence, et en quoi vous avez manqué à vos
règles, à l’oraison; à vos prières, à la sainte Messe, dans le travail, le repas
et les récréations, sur l’usage des sacrements. Soyez circonspecte dans toutes
ces choses, et souvenez-vous de ces paroles: quiconque aime bien Dieu, ne
néglige rien de son service, et ces autres: Celui qui néglige les petites
fautes, tombera infailliblement dans les grandes. Il en est de même de la vertu:
qui est fidèle aux choses faciles, pratique aisément les difficiles.
8
de la rénovation intérieure
La pratique de la rénovation intérieure nous est d’autant
plus nécessaire et efficace que notre nature corrompue est portée au relâchement
dans les résolutions que nous avons prises, en nous engageant au service de
Dieu. C’est cette rénovation qui nous tient et remet dans la ferveur avec
laquelle nous devons servir Dieu, puisque maudit est celui qui sert Dieu
négligemment. Partant, rendez-vous-y fidèles tous les ans dans votre retraite,
toutes les grandes fêtes, les vingt-cinquième de chaque mois, et même toutes les
semaines, et s’il y a moyen, tous les jours, rentrant en vous-même pour voir si
vous êtes dans les premiers sentiments que Dieu vous a donné en vous engageant à
son service. Voyez ce que vous avez entrepris pour son service; de quelle
manière vous le continuez. Ne vous flattez point en cet article; reprenez votre
première ferveur, si vous ne voulez vous rendre désagréables à Dieu; croyez
qu’Il vous demandera compte de tous les bons mouvements négligés.
9
de la lecture spirituelle
Suivez l’obéissance en vos lectures. Ne lisez jamais de
livres que par conseil. Évitez les livres curieux et indifférents, et même ceux
desquels vous pourriez tirer quelque vanité. Ne commencez point vos lectures que
vous ne vous soyez mise en la présence de Dieu pour Lui demander grâce et
lumières pour comprendre les vérités que vous lirez. Désavoué le désir déréglé
d’apprendre pour vous produire et vous faire estimer. Si vos lectures sont
d’étude, protester devant Dieu que vous ne voulez vous y employer que pour sa
gloire, et le salut du prochain. Si ce sont des lectures spirituelles, que ce ne
soit que pour s’unir à Lui, et pour vous avancer à son service. Soyez attentive
à ce que vous lisez, et pensez souvent que c’est Jésus-Christ Lui-même qui vous
instruit par ces lettres missives du paradis. Respectez jusqu’aux moindres
syllabes; interrompez-vous de temps en temps, pour réfléchir un moment sur la
lecture; que la curiosité ne vous domine point, non plus que la précipitation
pour achever votre livre. Goûtez et pénétrez-vous des vérités que vous lisez,
afin que votre âme en soit fortifiée. A la fin de vos lectures, ne manquez pas
de rendre grâces à Dieu — par une élévation d’esprit et de cœur — des vérités
qu’Il vous a découvertes; remettez en votre mémoire les points principaux que
vous aurez remarqué pour votre avancement.
10
de la réfection
Considérez-vous toujours comme une pauvre mendiante à
laquelle on donne à manger par aumône, et qui ne doit jamais trouver rien à
redire à ce qu’on lui donne, quelque mal apprêté qu’il soit.
Considérez aussi que tous les goûts insipides n’ont rien de
comparable aux mets dont les damnés sont repus dans l’Enfer, du nombre desquels
vous seriez si Dieu, par sa Miséricorde, ne vous eût préservée.
Contentez-vous toujours de ce qu’on vous donne; ne désirez
rien en particulier; suivez en tout la Communauté. N’oubliez jamais de vous
mortifier en quelque chose, et cependant en secret, afin de ne point paraître
singulière. Souvenez-vous du banquet céleste qui durera éternellement, où vous
serez reçue si vous vous êtes volontiers privée de quelque chose pour l’amour de
Dieu. Descendez aussi quelquefois en esprit, dans l’Enfer, pour voir comme les
âmes sensuelles y sont traitées. Rendez-vous attentive à la lecture de table,
pour désoccuper votre esprit et séparer votre goût des viandes. Regardez le
manger comme une nécessité qui nous met au rang des bêtes. C’est ce qui a fait
gémir les saints de se voir obligés de faire cette action animale pendant que
les Anges louent Dieu dans le ciel.
11
de la récréation
Évitez, dans les entretiens, le trop grand épanchement, les
rires immodérés, les paroles couvertes et railleuses, comme des sources de grand
retardement dans la vertu, et de désunion avec les Sœurs.
Ne vous entretenez non plus des nouvelles ni des affaires des
gens du monde; ne faites aucune particularité; rendez-vous affable avec toutes
vos Sœurs; parlez-leur à cœur ouvert et avec liberté, innocemment et
joyeusement: que vos discours portent toujours à Dieu directement ou
indirectement. Les entretiens des personnes spirituelles doivent être édifiants.
Élevez quelquefois votre esprit à Dieu, et considérez que ce relâche n’est
ordonné que pour réparer les forces de l’esprit, pour se mieux appliquer par
après à ses fonctions, et pour entretenir la charité avec les Sœurs.
12
de la mortification
Vous devez regarder la mortification comme le vrai chemin du
ciel. Tous les saints n’y sont arrivés que par cette porte. Et même le Roi des
saints, Jésus-Christ, n’y est point entré autrement: il a fallu, dit-Il Lui-même
que le Christ souffrit, et qu’Il entrât ainsi dans la gloire.
Concevez donc l’obligation que vous avez de souffrir et de
vous mortifier, en qualité de pécheresse et, en qualité de chrétienne vous devez
porter la mortification de Jésus-Christ en votre corps et en votre esprit. Si
vous voulez vous rendre vertueuse, ne laissez point échapper les occasions de
vous mortifier, il s’y en présente tous les jours, à toutes heures et à tous
moments; embrassez celles que Dieu permet vous arriver, et pour celles que vous
avez entreprises, ne vous en dispensez que par nécessité et conseil de ceux qui
conduisent votre âme.
C’est une tromperie de croire que les mortifications
extérieures ne soient point nécessaires, comme c’est un amour-propre de s’y
attacher. Prenez-les toujours par obéissance et discrétion, mais aussi avec
courage et aversion de vous-même, vous considérant comme criminelle et digne de
supplice éternel.
13
de la chasteté
La chasteté est une vertu qui doit être chère aux épouses de
Jésus-Christ. Étant telle par le vœu que vous avez fait, n’épargnez rien pour la
conserver. Comme votre Époux est le plus chaste et le plus pur de tous les
époux, il veut aussi que vous soyez soigneuse d’être pure et chaste.
Pour ce sujet, prenez toutes les précautions possibles pour
ne pas donner occasion au Diable de vous tenter ni attaquer contre celle-ci.
Ne vous tenez jamais seule avec une personne de différent
sexe, sous tel prétexte que ce soit. S’il y a obligation d’en converser
quelqu’un, que ce ne soit qu’avec témoin et à porte ouverte, quelque spirituel
et saint qu’il puisse être. Ne vous en approchez jamais de si près que vous
puissiez en être touchée de la main. Ne les regardez jamais non plus en face.
Soyez circonspecte dans vos paroles, et dans les choses les plus spirituelles.
Observez même au tribunal de n’avoir point d’entretien qui ne soit nécessaire
pour votre âme. Ne souffrez point qu’on vous y donne des démonstrations qui vous
portent à aucune amitié naturelle ni humaine, sous prétexte même de confiance
dans les choses les plus spirituelles. Fuyez telles occasions comme la source
des réflexions les plus dangereuses pour la chasteté. Évitez tout attouchement
avec les personnes de votre sexe. Prenez tous les moyens nécessaires pour
conserver cette vertu, comme la mortification de vos passions, la candeur et
ouverture de cœur envers votre confesseur, et les personnes qui conduisent votre
âme.
14
de la pudeur et modestie
La pudeur et modestie sont les filles de la chasteté, aussi
bien comme elles en sont les gardiennes. Tâchez de vous la conserver par leur
moyen. Ne vous oubliez jamais dans la pratique de ces vertus. Que vos regards,
votre maintien, vos paroles, vos habits, votre marcher ressentent la pudeur et
modestie. Lorsque vous serez seule, souvenez-vous que Dieu et les Anges vous
regardent. Quand vous parlez à quelque homme d’Église, ou autre, donnez-vous de
garde d’être vue à face découverte. Quand vous parlerez de votre conscience, que
ce soit en termes si pleins de modestie et de retenue, que ceux à qui vous
parlerez, n’aient jamais d’occasion de faire aucune impression en vous par leur
réponse. Quand vous serez obligée de traiter de quelque matière dangereuse avec
le prochain, pour le bien des âmes, que ce soit avec la même retenue; vous êtes
d’autant plus obligée à ces choses que vous êtes exposée par votre vocation. Et
comme vous devez vous sanctifier, et édifier toutes les personnes que vous
conversez, tâchez, dans toutes les sorties que vous ferez, d’être appliquée
intérieurement et de faire quelque réflexion utile pour votre âme, afin d’éviter
la dissipation des yeux et la précipitation dans le marcher, vous ressouvenant
de ces paroles: que votre modestie soit connue de tous les hommes, afin que
votre Père céleste soit glorifié.
15
de la pauvreté
Ressouvenez-vous souvent que c’est pour l’amour et à
l’imitation de Jésus-Christ que vous vous êtes faite pauvre, et que vous avez
renoncé aux biens de la terre. Chérissez la sainte pauvreté comme la vertu
bien-aimée de ce divin Sauveur, qu’il a embrassée et pratiquée toute sa vie pour
l’amour de vous, et pour vous mériter la grâce de mépriser les richesses?
Demandez-Lui souvent qu’il vous prive de l’abondance en cette vie pour vous
rendre agréable à ses yeux. Défaites-vous le plus que vous pourrez des choses
mêmes qui vous sont utiles et nécessaires pour le respect de cette vertu.
Chérissez-la comme Jésus-Christ l’a chérie, et comme un moyen qui vous mène à la
perfection.
Ne vous contentez pas de porter le nom de pauvre, et d’en
avoir fait le vœu, pratiquez-le en toute occasion. Soyez bien aise qu’il vous
manque toujours quelque chose qui ne soit point de votre choix, et quand il vous
sera permis de choisir, prenez toujours le moindre. Croyez que pour être
véritablement pauvre, et pour accomplir votre vœu en perfection, il ne faut rien
de superflu, même avec permission. Ne souffrez donc rien dans votre cellule, non
pas même une image sans nécessité et conseil. Mettez-vous dans le plus grand
dénuement qui vous sera possible, et pour vous y engager de plus en plus, pensez
à la récompense que Dieu promet à ceux qui pratiquent la vertu de pauvreté; et
au contraire les malédictions qu’il donne à ceux qui ont leurs aises et
commodités en cette vie. Je ne peux souffrir que vous ayez quoique ce soit en
propre; le tien et le mien ne peut convenir avec la pauvreté de Jésus Enfant.
16
de l’humilité
Considérez la chère vertu de l’humilité comme le fondement de
toutes les autres vertus, et sans laquelle on ne peut avoir aucune solide piété,
le tout n’étant qu’hypocrisie. Pour acquérir cette vertu, il faut travailler
fortement à se connaître soi-même.
— 1 ce que l’on a été par le passé tant au corps qu’en l’âme;
2 ce que l’on est présentement; 3 ce que l’on sera à l’avenir.
Le néant d’où nous avons été tirés, les péchés que nous avons
commis, la colère de Dieu que nous avons irritée, l’Enfer que nous avons mérité,
sont des obligations très convaincantes de nous humilier. Souvenez-vous souvent,
et soyez persuadée que vous êtes la plus imparfaite de toutes vos Sœurs, et
qu’il n’y a que votre orgueil qui vous puisse donner d’autres pensées de
vous-même. Ne croyez jamais être utile à quoi que ce soit, et quand vous serez
employée à quelque chose, entrez dans des bas sentiments de vous-même,
considérant que Dieu se sert de vous comme d’un vil instrument, et que vous
n’êtes propre qu’à attirer sa malédiction. Souffrez humblement les rebuts et les
mépris que l’on fera de vous comme choses très justes... Demandez souvent à
Jésus-Christ qu’il vous fasse part de son humilité et de sa douceur. Quand il
sera à votre choix, prenez le plus vil emploi, les plus vieux habits de la
maison. Dans les entretiens parlez la dernière, et avec une voix modérée par
humble sentiment de vous-même. Avouez et accusez vos fautes de vous-même sans
attendre les réprimandes, et lorsque vous serez reprise, ne vous justifiez non
plus jamais de singularité, ni de préférence en quoi que ce soit. Suivez, pas à
pas, Jésus-Christ, en esprit dans les occasions où il s’est le plus humilié pour
l’amour de vous.
17
de la simplicité
La simplicité est une vertu aussi nécessaire aux âmes qui
tendent à la perfection, comme elle est rare, et peu connue. On ne sait, dans le
siècle, ce que c’est qu’être simple. C’est pourquoi, une personne qui, par la
miséricorde de Dieu, s’en est retirée pour se donner à la sainte Religion ou vie
régulière, doit faire son possible pour l’acquérir dans toute son étendue. Mais,
pour s’y engager, il en faut connaître et savoir son excellence. C’est une vertu
divine, puisque c’est Dieu qui la donne, et que c’est une émanation de l’esprit
de son Fils, lequel n’a, dans toute sa vie, eu qu’un seul but qui était la
gloire de son Père. On peut la nommer la maîtresse et la gardienne des autres
vertus, car l’âme qui possède la simplicité est humble, douce, obéissante,
patiente, charitable, ponctuelle à ce qui regarde ses obligations; elle ne sait
ce que c’est que d’être intéressée ni n’a aucun retour sur elle-même, et ne peut
juger sinistrement de personne, prenant tout à bien. Elle est éloignée de toute
curiosité, finesse, réflexion; ne peut rechercher les choses qui ont de l’éclat;
ne peut se troubler de ce qui lui arrive, parce que, n’ayant que Dieu en vue, il
ne peut rien lui arriver de fâcheux. Les voies et emplois les plus bas sont
toujours bien venus chez elle. Ses discours et ses entreprises sont sincères et
éloignées de toute duplicité. Elle a cet avantage que Dieu se plaît avec elle,
et prend plaisir à lui communiquer ses secrets, ainsi qu’il le dit lui-même.
Elle devient exempte de toute erreur, car Dieu est le protecteur des simples et
de ceux qui ont le cœur droit. Pour acquérir cette vertu: 1 demander à
Dieu avec estime et désir de l’acquérir; 2 s’éloigner de tout ce qui peut
la faire perdre, ou tant soit peu l’intéresser; 3 entrer souvent en
esprit dans l’intérieur de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, et tant de saints
et saintes qui ont été si unis à Dieu par la pratique de cette vertu; 4
ne point laisser échapper d’occasion sans en pratiquer quelque acte, comme par
exemple, réprimer toute intention oblique que l’on pourrait avoir formé, et
aussitôt que l’on en a connaissance, se désavouer soi-même, sitôt que l’on a dit
quelque parole trop étudiée; se défaire de certains gestes et façons d’agir, et
autant que l’on peut, des emplois recherchés, et même ne souffrir rien dans ses
habits ni dans sa chambre que de très simples. Apporter une grande candeur d’âme
et d’esprit, avec les personnes qui nous tiennent la place de Dieu: ne leur
parler jamais avec réserve en ce qui regarde notre propre conduite et nos
déportements. N’attendre jamais que nous soyons reprises de nos défauts pour les
avouer, mais les dire avec ouverture de cœur; ne se réserver rien de tout ce qui
se passe en nous, tant pour le bien que pour le mal, à la façon des petits
enfants qui se déportent de tout sur ceux qu’ils s’imaginent pouvoir les aider.
C’est là le vrai bonheur de la sainte Religion, et ce que les âmes qui sont
appelées, ne doivent jamais négliger, telles répugnances qu’elles y puissent
avoir, laquelle ne peut venir que du défaut de cette vertu. C’est là le vrai et
unique moyen de se délivrer de ses faiblesses et tentations, d’autant que le
Démon, qui souvent les fomente en nous, prend la fuite, sitôt qu’il se voit
découvert. Je ne dis pas ceci seulement pour les personnes qui commencent dans
le chemin de la vertu, car je sais que toutes les âmes en ont besoin, suivant ce
que dit saint Bernard, que celui qui se conduit par ses propres lumières est
conduit par un fou.
18
de la douceur et de la débonnaireté
Cette vertu est une suite de l’humilité et simplicité; car
tous les vrais humbles sont débonnaires, comme les superbes sont fâcheux et
insupportables. Honorez, estimez et pratiquez cette vertu venant de Jésus-Christ
même, et de laquelle il s’est donné pour modèle, en nous disant: apprenez de moi
qui suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Et ces
autres paroles qui sont de sa doctrine: bienheureux sont les débonnaires, car
ils posséderont la terre; c’est-à-dire qu’ils seront maîtres d’eux-mêmes et
victorieux de leurs passions. Vous êtes d’autant plus obligée d’acquérir cette
douceur et débonnaireté, que vous êtes engagée par la vocation de gagner le
prochain au service de Dieu: ce sera par la douceur de l’accueil gracieux que
vous attirerez les âmes, et les retirerez du péché. Considérez de plus que ces
deux vertus sont les plus nécessaires dans une Communauté; elles y entretiennent
la paix, l’union, la concorde et la charité réciproque; c’est par elles que l’on
supporte les défauts et imperfections de ses Sœurs, comme ceux de toutes les
personnes avec lesquelles on est obligé de converser. Les débonnaires, comme on
le voit dans la vie des saints, sont chéris de tout le monde, mais
particulièrement de Dieu, d’autant qu’ils lui sont semblables, et toujours
disposés à recevoir ses grâces, suivant ces paroles de Dieu même: sur qui
reposera mon esprit, sinon sur les humbles, c’est-à-dire, sur les cœurs
débonnaires.
Pour venir à la pratique de ces vertus, remettez-vous souvent
en mémoire la douceur de Dieu à votre endroit, la débonnaireté de Jésus-Christ
dans toutes ses conversations, celle des Apôtres et de tous les saints,
demandez-la souvent à Dieu; évitez exactement la superbe et l’aigreur dans les
choses fâcheuses comme la source de plusieurs vices.
19
de la charité envers le prochain
La charité envers le prochain est le bien de la société
Religieuse. Il en faut autant dire en faveur des communautés; en ce que cette
vertu d’elle-même supporte tout; elle croit toujours le bien; elle n’est point
ambitieuse ni dédaigneuse; elle est affable, douce et agissante. Cela que
quiconque la possède est proche avec tous; peut servir à tous; peut supporter
tout, et est capable de tout. C’est pourquoi travaillez, mais fortement, à
l‘acquérir; et, pour vous y exciter, pensez souvent à la charité que Dieu a
envers vous. Pensez aussi à l’exemple des saints qui ont souvent exposé leur vie
pour rendre la charité au prochain. Demandez instamment à Dieu cette vertu,
principalement lorsque vous serez obligée de rendre quelque service à vos Sœurs,
ou autres personnes, afin que vous n’agissez que par cet esprit de charité et
pour l’obtenir, rejetez tout intérêt propre. Dans toutes vos actions, n’ayez en
vue que la pure gloire de Dieu, et le désir de bien faire à tout le monde; fuyez
tous les sentiments et pensées contraires à la charité avec autant de
promptitude que les pensées d’impureté; d’autant que les moindres pensées contre
celle-ci font des brèches à notre cœur par ou entre la cupidité, si nous ne
sommes extrêmement vigilants, et sur nos gardes. Ne portez jamais aucun jugement
téméraire sur qui que ce soit, mais principalement contre les personnes qui vous
tiennent la place de Dieu, car cela éteint entièrement la charité. Rendez
volontiers service à toutes vos Sœurs. Obligez volontiers tout le monde et, dans
toutes les occasions, pratiquez cette vertu au dépens même de tous vos intérêts.
20
de l’obéissance
L’obéissance est une vertu que vous êtes obligée d’acquérir
d’autant plus que vous y êtes engagée par le vœu que vous en avez fait. Le plus
agréable sacrifice que vous puissiez faire, et le plus grand service que vous
puissiez rendre à Dieu, c’est celui de votre propre volonté, en l’abandonnant
entièrement et sans aucune réserve entre les mains de vos supérieurs.
Cette vertu d’obéissance vous rendra elle seule semblable à
Jésus-Christ; et, si vous vous la possédez, vous n’aurez point de peine à
acquérir toutes les autres vertus, d’autant que Dieu prend plaisir à se
communiquer et à donner ses grâces à ceux qui n’ont plus de volonté, et ils
deviennent en quelque façon impeccables, parce qu’ils n’ont plus de vouloir que
ceux des personnes qui leur tiennent la place de Dieu; et représentez-vous
souvent que Jésus-Christ pour l’amour de vous s’est rendu obéissant jusqu’à la
mort, et la mort de la Croix. C’est-à-dire que depuis son Incarnation jusqu’au
dernier soupir de sa vie, il n’a pas dit une seule parole n’y fait une seule
action que par une entière dépendance, soumission et obéissance à Dieu, son
Père. Ne laissez point échapper d’occasion que vous ne pratiquiez quelques actes
de cette vertu. Soumettez-vous en toutes choses à ce que l’obéissance ordonnera;
ne vous dispensez jamais de vous-même, ni ne demandez point de dispenses dans ce
que les règles vous prescrivent. Souvenez-vous que quand on se retire de
l’obéissance — même sous prétexte de plus grande perfection —, on se retire de
la grâce; et, quant on cherche les choses singulières, on perd les communes qui
sont de plus grand prix...
Il vous sera toujours facile d’obéir lorsque, par l’œil de la
foi, vous ne regardez que Dieu dans les personnes qui vous tiennent sa place,
mais si vous regardez la créature, vous serez toujours portée à examiner
pourquoi et pour quelle raison on vous ordonne telle ou telle chose, si cela est
nécessaire... Ensuite vous consultez votre répugnance: si vous pouvez vous
dispensez de tout ce qui rebute à vos inclinations, ou si vous le faites, ce ne
sera qu’avec dégoût. Vous passerez le temps que vous serez employée, à syndiquer
les intentions et déportements de vos supérieurs, et ce sera là la ruine de
votre perfection, et quelquefois même de votre salut. C’est pourquoi, soyez très
soigneuse de regarder Dieu dans vos supérieurs, obéissez-leur comme à Lui-même,
vous estimant heureuse de ce que Dieu vous a préférée par sa bonté à tant
d’autres créatures qu’il a laissées à leur liberté et, par conséquent, dans
l’incertitude s’ils font sa sainte volonté, et vous, que vous soyez assurée que
vous la faites autant de fois que vous obéissez à vos supérieurs et à vos
Règles. Ayez donc toujours l’intention de plaire à Dieu et de le contenter, en
faisant tout ce que vous faites par obéissance. Aimez cette dépendance et
regardez-la comme l’unique moyen pour arriver à la perfection avec facilité.
Obéissez sans réplique, sans délai, avec joie et simplicité à la façon d’un
petit enfant.
21
de l’abnégation
L’abnégation de soi-même est un moyen très court pour être
bientôt parfait. Quiconque serait fidèle à s’anéantir devant Dieu en soi-même,
et à l’égard des créatures, se sanctifierait en peu de temps. Ainsi,
pénétrez-vous bien de ces paroles du Sauveur: renoncez à vous-même, portez votre
croix et suivez-moi. Les obligations que vous avez de travailler à l’acquisition
de cette vertu, vous engagent à en prendre tous les moyens. Vos péchés passés,
vos infidélités présentes, votre peu de talent et capacité dans votre emploi,
toutes ces choses, dis-je, doivent vous servir à vous rendre vile à vos yeux; et
pour cela ne laissez point échapper d’action, soit haute, soit basse, que vous
ne les fassiez dans un esprit d’anéantissement de vous-même. Considérez avec
attention votre incapacité, ce que vous pouvez faire sans l’aide de Dieu, ce que
vous avez fait quand il vous a abandonnée à vous-même, et qu’est-ce que vous
pouvez recueillir de votre fond. A l’égard des créatures, tenez pour suspectes
toutes les paroles dites à votre louange, et pour votre approbation. Prenez-les
comme des purs châtiments de vos péchés, et humiliez-vous-en devant Dieu. Ne
vous produisez que par charité et obéissance sur tout à des emplois où il y a de
l’éclat. Croyez-vous toujours capable d’empêcher la gloire de Dieu.
Regardez-vous comme un vil instrument dans la main de Dieu, de quoi il daigne se
servir, et peut-être les plus belles de vos actions sont en abomination devant
Lui, et que toutes les actions que vous faites, ne Lui sont agréables qu’autant
qu’elles sont faites dans un plus grand anéantissement de vous-même.
AVIS
qu’il a donnés
de vive voix
1
sur la pauvreté
Conservez toujours l’esprit de pauvreté très exactement; ne
vous laissez point captiver par aucune propriété, car cela ruine extrêmement les
sentiments de Jésus-Christ. Qu’il n’y ait en vos habits ni en cotre chambre
aucune chose qui soit superflue. Privez-vous vous-même de ce qui ne regarde que
la commodité. Soyez bien aise qu’il vous manque toujours quelque chose qui soit
nécessaire pour que vous soyez en quelque chose semblable au Saint Enfant-Jésus
qui a manqué de tout pour l’amour de vous, n’ayant qu’une étable d’emprunt en sa
naissance. Ça a été là la pratique de tous les grands saints que le mépris des
choses temporelles, et principalement les Apôtres qui ont travaillé au salut des
âmes. Imitez-les dans le dénuement, puisque vous faites profession de leurs
emplois. Ne marchandez point sur ce sujet; il est absolument nécessaire de vous
défaire de tout, si vous vous voulez trouver tout, qui n’est autre chose que
Dieu qui ne veut point de partage.
2
Pour pratiquer une entière pauvreté, il ne faut pas seulement
se défaire des choses temporelles et grossières, mais encore des spirituelles,
et même de tous les moyens qui semblent nous conduire à Dieu, ne nous en servant
qu’avec dépendance à ses volontés, mais en aimant toujours la privation où nous
ne pouvons pas nous dire pauvres d’esprit. Et c’est d’ordinaire par là que le
Démon tient les personnes Religieuses, leur faisant croire que pour observer
leurs vœux, il suffit de n’avoir rien en propre quant à l’extérieur. Cependant,
il est certain que se laissant captiver par tant de choses, on ne peut parvenir
à la liberté des vrais enfants de Dieu.
3
sur la charité
Il ne faut jamais s’inquiéter des attaques que nous livre
notre ennemi domestique, quelques assauts et quelques violents qu’ils puissent
être. Après une détermination entière de se donner à Dieu par le vœu, il n’est
point à croire que l’on veille le fausser ni que l’on veuille consentir à aucune
suggestion. Notre affaire est seulement de ne point donner d’occasion au Démon
de nous pousser au mal par aucun épanchement de nos sens, principalement de la
vue. Et du reste, nous devons beaucoup nous humilier devant Dieu, et être
persuadés qu’Il ne permet ses attaques que pour nous punir de nos péchés et
dérèglements de notre vie passée, ou pour abaisser l’esprit de superbe qui est
en nous, ou bien, pour nous éprouver sur la fidélité que nous Lui avons promise,
et nous témoigner les desseins d’amour et de perfection qu’Il a sur notre âme.
C’est pourquoi une âme. C’est pourquoi une âme qui veut être à Lui tout de bon,
ne doit aucunement s’affliger pour tout ce qui pourrait se passer en elle de
plus humiliant; elle doit seulement devenir très simple envers son confesseur,
et tout ensemble fort retenue, c’est-à-dire qu’après la manifestation
nécessaire, elle ne doit s’en entretenir que très rarement, que s’il arrivait
qu’elle soit interrogée sur quelque tentation à l’égard de quelque personne
particulière, telle spirituelle qu’elle puisse être; elle ne doit jamais nommer
la personne pour les inconvénients qui peuvent en arriver, tant de la part du
confesseur, que de la part de la pénitente.
4
sur l’obéissance
Pour donner du mérite à nos actions, il serait à propos de ne
rien faire que par dépendance à ceux qui nous tiennent la place de Dieu. Ah! qui
pourrait comprendre ce que vaut une action faite par obéissance, ne pourrait
jamais entreprendre aucune chose sans celle-ci. Une âme obéissante est une vraie
copie de Jésus-Christ. Par l’obéissance toutes nos actions deviennent agréables
à Dieu, dans les choses même les plus indifférentes; et sans l’obéissance les
actions les plus éclatantes et les plus saintes, sont dangereuses, à cause de la
vaine gloire qui s’y glisse. C’est l’obéissance qui nous met à couvert de tous
nos dangers. Le parfait obéissant ne sait ce que c’est que de faire sa volonté.
Les personnes qui en savent le prix, sont dans de continuels gémissements,
lorsqu’elles sont obligées d’entreprendre quelque chose d’elles-mêmes, pour
l’incertitude ou elles se trouvent des volontés de Dieu. Les personnes qui sont
engagées dans des communautés, sont exemptes de ces doutes; elles sont
semblables à ceux qui voguent en dormant, et qui se trouvent au port sans y
avoir pensé. Ne faisant point leur volonté, ils sont toujours certains de faire
celle de Dieu; ils rentrent même en quelque manière dans l’état d’innocence, en
abandonnant leur volonté à celle de leurs Supérieurs. L’obéissance est le plus
agréable sacrifice qu’on puisse faire à Dieu. Sans l’obéissance, tout ce que
l’on peut faire — quand même ce serait des miracles et des actions
extraordinaires de mortification —, ne sont d’aucun mérite devant Dieu, ainsi
que disent les saints. Quand il se présentera quelque acte d’obéissance qui vous
paraîtra difficile, ne dites jamais je ne saurais faire cela, car vous pouvez
tout, avec celui qui vous soutient. Il n’y a que les Démons et les damnés qui ne
peuvent obéir, d’autant qu’il n’y a qu’eux qui sont destitués de la grâce.
5
sur l’oraison
L’oraison doit être continuelle à une âme retirée du monde,
et surtout à celles qui sont engagées à converser avec le prochain, devant être
toujours comme une victime destinée à la colère de Dieu pour les péchés de tout
le monde, mais principalement pour les siens propres, afin qu’elle ne mette
point d’empêchement aux grâces que sa divine bonté voudra communiquer aux
personnes qu’elle est obligée d’instruire. C’était la pratique des saints de nos
derniers siècles, lorsqu’ils entraient dans quelque lieu pour y convertir les
âmes, ils se prosternaient devant Dieu, dans un grand anéantissement
d’eux-mêmes, pour qu’ils ne soient pas cause d’empêchement aux grâces et
lumières dont ce peuple avait besoin.
6
Pour se rendre fidèle à la pratique de la sainte Oraison, il
est bien nécessaire de suivre les méthodes et pratiques ordinaires. Mais,
cependant, il ne faut pas s’y arrêter, sinon autant qu’il plaît à Dieu de nous y
laisser. Car, aussitôt qu’on s’aperçoit qu’il nous donne un attrait ou quelque
impression de sa présence, il faut se laisser conduire à sa providence. C’est se
tromper que de vouloir s’appliquer à force de tête. Un seul acte d’abandon dans
les plus grandes sécheresses est plus agréable à Dieu que tous nos efforts.
7
L’oraison est un sacrifice ou la victime doit être
entièrement détruite et, jamais nous ne pourrons y contenter Dieu autrement que
par la destruction de nous-mêmes et de tous nos sentiments. Il ne faut
s’imaginer que pour faire l’oraison il faille être parfait; mais il est
absolument nécessaire, pour bien y réussir, de tendre à la perfection, et de ne
rien refuser à Dieu, autrement, toutes nos oraisons ne sont que pur amusement et
moquerie de Dieu même. Car, quelle apparence de vouloir que Dieu s’épanche vers
nous, en nous communiquant ses grâces et ses lumières, pendant que nous y
apporterons empêchement par les dérèglements de notre vie.
8
Si on veut réussir dans l’oraison et ne point s’y tromper,
ils nécessaire de se rendre docile à la conduite de ceux qui nous gouvernent,
d’autant que la vie intérieure est remplie d’épines que l’on ne peut pas
apercevoir de soi-même. Mais il ne faut croire, cependant, que les longues
communications soient utiles, au contraire, elles sont dommageables si l’on
n’est pas sur ses gardes. C’est pourquoi, il doit suffire à une âme qui est
attirée à la vie spirituelle, de tendre à la privation des créatures et n’avoir
recours à elles que dans nos besoins, et par ordre de Dieu, qui veut de nous
cette soumission.
9
sur le dénuement
Celui-là est trop avare à qui Dieu ne suffit pas. C’est se
tromper soi-même lorsque, tendant à la perfection, on cherche autre chose que
Dieu seul. C’est Lui faire injure, comme si on lui disait: je ne peux croire que
vous me soyez toute chose. Et la raison de notre peu d’avancement, ne vient que
du peu de dénuement de nous-mêmes, et des créatures. C’est pourquoi, quelque
utiles et spirituelles qu’elles nous paraissent, il ne faut les regarder ni s’en
servir que comme des moyens qui nous conduisent à Dieu; et pour cela n’y mettre
jamais notre affection sous tel prétexte que ce puisse être, car ce sont là les
plus dangereuses. Arrachez-vous-en jusqu’à la moindre racine d’affection
naturelle, et n’en souffrez jamais non plus aucune démonstration de qui que ce
soit, autrement, vous courez un très grand risque de votre perfection. Car,
comme disent quelques saints,, on commence par amour et affection des choses
spirituelles, puis on en vient aux sensibles, et après aux humains, en sorte que
le démon peut s’en servir pour aller jusqu’au charnel.
Et si on examine la source, on verra que cela n’est venu que
sous ombre de bien et de moyen pour aller à Dieu. Au lieu que si on s’était
dénué de ces moyens, n’en prenant que par pure nécessité, on serait arrivé à la
fin que l’on s’était proposée qui est d’être à Dieu, qui seul devrait suffire;
tout le reste n’étant qu’un pur amusement et une très fine illusion et,
quoiqu’elle ne vienne pas quelquefois par notre faute, au moins malicieusement,
cependant, le Démon ne laisse pas de s’en servir, et nous fait entendre que cela
est nécessaire, puisqu’il nous mène à Dieu. Ensuite, notre amour-propre, et
notre épanchement, nous aveuglent tellement, que nous nous trouvons dans ses
pièges sans le savoir.
10
Il n’est pas seulement nécessaire pour notre avancement de
nous dénuer des créatures si saintes et spirituelles qu’elles puissent être,
mais encore nous devons nous dénuer de nous-mêmes par une désapropriation de nos
propres sentiments et de notre volonté, d’autant que tout ce qui est en nous,
n’est que corruption. C’est pourquoi une âme qui veut plaire à Dieu, doit se
défier de tout ce qui est en elle, n’agissant jamais par passion, réprimant ses
inclinations, ses désirs et curiosités dans toutes les rencontres,
n’entreprenant rien de soi-même, ne présumant point de réussir en quoi que ce
soit, ne donnant point son avis si on n’est pas interrogé, n’anticipant en rien
sur les autres, ne se mêlant que de ce qui est commis à ses soins; elle doit, en
outre, se défier de ce qui paraît venir de Dieu, ou de ceux qui lui tiennent sa
place, lorsque les choses arrivent conformément à ses inclinations, ou bien s’il
s’y trouve quelque éclat, ou que les choses tendent à la faire estimer, ou
l’obligent à se produire. La retenue continuelle qu’elle doit avoir sur
elle-même, fera qu’elle n’entreprendra rien que par le pur ordre de Dieu, bien
reconnu, ce qui servira grandement à la faire avancer dans la perfection en peu
de temps. Qu’elle se souvienne que c’est une tromperie de penser avancer sans ce
dénuement de soi-même, suivant les paroles de Jésus-Christ qui nous dit: si vous
ne renoncez à vous-même, si vous ne devenez petits comme des enfants,
c’est-à-dire sans vue ni estime de vous-même, vous n’entrerez point dans le
Royaume des Cieux.
11
Le plus grand emploi où Dieu nous puisse mettre, c’est de
nous appeler à Lui gagner des âmes. C’est pourquoi, celle qui par sa providence
est appelée à un si saint emploi, ne doit point épargner, ni sa fortune, ni sa
santé, ni sa vie, ni tout ce qui la concerne. Elle doit regarder tout cela comme
rien, au prix du salut d’une âme pour laquelle Jésus-Christ a donné tout son
sang. C’est dans cette vue qu’elle doit agir et se rendre ingénieuse pour gagner
et engager les cœurs à la vertu, ou les empêcher de commettre un seul péché.
C’était là les sentiments des saints qui ont été dans cet exercice que de ne
savoir ce que c’était que de s’épargner pour le salut d’une âme. Que les
personnes timides qui y sont engagées, se défient bien de leur incapacité, mais
aussi qu’elles se confient continuellement en Dieu qui ne les y a pas engagées
pour leur refuser les aides nécessaires, pourvu qu’elles aient recours à Lui.
Elles ne doivent point avoir d’intérêt propre, ni pour les applaudissements des
créatures, ni pour se défendre de leur mépris, non plus que pour aucun intérêt
temporel; elles ne doivent regarder que celui de Dieu, en Lui laissant tout le
succès de leurs entreprises, et s’estimer heureuses lorsqu’il leur arrive
quelque contradiction ou mépris: être généreuses pour ne point se rebuter dans
les occasions, et avec les personnes ou il y a quelque chose à souffrir;
conserver une entière liberté d’esprit pour ne point favoriser le mal, mais
cependant ne parler qu’avec retenue et prudence, s’accommodant à la portée des
esprits de ceux avec qui on a à traiter: pousser les forts, encourager les
faibles, selon leur capacité, les édifier par une longue patience et douceur qui
les excite à ouvrir leur cœur, et prendre confiance à ce qu’on leur dit; leur
dire les choses avec des termes les plus persuasifs qu’il est possible, ne faire
jamais de longs discours qui souvent emportent le fruit pour trop charger la
mémoire. Il faut agir en tout en esprit de charité.
12
sur les sentiments intérieurs
Il faut être très fidèle à correspondre à tous les mouvements
intérieurs que Dieu nous communique, car quand une fois nous les laissons
échapper par épanchements, ou que nous les méprisons, ou étouffons, nous nous
mettons en état de n’en plus recevoir. C’est pourquoi, l’âme qui désire se
rendre fidèle, doit se rendre attentive à tout ce que Dieu veut opérer en elle
dans l’oraison, ou hors de l’oraison, sans toutefois se croire ni éclairée ni
favorisée de Dieu, et n’avoir aucun retour sur elle-même.
13
Je n’approuve aucunement qu’une âme rejette les consolations
intérieures que Dieu lui donne après l’avoir éprouvée et exercée dans des
tentations et états pénibles, car ces consolations lui sont données pour la
délasser, et l’encourager de nouveau au service de Dieu. Il est seulement
nécessaire de réprimer le trop de sensible qu’elle y pourrait rencontrer, ou
quelque vaine estime de soi-même. Voilà ce qu’il peut y avoir à craindre. Or
l’âme qui cherche purement à plaire à Dieu, et qui se laisse conduire par celui
qui prend soin de sa conscience, remarque facilement les pièges que ses ennemis
lui tendent.
14
sur la haine de soi-même
L’âme qui tend à la perfection doit se considérer et avoir en
horreur, comme le plus grand ennemi qu’elle ait à combattre. C’est pour ce sujet
que les saints ont tant eu en horreur leur corps, que lorsqu’ils étaient obligés
de leur donné quelque soulagement, c’était toujours à contre cœur et avec
limite. Ainsi, si nous voulons tout de bon avancer dans la vertu, portons-nous
cette haine à nous-mêmes et ne recherchons jamais aucune satisfaction ni plaisir
dans les choses même les plus nécessaires à la vie, ne cherchant de soulagement
dans nos infirmités et maladies que pour la gloire de Dieu, et pour le service
que nous devons rendre au prochain; de même aussi, dans le soin que nous sommes
obligés de prendre pour la conservation de notre santé, que ce ne soit jamais
par rapport à nous, ni pour l’amour de notre corps, mais pour nous rendre plus
capables de servir Dieu. Il faut en dire autant pour la conservation des biens
et de la réputation, car se haïr soi-même s’étend en tout ce qui concerne
l’esprit et la fortune aussi bien que le corps. Pour être uni à tout, il ne faut
être lié ou attaché à rien, et c’est une tromperie de plusieurs, qui s’imaginent
pouvoir beaucoup avancer, en se réservant une grande attention et soin
d’eux-mêmes.
15
de la persévérance dans le bien
Celui qui entreprend le service de Dieu et qui le quitte,
fait voir, par son relâchement qu’il ne croit pas que Dieu sit capable de le
récompenser et, tous les prétextes dont il puisse se couvrir ne lui serviront
que de condamnation. Dieu est juste, c’est pourquoi il ne permettra pas qu’il
soit tenté au-delà de ses forces, et s’il considère bien cette vérité, il
n’abandonnera jamais le chemin de la vertu pour les peines et difficultés qu’il
y rencontre, qui sont toujours plus imaginaires que réelles. Et si nous nous
examinons bien, nous trouverons qu’après avoir quitté le bien le plus parfait et
nous être laissé à nous-mêmes, nous nous trouverons dans la plus grande
angoisse, de nous être lassé dans les voies de l’iniquité, ainsi qu’il est dit
des pécheurs; c’est-à-dire qu’il y a plus de peine à suivre la pente de nos
inclinations mauvaises, que de les dompter par une vie vraiment chrétienne.
16
sur la vocation
Rendez-vous sur toute chose fidèle à votre vocation. Estimez
votre emploi qui vous fait compagne de Jésus-Christ et des Apôtres. Tendez à la
perfection de cet état. N’épargnez rien pour vous en rendre capable, mais
surtout, que la foi soit toujours le motif de vos entreprises et de vos
entretiens avec les personnes que vous aurez à instruire, et n’ayez de
préférence que pour celles qui ont le lus de besoin.
17
du bonheur de la vie régulière
La vie régulière est un paradis anticipé pour ceux qui ne
cherchent que Dieu, et à plaire à Lui seul, d’autant que dans le Ciel, on a de
plaisirs et de contentement que par ce qu’on voit Dieu, et que l’on est assuré
de faire toujours et en toute chose, sa sainte volonté. De même, dans les
communautés, si on a l’œil de la foi, on ne voit que Dieu dans les Supérieurs et
Supérieures qui nous Le représentent incessamment, et on est assuré de faire la
volonté de Dieu, lorsqu’on ne fait pas la sienne, que l’on obéi aux supérieurs,
et que l’on observe les Règles qui viennent de la part de Dieu. C’est pourquoi,
une personne qui a le bonheur d’être en Communauté, 1 doit, sur toutes
choses, honorer et estimer sa vocation, son institut et ses Règles qui lui
déclarent ce que Dieu veut d’elle, pour le contenter; 2 elle doit se
rendre très ponctuelle à l’observance des choses qui lui paraissent les moins
considérables, dans cette pensé qu’il n’y a rien de petit dans la maison de
Dieu; se donner de garde de les méprise pour petites qu’elles puissent être.
3 Elle doit considérer le son de la cloche comme la voix de Dieu qui
l’appelle, et partant, ne jamais différer d’un seul moment, et quitter
promptement pour aller ou elle l’appelle. 4 Elle doit aussi estimer tout
ce qui se fait en commun plus que tout ce qui est particulier, quelque grand
qu’il puisse être. C’est le moyen d’attirer toujours de plus grands mérites. Ne
s’entretenir, pas même en soi-même, d’aucun sentiment particulier qui nous
détourne de l’esprit de notre institut, sous prétexte de plus haute perfection.
Croire toujours, au contraire, que nos instituteurs ont eu l’esprit de Dieu, et
que c’est par son esprit que nos statuts sont dressés. Enfin, rejetez
promptement toutes les pensées et réflexions qui nous peuvent venir contre notre
vocation, quand même nous connaîtrions que nous n’aurions pas eu tant de pureté
d’intention qu’il serait pour lors requis, en l’entreprenant, et autre
semblable; car c’est souvent par là que le Démon nous tend des pièges, et que
l’on en voit tant dans le relâche et mépris de leur vocation, et le sujet de
scandale des maisons régulières.
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