La
vie de sainte Mechtilde
La spiritualité de Mechtilde et
celle de Gertrude sont étonnamment proches. Ce qui est vrai de l’une, est vrai
de l’autre. Le mystère du Verbe incarné tient la première place dans leurs
visions. L’homme-Dieu y apparaît non seulement comme Sauveur, mais comme
Médiateur entre Dieu et les hommes. C’est l’amour qui l’a attiré des hauteurs
des cieux jusque sur notre terre; c’est l’amour qui l’a fait petit, pauvre,
humble, souffrant, qui l’a cloué à la croix et l’a marqué des plaies désormais
glorieuses qu’il présente sans cesse à son Père afin de l’incliner vers ceux
qu’il a acquis par son sang.
Ici encore, c’est le Cœur divin
qui apparaît comme l’organe principal de l’amour et de ses opérations; et
Mechtilde en fournit peut-être encore plus d’images que Gertrude, dont les
visions se présentaient généralement sous une forme moins sensible.
Un autre point semble important à signaler: c’est
la liberté prise par Gertrude pour rapporter les confidences de Mechtilde. Nous
sommes entre l’Avent 1290 et Pâques 1291. Mechtilde est très malade. Voici ce
que Gertrude écrit:
“Ses douleurs continuelles
l’avaient empêchée de se rendre au chœur...”
Mechtilde demandait ardemment la santé, mais elle ajoutait, à l’adresse du
Seigneur:
— Ce que je veux seulement,
c’est de n’être jamais en désaccord avec votre volonté, c’est vouloir toujours
avec vous tout ce que vous voudrez et ferez pour moi de pénible ou d’agréable.
Puis Gertrude poursuit :
— On pourrait écrire beaucoup
d’autres choses sur ce qui se passa durant cette maladie; mais nous les omettons
parce que, dans ses récits souvent interrompus ou donnés par lambeaux, elle
supprimait parfois le meilleur, comme elle le déclarait elle-même. Elle disait
en effet: “Tout ce que je vous raconte n’est que du vent en comparaison de ce
que je ne puis exprimer par des mots.” Parfois aussi elle parlait si bas que
nous ne pouvions bien la comprendre. C’est pourquoi nous n’avons rien ajouté à
ce que nous avons véritablement entendu et soigneusement conservé, pour la
louange de Dieu et l’utilité du prochain. (Le Livre de la Grâce spéciale,
deuxième partie, chapitre XXXI, 27)
Un autre honneur était réservé à
la sainte, honneur secondaire assurément si on le compare à ceux que l’Église
réserve à ses saints: on s’est toujours préoccupé d’un personnage introduit par
Dante dans sa Divine Comédie (chant du Purgatoire) sous le nom de Matelda. Ce ne
pouvait être un personnage imaginaire, pas plus que les autres évocations du
poète. Longtemps les commentateurs s’arrêtèrent à la grande comtesse de Toscane:
Mathilde, la fille spirituelle et le ferme soutien de saint Grégoire VII.
Cependant, d’autres se demandaient avec raison, quel rapport il pouvait y avoir
entre la grande figure belliqueuse et virile de la comtesse Mathilde, et le
gracieux personnage que Dante se donne comme initiateur à sa régénération
spirituelle...
Aussi, sainte Mechtilde, plus et
mieux étudiée, a-t-elle pu être reconnue comme une des meilleures inspirations
du poète florentin. Nous savons qu’à l’époque où il composa le chant du
Purgatoire, l’œuvre de Mechtilde était connue à Florence... Dante prononce le
nom du personnage qui prend sur lui une autorité aussi douce que puissante. Il
l’appelle Matelda, c’est-à-dire Mathilde ou Mechtilde, car ce sont là deux
formes du même nom... Le livre de sainte Mechtilde compta bientôt un grand
nombre de copies dont on retrouve des exemplaires dans les bibliothèques
allemandes; les plus anciennes sont aussi les plus complètes. Plus tard parut
une rédaction de l’ouvrage dont on supprima malheureusement tout ce qui pouvait
avoir un intérêt historique, et où l’on se montra très sobre de détails sur
sainte Mechtilde.
C’est sur ce second modèle, qui
subit encore d’autres altérations, que furent imprimées les diverses éditions du
Livre de la Grâce spéciale; il en résulta, sur la vie et la personne de sainte
Mechtilde, une profonde obscurité, source des erreurs qui s’établirent sur son
compte comme sur celui de sainte Gertrude. Ces retranchements étaient
regrettables, car les manuscrits les plus complets n’étaient déjà que trop
succincts en fait de l’absence de renseignements biographiques. (Le Livre de
la Grâce spéciale, Préface)
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