|
Que nos privations nous rendent plus forts
pour lutter contre l’esprit du mal
Du quatrième au
neuvième dimanche “ordinaires”, nous relisons d’amples passages du
Discours sur la Montagne en saint Matthieu, mais pas celui que nous
lisons aujourd’hui, en ce Mercredi des Cendres, précisément parce
que l’Eglise veut nous faire méditer sur le vraie jeûne, comme
l’entend Jésus-Christ.
La pratique du jeûne
n’est pas une innovation du Christ, car on le trouve maintes fois
dans l’Ancien Testament.
Le Prophète Joël nous y convie à son tour aujourd’hui. L’usage de la
cendre non plus n’est pas nouveau : se couvrir la tête de cendre ou
se coucher dans la cendre est une attitude de pénitence,
d’humiliation, de repentir.
Nous lirons dimanche
prochain comment Jésus se retira au désert et y jeûna quarante
jours et quarante nuits, avant d’être tenté par le Démon. Avant
de nous enseigner comment jeûner, Jésus pratique le premier ce qu’il
veut nous suggérer : un jeûne authentique, qui nous aide à
approfondir notre attachement à Dieu par le détachement de la terre.
La prière et la préface
de la Messe nous explicitent le sens juste et le but de ce jeûne :
Que nos privations nous rendent plus forts pour lutter contre
l’esprit du mal. — Tu veux, par notre jeûne et nos privations,
réprimer nos penchants mauvais, élever nos esprits, nous donner la
force et enfin la récompense”. Il ne s’agit en rien de mourir de
faim, de faire courir des risques à la santé. A certaines périodes,
en certains endroits, on a pratiqué des jeûnes excessifs, parfois
effrayants, qui finissaient par être plus des prouesses
orgueilleuses que de vrais efforts vers la conversion intérieure.
Jésus ne semble pas
s’être privé de boire, même au désert ; le texte dit bien qu’il
eut faim, donc qu’il ne mangea pas durant les quarante jours et
les quarante nuits ; Il ne s’est pas non plus “rattrapé” la nuit. Il
y a des jeûnes qui consistent à ne rien prendre pas même une goutte
d’eau, pendant tout un mois, même par la chaleur, mais on peut
manger à sa faim durant toute la nuit : ceci n’est pas le jeûne que
veut Jésus. Mais surtout, Il ne s’est pas montré ces jours-là ; il
est resté discret ; tout au plus en aura-t-il parlé en secret avec
les Apôtres, plus tard, ne serait-ce que pour leur expliquer comment
il se prépara à sa mission, et comment ils auraient ensuite à
expliquer aux croyants la façon de jeûner.
Actuellement, l’Eglise
a considérablement réduit les exigences de ce jeûne du Carême. C’est
aussi que notre vie est extrêmement stressante, et maternellement
l’Eglise ne voudrait pas contraindre à des obligations dures des
travailleurs déjà très éprouvés par les déplacements et le bruit. Au
désert, on souffre de la soif ou de la faim, mais pas du bruit !
Il reste que notre Mère
l’Eglise nous demande seulement de jeûner le Mercredi des Cendres et
le Vendredi Saint. Et encore, jeûner s’entend : prendre un seul
repas à midi, avec une boisson chaude le matin et une légère
collation le soir. En outre, chaque vendredi de Carême, en souvenir
de la mort de Jésus-Christ pour chacun de nous, nous sommes invités
à nous abstenir de viande, en la remplaçant par du poisson ou de
l’œuf ou du fromage, ce qui n’est pas à proprement parler une
“pénitence”.
De ces pratiques sont
exemptés les enfants et les adolescents, ainsi que les personnes
âgées et bien sûr les malades. Mais rien n’empêche ceux qui le
désirent ardemment d’ajouter quelque petite pratique plus
personnelle, pourvu qu’elle soit dans l’esprit du Carême :
s’abstenir de chocolat, de confiture, de vin n’est pas forcément
néces-saire ; beaucoup plus important serait de perdre moins de temps
devant la télévision ou l’ordinateur et la console de jeux, savoir
se taire plutôt que de parler derrière le dos des autres, et surtout
de lire un peu plus les saints livres de l’Eglise : l’Ecriture, le
Catéchisme, tel ou tel document du Pape, des Vies de Saints, en
priorité par exemple les plus récemment béatifiés ou canonisés.
Dans cet esprit faisons
bien nôtre l’appel du prophète Joël : Revenez à moi de tout votre
cœur…! Les larmes et le deuil que préconise le Prophète sont là
pour pleurer nos péchés, sincèrement, et non pour se donner en
spectacle à la foule.
Saint Paul à son tour
nous demande de nous réconcilier avec Dieu : le mot est
presque amusant, car ce n’est pas Dieu qui doit se réconcilier, mais
comme les gens disent très souvent que Dieu semble ne pas les
écouter ni s’occuper d’eux, saint Paul répond qu’au fond, pour que
Dieu soit plus proche de nous, nous n’avons qu’à nous rapprocher un
peu de Lui ; ayant fait ce pas vers Dieu, nous serons tout heureux
de sentir la main puissante de Dieu sur nous.
Il est remarquable que
Jésus-Christ, en prenant notre nature humaine, ait assumé tout le
péché des hommes, de sorte que notre nature soit à son tour absorbée
en Jésus-Christ qui nous reconduit à Dieu, divinisés.
L’appel que nous
adresse le prêtre au moment de nous imposer la cendre sur le front,
est significatif :
Convertissez-vous et
croyez à l’Evangile (cf. Mc 1,15), qui est plutôt un appel
pressant à la joie de la conversion, dans l’esprit du troisième
mystère lumineux du rosaire. C’est la raison pour laquelle le rite
des Cendres tient lieu d’acte pénitentiel au début de la Messe. Dans
cet esprit lisons, méditons, ce psaume 50 : on y lit tout le
repentir de David après son adultère, mais aussi l’espérance en la
joie d’être sauvé, la confiance d’être pardonné et le désir intime
de louer Dieu.
Autrefois la formule
pour l’imposition des cendres était :
Souviens-toi que tu
es poussière, et que tu retourneras en poussière (cf.Gn 3,19),
qui insistait plus sur notre côté humain et mortel.
Convertissons-nous !
Avançons vers la sainteté de Dieu par de petits actes humbles, de
petites victoires arrachées à notre Ennemi, parfois avec une
certaine violence contre notre moi personnel. Si déjà nous
reconnaissions chaque soir une action imparfaite de notre journée et
que nous nous en repentions, nous serions déjà sur le chemin de la
sainteté.
N’oublions pas que
l’Eglise nous demande au minimum de nous approcher de
l’Eucharistie chaque année au moment de Pâques, et que pour y
accéder, il faut s’y préparer par une bonne confession. Salutaire
habitude, celle de s’examiner chaque soir en sachant pointer du
doigt tel défaut, tel péché : non pas pour nous en sentir accablés,
mais en remerciant Dieu de nous avoir ainsi éclairés pour nous
rapprocher de Lui.
Que ce premier pas dans
le Carême soit suivi d’autres, tous plus décisifs l’un que l’autre,
pour franchir avec Christ le fossé de la Mort et ressusciter avec
Lui à la victoire, à la résurrection, à la Vie.
Abbé Charles Marie de
Roussy
|