Ce
saint, qui naquit dans la haute Égypte, vers l'an 3oo, fut
employé dans sa jeunesse à garder les troupeaux. Dans
son enfance, il lui arriva un jour de voler des figues avec ses
camarades, et d'en manger une. Il ne pouvait dans la suite se
rappeler cette action sans la pleurer amèrement, comme si
c'eût été un crime '. Il était encore
jeune, lorsque la grâce lui inspira le dessein de quitter le
monde. Docile à ses impressions, il se retira dans une petite
cellule située auprès d'un village, en Égypte.
Au travail des mains, qui consistait à faire des paniers, il
joignait une prière continuelle et la pratique des plus
grandes austérités. La paix qu'il goûtait dans le
service de Dieu fut bientôt troublée par la plus
délicate des épreuves. Une fille du voisinage, devenue
enceinte, l'accusa de l'avoir déshonorée. Il n'en
fallut pas davantage pour l'exposer aux plus indignes traitements :
on le traîna ignominieusement dans les rues ; on le battit, et
on l'outragea comme un hypocrite qui cachait le cœur le plus
corrompu sous l'habit d'un anachorète.
Macaire,
assuré de son innocence, ne se mit point en peine de la
justifier : il souffrit les coups et les insultes avec une patience
admirable. Il fit plus ; il se chargea de pourvoir à la
subsistance de son accusatrice, en lui envoyant ce qu'il retirait de
ses corbeilles. « Eh bien ! Macaire, se disait-il à
lui-même, tu as trouvé » une femme, tu dois donc
redoubler ton travail, afin d'être en » état de la
nourrir. » Mais Dieu ne tarda pas à manifester
l'innocence de son serviteur. Le terme de cette misérable
fille étant arrivé, elle ressentit d'horribles
douleurs, et ne put mettre au monde son enfant que lorsqu'elle en eut
nommé le véritable père. Le peuple ouvrit les
yeux; et sa fureur se changea en admiration, quand il vint à
réfléchir sur la patience et l'humilité de notre
saint. Il lui aurait même donné des preuves publiques du
respect et du repentir dont il était pénétré,
si Macaire, qui redoutait le poison de l'estime et des louanges, ne
se fût retiré dans le désert de Scété,
où il passa les soixante dernières années de sa
vie. Malgré le soin qu'il prenait de cacher ses vertus, elles
ne laissèrent pas de jeter au loin le plus vif éclat.
Aussi plusieurs personnes vinrent-elles se mettre sous sa conduite,
pour apprendre de lui les moyens de parvenir à la perfection.
De tous ses disciples, il n'en retenait qu'un avec lui, pour avoir
soin des étrangers; les autres demeuraient dans des ermitages
séparés les uns des autres.
Un
évêque d'Égypte, qui connaissait l'éminente
sainteté de Macaire, jugea qu'il était à propos
de l'élever au sacerdoce. Il l'ordonna donc prêtre, afin
qu'il pût célébrer les divins mystères
pour la commodité de cette sainte colonie, qui croissait de
jour en jour. Comme elle se trouva considérablement augmentée
au bout de quelque temps, on bâtit quatre églises dans
le désert, et chacune d'elles eut un prêtre pour la
desservir.
Les
austérités de Macaire étaient extraordinaires ;
il ne mangeait qu'une fois la semaine ; aussi son visage était-il
fort pâle, et son ' corps extrêmement faible. Eva gré,
son disciple, brûlé d'une soif ardente, lui ayant un
jour demandé la permission de boire un verre d'eau, il lui
répondit : « Contentez-vous d'être à
l'ombre ; plusieurs personnes sont actuellement privées
du même soulagement. Depuis vingt ans je n'ai jamais mangé,
ni bu, ni dormi qu'autant qu'il le fallait pour soutenir la nature. »
II
avait entièrement renoncé à sa volonté
propre, pour ne faire que celle des autres, et c'était pour
cela qu'il ne refusait point de boire le vin qu'on lui présentait ;
mais ensuite il se privait de toute espèce de boisson pendant
deux ou trois jours, afin de se punir en quelque sorte de sa
complaisance. Évagre, qui s'en aperçut, pria les
étrangers de ne lui plus offrir de vin.
Les
instructions qu'il donnait aux autres étaient conçues
en peu de paroles, et avaient pour but principal de recommander le
silence, la prière, le recueillement, l'humilité et la
mortification : vertus qu'il possédait lui-même dans le
plus parfait degré. « Quand vous priez,
disait-il, il n'est pas besoin d'user de beaucoup de paroles. Il
suffira de répéter souvent dans la sincérité
du cœur ce peu de mots : “Seigneur, faites-moi
miséricorde de la manière” que vous jugerez
m'être la plus utile. Mon Dieu, secourez-moi. »
Il connaissait par expérience l'efficacité de ces
oraisons jaculatoires, et il n'y en avait point qu'il aimât
tant que celle-ci, qui est tout à la fois le langage de la
résignation et de l'amour : « Seigneur,
ayez pitié de moi de la manière que vous le voulez, et
que vous savez être plus conforme à votre bonté. »
On
ne pouvait se lasser d'admirer la douceur et la patience de Macaire.
Rien n'était capable d'altérer en lui ces deux vertus.
Un prêtre païen et plusieurs autres infidèles en
furent si frappés, qu'ils se convertirent à la religion
chrétienne. Son humilité n'était pas moins
admirable : elle tira un jour cet aveu du démon lui-même.
« Macaire, disait-il au serviteur de Dieu, je peux bien
te surpasser en veilles, en jeûnes et en plusieurs autres
choses ; mais ton humilité me confond et me désarme. »
Plusieurs
personnes s'empressaient de toutes parts d'aller consulter le saint
abbé. De ce nombre fut un jeune homme qui voulait embrasser la
vie solitaire. Macaire lui ordonna de se rendre dans un lieu rempli
de morts, et de leur dire des injures. Il l'y fit retourner une
seconde fois pour leur donner des louanges. A son retour, il lui
demanda quelle réponse les morts lui avaient faite. « Ils
n'ont répondu, dit le jeune homme, ni aux injures ni aux
louanges. Allez donc, reprit le saint, et imitez leur insensibilité.
Si vous mourez au monde et à vous-même, vous commencerez
à vivre pour Jésus-Christ. » Comme nous
ne pouvons rapporter toutes les paroles de Macaire, nous nous
contenterons de citer; quelques exemples. On jugera par là des
progrès qu'il avait faits dans la vie spirituelle.
Il
dit un jour à une personne : « Si vous
recevez de la main de Dieu la pauvreté comme les richesses, la
faim et la nécessité comme l'abondance et les festins,
vous terrasserez à coup sûr l'ennemi de votre salut, et
vous dompterez toutes vos passions. » Un anachorète
se plaignant à lui de ce qu'une faim dévorante le
sollicitait toujours à rompre le jeûne dans la solitude,
au lieu que dans le monastère il passait aisément des
semaines entières sans manger, il lui répondit
agréablement : « C'est, mon fils, que dans
le désert vous n'avez personne qui soit témoin de vos
jeûnes, qui vous soutienne et vous nourrisse de ses louanges ;
au lieu » que la vaine gloire était votre nourriture
dans le monastère, où le plaisir de vous distinguer des
autres par votre abstinence vous valait un bon repas. »
Un autre anachorète l'ayant consulté sur les moyens de
vaincre les efforts de l'esprit impur qui le tentait violemment, le
saint, qui vit que ces tentations venaient de l'oisiveté, lui
conseilla de s'occuper fortement de son travail, de ne pas le
discontinuer pendant tout le jour, et de ne manger qu'après le
coucher du soleil. Le solitaire obéit de point en point, et
fut délivré de ses peines.
Macaire
apprit un jour par révélation qu'il n'était pas
encore aussi parfait que deux femmes mariées qui demeuraient
dans une ville voisine. Il partit aussitôt pour les visiter :
il trouva effectivement qu'elles menaient la vie la plus sainte.
Attentives à veiller sur leurs langues, elles ne prononçaient
jamais de paroles inutiles. Humbles, patientes, douces, complaisantes
pour leurs maris, elles se conformaient en tout à leurs
volontés, lorsque la loi de Dieu n'y mettait point d'obstacle.
Toujours recueillies, elles recouraient fréquemment à
Dieu par des oraisons jaculatoires, afin de lui consacrer sans cesse
toutes les puissances de leurs âmes et de leurs corps.
Outre
le don de prophétie, notre saint avait encore celui des
miracles. Il en donna une preuve éclatante dans une occasion
où il s'agissait de confondre l'erreur. Un hérétique
de la secte des Hiéracites s'était insinué dans
le désert,' où il répandait ses dogmes impies.
Quelques solitaires, émus de ses discours captieux, étaient
en danger de perdre la foi. Macaire en fut alarmé, et opposa
la doctrine de l'Église aux vains sophismes de l'hérétique.
Mais, comme il avait affaire à un ennemi souple et rusé,
qui persistait toujours à débiter ses chimères,
il proposa de confirmer par un miracle la croyance que ses frères
et lui avaient eue jusqu'alors. Il ressuscita effectivement un mort,
ce qui couvrit l'hérétique de confusion, et affermit
les solitaires dans la vraie foi.
Ce
fut par une suite de ce même attachement à la foi
catholique, que S. Macaire et ses disciples détestèrent
toujours les impiétés de l'arianisme. Luce, patriarche
arien d'Alexandrie, convaincu par l'expérience que les
solitaires étaient inébranlables dans la doctrine des
Pères du concile de Nicée, envoya des troupes dans les
déserts pour les disperser. Il y en eut plusieurs qui
remportèrent la couronne du martyre ; mais les
principaux, d'entre eux, tels que les deux Macaire, Isidore, Pambon,
etc. furent relégués, par l'ordre de l'empereur Valens,
dans une petite île d'Égypte, environnée de
marais. On vit bientôt dans cette île un changement
prodigieux. Les païens qui l'habitaient, instruits par les
saints confesseurs, renoncèrent au culte de leurs idoles, et
reçurent le baptême. Dès que le peuple
d'Alexandrie eut appris cette nouvelle, il chargea Luce de
malédictions, pour avoir exilé des saints qui n'étaient
occupés que du soin de plaire à Dieu et d'accroître
le royaume de Jésus-Christ. On cria de toutes parts à
l'injustice et à l'impiété, de sorte que le
patriarche, qui craignait une sédition, permit aux solitaires
bannis de retourner dans leurs cellules.
S.
Macaire, rendu à la solitude, reprit ses exercices ordinaires.
Ayant connu quelque temps après qu'il était proche de
sa fin, il fit une visite aux solitaires de Nitrie. Il leur donna des
instructions si touchantes sur la componction, qu'ils se
prosternèrent tous à ses pieds, les yeux baignés
de larmes : « Pleurons, mes frères, leur
disait-il ; que nos yeux versent sans cesse des torrents de
larmes dans cette vie, de peur que nous ne tombions dans cet abîme
où elles ne serviraient qu'à donner une plus grande
activité au feu qui brûlerait nos corps. » Le
saint ne survécut pas de beaucoup à cette visite ;
il sortit de ce monde en 39o, pour aller recevoir la récompense
de ses travaux. Il était âgé de quatre-vingt-dix
ans, et en avait passé soixante dans le désert de
Scété.
Notre
saint paraît avoir été le premier anachorète
qui ait habité cette vaste solitude. Cassien le dit
expressément '. Quelques auteurs lui donnent le titre de
disciple de S. Antoine ; mais leur opinion n'est appuyée
sur aucun fondement solide. On trouve le nom de S. Macaire d'Égypte
au 15 de janvier dans le Martyrologe romain, et au 19 du même
mois dans les Menées des Grecs.
Nous
avons encore cinquante homélies qui portent le nom de S.
Macaire. Le premier éditeur de ces homélies les
attribue à S. Macaire d'Égypte; ce que font aussi
quelques manuscrits. Mais le père Poussines les regarde comme
l'ouvrage de Macaire de Pispir, qui eut soin de S. Antoine pendant sa
maladie, et qui paraît avoir été plus ancien que
ceux d'Égypte et d'Alexandrie. D'autres ont cru que le Macaire
dont il s'agit était celui d'Alexandrie. Dupin et Tillemont se
sont déclarés pour celui d'Égypte. Leur opinion
a été adoptée et fort bien défendue par
un savant anglais, qui a donné une bonne traduction de ces
homélies.
Dom
Ceillier a porté de ces homélies un jugement assez
désavantageux, à cause de quelques endroits qui
semblent favoriser le pélagianisme. Mais les passages qui ont
choqué cet habile bénédictin peuvent s'expliquer
par d'autres passages où cette hérésie est
ouvertement condamnée. Il n'y règne pas un certain
ordre, ce qui vient sans doute de ce qu'elles furent composées
pour répondre à diverses questions proposées par
des moines. L'auteur était certainement fort versé dans
la connaissance des voies intérieures de la piété.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card.
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