L'homme ne
peut trouver de paroles pour exprimer l'admiration qu'inspire le genre de vie
des frères mineurs, et pour célébrer le patriarche François, que Dieu, plein de
bonté et de miséricorde, a daigné appeler et décorer des
sacrés stigmates de
notre rédemption, comme un autre Christ, pour porter secours à la religion, à la
sainteté, à la vertu et à la foi immaculée du Christ, presque complètement
anéanties. Non seulement cet ordre fut, dans la suite des temps, orné par Dieu
même des dons et des grâces les plus extraordinaires, mais le Tout-Puissant
voulut le faire resplendir dès son berceau et lui donner une preuve éclatante de
son approbation par une faveur excellente et inappréciable. En effet, cinq
frères mineurs, du vivant même de leur fondateur saint François, eurent
l'honneur de subir un glorieux martyre en cherchant à étendre et à défendre: le
culte du vrai Dieu et la religion de Jésus-Christ. C'est Dieu qui leur fit cette
grâce, dans son ineffable clémence, afin de déclarer ouvertement que la règle de
ces pagures frères était fondée sur la pureté essentielle de l'Évangile, et par
conséquent confirmée et approuvée par lui. On a vu se soumettre à cette stricte
observance des rois et des princes illustres, des nobles puissants, de riches
citoyens, et aussi les plus grands criminels. Tous, frappés par l'éclair de la
grâce divine, ils abandonnèrent et répudièrent les richesses et les voluptés du
siècle pour se livrer tout entiers au service de Dieu. Les uns se distinguèrent
par la plus pure virginité ; les autres par la doctrine, par la sainteté ou par
le courage apostolique ; quelques-uns enfin, envoyés annoncer l'Évangile aux
infidèles, conquirent une belle place dans le ciel par le martyre. Ces derniers
eurent pour modèles et pour encouragement les cinq protomartyrs de l'ordre de
Saint-François dont nous allons parler. La conversion de saint Antoine de
Padoue, cette lumière resplendissante de l'Église, fut opérée par l'exemple de
leur martyre : il abandonna les chanoines réguliers pour revêtir l'habit
grossier des frères mineurs.
Pour
empêcher que ces exemples, si utiles à connaître et à méditer pour tous, ne
vinssent à tomber dans l'oubli, le pape Sixte IV, la dixième année de son
glorieux pontificat, déclara solennellement, par un décret adressé à toute
l'Église le 2 mars 1480, que ces cinq martyrs seraient inscrits au catalogue des
saints et honorés d'un culte public par tous les fidèles. Longtemps auparavant,
semblable faveur avait été accordée par les prédécesseurs de Sixte IV aux
habitants de Coimbra, où reposent les corps de ces saints.
En l'année
1219, 13e année de sa conversion, le bienheureux François, d'après la volonté du
Seigneur, envoya au Maroc six apôtres d'une grande sainteté : c'étaient les
frères Vital, Bérard, Otton, Accursius, Pierre et Adjutus ; il désigna Vital
comme supérieur. Tandis qu'ils traversaient le royaume d'Aragon, frère Vital
tomba gravement malade. Comme son infirmité menaçait de se prolonger, frère
Vital, ne voulant pas entraver l'œuvre de Dieu, ordonna à ses cinq confrères de
poursuivre leur route vers le Maroc pour accomplir l'ordre de Dieu et de leur
père François. Les frères obéirent, dirent adieu à leur cher malade et bientôt
arrivèrent à Coimbra.
La reine
Uraque, qui gouvernait alors le Portugal, les manda en son palais, causa avec
eux des choses de Dieu, et voyant en eux un si profond mépris du monde, une si
grande ardeur à désirer la mort pour le Christ, elle les regarda comme de très
parfaits serviteurs de Dieu et les supplia de prier Dieu de leur révéler
l'époque de sa mort. Les saints apôtres se récusèrent alors en toute humilité,
se déclarant indignes des confidences divines ; mais enfin, comme la reine
réitérait avec instances sa supplication en versant des larmes, ils promirent de
prier en ce sens. Ils le firent avec une grande foi, et non seulement Dieu leur
révéla ce qu'ils demandaient, mais encore leur propre martyre. Les humbles
frères déclarèrent alors à la reine que sa dernière heure n'était pas éloignée,
mais qu'auparavant eux-mêmes remporteraient la palme du martyre au Maroc, que
leurs corps seraient rapportés à Coimbra et que la reine, à la tête de tous les
fidèles, les recevrait avec honneur. Ce qui arriva.
Les saints
se rendirent alors à Alenquer et firent part de leur mission à la sœur du roi de
Portugal, nommée Sancha. La princesse les encouragea beaucoup, et leur fournit
des habits séculiers, afin qu'ils pussent en sécurité aborder aux pays des
Sarrasins. Ils s'acheminèrent, sous ce déguisement, vers Séville, qui était
alors sous la domination des Sarrasins ; ils allèrent demander l'hospitalité à
un chrétien, et là, dépouillant leurs habits séculiers, ils se tinrent cachés
pendant huit jours. Un jour cependant, emportés par leur zèle, ils se
dirigèrent, sans prendre soin de se faire accompagner, vers la principale
mosquée, et tentèrent d'y pénétrer. En les apercevant, les Sarrasins, furieux,
se ruèrent sur eux en poussant de grands cris, les bousculèrent, les accablèrent
de coups, et ne les laissèrent point entrer; car c'est chez eux un parti pris
bien arrêté de ne laisser pénétrer dans leurs temples aucun chrétien, ni aucun
partisan de quelque autre secte.
Les bons
frères se dirigèrent alors vers le palais, frappèrent à la porte et déclarèrent
qu'ils avaient un message à transmettre au roi de la part du Roi des cieux, le
Christ Jésus. Ils eurent un long entretien avec le roi au sujet de la foi
catholique, l'exhortèrent vivement à se convertir et à recevoir le baptême, et
lui dévoilèrent quantité de turpitudes concernant Mahomet et son exécrable loi.
Le roi, transporté de fureur, donna ordre de leur trancher la tête sur-le-champ
; mais bientôt, se radoucissant à la prière de son fils, il les fit enfermer au
sommet de la tour de son palais. Les saints apôtres se mirent à prêcher la foi
du Christ du haut de leur tour à tous ceux qui venaient à la cour, criant à
tue-tête que Mahomet et tous les sectateurs de son abjecte religion étaient
destinés au supplice éternel. A cette nouvelle, le roi les fit enfermer dans les
souterrains de la tour, puis, sur l'avis de son conseil, il les expédia au Maroc
en compagnie d'un noble catholique nommé Pierre et d'autres chrétiens. C'était
aller au-devant des désirs de nos saints frères. Ils allèrent d'abord loger dans
le palais de Pierre, infant de Portugal (on appelle infants, en Espagne, les
enfants puînés du roi) et frère du roi Alphonse II. Il les reçut avec
empressement et leur fit préparer un copieux repas.
Sur leur
route, les frères ne manquaient pas de prêcher avec zèle la vérité à tous les
Sarrasins qu'ils rencontraient. Un jour que frère Bérard, monté sur un char,
annonçait l'Évangile au peuple, le roi Miramolin, qui revenait de visiter les
tombeaux de ses aïeux situés hors des murs, passa devant lui, et étonné en
voyant qu'il continuait ses prédications malgré sa présence, il le prit pour un
fou, ordonna de chasser de la ville les cinq frères, et de les faire reconduire
par des chrétiens en leur pays. Le seigneur Pierre, infant de Portugal, leur
donna quelques-uns de ses serviteurs, qui devaient les conduire à Septa et les
embarquer de là pour les pays des chrétiens.
Mais les
frères eurent à peine pris congé des domestiques du prince, qu'ils rebroussèrent
chemin et vinrent au Maroc. Ils entrèrent dans la ville, et, apercevant sur la
place publique un groupe de Sarrasins, ils se mirent à leur prêcher l'Évangile.
Ceci étant rapporté au roi, Miramolin les fit jeter en prison, et les y laissa
pendant vingt jours sans leur donner à boire ni à manger ; mais ils furent
soutenus par les consolations divines. A cette époque, survint une chaleur
excessive, suivie d'orages épouvantables.
Plusieurs
des habitants, persuadés que c'était un châtiment à cause de l'emprisonnement
des frères, vinrent se plaindre au roi. Celui-ci, sur le conseil d'Abaturim, qui
était favorable aux chrétiens, consentit à les remettre en liberté ; mais il
ordonna aux chrétiens de les reconduire immédiatement au pays de leurs
coreligionnaires. Le roi et les officiers de son entourage furent saisis de
stupeur en apercevant les religieux sains et saufs de corps, et l'esprit plus
résolu que jamais, malgré leur jeûne complet de vingt jours. A peine étaient-ils
mis en liberté, que les fervents disciples du Christ se mirent à prêcher aux
Sarrasins la parole de Dieu ; mais les chrétiens, redoutant le roi, les
contraignirent à se taire et leur donnèrent des guides qui devaient les
acheminer vers les pays des fidèles. Les frères congédièrent en route leurs
compagnons, retournèrent de nouveau au Maroc. Les chrétiens se consultèrent
alors sur ce qu'ils devaient faire, et l'infant Pierre consentit à les recevoir
chez lui, et il les fit surveiller par ses gardes pour les empêcher de se
montrer en public.
Peu après,
l'infant, ayant réuni une nombreuse armée composée de chrétiens et de Sarrasins,
marcha contre certains Sarrasins rebelles. Au retour, ils furent trois jours
sans pouvoir trouver d'eau pour abreuver leurs chevaux. Hommes et chevaux
étaient menacés de mort par suite de cette disette, quand frère Bérard, ayant
fait une prière, saisit un bâton, creusa légèrement la terre, et aussitôt
jaillit une source. Tous burent abondamment de cette eau limpide et en
remplirent leurs outres. Ils avaient à peine terminé de prendre cette
précaution, que la fontaine se dessécha. A la vue de ce miracle, tous
redoublèrent de dévotion et de révérence à l'égard des frères, et beaucoup
sollicitèrent l'honneur de baiser leurs pieds.
Tandis que,
revenus au Maroc, ils se trouvaient toujours sous la surveillance des gardes de
l'infant Pierre, ils réussirent, un certain vendredi, à s'échapper secrètement
et se présentèrent audacieusement au roi Miramolin, qui venait de visiter les
tombeaux de ses aïeux. Le frère Bérard monta même sur son char et se mit à lui
prêcher intrépidement la foi catholique. Le roi, indigné, ordonna à (un officier
sarrasin qui avait été autrefois témoin du miracle de la source de leur faire
subir sur-le-champ la peine capitale. Tous les chrétiens du pays, craignant de
recevoir eux aussi la mort, s'enfuirent précipitamment en leurs demeures et en
barricadèrent les portes.
L'officier
fit chercher les cinq frères par des appariteurs. Ceux-ci les amenèrent deux
fois chez le juge, et comme il était absent, ces ministres du diable, après
avoir accablé de soufflets et de coups les athlètes du Christ, les enfermèrent
dans une vaste prison. Les frères y employèrent tout leur temps à prêcher la
parole de Dieu aux chrétiens et aux hérétiques. Enfin l'officier les fit
comparaître devant son tribunal. Comme ces courageux chrétiens demeuraient
fermement attachés à la foi catholique, et énuméraient avec mépris, sans se
laisser intimider, toutes les abominations de Mahomet et de sa loi, le juge,
irrité, ordonna de les soumettre à divers supplices, puis de les séparer les uns
des autres et de leur infliger une rude flagellation. Les ministres impies leur
lièrent aussitôt les mains et les pieds, puis, leur attachant une corde au cou,
ils se mirent à les traîner sur la terre en tous sens, et les flagellèrent avec
tant de cruauté que leurs entrailles étaient à nu. Ils versèrent alors sur les
plaies de l'huile bouillante et du vinaigre, puis ils les roulèrent sur des lits
de pots cassés. Durant toute la nuit, ils furent ainsi torturés et flagellés par
trente Sarrasins.
Dans cette
nuit même, il sembla aux gardiens qu'une éclatante lumière descendait du ciel,
enveloppait les frères et les emportait dans les cieux au milieu d'innombrables
ovations. Stupéfaits et effrayés, les soldats coururent à la porte de la prison,
mais ils trouvèrent les saints priant avec dévotion. Le roi du Maroc, ayant
entendu parler de la résistance des frères, entra en grande fureur et ordonna de
les lui amener. On leur lia les mains, on les mena nu-pieds vers le roi dans le
piteux état où ils se trouvaient, et en chemin on ne fit que les rouer de coups.
Le roi, les voyant inébranlablement attachés à leur foi, fit introduire des
femmes dans la salle d'audience, et, ordonnant à tous les autres assistants de
se retirer, il dit aux martyrs : « Convertissez-vous à notre religion, et je
vous donnerai ces femmes comme épouses, et j'ajouterai une grande somme
d'argent, et vous jouirez des plus grands honneurs de mon royaume. » Les
bienheureux répondirent : « Nous ne voulons ni de tes femmes ni de ton argent,
car nous méprisons tous les biens d'ici-bas pour l'amour du Christ. » Le roi,
furieux, saisit alors un glaive, et, faisant séparer les frères, il les tua l'un
après l'autre en leur fendant le crâne, puis il coupa la tête des cadavres.
Les
bienheureux frères mineurs conquirent la couronne du martyre l'an du Seigneur
1220, le 17 des calendes de février, la 4e année du pontificat d'Honorius III et
sept ans environ avant la mort de saint François.
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