La décadence des
mœurs, et la confusion occasionnée par des guerres continuelles,
avaient presque entièrement éteint en Irlande l'esprit de religion
et de piété. On y était retombé dans la barbarie et dans les vices
grossiers qui ont coutume d'en
être la suite. Ce fut alors que Dieu
fit naître Malachie, qu'il destinait à rétablir, en quelque sorte,
cette église dans son ancienne splendeur. Quelques auteurs irlandais
lui donnent le surnom d'O'Morgair. Il eut Armagh pour patrie.
Ses parents étaient d'une naissance illustre, et en même temps fort
vertueux. Sa mère surtout prit un soin extrême de l'élever dans la
crainte du Seigneur. Lorsqu'il fut capable d'instruction, on le mit
sous la conduite de maîtres recommandables par leur piété. Il étudia
la grammaire à Armagh. Sa mère, qui ne le perdait point de vue, ne
cessait de lui inspirer les plus vifs sentiments de religion ;
et ces sentiments se gravèrent dès-lors si profondément dans
l'âme du jeune Malachie, qu'ils ne s'effacèrent plus dans la suite.
Il était doux, humble, docile, modeste, fidèle à ses devoirs, porté
à servir tous ceux avec lesquels il avait à vivre. On admirait sa
tempérance, son amour pour la mortification, son éloignement pour
tout ce qui faisait l'amusement de l'enfance ; en sorte que, comme
il surpassait ses condisciples par ses progrès, il l'emportait en
vertu sur ses maîtres mêmes.
Pendant le cours
de ses études, il évitait tout ce qui aurait pu se ressentir de
l'affectation ; ses pratiques extraordinaires de pénitence n'étaient
connues que de Dieu ; par là il évitait encore le danger de la vaine
gloire. Il ne restait point à l'église aussi longtemps qu'il
l'aurait désiré ; il se retirait dans des lieux écartés pour prier ;
et s'il lui arrivait de se livrer en priant à l'impétuosité de son
zèle, il prenait garde qu'on ne l'aperçût. Dans les promenades qu'il
faisait avec les jeunes gens de son âge, il se laissait un peu
devancer par eux, afin d'avoir la liberté de s'unir à Dieu par des
aspirations vives et enflammées.
Mais résolu
d'apprendre le grand art de mourir à lui-même, et de se consacrer
entièrement au service de Dieu, il se mit sous la conduite d'Imar,
ou Imarius, qui menait la vie d'un reclus dans une cellule voisine
de l'église d'Armagh, et qui avait une grande réputation de
sainteté. Cette démarche de la part d'un jeune homme de qualité,
étonna toute la ville ; plusieurs en firent le sujet de leurs
railleries ; d'autres l'attribuèrent à la mélancolie, ou du moins à
la légèreté. Les amis du Saint en ressentirent une vive douleur, et
lui en firent des reproches amers. Ils ne pouvaient s'imaginer
qu'avec une constitution si délicate, et des espérances si bien
fondées de réussir dans le monde, il prit le parti d'embrasser un
genre de vie, dont la pensée seule les effrayait, et qui d'ailleurs
leur paraissait vil et méprisable. Malachie ne fut point ému de tout
ce que dirent les censeurs de sa conduite. Il dut à sa douceur et à
son humilité la victoire qu'il remporta sur le monde et sur
lui-même. Pour se rendre digne d'aimer Dieu parfaitement, il se
condamna, selon la remarque de saint Bernard, à vivre, pour ainsi
dire, dans un tombeau ; il se soumit à la règle d'un homme, bien
différent de ceux qui veulent enseigner ce qu'ils n'ont jamais
appris, et qui cherchent à se faire des disciples avant d'avoir eu
des maîtres.
La docilité de
Malachie, son amour pour le silence, sa ferveur dans la prière, son
zèle pour les pratiques de la mortification, annoncèrent ses progrès
dans la perfection. Il devint infiniment cher à son maître, et il
édifia tous ceux qui avaient d'abord condamné sa conduite ; les
railleries se changèrent bientôt en admiration. Plusieurs même,
touchés de ses exemples, embrassèrent le genre de vie qu'il avait
choisi. Imar consentit à recevoir les plus fervents d'entre eux, et
peu à peu il se forma une communauté. Malachie était le modèle de
tous, quoiqu'il s'en regardât comme le dernier, et qu'il se jugeât
indigne d'habiter parmi ces serviteurs de Dieu. Avec de pareilles
dispositions, il ne pouvait manquer de parvenir à un degré sublime
de perfection.
Imar, son
supérieur, et Celse ou Ceillach, archevêque d'Armagh, crurent que la
gloire de Dieu exigeait qu'il reçût les saints ordres. Ainsi, sans
avoir égard à sa résistance, Celse l'ordonna diacre, et prêtre peu
de temps après. Il n'avait que vingt-cinq ans, lorsqu'on lui conféra
la prêtrise, quoiqu'il fallût alors en avoir trente, suivant les
canons : mais on trouva dans son mérite extraordinaire une juste
cause de le dispenser de la règle générale. L'archevêque l'établit
en même temps son vicaire pour prêcher la parole de Dieu au peuple,
et il le chargea de travailler à déraciner les abus invétérés qui
avaient horriblement défiguré la face de l'église d'Irlande.
Malachie remplit la commission dont il était chargé, avec autant de
zèle que de succès; les vices furent corrigés, les coutumes barbares
détruites, les superstitions bannies, et l'on vit revivre partout
la_ pratique des vraies maximes de l'Evangile. C'était comme une
flamme au milieu des forêts, qui cause un incendie auquel rien ne
résiste. Il fit plusieurs règlements pour l'observation de la
discipline ecclésiastique ; il rétablit dans toutes les églises du
diocèse l'office canonial, qui avait été interrompu, même dans les
villes, depuis les invasions des Danois ; et il y réussit d'autant
plus facilement, qu'il avait bien appris dès sa jeunesse le chant
ecclésiastique. Mais ce qui était encore d'une plus grande
importance, il rétablit l'usage des sacrements, et surtout celui de
la pénitence et de la confirmation, qui depuis longtemps étaient
fort négligés. Il prit aussi des mesures pour qu'à l'avenir les
mariages fussent célébrés selon les règles de l'Eglise.
Le serviteur de
Dieu craignit cependant de n'être point assez versé dans la
connaissance des saints canons, pour exécuter le projet de réforme
qu'il avait formé relativement à la discipline ; et cette crainte
lui donnait souvent des inquiétudes. Il obtint donc de son évêque la
permission d'aller passer quelque temps auprès de Malachie, évêque
de Lismore. Ce prélat, Anglais de naissance, avait été moine de
Winchester ; il était également renommé pour son savoir et sa
sainteté, et on le regardait comme l'oracle de toute l'Irlande. Il
reçut Malachie avec bonté, et l'instruisit de tout ce qui concernait
le service divin et la conduite des âmes. Il le pria en même temps
de ne pas priver l'église de Lismore des avantages qu'elle recevait
de son ministère.
L'Irlande était
alors divisée en plusieurs petits royaumes. Cormac, Roi de Munster,
fut détrôné par son frère pendant le séjour de notre Saint à
Lismore. Dans son malheur, il eut recours à Malachie, non dans
l'intention de recouvrer la couronne, mais pour apprendre de lui les
moyens de sauver son âme. La nouvelle de son arrivée à Lismore
s'étant répandue, l'évêque se prépara à le recevoir avec les
honneurs dus à la Majesté royale ; mais le prince ne voulut point y
consentir ; il déclara qu'il renonçait pour toujours aux
pompes mondaines ; qu'il demandait à vivre parmi les chanoines, et à
s'assurer par la pénitence, la possession d'un royaume éternel.
Malachie, après l'avoir instruit des conditions qu'exigeait le
sacrifice qu'il avait projeté, lui assigna une demeure, et lui donna
Malachie pour maître ; du pain et de l'eau devaient faire sa
nourriture. Cormac, animé par les exhortations de notre "Saint,
goûta les douceurs qu'on trouve dans le service de Dieu ; la corn
ponction dont son cœur était brisé, lui fournissait une source de
larmes par lesquelles il purifiait continuellement son âme ; il
répétait sans cesse comme David, et avec de vifs sentiments de
douleur et de confiance : Voyez, Seigneur, ma bassesse et ma
misère, et pardonnez-moi toutes mes offenses. Ses prières furent
exaucées au-delà de ce qu'il demandait. Il reçut les avantages
temporels avec les dons de la grâce. En effet, un Roi voisin,
indigné qu'on eût outragé dans sa personne la Majesté royale,
entreprit de le remettre sur le trône. Il vint le chercher dans sa
cellule; mais il ne put l'engager à entrer dans ses vues. Voyant
qu'il ne pouvait le toucher par son propre intérêt, il fit valoir
les motifs tirés de la religion et de la justice qu'un Roi doit à
ses sujets. Ses efforts furent encore inutiles. Malchi et Malachie
se joignirent à lui, et représentèrent fortement à Cormac, que la
volonté de Dieu était qu'il ne résistât pas plus longtemps. Il se
rendit donc, et remonta sur le trône dont il avait été dépouillé. Il
conserva pour Malachie une affection qui ne se démentit jamais, et
il l'honora toujours comme son père.
Peu de temps
après, Celse et Imar rappelèrent Malachie à Armagh. L'abbaye de
Bangor,
située dans le comté de Down, était alors dans un état déplorable ;
les revenus en étaient possédés par un oncle du Saint, jusqu'à ce
qu'il fût possible de la rétablir. L’oncle, après l'avoir résignée à
son neveu, afin qu'il pût y faire revivre l'observation de la règle,
s'y retira lui-même, et voulut se mettre sous la conduite de
Malachie. Bangor prit bientôt une nouvelle forme. Cette maison,
quoique moins nombreuse qu'elle ne l'avait été autrefois, devint une
école célèbre de savoir et de piété. Le serviteur de Dieu la
gouverna quelque temps, et pour nous servir des termes de saint
Bernard, il y fut, par sa conduite, une règle vivante, un miroir qui
réfléchissait toutes les vertus, un livre ouvert où tous pouvaient
apprendre les vraies maximes de la perfection monastique. Les
austérités de la communauté ne suffisaient point à sa ferveur; il en
pratiquait de particulières, dont il dérobait la connaissance,
autant qu'il lui était possible. Plusieurs guérisons miraculeuses
ajoutèrent un nouvel éclat à la réputation de sainteté dont il
jouissait. Mais sa vie, dit saint Bernard, fut le plus grand de ses
miracles. Nous rapporterons le fait suivant, d'après le même Père.
Malachie avait
une sœur qui mourut après avoir mené une vie mondaine. Pendant
longtemps il recommanda son âme à Dieu dans la célébration du saint
Sacrifice. Ayant cessé de le faire l'espace de trente jours, il fut
averti en songe que sa sœur attendait dans le cimetière avec
douleur, et qu'elle avait été trente jours sans nourriture
spirituelle. Il reprit l'usage de prier pour sa sœur, et dit, ou fit
dire tous les jours la messe à son intention. Quelque temps après,
il lui sembla la voir à la porte de l'église, puis dans l'église
même. Enfin, au bout de quelques jours, lorsqu'il était à l'autel,
elle lui apparut dans la joie, au milieu d'une troupe d'esprits
bienheureux; ce qui lui donna une grande consolation.
A peine eut-il
atteint sa trentième année, qu'on l'élut évêque de Connor,
aujourd'hui dans le comté d'Antrim. Il refusa d'acquiescer à son
élection ; mais Celse et Imar lui ordonnèrent de ne point écouter
ses répugnances, et de se soumettre; ce qu'il fit par obéissance.
Les peuples confiés à son zèle étaient de vrais barbares, souillés
de vices grossiers, et qui n'étaient chrétiens que de nom. Il les
instruisit, et leur parla avec une douceur mêlée de sévérité. Quand
ils ne venaient point à l'église, il allait les chercher, et les
exhortait avec une bonté paternelle, et souvent avec larmes, à
rentrer en eux-mêmes. Il offrait à Dieu pour eux le sacrifice d'un
cœur contrit et humilié; quelquefois il passait les nuits en prières
pour obtenir leur conversion. Il visitait les lieux les plus écartés
de son diocèse, voyageant toujours à pied, et il supportait avec une
patience admirable les affronts et les maux qu'il avait à endurer.
Insensiblement les cœurs les plus endurcis se laissèrent toucher. Le
saint et le fréquent usage des sacrements fut rétabli ; des pasteurs
zélés que le Saint s'associa, bannirent l'ignorance et la
superstition. On vit refleurir la piété de toute part. On regarda
comme miraculeuse la conversion d'une femme tellement sujette à la
colère, qu'elle était insupportable à tous ceux qui l'approchaient.
Malachie, au rapport de saint Bernard, en fit la plus douce et la
plus patiente de toutes les personnes de son sexe, en lui ordonnant,
au nom de Jésus-Christ, de ne plus s'abandonner au même vice, et en
lui imposant une pénitence proportionnée aux fautes qu'elle lui
avait déclarées en confession. Depuis ce temps-là, rien ne fut
capable de troubler la tranquillité de son âme.
Quelques années
après, la ville de Connor fut prise et saccagée par le Roi d'Ulster.
Malachie, accompagné de cent vingt de ses disciples, se retira dans
celle de Munster. Il y bâtit le monastère d’Ibrac, que les uns
mettent auprès de Corck, et les autres dans l'île de Begerin, où
Imar fit d'abord sa résidence. Tandis qu'il gouvernait sa communauté
en paix, et qu'il en était l'édification par sa ferveur et son
humilité, Celse, archevêque d’Armagh, fut attaqué de la maladie dont
il mourut. Il désigna Malachie pour son successeur, et conjura tous
ceux qui étaient auprès de lui, au nom de saint Patrice, fondateur
du siège d’Armagh, de concourir efficacement à cette promotion, et
d'écarter tout intrus. Il ne se contenta point d'une simple
déclaration verbale, il écrivit encore à ce sujet aux personnes les
plus puissantes du pays, notamment aux Rois du haut et du bas
Munster. Par-là il voulait abolir un abus scandaleux qui avait été
une source de désordres dans les églises d'Irlande. Eu effet, la
famille de Ceise, une des plus distinguées du diocèse, était en
possession, depuis deux cents ans, de s'emparer de l'archevêché
d'Armagh, qu'elle regardait comme son héritage. Cet abus était allé
si loin, qu'au défaut d’ecclésiastiques, on en confiait
l'administration à des laïques, quelquefois à des personnes mariées
de la même famille. Ces intrus jouissaient des revenus du siège, et
traitaient en vrais tyrans les autres évêques de l'île.
Après la mort de
Celse, on suivit ses intentions, qu'il avait si visiblement
manifestées ; Malachie fut élu canoniquement pour lui succéder.
Maurice, qui était de la famille de Celse, n'eut aucun égard à cette
élection, et prit possession de l'archevêché. Notre Saint ne voulut
point faire valoir la légitimité de son droit, alléguant pour raison
qu'il craignait les suites d'une démarche qui ne manquerait pas
d'exciter des troubles , et de faire peut-être répandre du sang.
Trois ans se passèrent de la sorte. Enfin Malachie, évêque de
Lismore, et Gilbert, évêque de Limerick, lequel était légat du Pape
en Irlande, assemblèrent les prélats et les grands de l’île, pour
remédier au scandale. On pressa Malachie de venir au secours du
siège dont le gouvernement lui avait été confié, et on le menaça de
l'excommunier s'il refusait plus longtemps de se rendre. Il se
soumit donc, en disant toutefois à ceux qui composaient l'assemblée
: « Vous voulez ma mort, j'obéis dans l'espérance du martyre ; mais
c'est à condition que si les choses tournent comme vous le désirez,
j'aurai la permission, lorsque l'ordre sera rétabli, de retourner à
ma première épouse, et à ma pauvreté bien-aimée. » La condition
ayant été acceptée, il commença d'exercer les fonctions d'archevêque
dans toute la province. Il ne les exerça cependant pas dans la ville
d’Armagh, où il ne voulut point entrer tant que vécut Maurice, de
peur d'exciter une sédition. Celui-ci mourut deux ans après, sans se
reconnaître, puis qu'il nomma Nigel son parent pour lui succéder.
Mais le Roi Cormac et les évêques de la province installèrent
Malachie, qui fut reconnu pour le seul métropolitain légitime
d’Irlande, en 1133, à la trente-huitième année de son âge. Nigel fut
obligé de sortir d'Armagh. Sa fuite cependant ne rétablit pas la
paix ; il emporta deux reliques pour lesquelles les Irlandais
avaient une grande vénération, et le petit peuple s'imaginait que
celui qui les avait en possession était le véritable archevêque. Ces
reliques étaient un livre des évangiles qui avait appartenu à saint
Patrice, et une crosse appelée le bâton de Jésus, qui était couverte
d'or et ornée de pierreries. Nigel eut encore par ce moyen plusieurs
partisans, et sa famille suscita diverses persécutions à
Malachie. Un de ses principaux pareils invita le Saint è venir dans
sa maison, sous prétexte d'avoir une conférence avec lui; mais son
dessein était de lui «Mer la vie. L'archevêque, malgré tout ce que
ses amis purent lui dire, se trouva au rendez-vous, dans la
résolution d'affronter la mort pour le bien de la paix. Il n'avait
avec lui que trois de ses disciples, qui étaient dans les mêmes
dispositions. Mais il ne fut pas plus tôt au milieu de ses ennemis,
qu'ils se sentirent désarmés par son courage et sa douceur toute
céleste. Celui qui avait résolu de le massacrer lui rendit l'honneur
qui lui était dû, et la paix fut conclue de part et d'autre. Quelque
temps après, Nigel remit à Malachie le livre des évangiles et la
crosse qu'il avait enlevés. Quant aux différents ennemis du Saint,
plusieurs périrent misérablement par un juste jugement de Dieu.
La peste
ravageant le diocèse d’Armagh, Malachie arrêta ce fléau par ses
prières. Lorsqu'il eut retiré son église de l'oppression, il y
rétablit le bon ordre et la discipline. Il ne pensa plus alors qu'à
se démettre, comme on en était convenu ; et il sacra pour le
remplacer un vertueux ecclésiastique, nommé Gélase. Il retourna
ensuite à son premier siège, qui était uni depuis longtemps à celui
de Down. Il crut qu'il était de la gloire de Dieu de les diviser. 11
sacra un évêque pour gouverner l'église de Connor, et réserva pour
lui le diocèse de Down, qui était le plus petit et le plus pauvre.
Il établit une communauté de chanoines réguliers, auxquels il se
réunissait pour vaquer à la prière et à la méditation, autant que
ses autres devoirs pouvaient le lui permettre. Il fit encore
d'autres règlements très-utiles.
Le désir de les
faire confirmer par le Souverain-Pontife, l'engagea à entreprendre
le voyage de Rome. Il se proposait encore d'obtenir le pallium
pour le siège d’Armagh, et pour un autre siège métropolitain
dont Celse avait formé le projet, mais dont l'exécution n'avait
point eu l'approbation du Pape. Le premier était depuis longtemps
privé de cet honneur, par la négligence et les abus qu'y avaient
introduits ceux qui s'en étaient emparés contre les règles. Ce fut
en 1139 que Malachie quitta l'Irlande. Il passa quelque temps à
York, avec un saint prêtre nommé Sycar. Etant en France, il visita
l'abbaye de Clairvaux, où il fit connaissance avec saint Bernard,
qui conçut pour lui autant de respect que d'affection. Il fut si
édifié des grands exemples de vertu qu'il y vit, que s'il en avait
eu la liberté, il y aurait passé le reste de ses jours. Il continua
malgré lui sa route pour aller en Italie. Lorsqu'il fut à Yvrée, en
Piémont, il rendit la santé à un enfant qui était près de mourir.
Arrivé à Rome, il se présenta au Pape Innocent II, qui le reçut
d'une manière honorable, mais qui lui refusa constamment la
permission qu'il demandait de se consacrer aux exercices de la
pénitence dans l'abbaye de Clairvaux. Le Souverain - Pontife
confirma tout ce qu'il avait fait en Irlande, le fit son légat dans
cette île, et lui promit le pallium. En revenant d’Italie, le
Saint passa par Clairvaux, et donna, dit saint Bernard, une seconde
fois sa 'bénédiction aux religieux de cette abbaye. El comme il ne
pouvait rester avec eux, il leur laissa son cœur, et quatre de ses
compagnons, qui, après avoir fait profession, retournèrent en
Irlande, et fondèrent le monastère de Mellifont, qui donna depuis
naissance à plusieurs autres du même ordre. Il se rendit à la prière
que lui faisait le Roi David, de prendre sa route par l’Ecosse, afin
de rendre la santé à son fils Henri, qui était dangereusement
malade. Il dit au jeune prince d'avoir bon courage, et l'assura
qu'il ne mourrait point cette fois ; il jeta ensuite sur lui de
l'eau bénite, et le lendemain Henri se trouva parfaitement guéri.
Malachie, en
arrivant en Irlande, y fut reçu avec de grandes démonstrations de
joie. Il s'acquitta avec autant de zèle que de fruit, de la
commission dont le Pape l'avait chargé. Il tint divers synodes, et
fit d'excellents règlements pour corriger les abus. Dieu continua de
le favoriser du don des miracles. Saint Charles Borromée avait
coutume d'en rappeler un à ses prêtres, lorsqu'il les exhortait à
veiller pour que le sacrement de l'Extrême-onction fût administré à
temps aux malades. Voici de quelle manière saint Bernard le raconte.
Une femme, qui demeurait auprès de Bangor, étant à l'article de la
mort, on envoya chercher Malachie. II vint, fit les exhortations
convenables en pareil cas, et se mit en devoir de donner
l'Extrême-onction à la malade. Mais ses amis représentèrent qu'il
valait mieux lui différer l'administration de ce sacrement jusqu'au
lendemain matin, et qu'elle serait plus en état de le recevoir avec
fruit. Le saint évêque se rendit à leurs représentations, quoique
avec beaucoup de répugnance. Il fil le signe de la croix sur la
malade, et se retira dans sa chambre. Mais au commencement de la
nuit toute la maison est dans le trouble, ce ne sont que pleurs et
gémissements. Les domestiques annoncent par leurs cris qu'ils ont
perdu leur maîtresse. L'évêque court à la chambre de la malade,
qu'il trouve morte effectivement. Il lève les mains au ciel, en
disant avec douleur que lui seul est coupable d'un délai si funeste.
Il se met en prières, et exhorte les assistants à se joindre à lui.
Toute la nuit se passade la sorte. Enfin, au point du jour, la
malade donne des signes de vie, ouvre les yeux et reconnaît
Malachie. Ceux qui étaient présents furent saisis d'étonnement, et
leur douleur se changea en joie. Le Saint lui administra
l'Extrême-onction sans délai, croyant avec l’Eglise, que ce
sacrement avait été institué pour la rémission des péchés, et même
pour le soulagement du corps du malade, selon qu'il lui est plus
avantageux pour le salut. Cette femme recouvra la santé, passa le
reste de ses jours dans la pénitence, et mourut depuis de la mort
des justes.
Le saint évêque,
pour exciter la piété, donna ses soins à augmenter la magnificence
du culte extérieur. Il fit bâtir à Bangor une église de pierre,
semblable ù. celles qu'il avait vues dans ses différents
voyages. Il répara aussi la cathédrale de Down, célèbre par le
tombeau de S. Patrice, et dans laquelle on transporta depuis les
corps de S. Colomb et de sainte Brigitte.
Toujours animé du
désir de rétablir l'Eglise d'Irlande dans sa première splendeur, il
résolut de repasser en France, pour voir le Pape Eugène III, qui
était venu dans ce royaume. Innocent II était mort sans avoir envoyé
les deux pallium qu'il avait promis. Célestin II et Luce II
étaient morts aussi en moins de dix-huit mois. Malachie, qui voulait
terminer une affaire différée depuis sj longtemps, assembla les
évêques d'Irlande pour conférer avec eux. Ils le choisirent pour
leur député auprès du Saint-Siège. Malachie prit sa route par
l'Angleterre. Etant chez les chanoines de Gisburn, il guérit avec de
l'eau bénite une femme affligée d'un horrible cancer. Avant son
arrivée en France, le Pape retourna à Rome : Malachie ne voulut
point partir pour l’Italie, sans avoir visité l'abbaye de Clairvaux.
Ce fut au mois d'Octobre 1148 qu'il y arriva. Saint Bernard et ses
religieux le revirent avec la plus grande joie ; mais cette joie ne
fut pas de longue durée.
Malachie ayant
célébré la messe le jour de saint Luc, fut saisi d'une fièvre
violente qui l'obligea de se mettre au lit. Les religieux
s'empressèrent de lui procurer tous les secours dont il avait besoin
: mais il les assura, en les remerciant de leur charité, que leurs
soins n'auraient pas l'effet qu'ils en espéraient, et qu'il ne
guérirait point. Il connaissait, selon saint Bernard, le jour où
Dieu devait l'appeler à lui. Malgré son extrême faiblesse, il voulut
aller à l’église, où il reçut les derniers sacrements, couché sur la
cendre. Il conjura les assistants de lui continuer le secours de
leurs prières après sa mort, leur promettant à son tour de se
souvenir d'eux quand il serait avec le Seigneur. Il leur recommanda
aussi toutes les âmes qui avaient été confiées à ses soins. Il
expira tranquillement le 2 de Novembre 1148, à la
cinquante-quatrième année de son âge. On l'enterra dans la chapelle
de la Vierge, et ce furent des abbés qui le portèrent au tombeau.
Parmi ceux qui assistèrent à ses funérailles, était un jeune homme
qui avait un bras paralysé, en sorte qu'il n'en pouvait faire aucun
usage. Saint Bernard le fit approcher, et appliqua son bras malade
sur la main du saint évêque. Le jeune homme fut guéri sur-le-champ.
Le même saint docteur, dans son discours sur saint Malachie, dit à
ses moines. « Prions-le de nous protéger par ses mérites, lui qui
nous » a instruits par ses exemples et confirmés par ses miracles.
» Ayant chanté à ses funérailles une messe de Requiem
pour le repos de son âme, saint Bernard ajouta une collecte pour
implorer le Seigneur par son intercession ; il avait appris par
révélation, à l'autel, qu'il était dans la gloire, comme Geoffroi
son disciple le rapporte dans le quatrième livre de la vie qu'il a
donnée de son bienheureux maître. Saint Malachie fut canonisé par
une bulle de Clément III ou Clément IV, la troisième année de son
pontificat. Cette bulle est adressée au chapitre général des
Cisterciens.
Deux choses, dit
saint Bernard, firent un saint de Malachie : une douceur parfaite,
et une foi vive. Par la première de ces vertus, il était mort à
lui-même ; par la seconde, son âme était intimement unie à Dieu. Il
est donc vrai
de dire qu'il se sanctifia par la foi et par la douceur, Nous
ne pouvons nous sanctifier nous-mêmes, qu'en faisant usage des mêmes
moyens. Que saint Malachie fût parfaitement mort à lui-même, c'est
ce que prouve la conduite qu'il tint par rapport au siège
métropolitain d'Armagh : il ne le garda qu'autant qu'il y eut des
dangers et des contradictions à essuyer ; et il n'y eut pas plus tôt
rétabli la paix qu'il le quitta. Il était également mort au monde.
N'en avons-nous pas la preuve dans son amour pour les souffrances et
la pauvreté, dans ce dévouement volontaire où il vivait au milieu de
la prospérité : toujours pauvre pour lui-même, il n'était riche que
pour les pauvres, dit saint Bernard. Ce père trace en lui le
caractère d'un véritable pasteur, en nous apprenant que l'amour —
propre et le monde étaient crucifiés dans son cœur, et qu'il savait
allier la solitude intérieure avec l'application aux fonctions du
ministère. « Il paraissait vivre uniquement pour lui» même,
et il était si dévoué au service du prochain, qu'on eût dit qu'il ne
vivait que pour les autres. » L'accomplissement des différents
devoirs était en lui si admirable, que la charité ne prenait rien
sur ce qu'il devait au salut de sa propre âme, et que le soin de sa
propre sanctification ne l'empêchait point de se livrer au service
de ses frères. En le voyant occupé des fonctions pastorales, vous
auriez cru qu'il était né pour les autres, et non pour lui-même.
D'un autre côté, en considérant son amour pour la retraite et la
continuité de son recueillement, vous l'eussiez pris pour un homme
qui ne vivait que pour Dieu et pour lui-même. »
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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