Lettre de
Barnabé
I
1. Salut à vous, fils
et filles tans la paix, par le nom du Seigneur qui nous a aimés.
2. Devant la grandeur
et la splendeur des desseins de Dieu à votre égard, ce qui plus que
toute autre chose me cause une excessive joie ce sont vos âmes
bénies et glorieuses, tant la grâce du don spirituel que vous avez
reçu s'est implantée en elles.
3. C'est ce qui
augmente encore la joie que j'éprouve en moi-même, pat l'espérance
que j'ai d'être sauvé, quand je vois qu'en toute vérité l'Esprit
s'est répandu sur vous, jaillissant de l'intarissable source qu'est
le Seigneur (cf. Tt 3, 5-6).
C'est à ce point que m'a frappé votre vue si ardemment souhaitée.
4. Je suis intimement
persuadé qu'après avoir causé avec vous, j'ai encore beaucoup à
dire, car le Seigneur s'est fait mon compagnon dans le chemin de la
justice ; et je suis moi aussi tout à fait contraint de vous aimer
plus que mon âme, car une grande foi et une grande charité habitent
en vous, " avec l'espérance de sa vie " (Tt 1, 2 ; 3, 7).
5. J'ai donc réfléchi
que, si je prenais soin de vous faire part de ce que j'ai reçu,
l'aide que j'aurais accordée à des âmes telles que les vôtres ne
serait pas sans récompense, et je m'empresse de vous écrire
brièvement afin qu'avec la foi vous ayez une connaissance parfaite.
6. Les maximes du
Seigneur sont au nombre de trois :
* " L'espérance de la vie " (Tt 1, 2 ; 3, 7), commencement et fin de
notre foi ;
* La justice, commencement et fin du jugement ;
* L'amour oeuvrant dans la joie et l'allégresse, qui témoigne de
cette justice.
7. Le Maître, en effet,
nous a révélé par les prophètes les choses passées et présentes, et
nous a donné de goûter par avance aux choses futures (cf. Justin,
1 Apol., XIII, 9-10 ; LII). Voyant donc celles-ci s'accomplir,
chacune à leur tour, comme il nous l'avait dit, nous devons
progresser dans la crainte de Dieu, nous donner davantage et monter
plus haut.
8. Pour moi, ce n'est
pas comme maître, mais comme l'un d'entre vous que je veux vous
donner quelques enseignements, qui vous apporteront de la joie dans
ce temps où nous vivons.
II
1. Puis donc que les
jours sont mauvais, que l'ennemi est à l'oeuvre et qu'il en a reçu
le pouvoir, il nous faut veiller sur nous-mêmes et rechercher les
commandements du Seigneur.
2. Or, la foi est
secourue par la crainte et la patience, nos alliées sont la
longanimité et la tempérance.
3. Lorsque ces vertus
demeurent sans atteinte devant Dieu, la sagesse, l'intelligence, la
science, la connaissance viennent leur tenir compagnie dans la joie
(cf. Clément d'Alexandrie, Strom., II, 6, 31).
4. Il nous a dit
clairement par tous les Prophètes qu'il n'a que faire des
sacrifices, des holocaustes ou des offrandes. Il dit, par exemple :
5. " Que m'importent
vos innombrables sacrifices ? dit le Seigneur.
Je suis rassasié des holocaustes ;
La graisse des agneaux, le sang des taureaux et des boucs, je n'en
veux point ;
Pas davantage quand vous venez vous présenter devant moi.
Qui donc vous a invités à m'offrir ces dons de vos mains ?
N'allez pas fouler de nouveau mes parvis.
Si vous m'offrez de la fleur de farine, c'est en vain ; l'encens
m'est en horreur.
Vos nouvelles lunes et vos sabbats, je ne les supporte plus " (Is 1,
11-13).
6. Il a donc abrogé
tout cela afin que la nouvelle loi de notre Seigneur Jésus-Christ
soit libre du joug de la nécessité ; qu'elle ne connaisse pas
l'offrande faite de main d'homme.
7. Il leur dit encore :
" Est-ce que j'ai prescrit à vos pères, quand ils sortirent
d'Égypte, de m'offrir des holocaustes et des sacrifices ?
8. Non, mais voici la
prescription que je leur ai faite (Jr 7, 22-23) : Ne méditez pas en
vos cœurs du mal l'un contre l'autre, chacun contre son prochain.
N'aimez pas le faux serment " (Za 8, 17).
9. Nous devons donc
comprendre, si nous ne sommes pas sans intelligence, l'intention
toute de bonté de notre Père, et que, s'il nous parle, c'est qu'il
veut nous voir rechercher, sans nous égarer comme ceux-là, le vrai
moyen de nous approcher de lui. 10. Il nous dit donc : " Le
sacrifice pour le Seigneur, c'est un cœur brisé (Ps 50, 19) ; le
parfum de bonne odeur pour le Seigneur, c'est un cœur qui rend
gloire à son Créateur " (Aut. inc.).
Nous devons donc, frères, nous appliquer avec beaucoup de soin à
notre salut, pour empêcher l'ennemi d'insinuer en nous l'égarement
et de nous précipiter hors de notre vie.
III
1. Le Seigneur dit
également aux Juifs, à ce sujet :
" A quoi bon, votre jeûne, dit le Seigneur.
Pourquoi ne faire entendre aujourd'hui que des cris ?
Ce n'est pas le jeûne que j'avais choisi, dit le Seigneur.
Ce n'est pas ainsi que je désire que l'homme humilie son âme.
2. Courber la tête
comme un anneau, revêtir le sac et coucher sur la cendre, n'appelez
plus cela un jeûne agréable au Seigneur " (Is 58, 4-5).
3. Quant à nous, il
nous dit :
" Voici le jeûne qui me plaît, oracle du Seigneur.
Romps les chaînes injustes,
délie les liens du joug de la violence,
renvoie libre les opprimés,
et déchire tout contrat inique.
Partage ton pain aux affamés,
vêts celui que tu vois nu,
héberge les sans-abri sous ton toit.
Si tu vois un misérable ne le méprise pas
et ne te dérobe pas aux parents qui sont de ton sang.
4. Alors, ta lumière
poindra comme l'aurore, et tes vêtements ne tarderont pas à
resplendir
La justice marchera devant toi, et la gloire du Seigneur
t'environnera.
5. Alors, si tu cries,
le Seigneur répondra ;
tu parleras encore, qu'il te dira : me voici ;
si tu exclus de chez toi le joug,
le geste menaçant et les propos impie,
si tu donnes de tout cœur ton pain à l'affamé,
si tu traites avec la miséricorde l'âme humiliée " (Is 58, 6-10).
6. Frères, le Seigneur
longanime a voulu que la foi de son peuple soit sans mélange, de ce
peuple qu'il s'est acquis en son bien-aimé, et c'est pour cela qu'il
nous avertit à l'avance de toutes choses, de peur que, nouveaux
venus en Israël, nous ne nous brisions contre sa loi.
IV
1. Il nous faut donc
examiner à fond les circonstances présentes et chercher ce qui peut
nous sauver. Fuyons absolument toutes les oeuvres de l'iniquité ;
sinon, ce sont elles qui se saisiront de nous. Haïssons l'égarement
du temps présent, afin d'être aimé dans le temps à venir.
2. Ne relâchons pas à
ce point nos âmes qu'elles se croient permis de courir en compagnie
des pécheurs et des méchants ; sinon, nous finirons par leur
ressembler.
3. Le scandale de la
fin s'est approché, comme dit l'Écriture par la bouche d'Énoch (cf.
Hénoch 89, 61-64). Le Seigneur a réduit les temps et les jours afin
que se hâtât son bien-aimé, et qu'il entrât en possession de son
héritage.
4. Le prophète aussi
s'exprime ainsi : " Dix royaumes se lèveront sur la terre ; après
eux se lèvera un petit roi la qui soumettra à la fois trois des
rois " (cf. Dn 7, 24).
5. Et Daniel dit encore
à ce propos : " Je vis la quatrième bête féroce, puissante, et
terrible plus que tous les monstres marins ; il lui poussa dix
cornes, d'où sortit une petite corne qui abaissa d'un coup trois des
grandes cornes " (cf. Dn 7, 7-8).
6. Vous devez
comprendre.
Je vous en prie, une fois encore, moi qui suis l'un d'entre vous, et
qui vous chéris tous et chacun plus que ma vie, veillez sur
vous-mêmes et ne ressemblez pas à certaines personnes, n'accumulez
pas les fautes en disant que l'Alliance est aux Juifs comme à nous.
7. Elle est à nous
assurément. Mais eux l'ont perdue définitivement, lors même que
Moïse venait de la recevoir. L'Écriture dit en effet : " Moïse
demeura sur la montagne quarante jours et quarante nuits sans manger
et sans boire et il reçut du Seigneur l'Alliance: les Tables de
pierre écrites du doigt de la main du Seigneur " (cf. Ex 31, 18 ;
34, 28).
8. Mais pour s'être
tournés vers les idoles, ils ont réduit à néant cette alliance.
Voici, en effet, ce que dit le Seigneur : " Moïse, Moïse, descends
vite, car ton peuple a péché, ce peuple que tu as fait sortir
d'Égypte " (Ex 32, 7 ; Dt 9, 12). Moïse comprit et jeta les deux
Tables de ses mains et leur alliance se brisa afin que celle du bien
aimé Jésus fût scellée dans notre coeur par l'espérance de notre foi
en lui.
9. Tout ce que je
désire vous écrire, ce n'est pas en maître, mais en ami qui ne
réserve rien de ce qu'il possède, moi qui ne suis qu'un rebut à
votre service.
Faisons bien attention puisque voici les derniers jours, car tout le
temps de notre vie et de notre foi nous serait inutile, si
maintenant, dans le temps du péché et au milieu des scandales à
venir, nous ne tenions pas bon comme il convient à des fils de Dieu.
10. Pour que le
Ténébreux ne puisse s'infiltrer parmi nous, fuyons toute vanité,
haïssons sans biaiser les oeuvres de la mauvaise voie. Ne vivez pas
dans l'isolement comme si vous étiez déjà justifiés, mais
rassemblez-vous et étudiez ensemble ce qui concerne l'intérêt
commun.
11. Car l'Écriture dit
: " Malheur à ceux qui se croient sages et s'estiment très avisés "
(Is 5, 21).
Soyons des hommes spirituels, des temples parfaits pour Dieu. Autant
qu'il est en nous, a " exerçons-nous à la crainte " (Is 33, 18) de
Dieu et luttons pour garder ses commandements, afin que ses saintes
volontés nous réjouissent.
12. Le Seigneur jugera
le monde " sans acception de personnes " (1 P 1, 17). Chacun
obtiendra le prix de ses oeuvres. Qui aura fait le bien sera précédé
de sa justice ; qui aura mal agi verra venir à lui le salaire de son
iniquité.
13. Ne nous reposons
jamais sur notre qualité d'élus, nous nous endormirions dans nos
péchés, et le mauvais prince prendrait pouvoir sur nous et nous
repousserait du Royaume du Seigneur.
14. Une chose encore, frères, à quoi il vous faut penser, lorsque
vous voyez, après de tels signes et de tels miracles accomplis en
Israël, ce peuple se trouver néanmoins abandonné : tâchons qu'il ne
se trouve pas chez nous aussi, comme dit l'Écriture, " beaucoup
d'appelés et peu d'élus " (Mt 20, 16 ; 22, 14).
V
1. Si le Seigneur a
souffert de livrer sa chair à la destruction, c'était pour nous
purifier par la rémission des péchés qui s'opère par l'aspersion de
son sang.
2. L'Écriture parle de
lui à ce sujet, tantôt pour Israël, tantôt pour nous :
" Il a été frappé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos
crimes, et c'est grâce a ses plaies que nous sommes guéris. On
l'avait conduit comme un agneau à la boucherie, comme devant les
tondeurs, une brebis muette " (Is 53, 5-7)
3. C'est pourquoi nous
devons rendre au Seigneur les plus grandes actions de grâces, de
nous avoir révélé le passé et le présent ; et même l'avenir ne nous
est pas tout à fait obscur.
4. Or, l'Écriture dit :
" Ce n'est pas en vain qu'on tend les filets pour les oiseaux " (Pr
1, 17). C'est-à-dire : on mérite de périr si, connaissant la voie de
la justice, on s'en tient éloigné pour aller dans celle des
ténèbres.
5. Autre chose, frères
: Le Seigneur a enduré de souffrir pour nos âmes, lui le Seigneur du
monde entier à qui Dieu avait dit dès l'origine du monde: " Faisons
l'homme à notre image et ressemblance " (Gn 1, 26). Eh bien, comment
a-t-il enduré de souffrir de la main des hommes ? Apprenez-le :
6. " Les prophètes ont
reçu de lui la grâce de prophétiser à son sujet. Eh bien ! comme
pour anéantir la mort et prouver sa résurrection il devait se
manifester dans la chair, il a enduré de souffrir,
7. afin d'accomplir la
promesse faite à nos pères, de s'acquérir pour lui-même le peuple
nouveau en montrant durant son séjour sur cette terre que c'est lui
qui ressuscite les morts, lui qui juge.
8. Enfin, en enseignant
Israël et en lui montrant tous les miracles et les signes que vous
savez, il proclama son message et lui montra son excessif amour.
9. Puis il choisit pour
ses propres Apôtres, pour ceux qui devaient être plus tard les
hérauts de l'Évangile, des hommes plus que pécheurs afin de montrer
" qu'il n'était pas venu appeler les justes, mais les pécheurs " (Mt
9, 13), et c'est à cette occasion qu'il fit bien connaître qu'il
était le fils de Dieu.
10. S'il n'était pas
venu dans la chair, comment les hommes auraient-ils pu, sans mourir,
soutenir sa vue, alors que le soleil, oeuvre périssable qu'il a
façonnée de ses mains, ils ne peuvent le regarder en face et
soutenir ses rayons ?
11. Si le Fils de Dieu
est venu dans la chair, c'est donc pour mettre le comble aux
iniquités de ceux qui ont persécuté à mort les prophètes.
12. C'est pour cela
qu'il a enduré de venir. Dieu dit en effet que la meurtrissure de sa
chair, c'est à eux qu'il la doit : e " Ils frapperont le berger et
les brebis du troupeau périront " (cf. Za 13, 6,7 ; Mt 26, 31).
13. Mais c'est lui qui
a voulu souffrir de la manière qu'il a souffert. Il fallait, en
effet, qu'il souffrît sur le bois. Car le prophète dit de lui :
" Délivre de l'épée mon âme " (cf. Ps 21, 21) ; et : " Transperce
mes chairs car une bande de vauriens m'assaille " (cf. Ps 118, 120 ;
21, 17).
14. Et ailleurs :
" Voici : j'ai tendu mon dos aux fouets et mes joues aux soufflets.
J'ai rendu mon visage dur comme la pierre " (Is 50, 6-7).
VI
1. Sur le temps où il
aura accompli sa mission, que dit-il ?
" Qui oserait m'intenter un procès ?
Qu'alors nous comparaissions ensemble!
Qui estime avoir un droit contre moi ?
Qu'il s'approche de moi.
2. Malheur à vous!
Tous, vous vous en irez en loques comme un vêtement
Et la teigne vous rongera " (Is 50, 8-9).
Le prophète parle encore du temps où il sera placé comme une solide
pierre à moudre : " Voici que je pose pour assises de Sion une
pierre précieuse, de choix, une pierre d'angle de grande valeur "
(Is 28, 16 ; cf. Rm 11, 33 ; 1 P 2, 6).
3. Et aussitôt il
ajoute : " Celui qui croira en lui vivra éternellement " (cf. Is 28,
16). C'est donc sur une pierre que repose notre espérance ? A Dieu
ne plaise ; mais il veut dire que le Seigneur a durci sa chair :
" J'ai rendu mon visage dur comme pierre " (Is 50, 7).
4. Ailleurs le prophète
dit : " La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête
de l'angle " (Ps 117, 21) ; et encore : " Voici le jour que le
Seigneur a fait ; jour de grandes merveilles " (Ps 117, 23-24).
5. Je vous écris tout
simplement pour que vous compreniez, moi, pauvre rebut aux pieds de
votre charité.
6. Que dit encore le
prophète ? : " Une bande de vauriens m'assaillent " (Ps 21,
16) ; " Ils m'ont environné comme les abeilles un rayon de miel "
(Ps 117, 12) ; et : " Ils ont tiré mes vêtements au sort "
(Ps 21, 19).
7. Ainsi comme il
devait se révéler dans la chair et y souffrir, sa passion a été
prédite d'avance. Le prophète, en effet, dit au sujet d'Israël :
" Malheur à leur âme : car le complot qu'ils complotent c'est à eux
qu'il nuira lorsqu'ils disent : Lions le juste, car il nous gêne "
(Is 3, 9-10 ; cf. Sg 11, 12).
8. Et que leur dit
Moïse, un autre prophète: " Entrez dans le pays que j'ai promis par
serment à Abraham, Isaac et Jacob. Prenez-en possession, c'est votre
héritage, une terre où coulent le lait et le miel " (Ex 33, 1-3 ;
cf. Lv 20, 24).
9. Mais apprenez ce que
dit la gnose : " Espérez en Jésus qui se manifestera à vous dans la
chair. " Or l'homme est une terre de souffrance puisque Adam fut
modelé avec de la terre.
10. Pourquoi donc
est-il dit " Allez dans une terre excellente où coulent le lait et
le miel " (Ex 33, 3).
Loué soit notre Seigneur, frères, qui nous a donné la sagesse et
l'intelligence de ses secrets. Le prophète nous trace bien une
allégorie du Christ. Qui saura le comprendre, si ce n'est celui qui
est sage et instruit et aimé du Christ ?
11. Lorsqu'il nous a
renouvelés par la rémission des péchés, il nous a donne une forme
nouvelle, nous donnant une âme d'enfant comme s'il nous créait à
nouveau.
12. Car c'est de nous
que parle l'Écriture lorsque Dieu parle ainsi au Fils : " Faisons
l'homme à notre image et ressemblance, et qu'il domine sur les
oiseaux du ciel et les poissons de la mer " (Gn 1, 26). Et le
Seigneur, voyant l'_uvre merveilleuse que nous étions, dit encore :
" Croissez, multipliez, remplissez la terre ! (Gn 1, 28).
Ces paroles sont donc à l'adresse du Fils.
13. Mais je vais vous
montrer encore comment il affirme avoir fait, dans les derniers
temps, une deuxième création. Le Seigneur dit en effet : " Voici, je
vais faire les dernières choses comme les premières " (cf. Mt 19, 30
; 20, 16). C'est à cela que se réfère la parole du prophète :
" Entrez dans le pays où coulent le lait et le miel et rendez-vous
en les maîtres " (Ex 33,3 ; Gn 1, 28).
14. Or, remarquez-le,
nous avons été créés à nouveau comme on peut le lire dans un autre
prophète : " Quant à ceux-là, dit le Seigneur, --c'est-à-dire ceux
que l'Esprit du Seigneur voyait d'avance-- je leur ôterai leur coeur
de pierre et je leur donnerai un coeur de chair " (Ez 11, 19 ; 36,
26). C'est que lui-même devait se manifester dans la chair et
habiter chez nous.
15. Oui, c'est un
temple saint pour le Seigneur, frères, que l'habitation de nos
coeurs. 16. Car il dit encore : " Où me présenter devant le Seigneur
mon Dieu pour être glorifié ? " (cf. Ps 61, 3) ; et il répond : " Je
te confesserai dans l'assemblée de mes frères, je te chanterai au
milieu de l'assemblée des saints " (cf. Ps 21, 23).
C'est donc bien nous qu'il a conduits dans cette terre excellente.
17. Pourquoi donc le
lait et le miel ? Parce que l'enfant est nourri d'abord de miel,
puis de lait. C'est pourquoi nous aussi, nourris par la foi en la
promesse et par la parole, nous vivrons et serons les maîtres de la
terre.
18. Le Seigneur avait
prophétisé comme nous disions plus haut : " Qu'ils croissent et se
multiplient et dominent sur les poissons " (Gn. 1, 28). Or, qui donc
peut maintenant commander aux bêtes, aux poissons, aux oiseaux du
ciel ? Car il nous faut remarquer que commander, c'est avoir le
pouvoir d'imposer l'ordre donné.
19. Or ceci n'est pas
encore réalisé ; le Seigneur nous a dit quand il en serait ainsi :
lorsque nous serons entrés pleinement dans l'héritage du testament
du Seigneur.
VII
1. Mettez-vous donc
dans l'esprit, enfants de l'allégresse, que notre excellent Seigneur
nous a tout révélé d'avance afin que nous sachions à qui doivent
aller toujours nos actions de grâces et nos louanges.
2. Or, si le Fils de
Dieu, lui, le Seigneur, " qui doit juger les vivants et les morts "
(2 Tm 4, 1) a souffert pour que ses meurtrissures nous donnent la
vie, croyons aussi que le Fils de Dieu n'a pu souffrir qu'à cause de
nous.
3. Mais, sur la croix,
" il fut abreuvé de vinaigre et de fiel " (cf. Mt 27, 34-48).
Écoutez comment les prêtres du Temple l'avaient indiqué. Il y avait,
dans l'Écriture, ce précepte : " Celui qui ne jeûnera pas le jour du
jeûne sera mis à mort " (cf. Lc 23, 29) parce que le Seigneur
devait, pour nos péchés, offrir en sacrifice le vase renfermant son
esprit, pour accomplir ce que figurait le sacrifice d'Isaac sur
l'autel.
4. Or, qu'est-il dit
dans le prophète ? " Qu'ils mangent du bouc offert au jour du jeûne
pour tous les péchés. "Et, faites-y bien attention, " les prêtres
seuls mangèrent les viscères non lavés avec du vinaigre " (Aut.
inconnu).
5. Pourquoi ? Parce
que, moi qui vais offrir ma chair en sacrifice pour les péchés de
mon nouveau peuple, " vous m'abreuverez de vinaigre et de fiel " (Mt
27, 34, 48). Vous me mangerez, vous seuls, pendant que le peuple
jeûnera et se frappera la poitrine sur le sac et la cendre. Et pour
montrer que c'est par eux qu'il lui faut souffrir :
6. " Prenez deux boucs,
de bon poids et de même taille ; que le prêtre en prenne un et
l'offre comme holocauste " (Lv 16, 7-9).
7. Et l'autre bouc,
qu'en feront-ils : " Que celui-ci soit maudit " (cf. Lv 16, 8-10).
Or, remarquez comment c'est Jésus qui est manifesté ici en figure :
8. " Crachez tous sur
lui, percez-le avec un aiguillon, coiffez-le d'une laine rouge
écarlate et chassez-le ainsi dans le désert " (Aut. Inc.). Et
lorsque tout cela est accompli, celui qui tient le bouc le conduit
vers le désert, lui enlève la laine, et la met sur un buisson, que
nous appelons ronce : nous aimons en manger les fruits lorsque nous
en trouvons dans la campagne, il n'y a que ceux de la ronce pour
être si doux.
9. Mais faites
attention à la signification de ce fait. " Un bouc sur l'autel,
l'autre est maudit " (Lv 16, 8) ; et celui qui est maudit est
couronné. C'est qu'ils verront un jour Jésus, le corps enveloppé
dans le vêtement écarlate et ils diront : " N'est-ce pas celui que
nous avons autrefois crucifié, outragé, couvert de coups et de
crachats ? " En vérité, c'est bien cet homme qui affirmait alors
qu'il était le Fils de Dieu.
10. Mais pourquoi un
bouc semblable à un autre ? " Les deux boucs doivent être
semblables, de belle apparence, de même taille " (cf. Lv 16, 7),
pour exprimer que voyant le Christ revenir, les Juifs seront frappés
de stupeur par sa ressemblance avec le Crucifié. C'est là la
ressemblance des boucs. Voici donc la figure de Jésus qui devait
souffrir.
11. Mais pourquoi
a-t-on déposé la laine au milieu des épines ? C'est une figure de
Jésus proposée pour l'Église ; elle veut dire que si on veut enlever
la laine pourpre, il faut beaucoup souffrir car les épines sont
cruelles et ce n'est qu'en peinant qu'on peut s'en emparer. C'est
ainsi, dit le Seigneur, que ceux qui veulent me voir et atteindre
mon Royaume doivent m'obtenir par les tribulations et les
souffrances (cf. Nb 19).
VIII
1. Et ce précepte fait
à Israël, de quoi est-il la figure, à votre avis ? Les hommes
coupables de péchés graves doivent offrir une génisse, l'égorger et
la brûler ; ensuite de jeunes enfants recueillent la cendre, la
mettent dans des vases ; puis ils enroulent autour d'un bois de la
laine écarlate (encore une figure de la croix, encore une fois la
laine écarlate) et de l'hysope. Enfin ces jeunes gens aspergent tout
le peuple, individu par individu, afin de les purifier de leurs
péchés.
2. Voyez comme ce fait
est simple à interpréter. La génisse, c'est Jésus, les hommes
pécheurs qui l'offrent sont ceux qui l'ont mené à la tuerie. Mais
après, ils ne sont plus, ces hommes ; elle n'est plus, la gloire des
pécheurs.
3. Les jeunes gens qui
aspergent sont ceux qui proclament la bonne nouvelle de la rémission
des péchés et de la purification des coeurs. A eux furent confiés
tous les pouvoirs pour proclamer l'Évangile ; ils étaient douze,
justifiant par leur nombre les tribus (il y avait, en effet, douze
tribus en Israël).
4. Et pourquoi trois
jeunes gens étaient-ils chargés de l'aspersion ? A cause d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, tous trois grands devant Dieu.
5. Pourquoi la laine
sur le bois ? Parce que la royauté de Jésus repose sur le bois, et
ceux qui espèrent en lui vivront éternellement.
6. Pourquoi avec la
laine, l'hysope ? Parce que dans son royaume, il y aura des jours
mauvais, des jours de souillure, et nous, nous serons sauvés, comme
le malade guérit avec le jus de l'hysope.
7. Ainsi, quand les événements sont si limpides pour nous, et si
obscurs pour les autres, c'est que ceux-ci n'ont pas écouté la
parole du Seigneur.
IX
1. Car c'est des
oreilles qu'il parle lorsqu'il nous dit comment il a circoncis nos
coeurs. Le Seigneur dit dans le prophète : " Ils sont tout oreilles
et m'obéissent " (Ps 17, 45). Et ailleurs : " Ils écouteront, les
plus lointains, ils sauront ce que j'ai fait " (Is 33, 13). Et
ailleurs : " Circoncisez vos coeurs " (Jr 4, 4).
2. Puis encore :
" Écoute, Israël, voici ce que dit le Seigneur ton Dieu " (Jr 7,
2-3). Ailleurs l'Esprit du Seigneur prophétise : " Où est l'homme
qui désire la vie à jamais ? Qu'il prête l'oreille à la voix de mon
serviteur " (Ps 33,13 ; Ex 15, 26).
3. Et encore : " Cieux,
écoutez, terre, prête l'oreille, car le Seigneur dit ces choses afin
qu'elles vous soient un témoignage " (Is 1, 2). Et aussi : " Écoutez
la parole du Seigneur, princes de ce peuple " (Is 1, 10). Ou bien :
" Écoutez, enfants, la voix qui crie dans le désert " (Is 40, 3).
Ainsi donc il a circoncis notre ouïe afin qu'écoutant sa parole,
nous ayons la foi.
4. Mais l'autre
circoncision en laquelle ils avaient mis leur espérance, elle est
anéantie. Il leur avait dit que la circoncision ne concernait pas la
chair. Mais ils passèrent outre, car un mauvais ange les avait
séduits.
5. Dieu leur dit :
" Voici ce que dit le Seigneur votre Dieu (et c'est ainsi que je
trouve le précepte) : " Ne semez pas sur les épines, soyez circoncis
pour le Seigneur " (Jr 4, 3-4). Et que dit-il encore ? :
" Circoncisez votre c_ur et ne raidissez plus votre nuque " (Dt. 10,
16). Ajoutez ceci : " Voici, dit le Seigneur : Tous ces peuples-là
sont incirconcis du prépuce, mais ce peuple-ci est incirconcis du
c_ur " (Jr 9, 25-26).
6. Mais, dira-t-on, la
circoncision pour le peuple était comme un sceau d'alliance. Or tous
les Syriens et les Arabes, les prêtres des idoles faisaient de même.
Est-ce qu'ils appartiennent donc également à l'Alliance ? Les
Égyptiens aussi pratiquent la circoncision.
7. Soyez abondamment
instruits sur toutes choses, enfants de la dilection : Abraham, qui
le premier a pratiqué la circoncision, le fit en contemplant en
esprit Jésus ; il avait, en effet, été initié au sens des trois
lettres.
8. L'Écriture dit en
effet : " Abraham circoncit les hommes de sa maison au nombre de 18
et 300 " (cf. Gn 17, 23-27 ; 14, 14). De quel mystère reçut-il donc
la connaissance ? Remarquez qu'on nomme d'abord les dix-huit, et
après un intervalle les trois cents. Dix-huit, c'est : dix, iota,
huit, êta --ce qui fait I H = Jésus. Et comme la croix en
forme de tau est source de la grâce, on ajoute encore trois
cents = T. Jésus est désigné par les deux lettres, la croix par la
seule troisième.
9. Il le sait bien,
celui qui a mis en nous le don de sa doctrine ; personne n'a entendu
de moi explication plus profonde. Mais je sais que vous en êtes
dignes.
X
1. Si Moise dit :
" Vous ne mangerez ni porc, ni aigle, ni épervier, ni corbeau, ni
poisson dépourvu d'écailles " (cf. Lv 11 ; Dt 14) c'est qu'il avait
reçu l'intelligence d'un triple enseignement.
2. Cependant le
Seigneur dit, dans le Deutéronome : " J'exposerai à ce peuple mes
volontés " (cf. Dt 4, 1-5). Ce n'est donc pas un commandement de
Dieu que de ne pas manger, mais Moïse a parlé au sens spirituel.
3. Voilà ce qu'il
voulait dire à propos du porc : " Ne va pas t'attacher à ces hommes
qui sont semblables à des porcs : quand ils sont dans les délices,
ils oublient le Seigneur ; dans ils sont dans le dénuement, ils se
souviennent de lui, exactement comme le porc qui, lorsqu'il se
repaît, ne connaît plus son maître, mais se met à grogner lorsqu'il
a faim. Puis lorsqu'il a reçu sa pâture se tait derechef.
4. " Tu ne mangeras pas
non plus ni aigle, ni épervier, ni milan, ni corbeau " (Lv 11,
13-16) : ne va pas t'attacher, pour leur devenir semblable, à ces
hommes qui ne savent pas gagner leur pain au prix de leur peine et
de leur sueur, mais qui s'emparent injustement du bien d'autrui. Ils
sont aux aguets, tout en se promenant avec un air candide, et ils
épient la proie que leur convoitise va dépouiller ; comme ces
oiseaux, les seuls de l'espèce, qui au lieu de se procurer leur
nourriture, restent perchés paresseusement, et cherchent à dévorer
les autres, vraie peste par leur malfaisance.
5. " Tu ne mangeras pas
non plus de murène, ni de polype, ni de sèche (cf. Lv 11, 10). Ne
vas pas devenir semblable, pour t'y être attaché, à ces hommes
totalement impies, et déjà condamnés à la mort, qui ressemblent à
ces poissons, seuls à être maudits, qui nagent dans les profondeurs,
non pas quand ils plongent seulement, mais qui ont élu dans les
bas-fonds de l'abîme leur demeure.
6. " Tu ne mangeras pas
non plus de lièvre. " Pourquoi ? Cela veut dire: tu ne seras pas
corrupteur d'enfants et m n'imiteras pas les gens de cette sorte ;
car le lièvre acquiert chaque année un anus de plus ; autant il a
d'années, autant il a d'ouvertures.
7. " Tu ne mangeras pas
non plus de la hyène " (Aut. inc.). C'est-à-dire tu ne seras ni
adultère, ni séducteur, tu n'imiteras pas les gens de cette sorte.
Pourquoi ? Parce que cet animal change de sexe tous les ans, il est
tour à tour mâle et femelle.
8. Moïse a également
haï " la belette " (Lv 11, 29) d'une sainte haine. Ne va pas
ressembler, veut-il dire, à ces personnes qui, dit-on, commettent de
leur bouche le péché d'impureté ; ne te lie pas avec ces personnes
impudiques qui pèchent avec leur bouche. Tel cet animal qui conçoit
par la gueule.
9. Ainsi Moïse qui
avait reçu un triple enseignement sur les aliments, a-t-il usé d'un
langage spirituel. Mais les Juifs, charnels comme ils l'étaient,
comprirent qu'il s'agissait de la nourriture.
10. David reçut la
connaissance de ce même triple enseignement, et il s'exprime de la
même manière " Heureux l'homme qui ne va pas au conseil des impies "
comme les poissons qui gagnent dans les ténèbres les bas-fonds de la
mer ; " ni dans la voie des égarés ne s'arrête " comme ceux qui se
donnent l'apparence de craindre Dieu et pèchent comme le porc ; " ni
au banc de pestilence ne s'assied " (Ps 1, 1), comme les oiseaux
perchés en vue de la rapine. Vous voici comblés au sujet de la
nourriture.
11. Moïse dit encore :
" Vous mangerez du ruminant qui a le pied fourchu " (Lv 11, 3 ; Dt
14, 6). Pourquoi dit-il cela ? Parce que le ruminant, quand il
reçoit sa nourriture, montre qu'il connaît celui qui la lui
présente, et semble se plaire près de lui, au repos. Moïse avait vu
bien juste en faisant ce précepte. Or, que veut-il dire ?
Attachez-vous à ceux qui craignent le Seigneur, qui ont le souci de
la portée de la parole qu'ils ont reçue en leur cœur, à ceux qui
s'entretiennent des commandements du Seigneur et les gardent, à ceux
qui savent que cette occupation est source de joie, et qui ne
cessent de remâcher la parole du Seigneur. Mais le pied fourchu ?
C'est parce que le juste sait à la fois marcher en ce monde et
attendre la sainte éternité. Voyez comme Moïse a sagement édicté ses
lois.
12. Comment les Juifs
pouvaient-ils concevoir et comprendre ces choses ? Mais nous, nous
avons compris les commandements du Seigneur, et nous les exprimons
tels qu'il les a voulus. C'est justement pour que nous en ayons
l'intelligence que nos cœurs et nos oreilles ont été circoncis.
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