Saint Ludger, d'une
des premières maisons de Frise, naquit vers l'an 743. Son père,
pour se conformer à ses désirs, le mit sous la conduite de saint
Grégoire, disciple et successeur de saint Boniface dans le
gouvernement
de l'église d'Utrecht. Saint Grégoire l'ayant reçu dans son
monastère, prit un soin particulier de son éducation. Charmé des
progrès qu'il faisait dans les sciences et la vertu, il lui
donna la tonsure cléricale. Ludger, qui voulait se perfectionner
dans les connaissances propres à former l'esprit et le cœur,
passa en Angleterre, avec la permission de saint Grégoire. Il y
suivit quatre ans et demi le célèbre Alcuin, qui était à la tête
de l'école d'York. Avare de son temps, il n'en perdait pas la
plus petite partie ; il en partageait tous les moments entre les
exercices de la religion et l'étude de l'Écriture et des
Pères. Il retourna dans sa patrie
en 773.
Saint Grégoire
étant mort en 776, Albéric son successeur éleva Ludger à la
dignité du sacerdoce, et l'employa plusieurs années à prêcher
l'évangile dans la Frise. Le Saint s'acquitta de son ministère
avec un grand succès ; il convertit une
multitude innombrable d'infidèles et de mauvais chrétiens, fonda
plusieurs monastères et bâtit des églises de toutes parts. Le
ravage de la Frise par les Saxons l'obligea malheureusement
d'interrompre ses travaux apostoliques ; il fut même
forcé de quitter le pays. Se voyant libre, il fit un voyage à
Rome, afin de consulter le Pape Adrien II sur le parti qu'il
avait à prendre pour exécuter la volonté de Dieu ; il se retira
ensuite au Mont-Cassin, où il resta trois ans et demi. Il
pratiqua toutes les austérités de cette maison , dont il portait
l'habit, sans y avoir fait toutefois des vœux monastiques.
Cependant Charlemagne vainquit les Saxons, et fit, en 787, la
conquête de la Frise. Ludger retourna dans le pays qu'il avait
été forcé d'abandonner, pour y continuer ses missions. Il
annonça l'évangile aux Saxons, et en convertit un grand nombre.
Il porta aussi la lumière de la foi dans la province de Sudergou,
aujourd'hui la Westphalie ; il fonda ensuite le monastère de
Werden, dans le comté de la Mark.
L'Empereur Charlemagne l'estimait
beaucoup. Il avait été instruit de son mérite par Alcuin, qui
était passé d'Angleterre en France.
En 802, Hildebaud,
archevêque de Cologne, sacra Ludger, évêque de Mimigardefort,
malgré la résistance de ce dernier. La ville de Mimigardefort
prit ensuite le nom de Munster, du monastère que le Saint y
bâtit pour les chanoines réguliers, destinés à faire l'office
divin dans la cathédrale. Le nouvel évêque joignit à son diocèse
cinq cantons de Frise, qu'il avait gagnés à Jésus-Christ. Il
fonda encore dans le duché de Brunswick le monastère de Helmstad,
qui fut appelé ensuite Ludger-Clooster, c'està-dire ,
monastère de Ludger.
Le saint évêque,
qui, comme nous l'avons observé, était fort habile dans la
connaissance de l'Écriture, ne passait aucun jour sans en
expliquer quelque chose a ses disciple. Il mortifiait son corps
par des jeûnes rigoureux et par de longues veilles ; il portait
aussi le cilice, mais secrètement, et on ne s'en aperçut que
fort peu de temps avant sa mort. S'il lui arrivait quelquefois
de manger de la viande, par condescendance pour le prochain, il
se renfermait dans les bornes de la tempérance la plus exacte.
Lorsqu'il était obligé de se trouver dans quelque assemblée, il
faisait tomber adroitement la conversation sur des matières
spirituelles, et se retirait le plus tôt qu'il lui était
possible. Il était doux et affable envers les pauvres, mais
plein de fermeté et de résolution à l'égard des riches enflés de
leurs trésors. Les pécheurs impénitents le trouvaient armé d'une
rigueur inflexible. Une dame de qualité, coupable d'inceste, en
fit l'expérience. En vain elle mit tout en œuvre pour gagner le
saint évêque : il ne voulut rien entendre ; et comme la
coupable ne se corrigeait point, il la retrancha de la communion
des fidèles. Il ne prenait sur son patrimoine et sur les revenus
de son évêché, que ce qui lui était absolument nécessaire pour
subsister ; le reste était employé à faire des aumônes.
La conduite
du Saint, toute irréprochable qu'elle était, trouva des
censeurs. On le décria même auprès de Charlemagne ; on le lui
représenta comme un homme qui ruinait son évêché, et qui
négligeait l'embellissement des églises de sa juridiction. Le
prince , qui aimait à voir des églises magnifiques, prêta
l'oreille aux accusateurs de Ludger, et lui ordonna de se rendre
à la. cour. Le Saint obéit. Le lendemain de son arrivée, un
officier le vint avertir que l'Empereur l'attendait. Ludger, qui
disait son office, répondit qu'il irait trouver le prince
aussitôt qu'il aurait fini. On le vint chercher trois fois de
suite, tant on s'ennuyait de son délai. Ses ennemis ne
manquèrent pas de lui en faire un nouveau crime. Lorsqu'il fut
arrivé, l'Empereur lui demanda avec un peu d'émotion, pourquoi
il le faisait attendre si long-temps. « Je sais tout ce que je
dois à Votre Majesté, répondit Ludger ; mais j'ai cru que vous
ne trouveriez pas mauvais que Dieu eût la préférence. Quand on
est avec lui, il faut oublier toutes les
autres
choses.
D'ailleurs, en agissant de la i1 sorte , je me suis conformé aux
intentions de Votre Majesté, puisqu'après m'avoir choisi pour
évêque , elle m'a commandé de préférer le service de Dieu à
celui des hommes. » Cette réponse fit une telle impression sur
l'Empereur, qu'il tint Ludger pour justifié des accusations
formées contre lui. Il le traita avec distinction, et disgracia
tous ceux qui avaient voulu le perdre.
L'amour que saint
Ludger avait pour la prière, la lui faisait recommander
fortement aux autres. Un jour
qu'il vaquait à ce saint exercice avec ses clercs, il reprit
sévèrement l'un d'entre eux qui avait paru seulement à
l'extérieur occupé d'autre chose que de Dieu ; il lui imposa
même une pénitence de quelques jours. Outre le don des miracles,
il avait aussi celui de prophétie. Il prédit
les ravages que les Normands devaient faire dans l'empire
français, et cela dans un temps où il ne paraissait pas qu'on
eût rien à craindre de ces peuples. Il voulut aller travailler à
leur conversion; mais il en fut empêché par Charlemagne, qui le
jugeait nécessaire dans la Westphalie.
Quelque temps après, le Saint tomba malade. Il continua
d'exercer ses fonctions malgré les douleurs qu'il ressentait. Le
dimanche de la passion de l'année 809 , il prêcha de grand matin
, dit la messe sur les neuf heures , et fit le soir un second
sermon ; après quoi il prédit qu'il mourrait la nuit suivante,
et marqua l'endroit du monastère de Werden où il voulait être
enterré. La prédiction se vérifia à minuit, où Dieu l'appela à
lui par une mort précieuse. Ses reliques sont encore à Werden.
Cet esprit de
foi et de prière, qui animait continuellement saint Ludger, est
bien rare. Le nombre des vrais adorateurs est infiniment petit ;
on en est même venu jusqu'à ne pas garder la modestie extérieure
dans les actes de religion les plus solennels. Il suffit, pour
s'en convaincre, de jeter un coup d'œil sur ce qui se passe dans
nos temples. On dirait que la plupart des chrétiens ont oublié
qu'ils sont dans la maison de Dieu : car quelle autre raison
rapporter de leur peu d'attention et de leur peu de ferveur?
Qu'est devenu surtout ce silence respectueux dont les
Saints
nous ont
donné l'exemple, silence qui prend sa source dans le sentiment
intime de la présence de Dieu, et qui règle tous les mouvements
extérieurs du corps ; silence si essentiel, qu'on ne peut y
manquer sans perdre le fruit de ses prières ; silence dont le
Seigneur est si jaloux, qu'il en fit une loi expresse pour le
temple de Salomon , qui n'était pourtant que la figure des
nôtres ? Ne semble-t-il pas que nos temples soient devenus des
lieux profanes, où il est permis de tenir des discours frivoles,
souvent même criminels ? Comment, après cela, voudrions-nous que
Dieu nous exauçât ? Nous l'outrageons par nos prétendues prières
; aussi ne remportons-nous du temple que des
malédictions.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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