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Naissance de S. Jean-Baptiste
Luc,I, 57-80.
« Élisabeth mit donc au monde un
fils, et ses voisins s’unissaient à sa joie ».
La naissance des saints est une joie
pour beaucoup, parce que c’est un bien commun : car la justice est une
vertu sociale. Aussi à la naissance de ce juste voit-on déjà les marques
de ce que sera sa vie, et le charme qu'aura sa vertu est présagé et
signifié par l'allégresse des voisins.
Il est heureux que soit mentionné le
temps passé par le prophète au sein maternel, sans quoi la présence de
Marie n'eût pas été rapportée. Mais il n'est pas question du temps de
son enfance, car, la présence du Seigneur l'ayant fortifié dès le sein
de sa mère, il n'a pas connu les entraves de l'enfance. Aussi ne
lisons-nous dans l'Évangile rien d'autre à son sujet que sa naissance et
son témoignage : son tressaillement au sein maternel, sa parole au
désert. C'est qu'il n'a jamais connu l'âge de l'enfance, puisque élevé
au-dessus de la nature, au-dessus de son âge, il a, dès le sein de sa
mère, commencé par la mesure de l'âge parfait de la plénitude du Christ
(Ephés., IV, 13).
« Et sa mère répondit :
Non, mais il s'appellera Jean. Et ils lui répondirent: Il n'y a personne
dans votre parenté à porter ce nom. Ils demandèrent donc par signes à
son père comment il voulait qu'on le nommât. Et, prenant des tablettes,
il écrivit ces mots: Jean est son nom. Et tous furent étonnés. Et
aussitôt sa langue se délia, ses lèvres s'ouvrirent, et il parla pour
bénir Dieu ».
Chose remarquable, le saint
évangéliste a jugé bon de noter en premier lieu que beaucoup pensaient
donner à l'enfant le nom de son père Zacharie: ainsi vous observerez que
sa mère n'a pas trouvé déplaisant le nom de quelque étranger, mais que
l'Esprit Saint lui a communiqué celui que précédemment l'ange avait
annoncé à Zacharie; muet, celui-ci n'a pu indiquer le nom de son fils à
son épouse, mais Élisabeth a appris par révélation ce qu'elle n'avait
pas appris de son mari. « Jean, dit-il, est son nom »; c'est-à-dire: ce
n'est pas nous qui lui donnons un nom, puisqu'il a déjà reçu de Dieu son
nom. Il a son nom: nous le reconnaissons, nous ne l'avons pas choisi.
Les saints ont ce privilège de recevoir de Dieu un nom; ainsi Jacob est
appelé Israël parce qu'il a vu Dieu; ainsi Notre Seigneur a été appelé
Jésus avant sa naissance; ce n'est pas l'ange, mais son Père qui Lui a
imposé ce nom: « Mon fils Jésus, est-il écrit, se manifestera avec ceux
qui auront part à sa joie, qui ont été réservés pour les quatre cents
années. Et voici qu'après ces années mon fils le Christ mourra et le
siècle se convertira » (IV Es, VII, 28-30) Vous le voyez,
les anges annoncent ce qu'ils ont entendu, non ce qu'ils ont pris sur
eux.
Ne soyez pas surpris si cette femme
témoigne d'un nom qu'elle n'avait pas entendu, puisque l'Esprit Saint,
qui l'avait confié à l'ange, le lui a révélé. D'ailleurs il ne se
pouvait qu'elle ignorât le Précurseur du Seigneur, elle qui avait
annoncé le Christ. Et il y avait lieu d'ajouter que personne dans sa
parenté ne portait ce nom : vous comprenez ainsi que ce nom ne désigne
pas la famille, mais le prophète.
Zacharie à son tour est interrogé
par signes; mais comme son manque de foi l'avait privé de la parole et
de l'ouïe, ne pouvant s'exprimer de vive voix, il le fait par la main et
par l'écriture ; car « il écrivit ces mots : Jean est son nom » : par où
le nom n'est pas donné mais attesté. Et il est juste qu'aussitôt sa
langue se soit déliée : enchaînée par l'incrédulité, la foi l'a déliée.
Croyons donc, nous aussi, afin de parler (Ps. 115,1), afin que
notre langue, enchaînée par les liens de l'incrédulité, se délie en
paroles spirituelles. Écrivons en esprit les mystères si nous voulons
parler; écrivons le messager du Christ « non sur des tables de pierre,
mais sur les tables de chair de notre cœur » (II Co., III, 3).
Car parler de Jean, c'est prophétiser le Christ: parlons de Jean,
parlons aussi du Christ, afin que nos lèvres à leur tour puissent
s'ouvrir, ces lèvres qui, chez un prêtre si grand, étaient, comme pour
un animal sans raison, bridées par le mors d'une foi hésitante.
« Et Zacharie son père fut rempli de
l'Esprit Saint et prophétisa en ces termes ».
Voyez comme Dieu est bon, prompt à
pardonner les péchés: non seulement Il rend ce qu'il avait retiré, mais
II accorde encore ce qu'on n'espérait pas. Cet homme depuis longtemps
muet prophétise: car c'est le comble de la grâce de Dieu que ceux qui
l'avaient nié Lui rendent hommage. Que personne donc ne perde
confiance ; que personne, à la pensée de ses fautes passées, ne
désespère des récompenses divines. Dieu saura modifier sa sentence si
vous savez corriger votre faute.
« Et toi, enfant, on t'appellera
prophète du Très-Haut ».
Il est bien que, dans cette
prophétie sur le Seigneur, il adresse la parole à son prophète pour
montrer qu'il y a là encore un bienfait du Seigneur : faute de quoi,
dans cette énumération des bienfaits généraux, il eût semblé, comme un
ingrat, taire ceux qu'il avait reçus, qu'il reconnaissait dans son fils.
Mais quelques-uns jugeront peut-être déraisonnable et extravagant
d'adresser la parole à un enfant de huit jours. Pourtant, à la
réflexion, nous comprenons parfaitement qu'il pouvait, une fois né,
entendre la voix de son père, ayant entendu le salut de Marie avant de
naître. Prophète, il (Zacharie) savait qu'il est d'autres oreilles pour
un prophète, celles qu'ouvre l'Esprit de Dieu, et non la croissance du
corps ; il (Jean-Baptiste) avait le sens pour comprendre, ayant eu le
sentiment pour tressaillir.
Remarquez encore combien courte est
la prophétie d'Élisabeth, combien étendue celle de Zacharie. Pourtant
l'un et l'autre parlaient de la plénitude de l'Esprit Saint; mais le bon
ordre était respecté, qui demande à la femme d'être plus appliquée à
s'instruire des choses divines qu'à les enseigner. Aussi avons-nous
peine à trouver une femme qui ait prophétisé plus longuement que la Mère
du Seigneur. Même la prophétesse Marie, sœur d'Aaron, comme elle a vite
terminé son cantique ! (Ex., XV, 20 sqq.) au lieu que, le jour où
elle parla plus longuement en compagnie de son frère, elle ne manqua pas
d'être châtiée de ses propos (Nb., XII, 1 sqq.).
Ambroise de Milan, Père et
Docteur de l’Église
Commentaire de l’Évangile de Luc. |