Un enfant est-il aimable et
vertueux ? Tout le monde en félicite ses parents. Est-il vicieux ? On s'en prend
à
ses parents. Rien d'étonnant, dit-on : « le bon arbre porte de bons fruits, le
mauvais arbre de mauvais fruits. » Cette parole de l'Evangile est profondément
vraie et, à part de rares exceptions, on peut bien répéter le vieil adage : «
Tel père, tel fils. » Aussi, heureux l'enfant qui jouit en naissant, de l'amour
d'une sainte mère et de l'exemple vertueux d'un bon père. Nicolas de Flue eut ce
grand bonheur.
La famille de Flue, au hameau de
Flueli, dans la paroisse de Sachseln (Obwald), s'appelait originairement
Leoponti. Ce nom semble désigner une ascendance italienne. Le langage populaire
changea ce nom en celui de « von Flüe », dérivé de Flueli ou localité située sur
un terrain ou rocher escarpé, ce qui était le cas de la propriété que
possédaient les ancêtres de Nicolas.
Le père de notre saint s'appelait
Henri de Flue et sa mère Hermanna Robrecht. Ces époux vivaient simplement,
partageant leur temps entre la prière et le travail. D'anciens documents font
mention du père de Nicolas, comme de l'un des citoyens les plus distingués et
les plus riches de Sachseln. Et cependant il n'avait rien de l'orgueil et de la
dureté hautaine qui accompagnent parfois la richesse. Ses moeurs étaient simples
et son coeur grand ouvert à la charité. Pauvres et indigents trouvaient toujours
porte et main ouvertes à la ferme hospitalière des de Flue. C'est dans le sein
de cette famille si chrétienne que le petit Nicolas vit le jour, le 21 mars
1417, en la fête de saint Benoît.
Les registres paroissiaux de
Sachseln attestent que, dès son berceau, l'enfant fut prévenu de bénédictions
célestes. Avant sa naissance déjà, il vit, dit-on, au ciel une grande étoile,
qui éclairait toute la terre : image d'une âme appelée à éclairer toute la terre
par sa sainteté. L'église venait de vivre des jours bien sombres. Déchirée par
les hérésies de Jean Wiclef et de Jean Huss, elle avait souffert beaucoup aussi
du grand schisme d'Occident. Pour calmer les esprits et panser les blessures, il
faut, dans des circonstances semblables, des hommes de paix comme devait l'être
l'enfant qui naquit le 21 mars 1417. Ses pieux parents s'empressèrent de le
faire renaître à la vie de la grâce et de la foi chrétienne. L'église
paroissiale de Sachseln étant fermée à la suite d'un meurtre et le curé étant
mort, le nouveau-né fut baptisé dans une église voisine, celle de Kerns et reçut
le nom de Nicolas. Aux fonts baptismaux, il eut, selon une tradition,
connaissance de tous ceux qui assistaient à la cérémonie, du prêtre, des parrain
et marraine, et d'autres personnes ... Dés le commencement, la vie de Nicolas de
Flue nous apparaît donc merveilleuse. Mais sans nous attarder à ces prévenances
de la grâce divine, voyons plutôt ce qu'il fit par sa propre volonté, aidée du
secours de Dieu.
-
3. L'enfance et la jeunesse
« Que va devenir cet enfant sur qui
la main de Dieu s'étend dès le berceau ? » Auprès de parents comme ceux qu'il a,
il ne peut devenir qu'une fleur incomparable dans le jardin du Seigneur. Nicolas
fut le plus charmant enfant qu'on pût voir, fidèle à observer les avis et les
exemples de ses parents. La paresse et les caprices lui étaient inconnus. jamais
on ne remarqua en lui rien de puéril. N'eût été son âge encore bien tendre, on
l'eût pris pour un homme fait, tant il y avait de virilité dans son caractère.
Alors que ses compagnons d'enfance ne rêvaient que friandises, Nicolas jeûnait
deux fois par semaine, et plus tard même quatre fois. Son abstinence était bien
plus rigoureuse encore pendant le carême. II ne faisait alors usage d'aucun
aliment cuit ou chaud, se contentant une fois le jour de poires sèches ou d'un
peu de pain sec. Grave leçon pour nos enfants et nos jeunes gens ! Ne croyons
pas que le bonheur pour eux consiste à faire tous leurs caprices. Il y a
longtemps déjà que le prophète Jérémie a dit : « Heureux l'homme qui a porté le
joug dès sa jeunesse ! » Tous les vices sont en germe dans le cœur de l'enfant,
et ce n'est que par l'esprit de sacrifice qu'on les étouffe. Puisse en cela
Nicolas de Flue servir d'exemple à la jeunesse ! Se priver de friandises, jeûner
un peu le vendredi, s'abstenir de tabac, par exemple, durant le carême, et
pratiquer, en un mot, la mortification chrétienne par amour pour le divin
Crucifié, voilà qui virilise et aguerrit la volonté et assure la maîtrise sur
les .passions. C'est par un long apprentissage du maniement de son arme que le
jeune soldat devient habile : c'est par l'entraînement, les exercices et les
tournois que les gymnastes, les vélocemen, les lutteurs et tous les sportsmen se
préparent à cueillir des lauriers. Et cependant a tous ceux-là n'emporteront,
comme dit saint Paul, qu'une couronne périssable ». Que ne doit donc pas faire
le chrétien qui lutte pour la couronne immortelle du ciel ? Ah ! je comprends
bien maintenant le jeune Nicolas ! Il cultive son âme et lutte pour la couronne
céleste. Ses occupations se résument en deux mots: prière et travail. Car si
Dieu donne sa grâce aux petits sans leur concours, à l'homme fait il ne
l'accorde qu'à la prière. Ici encore, Nicolas est un modèle. A l'âge où d'autres
recherchent l'oisiveté et les amusements frivoles, lui cherche les lieux écartés
et solitaires pour se livrer à la prière, qu'il chérissait de tout son cœur. Qui
l'eût vu en ces moments, eût été frappé de sa ferveur. Son maintien extérieur à
l'église, comme à la maison durant la prière en famille, trahissait les élans
enflammés de son âme. Cependant sa dévotion fervente et son amour de la solitude
ne lui faisaient négliger aucun des devoirs de l'obéissance et du travail.
Seulement, pendant que ses bras étaient à l'œuvre, son esprit s'élançait vers
Dieu. Il réalisait ainsi l'avertissement du Maître : « Il faut toujours prier. »
Que d'hommes, hélas! ne sont que de pures machines au travail ! Le matin, c'est
la mise en marche, et le soir l'arrêt du moteur ! Aucune pensée élevée, aucune
intention surnaturelle ; et dès lors aucun mérite, ni aucune récompense ! Leur
vie n'est qu'une vaine agitation ; ils font de grands pas, mais sur une fausse
route et ils n'arriveront pas à destination. Que n'imitent-ils Nicolas de Flue,
en sanctifiant leur travail par la prière et en se recueillant le soir au pied
du crucifix de famille ! « Je vous rends grâces, mon Dieu, pour tous les
bienfaits que j'ai reçus durant ce jour ; et si je vous ai offensé, je vous en
demande pardon ! » Belle et sainte vie du jeune homme qui marque toutes ses
actions du sceau de l'éternité ! Nicolas fut grandement récompensé de Dieu pour
sa profonde piété. Il connut cette paix et ce bonheur intérieurs qu'ignorent les
mondains. Passant un jour par la vallée pittoresque du Melchtal, non loin de sa
maison paternelle, il aperçut sur une hauteur une tour élancée, qui montrait le
ciel comme un indicateur ; longtemps, il la contempla et son âme fut saisie d'un
indicible attrait pour la solitude. Inutile d'ajouter que le jeune Nicolas était
un modèle de respect et d'obéissance envers ses parents. Aussi chacun l'estimait
et l'aimait, car il se montrait doux et affable envers tout le monde. Les saints
ne sont pas des « repoussoirs » ; la religion, au contraire, éclaire les visages
d'un rayon lumineux, tandis que le péché et le vice dégradent corps et âme.
Au sortir de l'école primaire,
l'adolescent se pose la question : Que vais-je faire ? Pour Nicolas de Flue, il
n'y eut pas d'émancipation de l'école, car dans ces villages de l'Obwald il n'y
avait pas encore en ce temps-là d'école populaire. Les enfants recevaient de
leurs parents l'instruction nécessaire. Le soir, lorsque la nuit avait ramené
les laboureurs à la maison, après le repas de famille, voisins et amis se
groupaient dans la chambre de ménage pour parler politique et discuter des
intérêts du pays. Ce fut sans doute à cette école que le jeune Nicolas apprit à
chérir sa patrie et qu'il sentit naître en lui cet ardent amour de la paix qui
devait faire de lui plus tard le pacificateur de la Suisse.
Mais auparavant Dieu devait le
conduire par d'autres voies ; il était appelé à fonder un foyer. On aurait pu
croire qu'un homme aussi dévot et aussi mortifié allait devenir religieux ou
même prêtre. Et bien ! non ; la Providence voulait faire de Nicolas le modèle du
père de famille chrétien. L'état de mariage exige une vraie vocation et les
alliances bénies de Dieu se concluent dans le ciel. C'est donc du ciel, par la
prière, qu'il faut demander conseil et lumière pour contracter un mariage
heureux.
Beaucoup, hélas ! oublient cette
vérité. A peine émancipés de l'école, ils s'abouchent avec la première jeune
fille qu'ils rencontrent, jouent avec le feu et perdent leur âme. La punition ne
se fait pas attendre ... et voilà deux malheureux de plus. Ce n'est pas ainsi
qu'agira Nicolas, le brave et honnête jeune homme. Tout d'abord, il consultera
le bon Dieu dans la prière ; puis il fera son choix. Mais ce ne sera pas dans
les soirées et les fêtes mondaines qu'il ira chercher sa compagne : de la
religion, un bon caractère et la pureté des moeurs, voilà ce qu'il veut. Il
demandera donc conseil à ses parents et commencera sa fréquentation, chose
sérieuse et sacrée devant Dieu.
Parmi les jeunes filles de son
village, il en est une qui brille par sa modestie et sa piété ; elle se nomme
Dorothée Wyzling ; c'est elle que choisit Nicolas. Rien de léger, rien de
déréglé dans leurs fréquentations, car le souvenir de la présence de Dieu les
pénètre tous deux. Comme aux noces de Cana, Jésus et la Sainte Vierge sont là
pour les bénir. Ainsi se prépare le mariage des saints en la compagnie des amis
du ciel. Malheur à ceux qui se marient sans vocation, ou en état de péché mortel
!
« Le mariage est un grand
sacrement», a dit l'apôtre saint Paul. Des sept sacrements de l'Eglise, trois
seulement se donnent à l'autel, au foyer même du sanctuaire : l'eucharistie,
l'ordre et le mariage. Tous les trois donnent la vie de l'âme. De plus, par le
mariage les époux reçoivent une parcelle de la puissance créatrice de Dieu pour
transmettre la vie corporelle. Nicolas était profondément pénétré de la sainteté
et de la grandeur de ce sacrement. Aussi le plaisir des sens ou un amour déréglé
ne vint jamais flétrir les coeurs si purs de ces deux époux : ni l'un ni l'autre
n'ont jamais porté la moindre atteinte à la sainteté de leur union. Jamais
mariage ne fut plus heureux ; c'était à qui surpasserait l'autre en amour, en
pureté, en vertu. Nicolas ne perdit donc rien dans le mariage de la charité
qu'il avait pour son Dieu ; au contraire, son nouvel état semblait avoir acquis
au Christ deux coeurs pour l'aimer. « Nicolas eut même bientôt plusieurs autres
coeurs pour l'aider à aimer Dieu », car de nombreux enfants naquirent de son
mariage cinq garçons et cinq filles. Deux moururent en bas âge ; ce furent deux
petits anges, protecteurs de la famille près du trône de Dieu. Telle est la
pensée consolante des parents qui pleurent ces petits êtres ; les louanges que
ceux-ci adressent à Dieu dans le ciel sont comptées comme mérites pour leur père
et mère. Qu'on juge dès lors de la somme de mérites, de louanges, d'adoration et
de prières qui entourent le trône de Dieu, et descendent, par l'intermédiaire de
ces petits anges, sur les générations qui se suivent au cours des siècles !
Aujourd'hui encore la famille du bienheureux Nicolas de Flue se survit et compte
des représentants dans les ordres, dans la magistrature, parmi les travailleurs
de la terre. Dans les saints Livres, le juste est comparé au palmier planté au
bord des eaux et dont la frondaison magnifique s'étend su loin. De vrai, le
bienheureux Nicolas de Flue est ce palmier toujours vert et florissant dans les
jardins du paradis. Voilà comment Dieu bénit les familles nombreuses.
Oui, dira-t-on peut-être, mais la
famille de Flue était riche et le pain ne risquait pas de manquer un jour au
foyer domestique. C'est vrai, mais pour l'ouvrier, pour l'humble travailleur, la
Providence est bonne et Celui qui nourrit des petits oiseaux du ciel ne laisse
pas mourir de faim les enfants dans les berceaux. A famille nombreuse,
bénédictions nombreuses. Malheur par contre, trois fois malheur, à qui exploite
le pauvre chargé d'enfants en lui donnant un salaire dérisoire ! Malheur au
propriétaire qui lui refuse un gîte dans sa maison sous le prétexte sacrilège
qu'il a trop d'enfants ! Marie et Joseph, eux aussi, frappèrent à cent portes
diverses à leur arrivée à Bethléem ; il n'y avait pas de place pour eux ; ils
étaient trop pauvres. Mais l'étable de Bethléem est devenue le sanctuaire le
plus sacré de la terre. C'est là qu'est né le Sauveur du monde.
Nicolas fut guidé visiblement par
la main de Dieu dans l'éducation de ses enfants. « Il a élevé des enfants
semblables à lui par leur vie, leurs moeurs et leurs vertus », nous disent ses
historiens. Travail et prière, telle était la consigne. Avec cela, beaucoup de
bonté, de douceur, de support mutuel. Les loisirs que laissait le travail des
champs étaient partagés entre d'honnêtes délassements et des entretiens
édifiants. Le père n'abandonna rien de ses pratiques de piété et de
mortification. Il donna toujours à sa famille l'exemple de la plus haute
perfection. Jean, son fils aîné, nous assure que son père se levait chaque nuit
pour prier ; que ses travaux à la campagne commençaient et finissaient par
l'oraison. Voici quelques-unes de ses prières favorites : « O Seigneur, enlevez
tout ce qui m'éloigne de vous ! — O Seigneur, faites-moi don de ce qui mène à
vous ! — O Seigneur, enlevez-moi à moi-même et donnez-moi tout à fait à vous !»
Une vie aussi sainte que celle de
Nicolas ne devait pas faire le compte du démon, ce grand ennemi des âmes. Aussi,
nombreux furent les assauts et les tentations qu'eut à subir cet homme de Dieu.
Toujours il en triompha par la prière. Encore ici, une leçon pour nous. Les
saints ont été tentés comme nous le sommes. Saint Paul s'en plaignait au bon
Dieu. « Ma grâce te suffit », lui fut-il répondu. Un jour que l'un des enfants
de Nicolas accourait vers son père en disant que le démon voulait le dévorer, il
lui répondit tranquillement : « N'aie pas peur, mon enfant ; le démon ne peut
qu'aboyer, il ne peut pas mordre. Si son désir de nous nuire est grand, son
pouvoir est petit. » Ces paroles ne nous rappellent-elles pas celles de saint
Jean Chrysostome : « Le démon est un chien enragé, mais il est enchaîné » ? Ne
nous en approchons pas, et laissons-le aboyer !
Le meilleur chrétien est aussi le
meilleur citoyen et le meilleur soldat. Nicolas de Flue fut appelé sous les
armes. Il fut soldat dans le sens chrétien du mot. A lui peuvent s'appliquer les
paroles de saint Paul, parlant des combats spirituels : « Combats comme un bois
soldat de Jésus-Christ ! » A ce moment-là, la Suisse offrait le triste spectacle
de discordes et de dissensions profondes. Fascinés par l'or étranger, nos aïeux,
volontiers, s'en allaient au dehors prendre du service. Plus d'une fois, il leur
arriva ainsi de combattre entre frères. Or, la guerre excite dans l'homme les
instincts cruels et les passions brutales. Trois fois, le jeune Nicolas fut
appelé sous les armes: une première fois, en 1436, dans la guerre de Zurich
contre les petits cantons ; une seconde fois, en 1443, dans la guerre contre
Zurich, alliée de l'Autriche ; et enfin, une troisième fois, en 1460, dans la
guerre de Thurgovie. De pareilles dissensions, entre enfants d'un même pays,
sont particulièrement odieuses et éveillent dans le coeur du jeune soldat des
sentiments douloureux. Nicolas fit son devoir par obéissance, et le fit
bravement, tantôt comme porte-enseigne, tantôt à la tête d'une compagnie de cent
hommes. Sous l'habit militaire, il eut garde de souiller le vêtement précieux de
la grâce sanctifiante. Il se battit comme il priait, avec une ardeur qui tenait
de d'enthousiasme, d'une main tenant son épée, de l'autre son chapelet ; à cette
époque, chacun portait un chapelet à la ceinture. Pendant que ses compagnons
d'armes passaient les moments de trêve en amusements inutiles ou dangereux,
Nicolas se retirait dans une église ou quelque endroit solitaire ; là il passait
de longues heures à prier, à méditer sur les grandes vérités de la religion, et
la retraite entretenait à souhait l'intime paix de son âme.
Brave au combat, Nicolas se
montrait bon et compatissant envers les vaincus et il ne manqua jamais
l'occasion de recommander aux siens la modération dans la victoire. Dans la
guerre contre l'Autriche, lors de la prise de Diessenhofen, un grand nombre de
soldats autrichiens s'étaient réfugiés dans le couvent des Dominicaines du Val
de Sainte-Catherine (Katharinenthal). Les Suisses tinrent conseil et décidèrent
de mettre !e feu au couvent pour obliger les Autrichiens à prendre la fuite. En
cette circonstance, Nicolas se distingua par sa fermeté et par sa douceur. Il
alla trouver les chefs et plaida avec force la cause de la communauté menacée,
leur représentant l'impossibilité où se trouvaient les ennemis de s'y maintenir
encore longtemps, et leur présageant que de ce couvent sortiraient un jour
d'illustres modèles de vertu.
Ses prières et ses supplications
ébranlent la résolution des chefs. Il court alors sur le théâtre de l'incendie
déjà commencé et, au péril de sa vie, il s'oppose aux ravages du feu, arrache
les torches des mains des soldats et sauve d'une ruine imminente cette maison de
Dieu qui, plus tard, maintint sa haute réputation de sainteté et conserva
longtemps avec reconnaissance le religieux souvenir de son sauveur. En 1873,
après une longue existence, le célèbre couvent fut occupé par le gouvernement de
Thurgovie, qui en fit un asile de vieillards. Puissent les prières du
bienheureux ermite du Ranft obtenir un jour la restauration de ce monastère !
Quelle belle leçon donne ici à nos
jeunes soldats ce noble guerrier ! Plein de bravoure, épris d'un ardent amour
pour son pays, il ne connut aucune bassesse et respecta toujours les faibles.
Chez lui, d'amour de la patrie était accompagné de l'amour de Dieu et du
prochain. Certains jeunes gens, hélas ! se croient tout permis quand ils ont
revêtu l'uniforme du soldat ! Plus de messe le dimanche, plus de retenue dans
les paroles, les chansons et les gestes; une conduite et des propos à faire
rougir leur mère. Comme il leur sied mal, à ceux-là, de marcher derrière la
blanche croix qui orne notre drapeau !
Un homme d'une telle sagesse et
d'une si grande équité ne pouvait rester ignoré en temps de paix. Ses
concitoyens lui donnèrent bien vite leur confiance et prirent conseil de lui
dans les affaires délicates. Nicolas n'ambitionna aucune charge publique ; il
désirait mener une vie cachée en Dieu et se consacrer à sa famille. Toutefois,
pour répondre aux voeux du peuple, il accepta la charge de juge et de conseiller
cantonal. Dans l'exercice de -ses fonctions, il ne rechercha que le plus grand
bien du peuple et l'honneur -de Dieu ; comme juge, il s'inspira de la plus
stricte justice, qu'il savait tempérer par une bonté toute paternelle. Quand
survenait quelque différend entre deux habitants du village, il les appelait
chez lui et jugeait séance tenante. A celui qui succombait, il donnait
ordinairement quelques beaux fruits de son jardin comme consolation. Le curé
Henri Imgrund, son ami et son directeur de conscience, a révélé après sa mort ce
qu'il lui avait dit un jour au sujet de sa carrière de magistrat : « J'ai reçu
de Dieu en partage un esprit droit ; j'ai été souvent consulté dans les affaires
de ma patrie ; j'ai aussi prononcé beaucoup de sentences ; mais, grâce à Dieu,
je ne me souviens pas d'avoir agi en quelque chose contre ma conscience. je n'ai
jamais fait acception de personnes et je ne me suis jamais écarté des voies de
la justice. » Heureux ceux qui peuvent se rendre ce témoignage après un sérieux
examen de conscience ! Et que l'on n'aille pas croire que c'est là, chez
Nicolas, de l'outrecuidance. Il confesse bien humblement « qu'il a reçu de Dieu
cet esprit droit ». La haute dignité de landamann lui fut offerte par ses
concitoyens à plusieurs reprises; mais Il craignit cette grande responsabilité
et la refusa toujours. Les honneurs publics ne purent jamais le distraire du
travail de sa sanctification personnelle et du soin de sa famille. Bel exemple
pour les hommes politiques qui seraient portés à négliger leurs devoirs de
chrétiens et de pères de famille !
S'il faut en croire le récit
d'anciens biographes, un incident judiciaire aurait déterminé Nicolas à se
démettre de ses fonctions publiques. Dans une cause qui avait été portée devant
les juges, ceux-ci firent preuve d'une telle partialité que, malgré
l'intervention énergique de Nicolas, une sentence manifestement injuste fut
prononcée. Le saint homme se souvint alors des jugements de Dieu, par qui tous
les procès de la terre seront revisés en toute justice et en toute équité. Sa
décision fut aussitôt prise : il renonça à ses fonctions de juge.
Dieu possède sur nous un droit
absolu, et il nous conduit à notre destinée par les sentiers qu'il lui plaît.
Nicolas, époux et père de famille, sentait que Dieu lui avait réservé quelque
chose de plus grand que les honneurs de la terre. Dès sa plus tendre jeunesse,
il avait ressenti un attrait particulier pour la solitude, et à mesure qu'il
avança dans la vie, il médita de plus en plus ce genre de vie plus parfait, vers
lequel Dieu semblait lui frayer le chemin. Un jour qu'il faisait paître son
troupeau dans un vallon, il se mit à prier ; son esprit, ravi en extase, eut
plusieurs visions. Il vit sortir de sa bouche un lis éclatant de beauté et
répandant une suave odeur. Cette fleur s'éleva jusqu'au ciel. Tandis qu'il
prenait plaisir au parfum et à la beauté de la fleur, son troupeau vint à lui en
bondissant, avec, au milieu, un cheval superbe, qui, s'approchant, lui tira le
lis de la bouche. Nicolas reconnut par là que son trésor était dans le ciel,
mais que les biens et les joies célestes lui seraient enlevés, si son cœur
restait attaché aux choses de la terre. — Il entendit une autre fois, au milieu
d'un pâturage désert, un harmonieux concert de voix, lorsque tout à coup parut
un vénérable vieillard, chantant, qui lui demanda l'aumône, puis disparut après
l'avoir refusée en remerciant. Nicolas étendit ses bras vers Dieu et, soupirant,
il s'écria : « Tu ne veux donc pas mon bien, tu me veux moi-même ! »
Une autre fois, il aperçut un
superbe palais avec une fontaine, d'où coulaient le vin, l'huile et le miel. Il
fut invité à boire, ce qu'il fit avec un indicible plaisir. D'autres aussi
reçurent la même invitation ; mais comme dans l'Evangile, ils s'excusèrent
prétextant leurs affaires ou leur négoce. Cette vision le fit réfléchir ; il vit
alors venir à lui trois hommes d'un extérieur pareil et vénérable et dont les
manières et les discours ne respiraient que la vertu. L'un d'eux commença ainsi
à l'interroger: «Dis-nous, Nicolas, veux-tu te remettre corps et âme en notre
pouvoir ? — je ne me donne à personne d'autre, répondit-il, qu'au Dieu
tout-puissant, que j'ai longtemps désiré servir de mon âme et de mon corps. » A
ces mots, les étrangers se tournèrent l'un vers l'autre en souriant, et le
premier reprit : « Puisque tu t'es donné tout entier à Dieu et que tu t'es
engagé à lui pour jamais, je te promets que, dans la soixante-dixième année de
ton âge, tu seras délivré de toutes les peines de ce monde. Reste donc ferme
dans ta résolution et tu porteras dans le ciel une bannière victorieuse au
milieu de la milice divine, si tu as porté avec patience la croix que nous te
laissons. » L'homme de Dieu était à se demander comment il pourrait vaincre les
difficultés qui s'opposaient à la réalisation de son dessein, lorsque, dans le
courant de l'été, il entendit une voix d'en-haut lui dire : « Nicolas, tu
cherches avec anxiété comment tu pourrais te donner exclusivement au bon Dieu.
Par tes seules forces, tu ne le peux pas ; tourne-toi vers Dieu, car rien ne lui
est plus agréable qu'une résignation volontaire. Quitte tout ce qui t'est cher,
et tu verras que Dieu aura soin de toi. » Dès lors, sa résolution est prise ; il
quittera le monde pour s'ensevelir dans la solitude. Mais il est père de famille
; il aime ses enfants et ceux-ci lui sont très attachés ; il est époux et les
liens du mariage sont indissolubles. Ce n'est donc pas sans une grande crainte
qu'il communique son pieux projet à son épouse. Celle-ci verse d'abord
d'abondantes larmes et demande quelques jours pour réfléchir à ce qu'elle vient
d'apprendre. Reconnaissant alors la volonté de Dieu, elle fait, avec l'héroïsme
d'une femme vraiment chrétienne et pour l'amour de Jésus-Christ, le sacrifice
qu'on demande d'elle ; elle donne son consentement avec une sainte résignation.
Pour les grands sacrifices, Dieu donne de grandes grâces.
Néanmoins la séparation fut
cruelle. Nicolas régla ses affaires. Libre alors de tous ses liens, le 16
octobre 1467, il réunit les siens et leur fit ses adieux. Il se présenta devant
eux la tête et les pieds nus, revêtu d'une longue robe de pèlerin, le bâton et
le chapelet à la main. II les exhorta à vivre toujours dans la crainte de Dieu,
dans l'amour et la concorde. Il leur demanda pardon et leur promit, en retour du
grand sacrifice qu'ils acceptaient, les plus abondantes bénédictions célestes et
un éternel revoir auprès de Dieu. La petite assemblée pleurait. Nicolas embrassa
son épouse, ses enfants, son vieux père septuagénaire et quitta sa maison dans
laquelle il ne devait plus jamais rentrer. « Quiconque, dit le Sauveur, met la
main à la charrue et regarde en arrière n'est pas digne du royaume des cieux. »
-
9. A la recherche d'un ermitage
Où dois-je aller ? Telle est la
question que se pose Nicolas, comme autrefois saint joseph partant pour
l'Egypte. A qui fait son devoir, Dieu ne fait jamais défaut. Nicolas se mit
paisiblement en route ; il ne voulait pas rester dans son pays, craignant de
devenir un sujet d'étonnement, de scandale même pour ses compatriotes. Il prit
donc la direction du jura et de l'Alsace, et arriva ainsi aux limites de la
Confédération, sur les hauteurs du Hauenstein, d'où il aperçut la ville de
Liestal. Il s'en détourna, car cette ville lui apparut comme en flammes. Dans
une localité voisine, il rencontra un paysan auquel il fit part de sa
résolution, en le priant de lui indiquer un lieu retiré où il pût la mettre à
exécution. Cet homme de bien trouva le projet bon et louable, mais lui conseilla
de rentrer dans sa patrie, pour ce motif que des Confédérés n'étaient pas
toujours bien accueillis partout ; on pourrait, ajouta-t-il, le voir de mauvais
oeil à Bâle ou ailleurs, et troubler sa retraite ; il y avait du reste assez de
déserts en Suisse, pour y servir Dieu en paix. Le frère Nicolas remercia le bon
paysan et reprit le même soir le chemin de son pays. Il passa la nuit dans un
champ, en plein air, et pria Dieu de l'éclairer sur le but de son pèlerinage.
S'étant endormi, il entrevit une vive clarté partant du Hauenstein et se
dirigeant vers les montagnes de l'Unterwald ; il lui semblait qu'une secrète
impulsion le ramenait vers sa patrie. Cette clarté surnaturelle pénétra tout son
intérieur, et le fit souffrir comme s'il avait senti le tranchant d'un glaive
dans ses entrailles. Depuis ce jour jusqu'à sa mort, il ne prit plus aucune
nourriture.
Le lendemain, Nicolas se remit en
route, guidé par la clarté surnaturelle qui lui était apparue en songe, et se
dirigea vers la vallée qu'il avait vue pendant son sommeil et où il avait une
propriété, prés de Klysteralp. II s'y arrêta et y séjourna quelques jours,
priant et méditant les choses divines, ayant pour lit quelques branches de houx,
et pour coussin un fragment de rocher. Mais voici que des chasseurs découvrirent
la demeure de l'ermite. Ils en parlèrent à son frère, Pierre de Flue, qui vint
le supplier de rentrer dans sa maison, où on lui aménagerait une petite cellule
afin qu'il pût suivre l'appel de Dieu. Pour n'avoir pas d'air de tenter la
Providence, Nicolas fit appeler secrètement un prêtre vénérable, Oswald Isner,
curé de Kerns, de qui il prit conseil. Lorsque le prêtre vit sa mine de santé
conservée malgré ces grandes fatigues et l'abstention de toute nourriture, il
comprit que le doigt de Dieu était là et lui conseilla de persister ;dans cette
épreuve aussi longtemps qu'il pourrait la supporter sans danger de mort.
A quelque temps de là, Dieu indiqua
à nouveau à l'ermite, par un rayon de lumière surnaturelle, un refuge moins
accessible aux hommes, dans une gorge obscure appelée le Ranft. Ce fut là que
Nicolas se construisit une hutte de branchages qu'il entoura d'épais taillis.
Mais le lieu de sa nouvelle
retraite ne tarda pas à être connu dans la contrée. On en parla; les uns prirent
la chose au sérieux ; d'autres parlèrent d'illusion ; quelques-uns émirent des
doutes sur les intentions de Nicolas ; en un mot, chacun y alla de sa petite
remarque... Peu à peu, le doute se changea en admiration pour le saint homme de
Dieu. Celui-ci ne demeura qu'une année dans sa cabane faite de broussailles. Une
assemblée générale du canton décida de lui bâtir une habitation avec une
chapelle. Cet ermitage subsiste encore ; petite et étroite, la chambre ne mesure
que six pieds de hauteur ; avec sa haute stature, Nicolas ne pouvait pas s'y
tenir debout. Trois fenêtres y étaient aménagées : l'une donnant sur l'autel de
la chapelle ; la seconde recevant la lumière du jour, et la troisième permettant
à l'ermite de s'entretenir avec les visiteurs.
C'est là, dans cette solitude
paisible du Ranft, à un quart d'heure de sa maison, que le solitaire passa les
vingt dernières années de sa vie, jeûnant et priant, n'ayant pour lit qu'une
planche nue et pour oreiller une pierre du torrent. L'endroit qu'il aimait
par-dessus tout, c'était la petite chapelle, son paradis sur terre. Elle fut
consacrée et dotée par l'évêque de Constance. Des princes et des rois se plurent
ensuite à l'enrichir de fondations, afin d'y établir une chapellenie pour que
le pieux ermite pût entendre la sainte messe chaque jour. L'archiduc d'Autriche
lui-même, Sigismond, fit un don généreux au sanctuaire. En reconnaissance
Nicolas lui accorda ses prières, et, la même année, la paix fut conclue entre
l'Autriche et la Suisse. En l'année 1470, le pape Paul II accorda une indulgence
plénière aux visiteurs de la chapelle. Le premier chapelain fut Pierre
Bachtaler, témoin et admirateur de la sainteté de l'Ermite du Ranft.
Le monde, surtout notre monde
moderne, ne sait pas comprendre ce que Dieu réserve à ceux qui l'aiment. Il est
trop attiré par les music-halls et les dancings, par les matchs, les records,
par les spéculations et les coups de bourse : autant de vains fantômes qui ne
laissent dans les âmes que le vide et la faim ! Lorsque Nicolas eut accompli le
grand sacrifice qui le détachait de tous les biens de la terre, il sentit naître
dans son coeur une « paix ineffable que le monde ne peut pas donner ».
Quel fut donc son genre de vie dans
la solitude ? Après un court repos sur la dure planche qui lui servait de lit,
peu après minuit, il quittait son oreiller de pierre et commençait sa prière et
son oraison qui se continuaient durant toute la journée. Son âme si pure, tout
illuminée des grâces d'en-haut, pénétrait bien avant dans les mystères de la foi
et jusque dans les profondeurs de la sainte Trinité, mystère dont il eut une
révélation particulière. Son coeur s'attendrissait jusqu'aux larmes à la
contemplation des plaies du divin Crucifié. A lui qui savait à peine lire, la
croix, comme un livre ouvert, enseignait la pratique de la vertu et de la
perfection. Il compatissait aux souffrances du divin Sauveur et de sa très
sainte Mère ; il se livrait à la mortification, à la prière et au jeûne pour les
pauvres pécheurs. Son oraison était un acte perpétuel d'amour, d'amour confiant
et pur, une sorte d'extase. Rien d'étonnant dès lors que saint Pierre Canisius
ait recueilli ses colloques pour en faire profiter tous les fidèles.
« Regardez et faites comme le
modèle ! » ami lecteur. « Mais je n'ai pas le temps ! » Pour tout, vous avez du
temps. Faites comme cette pieuse mère de famille, dont les fils et les filles
occupent maintenant des places honorables dans le monde et dans le cloître, et
qui, jusqu'à l'âge de huitante ans, se leva chaque matin à 4 heures pour faire
une heure de méditation ; et durant la journée, elle accompagnait son travail
d'un cantique à la Sainte Vierge. Et ce jeune ouvrier boulanger, qui vécut
quelque temps en Suisse, saint Clément Hofbauer, l'apôtre de Vienne, lui aussi
se levait à 2 heures du matin et chantait sa prière en pétrissant son pain. Dès
avant le lever du jour, Nicolas n'avait de pensée que pour Dieu et pour son âme.
Avant la fondation de la chapellenie, il faisait chaque jour une heure de marche
pour assister à la sainte messe dans l'église paroissiale de Kerns ou de
Sachseln. Il n'y a rien de plus grand ici-bas que le sacrifice de la messe. Y
assister, unir nos prières, nos souffrances et nos peines à celles de la divine
victime doit être notre plus grand bonheur sur la terre.
L'après-midi, le pieux ermite
recevait la foule des visiteurs qui voulaient s'entretenir avec lui. La renommée
de sa sainteté s'était répandue au loin. Les biographes racontent que les
pèlerins se rendant à Einsiedeln passaient aussi au Ranft pour y chercher
conseil et réconfort. On vit venir dans cette mystérieuse retraite des évêques
et autres personnages illustres, de savants théologiens, tout comme des gens du
peuple, pour confier leurs peines au Frère Nicolas, se recommander à ses prières
et s'inspirer de ses conseils. I1 se montrait plein de bonté envers chacun ; «
de sa bouche coulaient des paroles plus douces que le miel ». Mais aussi, sa
vie austère et mortifiée, comme celle de Jean-Baptiste, prêchait éloquemment la
pénitence. Avec une noble franchise et une sainte indépendance, il rappelait à
tous, même aux prêtres et aux magistrats, leurs devoirs. A cette époque, de
graves désordres sévissaient dans la société, et même dans l'Eglise. Nicolas qui
s'était toujours montré très respectueux envers les prêtres et les magistrats,
recommandait à ses visiteurs le respect et l'obéissance envers l'autorité
religieuse et civile. Lorsqu'il avait à parler de certains prêtres indignes, il
disait : « La plante qui reçoit l'eau du rocher ne s'enquiert pas si l'eau coule
par un tuyau de plomb ou d'argent. De même, vous recevez des bons comme des
mauvais prêtres la même grâce de Dieu, pourvu que vous y soyez convenablement
préparés. » Remarque profondément vraie : en matière de foi, on ne doit pas
confondre la personne avec le ministère qu'elle remplit. Malheur, sans doute,
aux prêtres indignes 1 Le sacrilège de judas mérite le châtiment de judas ! Ce
que Nicolas disait aux soldats, nous l'avons vu dans la guerre de Thurgovie,
lorsque les Suisses menaçaient d'incendier le couvent des Dominicaines du
Val-Sainte-Catherine. En un mot à tous il parlait avec franchise et charité.
Seuls, les vulgaires curieux ou les visiteurs mal intentionnés, (ce que le pieux
ermite connaissait par inspiration divine) ne recevaient pas audience ; il ne
voulait pas perdre son temps en de vains et inutiles entretiens. Ses paroles
n'avaient pas d'autre but que d'apporter lumière et conseil dans les âmes. Au
moment de prendre congé il disait toujours : « Que le nom de jésus soit votre
salut ! » Telle doit être aussi la raison et le sens de tous nos entretiens :
Jésus, qui nous demandera compte un jour de toute parole oiseuse.
Jamais l'ermite ne quitta son
étroite cellule pour se récréer ou se distraire ; seuls, l'amour de Dieu et du
prochain, ou bien les intérêts de son âme pouvaient le tirer de la solitude. On
le voyait, aux jours de grandes solennités, à Lucerne, à Einsiedeln, à la
chapelle de Notre-Dame à Sarnen, ou à l'église de Saint-Nicolas, son patron, sur
l'autre rive de la Melchaa. Quelle impression ne devait pas faire sur la foule
cet étrange pèlerin, à la haute stature, au front émacié, portant les traces de
ses dures mortifications ! Pourtant, il voyageait de préférence la nuit, afin de
ne pas attirer sur lui les regards des hommes, et c'est encore la nuit qu'il
regagnait sa retraite.
Un homme qui menait une vie aussi
sainte ne pouvait manquer d'exciter la rage du démon. Une seule fois, celui-ci
réussit à tromper le Frère Nicolas qui revenait de la messe
Nicolas de Flue en récitant son
chapelet. Passant devant sa maison, à Flueli, il entendit un tel vacarme dans la
chambre de famille qu'il crut que ses enfants se disputaient. Il s'approcha des
fenêtres et voulut recommander la paix ; mais il s'aperçut alors que la chambre
était déserte et que ses enfants n'étaient pas même à la maison. Ce fut la seule
fois qu'il s'approcha de son ancienne demeure, qu'il avait quittée sur l'appel
de Dieu.
Plus un homme est avancé dans la
vertu, plus il s'attire la haine du démon, ce grand jaloux à qui le ciel est à
jamais fermé. Par tous les moyens, il cherche à détourner l'homme de sa
destinée, depuis nos premiers parents jusqu'au dernier mortel à la fin des temps
; il n’a pas même épargné le Christ au désert. Le Ranft fut donc aussi pour
Nicolas un champ de bataille. Le tentateur lui apparut sous les formes les plus
diverses, tantôt proférant des insultes et des menaces, tantôt cherchant à le
séduire. Mais l'homme de Dieu sut toujours le démasquer, et c'est parfois avec
une ironie cinglante qu'il l'apostropha. « Tu dois être là depuis fort
longtemps, lui dit-il un jour, puisque tu sais donner de si bons conseils.
Comment -se fait-il donc que tu n'aies pas su te diriger toi-même et que tu aies
échangé le ciel contre l'enfer? » Si un Nicolas de Flue a dû subir de tels
assauts, et si le démon s'est promis « de cribler les apôtres eux-mêmes comme on
crible le froment », nous ne devons pas nous étonner d'être tentés, nous qui
sommes si imprudents et qui nous exposons si souvent à l'esprit du mal. Une
seule chose nous rassure, c'est la parole que Jésus adressa à l'apôtre saint
Paul : « Ma grâce te suffit. »
Selon la remarque d'un auteur
spirituel, c'est la puissance de Dieu « qui porte les saints et leur fait faire
des couvres qui sont au-dessus des forces de la nature ». Saint Paul l'affirme :
« je puis tout, dit-il, en Celui qui me fortifie », c'est-à-dire le Christ dans
la sainte Eucharistie. Tel fut aussi pour Nicolas de Flue le principe surnaturel
de sa sanctification ; on peut dire que l'Eucharistie fut l'âme de sa vie. Dans
les premiers siècles de l'Eglise, alors que sévissaient les sanglantes
persécutions, c'est dans la messe et la communion que les chrétiens allaient
puiser la force du martyre. Plus tard, ce zèle empressé des fidèles pour
recevoir la sainte Eucharistie se refroidit malheureusement. Beaucoup se
tenaient à l'écart et les bons eux-mêmes ne communiaient que rarement, se
conformant à une coutume, contre laquelle S. S. Pie X allait réagir si
heureusement. Cette coutume nous fait comprendre pourquoi Nicolas de Flue ne
s'approchait qu'une fois par mois de la sainte table ; et pourtant son amour
pour la sainte Eucharistie était si grand qu'il en faisait le soutien même de sa
vie. Déjà comme enfant, Nicolas avait demandé au bon Dieu de pouvoir vivre sans
manger, pour se séparer d'autant mieux du monde. Pour les témoins de sa vie
d'anachorète, c'était un spectacle profondément édifiant que de le voir assister
au sacrifice de la messe ou s'approcher de la sainte table. Son maintien
extérieur révélait sa foi profonde au Saint Sacrement de l'autel. A cette foi
vive, répondaient un respect, une dévotion et un amour admirables. Pour sûr, le
Dieu de l'Eucharistie ne pouvait trouver un tabernacle qui lui fût plus agréable
que le coeur brûlant d'amour du Frère Nicolas. Mais aussi, quel prodige de la
divine bonté envers lui ! Vingt années durant, il ne prit pas d'autre nourriture
que la sainte communion.
L'Eucharistie est la nourriture de
notre âme et l'aliment de la vie surnaturelle en nous. Nicolas le savait, et il
en avait fait l'expérience dés sa jeunesse. Le divin Sauveur l'a dit
expressément : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne
buvez son sang vous n'aurez pas la vie en vous. — Ma chair est vraiment une
nourriture et mon sang un breuvage. — Je suis le pain vivant descendu du ciel ;
quiconque mangera de ce pain vivra éternellement. » Voilà pourquoi l'Eucharistie
fut- toujours le foyer ardent où vint s'alimenter la vie spirituelle du saint
ermite du Ranft ; toutes ses pensées, tous ses désirs et toutes ses actions
gravitaient autour de ce foyer d'amour. Quel exemple pour nous tous !
Comprend-elle, notre jeunesse, le
bonheur qu'elle a d'appartenir à ce vingtième siècle qui a été appelé avec
raison le siècle de la communion fréquente ? Le saint Pontife Pie X a convié à
la sainte table les petits enfants, au cœur innocent et pur ; il a exhorté à la
communion fréquente les jeunes gens et les jeunes filles ; à l'âge où les
passions s'éveillent, c'est le moyen le plus efficace de conserver sa vertu. De
nos jours plus que jamais tant de dangers conspirent à perdre la jeunesse. «
Malheur à celui qui est seul ! » comme dit l'Esprit-Saint. Que le jeune homme et
la jeune fille restent donc toujours unis à leur Sauveur. Et lorsqu'il s'agit de
choisir un état de vie, c'est jésus, « la voie, la vérité et la vie», qu'il faut
consulter; lorsque surtout les fréquentations commencent en vue du mariage,
alors particulièrement la communion fréquente est de rigueur, si on veut que
Jésus et Marie bénissent le mariage, comme à Cana.
Aux noces de Cana, le divin Sauveur
a changé l'eau en vin, non pas seulement pour tirer d'embarras de jeunes époux,
mais aussi pour leur donner un profond enseignement. Par ce miracle, jésus a
voulu inspirer aux époux chrétiens la confiance en la divine Providence et leur
donner le courage de remplir toujours leur devoir. Lorsque le soins des enfants
et les soucis du pain quotidien assombrissent le front des parents, que ceux-ci
invitent le Sauveur à venir s'asseoir au foyer de famille et leurs inquiétudes
se dissiperont. N'est-ce pas Lui qui nous dit : « Venez à moi, vous tous qui
êtes fatigués et qui êtes chargés et je vous soulagerai » ? Ainsi l'avait
compris Nicolas de Flue; avec son épouse et ses enfants, il resta toujours comme
un sarment vigoureux et plein de vie, parce que greffé sur le cep qui est
Jésus-Christ.
Puissent les paroles et les
exemples des saints nous engager à communier souvent Redisons aussi la belle
prière que l'Eglise adresse à Dieu, à la messe du B. Nicolas de Flue : « O Dieu,
qui avez nourri miraculeusement le bienheureux Nicolas de Flue du Pain des
Anges, accordez-nous, par l'intercession de ce grand saint, de recevoir
dignement ici-bas le Corps et le Sang de Notre-Seigneur, afin que nous méritions
de jouir éternellement de sa vue au ciel. »
Si nous n'avons pas le bonheur de
recevoir chaque jour sacramentellement le Pain des Anges, faisons du moins la
communion spirituelle en nous unissant de près ou même de loin au saint
Sacrifice de la messe.
Après les guerres, les chefs d'Etat
et les diplomates se réunissent pour discuter de la paix et en fixer les
conditions. Mais au grand jour du jugement dernier, il apparaîtra que les vrais
négociateurs de la paix des peuples à travers l'histoire ne furent pas les seuls
hommes politiques, mais bien plutôt les âmes qui prièrent et qui, comme Moïse,
combattirent avec l'arme de la prière. Tel fut Nicolas de Flue, le grand apôtre
de la paix.
Après avoir héroïquement résisté à
toute la puissance de Charles le Téméraire et de ses alliés sur les champs de
bataille de Grandson, de Morat et de Nancy, les Suisses, jusqu'alors si pleins
de foi et de prudence, allaient malheureusement se diviser au milieu des joies
enivrantes de la victoire. Pendant et après les guerres de Bourgogne, nos
ancêtres avaient pris le goût des richesses, de la conquête et de la vie facile
; l'antique simplicité avait disparu. Les bonnes moeurs avaient grandement
souffert un peu partout. Dans l'espace de trois mois, 1500 criminels avaient été
condamnés par les tribunaux, et une bande de plusieurs milliers d'aventuriers
semaient la terreur dans le pays. Des temps aussi tristes avaient besoin d'un
Nicolas de Flue, l'homme de la prière ; ils avaient besoin d'un saint qui par
ses mortifications et ses exemples de vertu fût une leçon pour tous, une
prédication continuelle qui forçât à la réflexion et au retour sur soi-même.
Le Frère Nicolas faisait de «
l'action catholique » dans le plus noble sens du mot. Maintes fois, il reçut
dans son ermitage les premiers magistrats du pays qui venaient à lui pour
obtenir des avis ou des conseils. Il leur répondait avec une noble franchise : «
Confédérés, gardez-vous de la désunion ; bannissez tout esprit de parti; c'est
la perte d'un Etat. Ne cherchez pas à étendre vos frontières et à faire de
nouvelles conquêtes. Méfiez-vous de l'esprit de lucre, et ne vous laissez pas
aveugler par l'or étranger. Pas de guerre sans nécessité. Si l'on vous attaque,
levez-vous pour vous défendre et pour sauver votre patrie et votre liberté »
Profession de foi d'un vrai patriote !
Après les guerres de Bourgogne, la
Suisse, alors à l'apogée de sa renommée guerrière, se trouva tout à coup à deux
doigts de sa perte. te partage du butin et la question de l'admission de
Fribourg et de Soleure dans la Confédération faillirent rompre l'ancienne amitié
et jeter les confédérés dans la guerre civile. La diète fédérale était réunie à
Stans, mais l'accord ne pouvait s'établir entre les députés. La diète allait
donc se dissoudre et l'on ferait appel aux armes. Alarmé de la situation, le
curé de Stans, Henri Imgrund, se rend en toute hâte à la cellule du saint
ermite, et le supplie, au nom de Dieu, de sauver la patrie.
Nous pouvons nous représenter sans
peine combien le Frère Nicolas dut souffrir en apprenant que la discorde des
Confédérés allait s'aggravant. Combien ces querelles et ces disputes durent être
douloureuses pour lui et avec quelle ardeur il dut implorer de la grâce divine
le salut de la patrie ! Et le salut vint d'une manière inattendue ; le message
du Ranft, apporté par le curé Imgrund, fut comme une illumination d'en haut et
rétablit le calme et la paix ; le Convenant de Stans fut arrêté le 22 décembre
1481. Par un vote unanime, Fribourg et Soleure furent reçus au nombre des
cantons confédérés.
De toutes parts, le Bienheureux
reçut des remerciements. Récemment encore, en 1917, le Conseil fédéral, en
ordonnant la sonnerie des cloches dans toute la Suisse, fit reconnaître en
Nicolas de Flue, l'homme de la prière, comme. le sauveur de la patrie. Son
portrait a une place d'honneur au palais fédéral à Berne. Au commencement de la
première guerre mondiale, l'Abbé d'Einsiedeln fit le voeu solennel de placer un
ex-voto dans la Sainte Chapelle de son église en l'honneur du Bienheureux, si la
Suisse était épargnée. La Suisse fut épargnée et la pieuse promesse accomplie.
Après Dieu et la Sainte Vierge, c'est bien au saint ermite du Ranft que notre
patrie doit l'insigne faveur d'avoir conservé la paix pendant les deux dernières
guerres si meurtrières.
Ce grand ami de la paix aurait
encore voulu préserver sa chère patrie d'un autre malheur. Avec un esprit
vraiment prophétique, il entrevit ce qu'il en serait de l'avenir de la religion
en Suisse : la confusion des esprits en matière de foi et la révolution
religieuse du XVIe siècle. « Mes chers enfants, disait-il, ne vous laissez pas
tromper par la nouveauté et par les artifices des hommes ... ne vous laissez pas
agiter comme le roseau par la violence -du vent. » Le gouvernement de Berne
lui-même, qui bientôt allait abandonner la foi des aïeux, avait envoyé au
Bienheureux, après la diète de Stans, une adresse de remerciement ; et même
après le schisme, les hauts magistrats de Berne disaient: « Nous tenons le Frère
Nicolas en si haute estime que, pour nous, il n'y a pas le moindre doute qu'on
doive le compter au nombre des saints. »
Que le saint pacificateur de la
Suisse soit aussi le gardien de notre foi et qu'il ramène bientôt nos frères
séparés au bercail de l'Eglise du Christ !
Dieu avait prédit à Nicolas «
qu'arrivé à l'âge de soixante-dix ans, il serait délivré de toutes peines et
introduit dans le ciel. » Riche en bonnes oeuvres devant Dieu et devant les
hommes, Frère Nicolas approchaient maintenant de sa soixante-dixième année. Au
printemps de 1487, le 21 mars, jour anniversaire de sa naissance, après huit
jours d'une cruelle maladie, en proie à d'horribles douleurs qu'il supportait
avec une patience surhumaine, Nicolas sentit sa fin s'approcher. Il demanda avec
la plus grande piété le Pain céleste de l'Eucharistie. Le curé de Stans lui
apporta le saint Viatique. A la vue de son Dieu, Nicolas tendit ses bras à demi
glacés, communia avec une indicible ferveur et s'abîma dans une muette action de
grâces. Il prit ensuite la main de sa femme et de ses enfants, qu'il plaça sur
son cœur ; celle du curé de Stans, qu'il approcha de ses lèvres ; puis il
s'affaissa, regarda le ciel et mourut.
A la nouvelle de cette mort, une
douleur profonde, un deuil général se répandirent dans la Suisse : on eût dit
des enfants qui venaient de perdre un père chéri. Le lendemain, tous les prêtres
des environs se réunirent pour célébrer les funérailles du défunt. Plusieurs
milliers de villageois accompagnèrent en grande pompe le corps, au milieu des
chants et des prières, à l'église de Sachseln, où il fut enseveli dans le
tombeau de ses aïeux. Tous les cantons organisèrent pour le Père et le
Pacificateur de la Patrie de solennels services funèbres. Sigismond, archiduc
d'Autriche, se distingua entre tous. Il fit aussi célébrer un Requiem le plus
solennel possible, accompagné -de cent messes pour les défunts.
« Son tombeau sera glorieux »,
avait dit le prophète en parlant du Christ. On pourrait aussi dire cette parole
de la tombe de Nicolas de Flue à Sachseln. Le 21 mars 1518, Benoît de
Montferrand, évêque de Lausanne, fit placer les restes mortels du Frère Nicolas
dans un sépulcre de marbre, entouré d'une grille de fer.
Quand on procéda à l'exhumation, un
doux parfum s'exhala de ces restes vénérés. En 1600, l'église paroissiale de
Sachseln fut agrandie et remplacée, en 1672, par l'église actuelle. Les restes
vénérés du saint ermite y sont conservés aujourd'hui dans un gisant ou
statue-reliquaire en argent placé sur l'autel principal. C'est là qu'ils
attendent le jour triomphant de la résurrection.
L'apôtre saint Paul dit, dans une
de ses lettres : « Peu m'importe que les hommes me louent ou qu'ils me blâment ;
c'est Dieu qui me jugera.» Le jugement de Dieu sur le saint ermite du Ranft se
manifeste par celui -de l'Eglise ; le voici : Nicolas de Flue est dans la gloire
et la béatitude du ciel. Les hommes s'expriment avec des mots ; Dieu parle par
la voix du miracle. De son vivant déjà le Frère Nicolas a été glorifié par des
miracles. Le plus grand, c'est son jeûne absolu. Vingt années durant, l'Ermite
ne prit aucune nourriture ni aucune boisson, hormis la sainte Hostie qu'il
recevait environ tous les mois. Le fait fut constaté par l'évêque de Constance,
et aussi par les magistrats d'Obwald qui firent surveiller militairement,
pendant un mois, la demeure du solitaire. Parlant de ce miracle, un historien a
pu écrire : « Rien n'est mieux prouvé que ce fait; on refuse de le croire
uniquement parce qu'il est catholique ! »
Un second miracle du saint ermite
c'est celui par lequel il éteignit l'incendie de la ville de Sarnen. Du haut du
rocher de Flueli, d'où il voyait la ville en feu, il étendit sa main vers Sarnen
et, par le signe puissant de la croix, il ordonna à l'élément dévasteur de
s'apaiser. A cet endroit s'élève maintenant la petite chapelle de Flueli, où
chaque année les habitants de Sarnen se rendent en procession pour remercier
Dieu de ce miracle.
Les livres et registres paroissiaux
de Sachseln relatent, en outre, nombre de faveurs et de guérisons obtenues par
la puissante intercession du Frère Nicolas. Ajoutons à cela le don de prophétie
et les visions (comme celle de la Sainte Trinité) dont fut favorisé le saint
ermite et nous pourrons conclure : Oui, Dieu l'a glorifié par le miracle.
L'Eglise, elle aussi a parlé. La
renommée de sainteté de Nicolas s'était répandue jusque dans des contrées très
éloignées ; de toutes parts on accourut à son tombeau. En l'année 1672, le
Souverain Pontife, après un examen minutieux de tous les actes du procès
d'information, décernait au Serviteur de Dieu, Nicolas de Flue, le titre de
Bienheureux. Depuis ce jour, on lui rendit un culte public. Chaque année, les
catholiques de la Suisse se rendent en grand nombre à Sachseln pour implorer son
secours et lui confier leurs besoins. Ces cinq siècles de confiance et de
vénération viennent d'être récompensés de nouveau par la protection manifeste du
bienheureux au cours de l'un et l'autre conflit mondial.
Là-haut, dans le ciel de gloire, le
bienheureux Nicolas de Flue jouit auprès de Dieu d'un bonheur incomparable.
Ici-bas, le peuple suisse n'a qu'un désir depuis longtemps : que le patron et le
pacificateur de la patrie soit couronné de l'auréole du « Saint ». A plusieurs
reprises ce voeu de tous a été exprimé publiquement et solennellement, par
exemple, en 1869 par l'Episcopat suisse, en 1929 et en 1935, lors des congrès de
Lucerne et de Fribourg. La dévotion envers le saint ermite du Ranft s'est
développée beaucoup depuis une vingtaine d'années, grâce aux exhortations des
Evêques, et aux efforts de la « Ligue Nicolas de Flue » fondée en 1927, et aussi
en raison des événements des deux dernières guerres. Les faveurs obtenues par
l'intercession du bienheureux Nicolas de Flue se sont multipliées. Le procès de
canonisation a été ouvert à Rome par ordre du Souverain Pontife. Mgr Krieg,
postulateur principal de la cause et les vice-postulateurs pour la Suisse, M. le
chapelain Durrer de Sachseln et M. le doyen Victor Schwaller ont été chargés de
recueillir et de présenter à la S. Congrégation des Rites les renseignements
nécessaires. Pour la canonisation d'un bienheureux déclaré tel par voie
extraordinaire, comme ce fut le cas en 1669 pour Nicolas de Flue, trois miracles
sont requis. S. S. Pie XII a daigné déclarer que deux miracles suffisaient pour
cette cause. C'est ainsi que la guérison de Mlle Ida Jecker, en juin 1937, et
celle de Mlle Berthe Schürmann, en mai 1939, guérisons dûment certifiées et
examinées par plusieurs médecins, ont été reconnues pour miraculeuses et
acceptées comme telles par le Pape dans une dernière séance de la S.
Congrégation des Rites, le 4 juin 1944. La cérémonie solennelle de la
canonisation, nécessaire pour que le nouveau saint puisse être fêté
liturgiquement, aura lieu en l'an de grâce prochain 1947. En attendant tout
catholique invoque dans l'intime de son cœur saint Nicolas de Flue, et tous les
Suisses continueront à honorer en lui le Père de la Patrie.
SOURCE :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/nicolas/nicolas.htm
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