Sœur Marie de Saint-Pierre
(Perrine Éluère)
1816-1848

7
Sœur Marie de Saint-Pierre
et la Sainte Vierge

Lorsqu'à l'âge de douze ans Perrine Éluère perdit sa mère, elle se précipita vers la Vierge Marie et lui demanda de lui servir de mère; plus tard elle s'affilia à la Congrégation de la Sainte Vierge. Enfin, elle entra au carmel, un ordre consacré à la Vierge Marie. À mesure que le Seigneur lui révélait sa vocation propre: la réparation pour les pécheurs et la dévotion à sa Sainte Face, la contemplation de la Vierge douloureuse se développait aussi en elle.

7-1-Notre Dame du Saint Nom de Dieu

7-1-1-Notre-Dame du Saint Nom de Dieu

Bientôt la sœur se sent portée à invoquer Notre Dame sous le nom de Notre-Dame du Saint Nom de Dieu. Elle écrit dans une lettre datée du 24 mai 1847: "Étant ces jours derniers aux pieds de cette Mère auguste, je me sentis inspirée de l’invoquer sous le titre de Notre-Dame du saint Nom de Dieu; alors je lui fis une couronne composée de soixante-douze invocations, pour honorer les précieuses années de sa très sainte vie. À la suite de chaque dizaine je lui ai rappelé les paroles qu’elle a prononcées elle-même en son divin cantique: Il a fait en moi de grandes choses Celui de qui le Nom est saint!

Après ces paroles, j’ai ajouté: Ô très sainte et très digne Mère de Dieu, puissante avocate des chrétiens, je remets la cause du saint Nom de Dieu entre vos mains. Cette petite dévotion toucha, je crois, le sensible Cœur de ma tendre Mère, car j’éprouvai en la faisant une grâce toute particulière en mon âme."

Et une autre prière de la petite sœur :

– Ô Vierge sainte, daignez recevoir ce nouveau titre, car vous êtes véritablement Notre-Dame du Saint-Nom-de-Dieu, puisque vous êtes la Fille du Père, la Mère du Fils, et l’Épouse du Saint-Esprit, et que vous proclamez vous-même qu’il a fait en vous de grandes choses, celui de qui le Nom est saint! Oui, ô divine[1] Vierge, vous l’honneur et la gloire du saint Nom de Dieu, parce que vous êtes le chef-d’œuvre de ses mains, qui ont opéré en vous des merveilles. Je vous appellerai donc Notre-Dame du Saint Nom de Dieu.

7-1-2-Marie et l'Œuvre de la Réparation

Le 24 mai 1847, Sœur Marie de Saint-Pierre écrit au sujet de l'Œuvre de la Réparation: "... Mais pour réussir en cette pieuse entreprise, adressons-nous avec une confiance sans bornes à la glorieuse Vierge Marie; prions-la de vouloir bien se mettre à la tête de cette sainte milice, elle qui est la générale des armées de Dieu, et qui est plus terrible aux démons qu’une « armée rangée en bataille ». C’est cette aimable Mère qui m’a obtenu, malgré mon indignité, l’insigne faveur que j’ai reçue hier de son très cher Fils; qu’elle en soit à jamais bénie!"

7-2-Le lait de Marie  

7-2-1-Marie, canal des grâces...

Le 13 août 1847, Sœur Marie de Saint-Pierre écrit: "Jamais jusqu’ici je n’avais bien connu le précieux don que Jésus nous a fait en nous léguant sa Mère. Ô mystère de clémence et d’amour! Aussitôt qu’il nous eut enfantés sur la croix, au milieu des plus affreuses souffrances, il a remis tous ces nouveau-nés entre les bras de Marie, la plus tendre des mères, afin qu’elle les nourrît et les élevât pour la vie éternelle. Dans cette vue, il a rempli son sein du lait de la grâce et de la miséricorde; il a fait cette divine Mère légataire des biens immenses qu’il avait acquis pendant sa laborieuse vie et sa douloureuse passion, afin qu’elle devînt le canal admirable d’où découleraient des mérites infinis sur la sainte Église, son Épouse."

7-2-2-La révélation

Sœur Marie de Saint-Pierre reçoit, le 24 juin 1847, une révélation étonnante: "C’est avec la plus grande confusion que je me vois obligée de vous dire quelque chose des faveurs que je reçois ces jours-ci du divin Jésus et de sa très sainte Mère. J’ai bien hésité avant de me mettre à écrire cette lettre, car j’aimerais beaucoup mieux écrire mes péchés, cependant je dois coopérer à la sainte volonté de l’Enfant-Jésus, qui veut graver en moi sa simplicité, et vous dire naïvement ce qui s’est passé dans mon âme; le voici à peu près:

Il y a quelques jours, après la sainte communion, l’Enfant-Jésus m’a fortement appliquée à considérer l’honneur et l’hommage de louange parfaite qu’il a rendus à son Père céleste pendant le temps où il a été nourri du lait virginal de sa très sainte Mère; et il m’a fait connaître qu’il veut que je l’adore dans cet humble état, en union avec les saints anges, afin que sa miséricorde me remplisse d’innocence, de pureté et de simplicité, et que je puisse recueillir les grâces précieuses qui découlent du mystère ineffable d’un Dieu enfant. Alors ce divin sauveur a ravi mon âme à un sublime état, et, dans une grande élévation d’esprit, j’ai contemplé ce prodige d’amour et d’humilité: Celui qui est engendré éternellement dans le sein du Père, dans les splendeurs de sa gloire, se nourrit en même temps du lait de son auguste Mère! Le Saint-Esprit m’a fait entrer dans la profondeur de ce mystère, qui jusque-là m’était inconnu.

– Ô esprits angéliques qui êtes appliqués à l’adorer, dites-moi ce que vous ressentez: lequel vous semble le plus charmant, ou de voir une vierge tenant son Créateur et son Dieu entre ses bras pour le nourrir de son lait virginal, ou de voir un Dieu devenu enfant, le Verbe divin réduit au silence, le Tout-Puissant enveloppé de langes sur le sein de cette mère vierge? Ah! je crois vous entendre me répondre que les humiliations de l’Enfant-Dieu en ce profond mystère font la grandeur et la gloire de Marie, dont les deux augustes privilèges sont d’être en même temps la mère et la nourricière d’un Homme-Dieu...

Je le dis avec la plus grande confusion, car une telle faveur n’était due qu’à saint Bernard[2] et non à une misérable pécheresse comme moi: cependant je suis obligée de l’avouer dans la simplicité de mon cœur, et ce n’est point ici une pure imagination, mais une grâce que je ne puis exprimer, n’ayant point de paroles propres à cela. Ah! s’il m’était donné de faire connaître les lumières que j’ai reçues!... Quel trésor j’ai trouvé!...

L’Enfant-Jésus, si je puis m’exprimer ainsi, a fait, des vertus de sa sainte Enfance, un bouquet dont il a orné le sein de sa Mère, vertus de douceur, d’humilité, d’innocence, de pureté, de simplicité, que les frères de Jésus, enfantés par Marie au pied de la croix, doivent venir chercher auprès de leur Mère adoptive. Oh! j’aperçois un grand mystère! Oui, Marie est nourrice d’un Dieu, mais elle est aussi nourrice de l’homme! Que mon esprit a conçu de grandes choses entre les bras de Marie, pendant cette haute contemplation qui a ravi mon âme! Il m’a fallu l’heure de la récréation pour revenir un peu à moi.

7-2-3-Le lait de Marie est pour tous les hommes

Et encore, le 13 août 1847: "Par la Rédemption, nous avons été faits enfants du Père céleste et frères de Notre-Seigneur Jésus-Christ; la Mère de Jésus est devenue notre Mère. Alors le Sauveur l’a établie dépositaire des richesses et des mérites infinis de sa vie et de sa Passion; il lui a rendu le corps et le sang adorables qu’il avait reçus d’elle; il a rempli ses mamelles d’un lait mystérieux et divin, pour nourrir les nouveaux enfants qu’il avait engendrés sur la croix, et dont elle est la Mère dans l’ordre de la grâce.

Ainsi, quand Notre-Seigneur m’envoie au sein de Marie chercher le lait de la miséricorde pour le salut des pécheurs, il n’y a en ce procédé rien de contraire à la foi, ni à la doctrine de l’Église, qui nomme la très sainte Vierge le refuge des pécheurs, la trésorière de son Fils. Les mamelles virginales et le lait mystérieux dont j’ai parlé dans cette relation sont l’image des douceurs de la grâce, et la figure de l’effusion de la miséricorde.

Je vous salue, ô Marie, conçue sans péché, vigne mystérieuse, qui avez produit la divine grappe de raisin foulé plus tard au pressoir de la croix: il en est sorti un vin sacré, déposé dans le précieux vaisseau de votre Cœur, afin que vous le distilliez sur les enfants dont vous êtes devenue la Mère sur la montagne du Calvaire!" (13 août 1847)

7-3-La France, bien-aimée de Marie!...

Le 14 septembre 1847, Sœur Marie de Saint-Pierre précise: "L’Enfant-Jésus, malgré mon extrême indignité, a transformé mon âme en lui, et m’a fait participer au lait mystérieux de sa sainte Mère. Il m’a été donné de puiser dans ces fontaines admirables le lait de la grâce et de la miséricorde pour mes frères les pauvres pécheurs. Par ce privilège, que le très saint Enfant-Jésus m’accordait, il me fut dit que j’obtiendrais de grandes faveurs pour la France, et que je n’étais qu’un instrument dont Dieu voulait se servir."

Le 5 mai 1847, Sœur Marie de Saint-Pierre note: "Le Sauveur me fit entendre qu’il avait remis toutes choses entre ses mains,[3] et qu’elle nous obtiendrait le bref du souverain pontife. Cette œuvre réparatrice est si nécessaire à la France et si glorieuse à Dieu, qu’il veut que sa très sainte Mère ait l’honneur de la donner à ce royaume, comme un gage nouveau de sa miséricorde. Allons donc à la très sainte Vierge, qui est la trésorière des grâces de Dieu; disons-lui sans cesse que la France lui est consacrée et qu’elle lui appartient.

Ô heureux Français, enfants trop aimés de Marie, sachons reconnaître la bienveillance de notre auguste Mère, nous lui devons notre salut! Bénissons-la en mangeant notre pain de chaque jour, nous en sommes redevables à son intercession. Mais convertissons-nous au Seigneur, approchons-nous de son trône avec humilité et surtout avec confiance, car nous avons de puissants médiateurs: le Fils auprès de son Père, et la Mère auprès de son Fils!..."

7-4-La Vierge Marie conduit Sœur Marie de Saint-Pierre vers la petite voie d'enfance

Le 1er août 1847, Sœur Marie de Saint-Pierre avait écrit: "Malgré ma répugnance à mettre par écrit les dispositions actuelles de mon âme, je le ferai cependant de bon cœur, pour pratiquer l’obéissance et la simplicité du saint Enfant-Jésus, que je veux imiter. Comme j’ai la confiance que vous mettrez ce papier au feu, je vous parlerai avec la simplicité d’un petit enfant, et vous rendrez compte de ce qui s’est passé en mon âme depuis la fête de saint Jean-Baptiste jusqu’à ce jour.

Ma Révérende Mère, mon âme, depuis cette époque, a été appliquée à adorer le Verbe incarné à la mamelle de sa sainte Mère. Oh! que ce mystère est ineffable! L’âme est toute ravie d’un tel prodige; un Dieu, enfant d’une Vierge! Celui qui a parlé par les prophètes, et qui a donné sa loi aux hommes au milieu des éclairs et du tonnerre, Celui enfin par qui tout a été fait, le Verbe divin, la parole éternelle du Père, est là en silence, attaché au sein de sa Mère, par obéissance à Dieu, son Père, lui faisant hommage de son pouvoir absolu en se réduisant à l’impuissance d’un petit enfant, se nourrissant d’un lait qui, bientôt changé en son sang précieux, se répandra pour le salut du monde!

Il est là ce Dieu agneau, destiné au sacrifice, attaché à la mamelle de sa sainte Mère par la même obéissance qui bientôt l’attachera à la croix. Oh! que cette contemplation est ravissante! Mais, après avoir considéré avec respect et amour ce divin Enfant, mon esprit se porte sur son auguste Mère. Ah! quels devaient être les sentiments de son cœur, en voyant son Dieu, son Créateur se nourrir de sa substance! Combien je la remercie d’avoir allaité mon Sauveur, d’avoir engraissé, si je peux m’exprimer ainsi, la victime de notre salut!"

Et bientôt le 13 août 1847 :

"J’ai encore été éclairée sur ce mystère: le Saint-Esprit, du plus pur sang de Marie, avait formé le corps adorable de notre divin Sauveur. Ce corps sacré était né de cette tendre Mère, elle avait des droits sur lui; c’est pourquoi, après sa mort, il a été déposé entre ses bras maternels. Cet aimable Jésus m’a fait entendre qu’il avait voulu lui rendre tout ce qu’il avait reçu d’elle pour opérer la rédemption du monde. Elle l’avait nourri de son lait très pur; Jésus, pour la remercier, lui a remis son sang, dont il l’a faite la dépositaire: oui, elle était là, debout au pied de la croix, afin de recevoir ce dépôt dans le précieux vaisseau de son cœur maternel!

Marie avait donné à Jésus son corps adorable, et Jésus le lui a rendu après sa mort, orné de ses glorieuses plaies, afin qu’elle puisât, dans ses fontaines sacrées, la vie éternelle pour les enfants que son amour lui avait engendrés avant son dernier soupir. Oui, Jésus est à Marie avec tous ses trésors, et Marie est aux hommes avec toutes ses tendresses! Oh qu’elle est grande la miséricorde de cette Mère! Elle nous tend ses bras bienfaisants, elle nous invite à puiser le lait de la grâce sur son sein virginal: son Cœur est toujours ouvert pour nous recevoir. Tant que l’homme est sur la terre, il est dans un état d’enfance; au ciel seulement il sera dans l’âge parfait; c’est pourquoi il doit sans cesse recourir à sa Mère comme un petit enfant."

D'où la nécessité de recourir constamment à la Vierge Marie. La petite sœur poursuit, toujours le 13 août 1847:

"Oui, je le vois clairement dans la lumière de Dieu, l’homme doit sans cesse recourir à la très sainte Vierge, sa Mère, s’il veut parvenir à l’âge parfait de la vie éternelle. Voilà les deux grands mystères de la maternité de Marie que l’Enfant-Jésus veut m’apprendre: Marie, Mère de Dieu, et Marie, Mère de l’homme. C’est pourquoi il m’applique continuellement à le considérer au sein de sa Mère, se nourrissant de son lait virginal, afin de m’apprendre par son exemple à recourir à elle, pour me nourrir du lait de ses vertus.

Elle [4] m’a fait comprendre que, de même qu’elle choisit certains lieux, afin d’y répandre ses grâces avec profusion, ainsi elle choisirait mon âme pour en faire le théâtre de ses miséricordes. Je n’ai pas tardé à ressentir l’effet de cette promesse, car aujourd’hui, après la sainte communion, l’Enfant-Jésus, m’apparaissant au sein de sa divine Mère, m’a fait connaître plus clairement sa volonté: ce grand mystère est un trésor caché dans le champ de son Église, et il le découvre à qui il lui plaît. Il y a eu des âmes chargées par lui d’honorer les mystères de sa Passion; à cet effet, il les a marquées de ses sacrés stigmates; mais, pour moi, il me charge, malgré mon indignité, de porter l’état de sa petite enfance.

Déjà il m’a préparée lui-même à cette faveur. Voici qu’aujourd’hui il daigne, par la sainte communion, m’unir à lui et me faire entrer dans son Cœur adorable, afin que je m’approche du sein virginal de son auguste Mère; c’est lui qui me conduit à cette source de grâces et de bénédictions, me disant de puiser le lait de la divine miséricorde dans l’esprit de charité avec lequel il a puisé lui-même; car il a pris ce lait pour tous les hommes, et, pour tous les hommes, il l’a répandu en versant son sang sur la croix. Je dois, à son exemple, m’approprier cette mystérieuse liqueur sur le sein de Marie, au nom de tous mes frères, et la répandre ensuite sur le monde entier, comme une rosée céleste, pour rafraîchir et purifier la terre dévorée par le feu de la concupiscence et pleine de corruption.

Je veux que vous soyez bien petite, mais que vous ayez un grand cœur."

7-5-L'inquiétude de Sœur Marie de Saint-Pierre

Ces révélations inquiétaient la petite sœur qui chercha à se documenter. Elle tomba sur un livre du Père Louis d'Argentan, ainsi qu'elle le rapporte: "Bientôt je me sentis vivement pressée de demander un livre à notre Révérende Mère: c’était le père d’Argentan. Elle me l’accorda. Quelles furent ma surprise et ma reconnaissance envers Dieu lorsqu’en l’ouvrant je trouvai une conférence sur la Maternité divine de la très sainte Vierge, nourrice du Verbe incarné! Mon admiration augmenta encore lorsque, lisant cette conférence, je vis l’estime que les Pères de l’Église faisaient de ce grand privilège de Marie. Tout ce que je lisais était comme l’écho qui répétait, à la lettre, ce qui s’était  imprimé dans mon âme pendant les opérations de l’Esprit-Saint touchant ce mystère.

Oh ! avec quel respect et quelle joie je baisai ces pages sacrées que Notre-Seigneur et son auguste Mère me mettaient sous les yeux, comme une lumière divine, pour éclairer mon âme et la rassurer sur ses inquiétudes! Convaincue que cette dévotion n’était ni nouvelle ni illusoire, puisque saint Augustin, saint Athanase et saint Bernard en parlaient avec tant d’éloge et de piété, je suis rentrée dans un calme parfait, m’abandonnant entre les mains de l’Enfant-Jésus, afin qu’il fasse en moi son adorable volonté...

Je parle en toute simplicité, car Notre-Seigneur a réduit mon âme à l’état d’un petit enfant, faisant en moi des opérations qui surpassent mon entendement. 'Si vous ne devenez de petits enfants, disait-il à ses apôtres, vous n’entrerez dans le royaume des cieux'."[5]

Il est facile de reconnaître que ces communications ne sont point étrangères à l’œuvre réparatrice dont j’ai précédemment parlé; elles s’y rattachent, au contraire, par une liaison très étroite. D’abord, le Seigneur me paraissait irrité contre les pécheurs de la France, à cause des nombreux blasphèmes et des violations du dimanche; il menaçait d’engloutir dans les eaux de sa justice notre perfide patrie, si elle n’apaisait sa colère en réparant les outrages faits à la gloire de son Nom, et il promettait de pardonner encore une fois si ses ordres étaient exécutés. Après de grandes contradictions excitées par Satan, la Réparation est enfin née dans la France, et le Seigneur, fidèle à sa parole, a calmé son courroux: il a changé sa justice en miséricorde, et, comme signe d’allégresse, il a fait couler sur la France un lait mystérieux par l’entremise de sa sainte Mère, qui est le canal de ses grâces! La justice de Dieu m’avait effrayée, maintenant sa miséricorde me ravit. » (Lettre du 8 novembre 1847)

La petite sœur comprend qu'elle doit suivre la voie d'enfance que Jésus et Marie lui proposent. Elle avait écrit en août 1847: "Je dois imiter les vertus de son enfance, et, pour m’en être une fois un peu éloignée, j’ai perdu la présence de la sainte Vierge et celle de l’Enfant-Jésus pendant à peu près huit jours; mais je me suis humiliée devant Dieu au souvenir de mes profondes misères; il a lancé dans mon cœur un vif trait de contrition, j’ai pleuré amèrement mes péchés passés; bientôt, comme le père de l’enfant prodigue, il m’a donné le baiser de paix et de réconciliation, et s’est communiqué à mon âme de la manière la plus intime... Cette communication a changé la disposition de mon âme, j’ai retrouvé l’Enfant-Jésus au sein virginal de sa divine Mère..."

Sœur Marie de Saint-Pierre ajoute la remarque suivante: "On sera peut-être étonné, après m’avoir vue occupée pendant quatre ans à méditer la grandeur du très saint Nom de Dieu, de me voir maintenant si attachée à un mystère qui semble, aux yeux de quelques chrétiens, le plus petit et le moins honorable dans la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne condamnerai pas ceux qui peuvent avoir cette opinion: car l’année dernière, sans les lumières que l’Enfant-Jésus et sa sainte Mère m’ont accordées, j’aurais peut-être partagé leur sentiment.

Mais aujourd’hui il n’en est pas ainsi, et d’après les communications que j’ai reçues et que je reçois encore au moment où j’écris, je dirai que ce mystère, si inconnu qu’il soit au monde, est cependant grand, admirable, ineffable; sa profondeur n’est pénétrée que par l’Enfant-Jésus, qui en est l’objet, et par la Vierge sa tendre Mère...

Oui, ô divin Enfant, vous êtes aussi digne de nos respects et de nos adorations sur le sein virginal de votre Mère que dans le sein de votre Père éternel; vous êtes et vous serez toujours le Dieu de l’éternité."

7-6-La dernière lettre de Sœur Marie de Saint-Pierre

La dernière lettre de la petite sœur, du 12 avril 1848[6], est comme son testament. Elle écrit : "Depuis quelques jours je me trouve tout de nouveau appliquée à la très sainte Enfance du Verbe incarné. Vous savez que mon âme est vouée à ce mystère. Notre-Seigneur me conduit de temps en temps à la contemplation des autres mystères de sa sainte vie; mais l’étable de Béthléem est mon point de ralliement.

Le Sauveur m’a fait entendre dimanche dernier que beaucoup de bonnes âmes s’occupaient des humiliations de sa Passion, mais peu des anéantissements de sa sainte Enfance, et il désire que je m’y applique pour combattre l’esprit d’orgueil, d’ambition et d’indépendance, par les humiliations, la pauvreté de sa crèche et la captivité de ses langes. Ainsi, le Père éternel, je crois, n’aura pas moins agréable la Face du petit Jésus couverte de larmes que la Face de Jésus couverte de sang et délaissée sur la croix. Il est notre auguste Victime en la crèche et à la croix. J’offre donc ce divin Enfant au Père éternel; je le mets entre le ciel et la terre pour apaiser sa colère. Le Saint-Esprit m’applique aussi de nouveau à contempler Jésus prenant le lait virginal de sa divine Mère.

Hier, sur la fin de mon oraison, la très sainte Vierge, malgré mon indignité, a daigné se montrer à moi. Elle m’a dit qu’elle était la Reine du Carmel; elle protégera ses maisons dans ces jours de calamité; il faut avoir une grande confiance en elle et en son adorable Fils; elle m’a fait entendre aussi qu’il fallait travailler avec zèle à la fin de son Institut[7], c’est-à-dire prier pour l’Église, et faire violence au ciel. Cette tendre Mère m’a prescrit de dire en l’honneur de sa maternité divine, autant de fois que nous avons de maisons en France, l’hymne "Ô gloriosa virginum"; et cette auguste Reine arrosera les fleurs du Carmel de son lait virginal, emblème de la miséricorde. Elle me l’a promis. Elle m’a dit aussi que plus l’armée de Dieu augmenterait (les défenseurs de son Nom), plus l’armée de Satan s’affaiblirait (les ennemis de l’Église et de l’État).

Voilà à peu près, ma très Révérende Mère, ce qui s’est passé dans mon âme. J’ai dit soixante-douze fois l’hymne indiqué par Marie, en l’honneur des années de sa bienheureuse vie[8]; et j’ai prié saint Joseph notre bon Père et notre Mère sainte Thérèse de les offrir à la Reine du Carmel pour le salut de nos chères maisons.

Ô divine Marie, arrosez de votre lait mystérieux les fleurs du Carmel, afin qu’elles prennent une forte racine dans cette terre de bénédiction et qu’elles n’en soient jamais arrachées par le démon."

7-7-Conclusions concernant ce chapitre

Pour conclure ce chapitre sur les relations entre la Sainte Vierge et sœur Marie de Saint-Pierre, nous rapportons un extrait de la lettre du 5 mai 1847. Nous verrons qu'il y est fait allusion à presque tous les principaux thèmes abordés ci-dessus:

"Le Sauveur me fit entendre qu’il avait remis toutes choses entre ses mains [9], et qu’Elle nous obtiendrait le bref du souverain pontife. Cette œuvre réparatrice est si nécessaire à la France et si glorieuse à Dieu, qu’il veut que sa très sainte Mère ait l’honneur de la donner à ce royaume, comme un gage nouveau de sa miséricorde. Allons donc à la très sainte Vierge, qui est la trésorière des grâces de Dieu; disons-lui sans cesse que la France lui est consacrée et qu’elle lui appartient. Redoublons de zèle pour cette Œuvre ; que les difficultés ne nous abattent point ; pour moi, Notre-Seigneur me donne une confiance sans borne."


[1] Attention! Marie n'est pas divine. Elle est comme nous, une créature, certes la plus belle, mais créature tout de même.
[2] Voir La Lactation de saint Bernard, dans son Commentaire du Cantique des cantiques.
[3] Entre les mains de Marie.
[4] La sainte Vierge.
[5] L'Abbé Janvier écrit, en 1884, dans sa Vie de la Sœur Saint-Pierre: "Peu après, la sœur fut heureuse de rencontrer dans la vie d’une carmélite de Beaune, la vénérable Marguerite du Saint-Sacrement, vouée au culte de la Sainte Enfance, un trait analogue à ce qu’elle avait elle-même éprouvé. Il est rapporté de cette admirable sœur que Jésus lui fit connaître qu’il avait été nourri, pendant quinze mois, du lait sacré de sa Mère, et il voulut qu’elle s’appliquât, le même espace de temps, à l’adorer dans cet état de sa petite enfance. A la fin des quinze mois, le saint Enfant lui promit, pour les âmes qui l’honoreraient ainsi pendant un égal espace de temps, qu’elles recevraient de lui de grandes bénédictions, qu’elles seraient spécialement assistées par sa très sainte Mère, et qu’en considération de l’amour avec lequel elle l’avait nourri de son lait précieux, il leur accorderait ce qu’elles lui demanderaient."
[6] "Ici nous arrivons à la dernière communication écrite de notre chère sœur; la fin de son pèlerinage approche, suivant l’annonce qu’elle en a reçue. La lettre qui la contient est datée du 12 avril 1848, et, comme les autres, adressée à la Mère prieure, Marie de l’Incarnation. Elle nous ramène à la vue de la sainte Enfance dont l’âme innocente et candide de l’humble vierge ne s’était jamais trop éloignée. Elle est courte et porte le même cachet de simplicité que toutes les autres: nous la transcrivons en son entier avec un sentiment de piété et de vénération qui sera sans doute  partagé."
— Abbé Janvier: “Vie de la Sœur Saint-Pierre”.
[7] Ici, il s'agit du carmel.
[8] Si l'on en croit Sœur Marie de Saint-Pierre, la Vierge Marie aurait donc vécu 72 ans...
[9] Entre les mains de Marie.

   

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