Ludger de Munster
Évêque, Saint
+ 809

Saint Ludger, d'une des premières maisons de Frise, naquit vers l'an 743. Son père, pour se conformer à ses désirs, le mit sous la conduite de saint Grégoire, disciple et successeur de saint Boniface dans le gouvernement de l'église d'Utrecht. Saint Grégoire l'ayant reçu dans son monastère, prit un soin particulier de son éducation. Charmé des progrès qu'il faisait dans les sciences et la vertu, il lui donna la tonsure cléricale. Ludger, qui voulait se perfectionner dans les connaissances propres à former l'esprit et le cœur, passa en Angleterre, avec la permission de saint Grégoire. Il y suivit quatre ans et demi le célèbre Alcuin, qui était à la tête de l'école d'York. Avare de son temps, il n'en perdait pas la plus petite partie ; il en partageait tous les moments entre les exercices de la religion et l'étude de l'Écriture et des Pères. Il retourna dans sa patrie en 773.

Saint Grégoire étant mort en 776, Albéric son successeur éleva Ludger à la dignité du sacerdoce, et l'employa plusieurs années à prêcher l'évangile dans la Frise. Le Saint s'acquitta de son ministère avec un grand succès ; il convertit une multitude innombrable d'infidèles et de mauvais chrétiens, fonda plusieurs monastères et bâtit des églises de toutes parts. Le ravage de la Frise par les Saxons l'obligea malheureusement d'interrompre ses travaux apostoliques ; il fut même forcé de quitter le pays. Se voyant libre, il fit un voyage à Rome, afin de consulter le Pape Adrien II sur le parti qu'il avait à prendre pour exécuter la volonté de Dieu ; il se retira ensuite au Mont-Cassin, où il resta trois ans et demi. Il pratiqua toutes les austérités de cette maison , dont il portait l'habit, sans y avoir fait toutefois des vœux monastiques.

Cependant Charlemagne vainquit les Saxons, et fit, en 787, la conquête de la Frise. Ludger retourna dans le pays qu'il avait été forcé d'abandonner, pour y continuer ses missions. Il annonça l'évangile aux Saxons, et en convertit un grand nombre. Il porta aussi la lumière de la foi dans la province de Sudergou, aujourd'hui la Westphalie ; il fonda ensuite le monastère de Werden, dans le comté de la Mark[1]. L'Empereur Charlemagne l'estimait beaucoup. Il avait été instruit de son mérite par Alcuin, qui était passé d'Angleterre en France.

En 802, Hildebaud, archevêque de Cologne, sacra Ludger, évêque de Mimigardefort, malgré la résistance de ce dernier. La ville de Mimigardefort prit ensuite le nom de Munster, du monastère que le Saint y bâtit pour les chanoines réguliers, destinés à faire l'office divin dans la cathédrale. Le nouvel évêque joignit à son diocèse cinq cantons de Frise, qu'il avait gagnés à Jésus-Christ. Il fonda encore dans le duché de Brunswick le monastère de Helmstad, qui fut appelé ensuite Ludger-Clooster, c'està-dire , monastère de Ludger.

Le saint évêque, qui, comme nous l'avons observé, était fort habile dans la connaissance de l'Écriture, ne passait aucun jour sans en expliquer quelque chose a ses disciple. Il mortifiait son corps par des jeûnes rigoureux et par de longues veilles ; il portait aussi le cilice, mais secrètement, et on ne s'en aperçut que fort peu de temps avant sa mort. S'il lui arrivait quelquefois de manger de la viande, par condescendance pour le prochain, il se renfermait dans les bornes de la tempérance la plus exacte. Lorsqu'il était obligé de se trouver dans quelque assemblée, il faisait tomber adroitement la conversation sur des matières spirituelles, et se retirait le plus tôt qu'il lui était possible. Il était doux et affable envers les pauvres, mais plein de fermeté et de résolution à l'égard des riches enflés de leurs trésors. Les pécheurs impénitents le trouvaient armé d'une rigueur inflexible. Une dame de qualité, coupable d'inceste, en fit l'expérience. En vain elle mit tout en œuvre pour gagner le saint évêque : il ne voulut rien entendre ; et comme la coupable ne se corrigeait point, il la retrancha de la communion des fidèles. Il ne prenait sur son patrimoine et sur les revenus de son évêché, que ce qui lui était absolument nécessaire pour subsister ; le reste était employé à faire des aumônes.

La conduite du Saint, toute irréprochable qu'elle était, trouva des censeurs. On le décria même auprès de Charlemagne ; on le lui représenta comme un homme qui ruinait son évêché, et qui négligeait l'embellissement des églises de sa juridiction. Le prince , qui aimait à voir des églises magnifiques, prêta l'oreille aux accusateurs de Ludger, et lui ordonna de se rendre à la. cour. Le Saint obéit. Le lendemain de son arrivée, un officier le vint avertir que l'Empereur l'attendait. Ludger, qui disait son office, répondit qu'il irait trouver le prince aussitôt qu'il aurait fini. On le vint chercher trois fois de suite, tant on s'ennuyait de son délai. Ses ennemis ne manquèrent pas de lui en faire un nouveau crime. Lorsqu'il fut arrivé, l'Empereur lui demanda avec un peu d'émotion, pourquoi il le faisait attendre si long-temps. « Je sais tout ce que je dois à Votre Majesté, répondit Ludger ; mais j'ai cru que vous ne trouveriez pas mauvais que Dieu eût la préférence. Quand on est avec lui, il faut oublier toutes les autres choses. D'ailleurs, en agissant de la i1 sorte , je me suis conformé aux intentions de Votre Majesté, puisqu'après m'avoir choisi pour évêque , elle m'a commandé de préférer le service de Dieu à celui des hommes. » Cette réponse fit une telle impression sur l'Empereur, qu'il tint Ludger pour justifié des accusations formées contre lui. Il le traita avec distinction, et disgracia tous ceux qui avaient voulu le perdre.

L'amour que saint Ludger avait pour la prière, la lui faisait recommander fortement aux autres. Un jour qu'il vaquait à ce saint exercice avec ses clercs, il reprit sévèrement l'un d'entre eux qui avait paru seulement à l'extérieur occupé d'autre chose que de Dieu ; il lui imposa même une pénitence de quelques jours. Outre le don des miracles, il avait aussi celui de prophétie. Il prédit les ravages que les Normands devaient faire dans l'empire français, et cela dans un temps où il ne paraissait pas qu'on eût rien à craindre de ces peuples. Il voulut aller travailler à leur conversion; mais il en fut empêché par Charlemagne, qui le jugeait nécessaire dans la Westphalie.

Quelque temps après, le Saint tomba malade. Il continua d'exercer ses fonctions malgré les douleurs qu'il ressentait. Le dimanche de la passion de l'année 809 , il prêcha de grand matin , dit la messe sur les neuf heures , et fit le soir un second sermon ; après quoi il prédit qu'il mourrait la nuit suivante, et marqua l'endroit du monastère de Werden où il voulait être enterré. La prédiction se vérifia à minuit, où Dieu l'appela à lui par une mort précieuse. Ses reliques sont encore à Werden.

Cet esprit de foi et de prière, qui animait continuellement saint Ludger, est bien rare. Le nombre des vrais adorateurs est infiniment petit ; on en est même venu jusqu'à ne pas garder la modestie extérieure dans les actes de religion les plus solennels. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un coup d'œil sur ce qui se passe dans nos temples. On dirait que la plupart des chrétiens ont oublié qu'ils sont dans la maison de Dieu : car quelle autre raison rapporter de leur peu d'attention et de leur peu de ferveur? Qu'est devenu surtout ce silence respectueux dont les Saints nous ont donné l'exemple, silence qui prend sa source dans le sentiment intime de la présence de Dieu, et qui règle tous les mouvements extérieurs du corps ; silence si essentiel, qu'on ne peut y manquer sans perdre le fruit de ses prières ; silence dont le Seigneur est si jaloux, qu'il en fit une loi expresse pour le temple de Salomon , qui n'était pourtant que la figure des nôtres ? Ne semble-t-il pas que nos temples soient devenus des lieux profanes, où il est permis de tenir des discours frivoles, souvent même criminels ? Comment, après cela, voudrions-nous que Dieu nous exauçât ? Nous l'outrageons par nos prétendues prières ; aussi ne remportons-nous du temple que des malédictions.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.


[1] Cette abbaye était située dans la ville du même nom, sur la Ruhr, dans la province de Cleve-Berg, arrondissement d'Essen, et dont on avait fait dans le temps une maison de correction. Quelques auteurs l'ont confondue mal à propos avec l'abbaye de Werden située dans la principauté de Werden, et fondée également sous Charlemagne, par un moine anglais, nommé Schwibrecht. En 890 l'évêque Wiegbert lui légua tout son patrimoine paternel ; en 994 Bruno, duc de Saxe et évêque de Werden, fut élu Pape sous le nom de Grégoire V. Par le traité de Westphalie cette abbaye, devenue le partage des luthériens, fut érigée en duché, et cédée à la couronne de Suède, qui la posséda à titre de fief héréditaire en Allemagne. En 1709 le Roi de Suède l'engagea pour deux tonnes d'or à l'Électeur de Hanovre qui finit par la garder. L'abbé de Werden appartenait anciennement aux prélats princiers d'Allemagne.

 

 

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