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Jésus au désert
Le Saint-Esprit, après s'être
reposé sur Jésus, l'Agneau de Dieu, "le poussa au désert."
Marie-Aimée s'étonne: ainsi Dieu se retire dans la solitude
pour se préparer à sa mission. Et, plus étonnant encore:
"pour y être tenté par le diable." En réalité,
"le Christ ne sera pas
exposé à la tentation comme nous, pour être éprouvé, mais
pour être notre consolation dans nos épreuves. Le
Saint-Esprit le conduit au désert pour y être tenté par le
démon... afin que les âmes qui se retirent dans la solitude
apprennent qu'on n'y est pas à l'abri des tentations...
Jésus
se prépare au combat par un jeûne de quarante jours et
quarante nuits et par une prière non interrompue... Il
entreprend de donner au monde l'exemple de la pénitence, par
le jeûne le plus rigoureux... Jésus-Christ est Dieu, mais il
s'est fait homme, et c'est en tant qu'homme qu'il devient
notre prototype, notre modèle le plus parfait. Il se laisse
conduire au désert, adorant l'ordre de son Père..."
Jésus est seul pour se livrer à la prière, profondément uni
dans son âme, à la Sainte Trinité, donc au Père dont Il
vient faire la volonté.
Selon son habitude,
Marie-Aimée tire de sa contemplation de Jésus au désert, des
conseils importants pour la vie spirituelle. Ainsi, une âme
avancée dans la sainteté doit se laisser conduire par le
Saint-Esprit. Mais Attention! l'expérience nous incite à
être très vigilants et "cette vigilance s'exerce surtout
par la soumission et par l'abandon à l'action divine..."
Mais comment distinguer l'action du Saint-Esprit de celle de
l'ennemi "dont la tactique consiste le plus souvent à
favoriser l'esprit propre?" C'est par l'humilité, la
crainte filiale et la fidélité. L'âme livrée au Saint-Esprit
sans réserve, "est
humble, mais comme Jésus-Christ et avec Jésus-Christ; elle
est dépendante, soumise, mortifiée à la manière de
Jésus-Christ; elle est sobre et sage jusque dans sa vertu...
Il en
est tout autrement de l'esprit propre, toujours secondé par
l'ennemi de Dieu... Il suggère à l'âme de fausses maximes,
lui inspire des désirs d'une perfection irréalisable, la
place dans une sorte de mirage... L'âme donne alors dans de
véritables illusions, non par malice, mais par ignorance.
Elle veut être humble, mais selon ses idées personnelles...
La première condition pour une retraite est donc de se
mettre sous la conduite de l'Esprit-Saint, de d'apprendre, à
son école, à gravir les chemins de la sainteté..."
Marie-Aimée insiste: il faut se méfier des pièges de
l'esprit propre comme de ceux du tentateur et se fier à
l'Esprit-Saint qui éclaire, apaise. L'Esprit de Dieu donne
la paix; c'est par cela qu'on le reconnaît
L'âme doit aussi rester dans
la constance et dans la foi, quelles que soient les
tentations et les doutes. Qu'elle n'hésite surtout pas à
consulter si l'inquiétude est trop grande. Et un jour l'âme
comprendra "que l'obéissance est préférable au sacrifice;
elle découvrira comment la souffrance peut devenir un sujet
de joie..."
Avant de commencer sa mission,
Jésus veut rencontrer le Père, dans une prière continuelle.
Il veut également montrer aux hommes l'importance de la
pénitence volontaire, du jeûne particulièrement, afin de
satisfaire la justice divine. Jésus n'abroge pas la loi
juive, mais il veut la perfectionner et agit en Sauveur. Le
"Père céleste, en
envoyant son Fils sur la terre... voulait que ... Jésus
embrassât non seulement la perfection des deux lois,
ancienne et nouvelle, mais encore la perfection de leurs
conseils... Jésus-Christ était venu réparer l'orgueil de
l'homme par ses prodigieux abaissements... Il avait encore
en vue, dans son jeûne, toutes les âmes aimantes qui, dans
son Église, se consacreraient à désarmer la divine justice
en se livrant à une vie pénitente..."
Et Marie-Aimée de Jésus de
préciser que ces âmes jeûnent
"et font pénitence par la
nécessité de leur nature rebelle... et par l'impérieuse et
douce nécessité de l'amour... Elles se privent pour réparer
et sauver les âmes avec Jésus-Christ..."
Mais Marie-Aimée connaît les
objections, aussi ajoute-t-elle:
"Toutes ces choses sont
grandes et saintes, mais malheureusement exposées comme tant
d'autres, à la rouille et aux voleurs. Par la rouille nous
entendons les intentions imparfaites, la routine et tout ce
qui peut amoindrir et détériorer une bonne œuvre; par les
voleurs, entendons, pour ce qui nous occupe, la volonté
propre et l'immortification qui peuvent dérober le mérite de
la pénitence..."
D'où la nécessité de se garder
de l'amour-propre et d'apprendre que la vertu peut suppléer
le jeûne quand il n'est pas possible, mais que le jeûne ne
supplée jamais la vertu. D'où aussi
"l'importance que Dieu attache
à l'humble soumission. Ce qu'il préfère, ce sont les actes
d'une courageuse obéissance et d'une vertu qui n'agit que
sous l'influence de son divin Esprit... Se soumettre en
silence, c'est le fait d'une âme déjà fort avancée... Sa
vertu s'affermit... et l'âme s'oublie... Elle glorifie Dieu
surtout si elle sait garder le secret de ses luttes, de ses
privations, de son joyeux acquiescement. Cette joie est le
dernier effet de l'union de la volonté à celle de Dieu...
Nos actes, quels qu'ils soient, n'ont d'autre prix devant
Dieu que celui que leur donne l'amour..."
Marie-Aimée nous dit que "la nature humaine de Jésus
était élevée, par un privilège unique, à l'union
hypostatique..." En conséquence, le Verbe de Dieu qui
avait voulu vivre avec les hommes, pour les sauver et
détruire le règne du péché, a dû, durant sa retraite au
désert, avoir avec son Père, des relations exceptionnelles.
"Jésus est au sommet de la montagne pour adorer et pour
veiller... Mais pourquoi ces veilles saintes et prolongées?
Jésus a prié, Jésus a veillé pour nous... pour expier tous
les crimes que les hommes commettent... pour expier les
veilles mondaines... pour les âmes lâches... Jésus offrait à
son Père, en sa personne sacrée, le spectacle de toutes les
vertus... Pendant que le monde effaçait en lui-même le rayon
de l'image de Dieu, le Christ, lumière de lumière, vrai Dieu
de vrai Dieu... présentait au Père, dans ces nuits
solennelles du désert, tout l'amour qui embrasait son âme et
dont il brûlait d'éclairer et d'embraser les âmes de ceux
qu'il venait sauver..."
Marie-Aimée se demande quels
sont les appels particuliers que Jésus fait entendre à l'âme
contemplative. Jésus répond:
"Lève-toi ma bien-aimée, ma
colombe. Vians avec moi dans le désert de la vie solitaire,
sur la montagne de la contemplation. Et là, après une
journée de travail, de prière et de jeûne, interdisant le
sommeil à tes paupière, tu veilleras avec moi. Tu partageras
mes sollicitudes de Fils de Dieu et de Sauveur des hommes,
tu répareras la gloire de mon Père, tu obtiendras le salut
des pécheurs et tu attireras avec toi des milliers d'âmes de
vierges, d'épouses, lampes vivantes que l'huile de la
dévotion et le feu de l'amour entretiendront jour et nuit
devant la face de Dieu."
D'où quelques conseils
destinés aux âmes religieuses; en effet, les âmes qui
veillent ont souvent de rudes combats à mener: tentations,
dégoûts, aridités inquiétudes, mais aussi des luttes, des
souffrances et des victoires. Ces âmes contemplatives et
militantes, comblées de grâces, accumulent des mérites;
elles sont à la fois prêtres et victimes, vierges et
martyres, en un mot des imitatrices du Christ. Mais
attention! "L'amour
des veilles, qui n'est pas le fruit de l'amour de la prière
et de l'amour de la souffrance, est une chimère et ne peut
subsister devant la pratique. Il faut absolument un amour
réel de la contemplation pour triompher des obstacles que le
corps suscite à l'esprit désireux de rester devant Dieu; il
faut absolument aimer la souffrance, dans l'intention de
plaire à Dieu... Si tout cela existe, l'âme devra soumettre
ses désirs les plus louables à l'obéissance... son premier
devoir étant d'incliner sa volonté et son jugement... Si
l'autorité refuse, la perfection consiste à obéir en
silence...
À
cette obéissance, l'âme religieuse devra joindre la
prudence... Chaque âme fait acte de prudence en suivant ce
que sa conscience lui dicte, pourvu qu'elle se soumette aux
décisions que l'humilité lui inspirera de demander... à ceux
qui ont charge d'âmes... L'âme vraiment dépendante ne se
détermine d'avance qu'à faire la volonté de Dieu, à se
sacrifier selon les desseins de Dieu, toujours manifesté, en
religion, par ceux qui tiennent sa place... Dieu exige
d'abord l'abnégation de son esprit, de son jugement, de sa
volonté. Les jeûnes, les veilles, les macérations viennent
ensuite..."
Marie-Aimée va plus loin
encore en précisant que "la discrétion restera toujours
la règle des vertus... L'équilibre partout est le moyen de
tenir l'âme à la hauteur de ses devoirs..." Et pour
conclure elle ajoute: "Il y a une prudence naturelle et
l'autre surnaturelle." Avec la prudence naturelle on
peut vivre longtemps, mais dans la médiocrité.
"La seconde prudence est celle
d'une raison éclairée par la foi. Elle compte avec la grâce,
mais ne va pas jusqu'à tenter Dieu. L'âme qui la possède ne
veut éloigner ni la souffrance, ni la mort, mais elle sait
que la santé, pas plus que la vie, ne lui appartiennent en
propre."
Marie-Aimée va essayer de
comprendre quelques images utilisées par David dans ses
psaumes à propos du Christ.
"Le prophète, en rapprochant
ensemble le pélican, le hibou et le passereau, montre, en
chacun, leur amour de la solitude et leurs différents
instincts, avec les nuances qui les distinguent; ce sont
elles surtout qui nous désignent le Christ.
- Le pélican aime la solitude, mais dans la
lumière. Il est le symbole de l'amour paternel... Il attire
la sympathie... Ô Pélican divin! Ô Jésus, vous aussi aimez
la solitude mais, dans la pleine lumière, vous vous tenez au
désert sur la montagne... car votre sainte humanité est
illuminée des rayons de votre divinité! Pélican plein de
tendresse, vous nourrissez réellement... vos enfants affamés
d'un pain céleste et d'un breuvage divin...
- Le
hibou, plus solitaire que le pélican, aime, non seulement la
solitude, mais l'obscurité; aussi cherche-t-il la caverne ou
la masure. Il vit seul, abandonné, les ruines semblent son
attrait; on dirait qu'il pleure sur le passé, son aspect
révèle et inspire même la tristesse. .. Jésus au désert, ne
connaît-il pas déjà la tristesse et les larmes? Jésus aime,
dans la solitude, l'obscurité, celle de la nuit sans doute,
mais aussi il choisit et il veut celle du délaissement, de
l'isolement. Lui aussi cherche la caverne sombre pour y
pleurer, pour y souffrir, pour y expier...
- Quant au passereau bien connu et dont la solitude est
surtout de nuit, il rappelle les contemplations du Sauveur
dont il est dit: 'Il passait les nuits en oraison'."
Marie-Aimée se tourne vers les
insensés qui ont préféré les mensonges à la vérité. Et elle
encourage les âmes qui ont choisi les choses pures et la
lumière à "se laisser pénétrer du sens mystérieux de
l'Écriture... Vous y trouverez, écrit-elle,
des trésors de science sur la personne adorable de
Jésus-Christ..."
Il est
temps maintenant, pour Marie-Aimée, de quitter sa
contemplation, pour revenir auprès de ses sœurs, quand elle
sont dans la solitude durant leur retraite spirituelle. Elle
rappelle les diverses sortes de solitude:
- la séparation des créatures
qui "est délicieuse
si l'âme y est aidée d'une direction sérieuse.
- la
seconde solitude qui est la privation de tout secours humain
est très supportable si Dieu se fait sentir...
- la
troisième solitude, très solitaire, est celle où Dieu semble
délaisser l'âme... Il lui est alors très difficile de
persévérer avec fidélité dans cet état... C'est la solitude
dans la solitude, l'abandon complet et, sans contredit, un
des plus grands travaux de l'esprit que l'âme puisse endurer
ici-bas... La fidélité de l'âme fidèle est motivée. En
s'avançant dans le désert, elle s'avance en Dieu qui ne peut
lui manquer. Elle le sent loin, mais elle croit qu'il est
près, elle espère en lui, elle ne sera pas confondue.
L'Écriture le lui a appris depuis longtemps; néanmoins une
pareille démarche est d'autant plus héroïque qu'elle est
inspirée par une foi vive, une confiance plus inébranlable,
une charité plus ardente..."
Et,
enfin Marie-Aimée exhorte: "Âmes fidèles, fuyez les
consolations humaines, gardez un humble silence, gardez
l'abstinence des soulagements humains et le jeûne des
célestes délices, si Dieu le veut ainsi. Mais veillez et
priez afin de ne pas entrer en tentation... Ô âmes,
souvenez-vous du Christ au désert... Jetez les yeux sur
Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantées, et
considérez que c'est lorsqu'il était seul que le Seigneur
l'a appelé et multiplié..."
Marie-Aimée de Jésus nous fait
remarquer "qu'en se
retirant au désert, en fuyant les créatures humaines,
Jésus-Christ ne s'exempte pas de la société de cette portion
de la création qu'il a placée dans les parties isolées de ce
vaste univers... Il est l'Adam nouveau et, de même que le
premier homme innocent avait sous sa dépendance tous les
êtres animés et que ceux-ci ne pouvaient lui nuire, à bien
plus forte raison, Jésus-Christ, le second Adam avait-il
tout pouvoir et tout droit sur les animaux du désert...
Pourquoi... les animaux du désert et ceux mêmes de la
campagne, ne se seraient-ils pas réunis pour rendre hommage
à leur Créateur? Pourquoi la panthère qui devait reposer
près du chevreau,
n'auraient-ils pas, ce jour-là, cimenté en l'honneur de leur
Maître, une union que commandait son empire et que réclamait
sa bonté? Pourquoi ce jour où la vache et l'ours devaient
avoir les mêmes pâturages, où le lion devait manger le même
fourrage que le bœuf, ne serait-il pas ce jour béni où le
Seigneur devait venir habiter le désert?"
Marie-Aimée pense à saint
François d'Assise et se met à rêver: "On aime à voir par
la pensée le cerf accourir à Jésus comme à une source d'eau
vive, l'aigle le contempler comme le plus brillant soleil,
la colombe se mirer dans ses yeux limpides, le lion dormir à
ses pieds et l'agneau bondir autour de lui, les oiseaux le
réjouir de leurs concerts et l'abeille, attirée par ses
divins parfums voltiger autour de la divine fleur de
Nazareth... Et Jésus les bénissait, les soulageait car le
Seigneur aime tout ce qu'il a créé... Le plus souvent les
animaux se tenaient à une distance respectueuse de leur
souverain..." Mais lorsque Jésus souffrait et pleurait à
cause des péchés des hommes,
"alors, attirés par les
soupirs et les larmes qui s'échappaient de son cœur
oppressé, les animaux qui l'avaient quitté se rapprochaient
de lui et lui donnaient mille marques d'une affection que
l'homme lui refusait.
'Poésie que tout cela!' dira l'âme froide et irréfléchie;
pieuse conjecture peut-être, mais pourquoi Jésus n'aurait-il
pas été traité comme l'homme innocent, lui l'innocence
même?... Pourquoi les animaux auraient-ils été insensibles à
la présence de Jésus-Christ, aux larmes de leur créateur?"
Marie-Aimée tire de ces
réflexions quelques remarques sur l'âme qui vit au désert
avec Jésus-Christ. L'Évangile nous dit que Jésus
"s'est retiré au désert pour y
être tenté. Ajoutons: pour être notre modèle dans la
tentation... On ne peut dire que Jésus ait été sujet aux
importunités des distractions dont nous sommes souvent
l'objet... Mais nous, nous sommes sujets aux distractions
dans la prière. Elles nous viennent ou du démon, ou de
nous-mêmes, ou des objets extérieurs.
Et
d'abord le démon... Son but est de nous faire abandonner
l'oraison; pour cela il s'efforce par mille industries, de
donner à l'âme l'ennui et le dégoût de la prière... Il faut
alors tenir notre volonté très unie à Dieu... La volonté,
c'est l'ancre qui retient notre navire solidement amarré en
Dieu. Le démon ne peut rien sur une telle volonté..."
Se référant à Thérèse d'Avila, Marie-Aimée indique que si la
mémoire et l'imagination troublent l'âme, elles ne peuvent
lui faire du mal, "semblables à ces petits papillons de
nuit, importuns qui ne font qu'aller et venir sans jamais se
fixer... L'unique remède, c'est de pas faire plus de cas de
l'imagination que d'une folle et de l'abandonner à son
thème, Dieu seul pouvant y mettre un terme et la fixer..."
Marie-Aimée conclut cette réflexion sur l'action du
démon: "Il ne peut
rien contre l'âme tant qu'elle se tient près de celui
qu'elle aime et met toute son espérance en lui."
Mais nous sommes à nous-mêmes
une autre source de distractions. Nous pouvons être saisis
par des souvenirs, pénibles ou agréables, ou nos passions:
signes de méfiance, témoignages d'estime, paroles amères ou
élogieuses, autant de sujets de distractions pour nous qui
ne sommes pas encore assez ancrés dans le Christ. "En
attendant qu'avec la grâce nous soyons parvenus à
l'indifférence pour la louange ou le blâme, il faut prendre
patience avec soi-même, s'humilier, confesser à Dieu son
impuissance et s'aider avec des moyens ordinaires, les plus
simples étant les plus efficaces car fruits de l'humilité...
On peut, par exemple, prendre le sujet même de nos
distractions comme objet de méditation... On peut lire aussi
quelques passages de la sainte Écriture tels que les
psaumes, en essayant d'en découvrir le sens caché..."
Attention! "Il ne
serait ni prudent ni conforme à l'humilité, que l'âme,
assaillie de distractions, persiste à ne vouloir qu'une
oraison affective ou de pure contemplation..."
Marie-Aimée donne quelques
précisions: "Les infirmités, la maladie, la lassitude
comptent encore dans les distractions qui nous viennent de
nous-mêmes, quoique étant absolument indépendantes de notre
volonté... Mais,
pour l'âme qui aime, la
véritable oraison durant la maladie, consiste à offrir à
Dieu ce qu'elle souffre, à se souvenir de lui, à se
conformer à sa volonté sainte..."
La
troisième cause de distraction sont les objets extérieurs
avec lesquels nous sommes en rapport par nos sens. Notre
condition humaine nous oblige à être en relation avec les
objets terrestres. Pour éviter les écueils que ces objets
apportent à notre prière, il faut "selon le mot de
l'apôtre, en user comme n'en usant pas. Tel est le suprême
effort d'une âme qui est entrée dans l'imitation généreuse
de Jésus-Christ... Cette âme doit tendre à acquérir une
présence de Dieu habituelle qui lui rende la prière facile
et continuelle... Abandonnons-nous à l'action divine..."
tout en sachant que nous ne serons vraiment avec Dieu que
dans l'éternité.
La Vierge Marie était très
unie à la sainte Trinité. Aussi, Marie-Aimée de Jésus
pense-t-elle qu'elle fut instruite de la vie que Jésus
allait mener au désert. En conséquence,
"elle s'enferma plus que
jamais dans sa petite maison de Nazareth, pour passer ces
quarante jours dans la solitude, le silence, le jeûne, les
larmes et la prière, dans l'union la plus intime de son âme
avec son divin fils... Mais comment qualifier le degré
d'union étroite à laquelle Marie fut élevée avec l'humanité
du Verbe par le moyen si doux et si puissant de la maternité
divine?
La
très sainte vierge fut unie à Jésus non plus seulement
spirituellement, mais aussi corporellement, comme une mère
l'est à son fils, toutefois, d'une manière incomparablement
plus élevée, puisque cette union si intime fut non seulement
naturelle, mais encore et en même temps, surnaturelle et
divine... Les âmes saintes de Jésus et de Marie se voyaient
mutuellement en Dieu... L'âme sainte de Jésus-Christ se
versait continuellement dans l'âme de Marie, comme l'âme de
Marie se versait continuellement dans celle de Jésus... Nous
soupçonnons les inclinations de l'âme de Jésus, mais leur
simplicité nous échappe... en raison de la supériorité de
son âme sur les nôtres...
Quelle fut la connaissance de Marie, elle dont l'âme était
si pure... Elle adorait mais dans quelle lumière?... C'est
au moment où Marie adorait ce qui en Jésus était pour elle
impénétrable, qu'elle en comprenait davantage... et c'était
une source de bonheur à cause de l'amour qu'elle lui
portait... L'âme de la Très Sainte Vierge est un miroir dans
lequel se reproduit l'âme de Jésus, aussi parfaitement qu'il
est possible à une simple créature de reproduire l'âme d'un
Homme-Dieu..."
Marie-aimée s'exclame:
"Comme ces deux volontés sont unies à Dieu! Comme leur amour
mutuel est digne, comme leur tendresse est forte... comme
leur courage est magnifique!... Le Saint-Esprit opère à son
gré... Oh! quelle gloire ces deux âmes rendent au Père!..."
Marie-Aimée s'inspire de ce modèle pour définir l'union
de nos âmes avec Dieu, quoique à un degré bien inférieur.
Tout d'abord "l'âme
doit éviter avec soin jusqu'à l'ombre du péché... L'union de
nos âmes avec Jésus-Christ par la sainte Eucharistie se
rapporte à l'union de Marie avec Jésus-Christ, Fils unique
de Dieu fait homme en elle et de sa propre substance; plus
l'âme communie dans de saintes dispositions, plus elle
avance dans cette union du Christ, plus elle la rend
habituelle.
Le
fruit de ces deux unions en produit une autre qui est
l'union du cœur par un amour fort, tendre et généreux, et
l'union de l'esprit, non seulement par la foi, mais encore
par la conformité de pensées, de goûts, d'inclinations, de
saintes habitudes.... L'âme peut chanter: 'J'ai trouvé celui
que j'aime.'... "
Dieu peut ne pas se contenter
de cette union intime avec l'âme, mais il peut vouloir
également prendre ses délices avec elle et lui découvrir ses
secrets, lui donnant un avant-goût des joies d'en haut.
Jésus Verbe-de-Dieu incarné ne
pouvait être qu'en oraison permanente. Cependant, comme tous
les hommes soumis aux exigences terrestres, les "actes"
visibles de l'oraison de Jésus avaient leurs temps choisis,
et leurs heures, et nous sommes certains que Marie, Joseph
et quelques apôtres virent Jésus en train de prier. Mais au
désert, les seuls témoins de la prière de Jésus furent les
anges; et Jésus les enseigna. Marie-Aimée écrit:
"Les anges, qui contemplaient
Dieu esprit à esprit, apprirent du Verbe Incarné, de son âme
très sainte, sur sa divinité, des choses qu'il n'est ni
permis ni possible à une langue humaine de rapporter, ni à
un homme mortel de comprendre. Ce qu'il fut donné aux anges
de découvrir des pensées de Jésus, les instruisit de
beaucoup de secrets qui leur étaient inconnus touchant les
destinées humaines...
Contemplons Jésus au désert... Il adore son Père et les
anges l'adorent, lui, le Verbe Incarné... Les anges
l'adorent dans son jeûne, dans ses veilles, ils l'adorent
transis de froid. Ils l'adorent versant des larmes, ils
l'adorent dans ce lamentable état de souffrances intérieures
et extérieures sans pouvoir le soulager...
Mais
si ces bienheureux esprits voient le Christ rayonner, s'ils
aperçoivent quelques éclairs de la joie de son âme... s'ils
voient ce Fils du Père jouir de ses embrassements divins,
quels transports! Quelle allégresse!... Tous les anges
louent, bénissent et chantent au Très-Haut la sainte
humanité du Christ..."
Curieusement, Marie-Aimée
quitte sa contemplation pour adresser aux religieuses
contemplatives un message de prudence. Leurs ordres sont
établis pour la conversion des pécheurs et pour prier à la
place de ceux qui, dans le monde, ne le peuvent pas
suffisamment. Mais attention! Ces âmes religieuses ne
doivent pas "passer à des prières vocales le temps
destiné à l'oraison... Le royaume de Dieu n'est-il pas pour
les âmes qui font la volonté de Dieu... Une humble
religieuse ignorée au fond de son couvent, si elle accomplit
fidèlement sa règle, si elle entre dans l'esprit de son
Ordre,, si elle travaille généreusement à sa perfection...
procure à elle seule plus de gloire à Dieu que des milliers
d'autres qui se partagent et se répandent dans des pratiques
extérieures... Mais,
seules les âmes vraiment
intérieures comprennent ce langage... Jésus cherche la
valeur et le poids des âmes, c'est-à-dire leur amour. Ô
Verbe silencieux, ô Jésus au désert, révélez votre divin
intérieur à vos épouses, que leur occupation soit de vous
étudier et de vous approfondir humblement..."
Aujourd'hui on incite beaucoup trop les âmes religieuses à
travailler pour le prochain, à aller constamment vers les
plus pauvres (sans savoir généralement de quoi il s'agit).
Cela c'est très bien, mais ne suffit pas, car Dieu seul peut
convertir les âmes et les ramener à lui. La prière,
l'oraison, la contemplation des merveilles de Dieu sont
indispensables; et l'on peut être douloureusement étonné
lorsque des prêtres ou des religieux osent déclarer que l'on
doit savoir se passer de l'Eucharistie.
Merci, Sœur Marie-Aimée de
Jésus pour votre équilibre. Force est de constater que seuls
les vrais mystiques savent comprendre la nécessité de la
vraie prière et surtout de l'oraison. Et nous, nous pouvons
comprendre les réflexions qui suivent, de Marie-Aimée:
"Qu'elle est
ravissante votre beauté intérieure, ô Jésus, mes délices!...
Plus on vous contemple, ô intérieur béni de mon Jésus, plus
on découvre de richesses!... C'est un abîme d'amour, c'est
une profondeur sans limite... Dans cette pureté, dans cette
sainteté, dont rien n'approche, l'âme voit sa corruption, sa
misère. Dans ce calme divin, elle entend le bruit sourd de
ses petites passions. Cet intérieur à la fois si grand et si
humble lui enseigne l'humilité. Cet intérieur qu'un feu pur
et divin consume, embrase l'âme qui bientôt confond ses
flammes avec celles de Jésus. Elle aime du même amour. Ô
Seigneur! Comment se fait-il alors qu'on vous voit sans vous
voir?... comment se fait-il que vous blessiez sans causer de
douleur? Comment se fait-il que l'âme souffre et jouisse en
même temps... Ô intérieur de Jésus, vous me transportez!..."
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