Marie Madeleine — parce
que née à Magdala, en Galilée — tout en n’étant qu’une grande
pécheresse connue de toute sa contrée, ne fut pas moins un témoin
important dans la vie publique du Christ. Elle était la sœur de
Marthe et de Lazare, celui-là même que Jésus ressuscitera plus tard.
Ayant entendu parler de
Jésus dont la renommée était alors de plus en plus grande, elle fut
intriguée par cet homme qui
prêchait
l’amour et le pardon, qui guérissait les malades, donnait la vue aux
aveugles, faisait marcher les paralytiques, donnait l’ouïe aux
sourds, guérissait les lépreux et ressuscitait même les morts et,
elle souhaita le voir, mais sa condition de pécheresse publique la
retenait.
Il est permis de penser
que l’une des premières fois où elle essaya de rencontrer, ou tout
du moins d’écouter Jésus, se situe lors du discours sur la brebis
égarée, car cette parabole paraît, en effet, avoir été prononcée à
son intention, ou à son propos. Jésus dit :
« Si un homme a cent
brebis, et que l'une d'elles s'égare, ne laisse-t-il pas les
quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher
celle qui s'est égarée? Et, s'il la trouve, je vous le dis en
vérité, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf
qui ne se sont pas égarées » (Mt. 18, 12-13). Alors, « il la
met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle
ses amis et ses voisins, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car
j'ai retrouvé ma brebis qui était perdue » (Lc. 15, 5-6).
Et Jésus semble
insister, pour mieux attendrir et retourner le cœur de celle qui,
peut-être, cachée parmi la foule, l’écoute attentivement : « De
même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un
seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n'ont pas besoin de repentance » (Lc. 15, 7).
Touchée probablement
par ces paroles qui s’adaptent si bien à sa misérable vie de “brebis
égarée”, Marie décide de changer de vie, de tourner le dos au péché
de la chair et de suivre l’Homme qui parle si bien, qui donne de si
bons conseils, qui est si bon et qui veut attirer à lui tous ceux
qui veulent bien le suivre. Pour ce faire, conformément à la Loi,
elle fait un acte courageux, elle fait une confession publique de
tous ses péchés et attend la meilleure occasion qui lui sera offerte
pour rencontrer le Maître.
Cette occasion lui est
donnée le jour où Jésus se rend chez Simon le lépreux, où il est
invité pour un repas.
« Jésus entra dans
la maison du pharisien — raconte l’évangéliste saint Luc —,
et se mit à table. Et voici, une femme pécheresse qui se trouvait
dans la ville, ayant su qu'il était à table dans la maison du
pharisien, apporta un vase d'albâtre plein de parfum, et se tint
derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait ; et bientôt elle lui
mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux,
les baisa, et les oignit de parfum ». (Lc. 7, 36-38)
Saint Jean est plus
précis encore, car il dit qu’il s’agissait bien de Marie, la sœur de
Lazare et de Marthe (Jn. 11, 1-12) ; et saint Mathieu précise même
qu’elle tenait en main « un vase d'albâtre, qui renfermait un
parfum de grand prix » (Mt. 26, 7)
Le geste de Marie n’est
pas apprécié de tous et, tous murmurent, y compris Simon qui avait
invité Jésus.
« Le pharisien qui
l'avait invité — précise saint Luc —, voyant cela, dit en
lui-même : “Si cet homme était prophète, il connaîtrait qui et de
quelle espèce est la femme qui le touche, il connaîtrait que c'est
une pécheresse” ». (Lc. 7, 39)
Devinant les pensées de
son hôte, Jésus l’interpelle et lui dit : « Ses nombreux péchés
ont été pardonnés : car elle a beaucoup aimé ». (Lc. 7, 47)
Marie sera, toute sa
vie durant, une grande amoureuse ! Son amour charnel se
transformera : il deviendra un amour spirituel, un amour fou et
irrésistible ; jamais plus Marie de Magdala n’abandonnera Celui qui
lui avait pardonné tous ses péchés, parce qu’“elle avait beaucoup
aimé”.
Saint Luc, parlant de
l’entourage féminin de Jésus, dit : « Ensuite, Jésus allait de
ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la
bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les douze étaient avec lui et
quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits malins et de
maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept
démons ». (Lc. 8, 1-2)
Cet amour passionné et
sincère la conduira au pied de la Croix de Jésus, à côté de Marie,
Mère de Jésus et de Jean, le seul des apôtres à être resté près du
Crucifié. « La présence héroïquement fidèle de cette femme — s’exclame
frère Nicolas Jean — en dit long sur la profondeur de son
amour ! »
Après la mort de Jésus,
« Marie de Magdala et l’autre Marie étaient là [à l’entrée du
tombeau], assises vis-à-vis du sépulcre » (Mt. 27, 61 ; cf. Mc.
15, 47) ; « elles regardèrent le tombeau — précise saint
Luc — et comment son corps avait été mis. Puis elles s’en
retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et le Sabbat, elles
se tinrent en repos, selon le précepte » (Lc. 23, 55-56).
Puis, ce fut la
résurrection e Marie est la première, selon les textes sacrés, à qui
le Seigneur se montra au matin de Pâques, comme l’écrit saint Marc :
« Jésus, étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine,
apparut d’abord à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept
démons » (Mc 16, 9).
Saint Jean est encore
plus précis : « Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala
se rendit au sépulcre dès le matin, comme il faisait encore obscur ;
et elle vit que la pierre était ôtée du sépulcre. Elle courut vers
Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait, et leur
dit : “Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où
ils l’ont mis” » (Jn. 20, 16-18).
« Pierre et Jean
courent au tombeau — écrit frère Nicolas Jean — ; l’état des
lieux et surtout celui des linges, leur prouve qu’il n’y a pas eu
profanation mais action miraculeuse de Dieu. Dans son évangile, Jean
affirme sa foi : “Il vit et il crut”. Cependant les deux disciples
s’en retournent... Marie-Madeleine reste là ; le Christ se manifeste
à elle »
« Jésus lui dit :
Marie ! Elle se retourna, et lui dit en hébreu : Rabbouni ! c’est à
dire, Maître ! Jésus lui dit : Ne me touche pas ; car je ne suis pas
encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur
que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre
Dieu. Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu’elle avait vu
le Seigneur, et qu’il lui avait dit ces choses » (Jn. 20, 16-18)
Et saint Grégoire le
Grand d’expliquer : « appelée par son nom, Marie reconnaît donc
son créateur et elle l'appelle aussitôt “Rabbouni, c'est-à-dire
maître”, parce que celui qu'elle cherchait extérieurement était
celui-là même qui lui enseignait intérieurement à le chercher ».
Cette scène évangélique
montre Marie si grande dans sa fidélité, animée d’un tel amour,
favorisée d’une telle confiance et chargée d’une telle mission,
qu’un des plus anciens, parmi les penseurs chrétiens, n’hésitait pas
à voir en elle la figure même de l’Église.
Un autre Père et
Docteur de l’Église, saint Ambroise de Milan, va encore plus loin
dans ses considérations sur la pénitente :
« De même qu'au
début la femme fut l'instigatrice du péché pour l'homme, l'homme
consommant l'erreur ; de même à présent celle qui avait goûté la
première à la mort a vu la première la Résurrection. Selon l'ordre
de la faute, elle fut la première au remède ; elle compense le
désastre de l'antique déchéance par l'annonce de la Résurrection.
Les lèvres de la femme avaient autrefois donné passage à la mort,
les lèvres de cette femme rendent la vie ».
Et nous terminerons
cette dissertation sur Marie Madeleine par cette affirmation du
cardinal de Bérulle qui avait pour elle une dévotion immense :
« Sa pénitence est
amour, son désert est amour, sa vie est amour, sa solitude est
amour, sa croix est amour, sa langueur est amour et sa mort est
amour. Je ne vois qu'amour en Madeleine. Je ne vois que Jésus en son
amour, je ne vois que Jésus et amour dans son désert ».
Alphonse Rocha |