LETTRES
La lettre que vous m'avez envoyée
si tard, à mon grand étonnement, et les actes de votre dernier concile m'ont
fait enfin connaître la cause du scandale qui a troublé votre Église, ainsi que
la nouvelle hérésie qui s'est élevée contre la foi. Ces choses que je ne pouvais
comprendre avant me sont à cette heure parfaitement connues. J'y vois
qu'Eutychès, que son nom de prêtre rendait recommandable, est privé de
l'intelligence de la religion et qu'il a montré une assez grande ignorance pour
qu'on puisse lui appliquer ces paroles du prophète : " Il n'a pas voulu avoir
l'intelligence pour faire le bien ; il a ruminé l'iniquité sur sa couche "
(Ps 35,4). N'est-ce pas le comble de l'injustice, que de se complaire dans
l'impiété au mépris des conseils des sages et des docteurs ? Ils se rendent
coupables de ce péché ceux qui, ne pouvant franchir les obstacles qui les
empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, ne s'empressent pas de
recourir aux écrits des prophètes, aux épîtres des apôtres et aux autorités de
l'évangile, mais ne consultent qu'eux-mêmes. Ils enseignent l'erreur, parce
qu'ils ne se sont pas faits disciples de la vérité. En effet, quelle étude
peut-il avoir faite des pages sacrées de l'ancien et du nouveau Testament, celui
qui ne comprend pas même les premières lignes du Symbole ? Ce vieillard ne sait
point encore par coeur ces vérités que les chants des hommes régénérés font
retentir par tout l'univers.
Eutychès ignorant donc ce qu'il
devait savoir du Verbe de Dieu et refusant de s'éclairer par l'étude des saintes
Écritures, aurait du moins pu rester dans la communion de l'Église et répéter
avec les fidèles, s'il les avait écoutés attentivement, ces paroles qu'ils
prononcent chaque jour : " Je crois en Dieu tout-puissant et en Jésus Christ
son Fils unique, notre Seigneur qui est né du saint Esprit et de la vierge Marie
". Ces trois propositions détruisent toutes les erreurs des hérétiques. En
croyant en Dieu tout-puissant et au Père éternel, on croit aussi au Fils
coéternel, en tout semblable au Père, car Dieu, Il est né tout-puissant et
coéternel de Dieu tout-puissant et éternel : égal à Dieu en éternité, en
puissance, en gloire, et composé de la même essence, Il est né du saint Esprit
et de la vierge Marie, Fils unique éternel de ce Père éternel. Cette existence
temporelle ne porta aucun préjudice à son Existence divine et éternelle, et Il
la consacra tout entière à réhabiliter l'homme qui était déchu, à vaincre la
mort et à terrasser le démon qui avait l'empire de la mort. Nous ne pourrions,
nous, dompter l'auteur de la mort et du péché, si le Fils de Dieu n'avait revêtu
notre nature et ne Se l'était appropriée, de sorte que le péché ne pût la
souiller et que la mort ne pût la retenir. En effet, Il a été conçu par le saint
Esprit dans le sein de la vierge Marie, qui, vierge, Le mit au monde, comme,
vierge, elle L'avait conçu. Si Eutychès, qui ne pouvait puiser la foi à cette
source pure de la religion chrétienne, parce que dans son propre aveuglement il
s'était dérobé aux splendeurs éclatantes de la vérité, avait eu recours à la
doctrine de l'évangile et avait dit avec Matthieu : " Généalogie de Jésus
Christ, fils de David, fils d'Abraham " (Mt 1,1) ; s'il avait cherché la lumière
dans les prédications de l'Apôtre et lu cette phrase de l'Épître aux Romains :
" Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour
annoncer l'évangile de Dieu, qui avait été promis auparavant de la part de Dieu
par ses prophètes dans les saintes Écritures, et qui concerne son Fils né de la
postérité de David, selon la chair " (Rm 1,1-3) ; s'il avait parcouru avec soin
les pages prophétiques de l'Écriture et trouvé cette promesse de Dieu à Abraham
: "Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité " (Gn 22,18) ;
si, pour ne conserver aucun doute sur ce Nouveau-né, il avait cherché ces
paroles de l'Apôtre : " Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa
postérité " (Ga 3,16) ; " Il n'est pas dit : et aux postérités, comme s'il
s'agissait de plusieurs, mais en tant qu'il s'agit d'une seule : et à ta
postérité, c'est-à-dire, à Christ " (Ibid.) ; si enfin il avait étudié dans son
cœur cette prophétie d'Isaïe : " Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle
enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel " (Is 7,14),
c'est-à-dire Dieu avec nous, et qu'il se fût appliqué à lire ces paroles du même
prophète : " Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la
domination reposera sur son Épaule; on L'appellera Admirable, Conseiller, Dieu
puissant, Père éternel, Prince de la paix " (Is 9,6) : alors, s'il avait lu et
étudié toutes ces choses, il n'enseignerait point cette erreur que le Verbe
S'est fait chair de cette sorte, qu'Il a pris l'apparence d'un homme dans le
sein de la Vierge, mais que son Corps n'est point un vrai corps de la même
nature que celui de sa mère. Peut-être aussi a-t-il cru que notre Seigneur Jésus
Christ n'avait point un corps semblable aux nôtres, parce que l'ange dit à la
bienheureuse Marie toujours vierge : " Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint Enfant
qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu " (Lc 1,35), et que, formée dans le
sein de la Vierge par l'oeuvre de la Divinité, la Chair de Celui qui fut conçu
ne fut pas de la même nature que celle de sa mère. Ce n'est point ainsi qu'il
faut comprendre cette admirable conception : on ne doit pas croire que la
singularité de sa création priva ce Corps des conditions de la nature humaine.
Le saint Esprit féconda la Vierge, mais la matière du Corps fut formée par le
corps de celle-ci ; " La sagesse a bâti sa maison " (Pr 9,1) ; " Et le Verbe
S'est fait chair, et Il a habité parmi nous " (Jn 1,14), dans cette chair qu'Il
tira de l'homme et que le saint Esprit anima.
Les propriétés des deux natures
restant ainsi intactes et se réunissant en une seule personne, la majesté, la
perfection et l'éternité de la Nature divine s'unirent à la faiblesse, à
l'imperfection et à la mortalité de la nature humaine. Pour acquitter la dette
de notre condition, pour racheter l'homme, la nature inviolable se lia à la
nature qui souffre, afin que le Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus Christ
Homme, pût mourir, tandis qu'Il restait éternel comme Dieu. Homme parfait, Il
est donc né Dieu véritable, parfait dans sa Nature, parfait dans la nôtre,
c'est-à-dire qu'Il la revêtit pour régénérer notre nature telle qu'elle était
quand Dieu la créa dans le principe ; et comme Il ne S'était point soumis aux
infirmités humaines, Il vécut parmi nous sans participer à nos fautes. Il prit
la forme de l'esclave, sans la souillure du péché ; Il glorifia sa Nature
humaine sans porter atteinte à sa Nature divine, car cette volonté qu'Il eut de
Se rendre visible, Lui qui était invisible, et de Se faire mortel, Lui le
Créateur et le souverain Maître de toutes choses, fut l'effet de sa Miséricorde
et non point un abaissement de sa Toute-Puissance ; ainsi Lui, qui dans sa
Nature de Dieu créa l'homme, Se fit homme Lui-même dans sa Nature d'esclave.
Comme le démon se glorifiait d'avoir trompé l'homme par sa ruse, de l'avoir
privé des Bienfaits de la Divinité, dépouillé de son immortalité et soumis à la
mort ; comme il se glorifiait, dis-je, d'avoir trouvé dans son malheur une
consolation sœur de son péché et d'avoir ainsi changé à l'aide de la propre
sentence de Dieu, par la raison de sa Justice, la condition de l'homme qu'Il
avait rendue si glorieuse, le Seigneur, Dieu immuable, dont la bienveillance ne
saurait être enchaînée, sut, dans sa Sagesse impénétrable, mettre le comble à
ses Bontés pour nous par ce mystère sacré, et empêcher que l'homme, tombé dans
le péché par la ruse du démon, ne pérît à l'encontre des décrets de la Divinité.
Ainsi, le Fils de Dieu entre dans
ce monde corrompu ; Il descend du ciel avec toute la Gloire de son Père, et Il
naît par un nouvel ordre de choses, par une nouvelle manière de naître. Par un
nouvel ordre de choses ; car invisible dans sa Divinité, Il devient visible dans
notre nature ; infini, Il veut être fini ; plus ancien que les temps, Il Se
soumet au temps ; Maître de l'univers, Il couvre d'un voile l'immensité de sa
Toute-Puissance et prend la forme d'un esclave ; Dieu impassible, Il daigne
devenir un homme sujet à la souffrance ; Dieu immortel, Il Se soumet aux lois de
la mort. Il vient au monde par une nouvelle manière de naître, car c'est une
vierge pure, non souillée par la concupiscence, qui donne le jour à son Corps.
Il prend ce Corps impeccable dans le sein de la Vierge, et ce Corps, né d'une
vierge, n'en est pas moins de la même nature que le nôtre. Vrai Dieu, c'est un
homme véritable ; il n'existe aucun mensonge dans cette alliance, l'humilité de
l'homme et la Puissance de Dieu sont réunies. Sa Divinité n'est point altérée
par son Oeuvre de miséricorde, et elle laisse son humanité intacte. Chaque
nature agit avec la participation de l'autre ; mais le Verbe opère comme le
Verbe, et la chair comme la chair. L'une brille par des miracles, l'autre
succombe sous les injures. Le Verbe partage toujours la Gloire de Dieu son Père,
et la chair les faiblesses de notre nature. Jésus, comme on doit le répéter, est
seul à la fois le vrai Fils de Dieu et le vrai Fils de l'homme. Dieu, car " au
commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu
" (Jn 1,1) ; homme, car " le Verbe S'est fait chair, et Il a habité parmi nous "
(Jn 1,14). Dieu, car " toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a
été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,3) ; homme, car Il est né d'une femme et
soumis à la loi. La naissance de sa Chair prouve sa Nature humaine, et sa
conception dans le sein d'une vierge, sa Nature divine. Son humble berceau
montre qu'Il n'était qu'un petit enfant, et les chants des anges révèlent sa
Grandeur toute puissante. Il est, comme les hommes, enveloppé dans des langes,
Lui dont l'impie Hérode conspire la mort ; mais Il est le souverain Maître de
tous les mortels, Lui devant qui les mages viennent se prosterner avec joie.
Quand Il vint recevoir le baptême de Jean, son précurseur, on put s'assurer de
la réalité de sa Nature divine, par ces mots que Dieu le Père fit retentir du
haut des cieux : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J'ai mis toute mon
affection " (Mt 3,17). Homme, Il est tenté par le démon ; Dieu, Il est servi par
les anges. Enfin, Il donne une preuve évidente de son Humanité en étant soumis à
la faim, à la soif, à la fatigue et au sommeil, et une non moins frappante de sa
Divinité, lorsqu'Il rassasie cinq mille hommes avec cinq pains, qu'Il donne
l'eau vive à la Samaritaine et la désaltère de telle sorte qu'elle n'ait jamais
soif, qu'Il marche sur la mer sans Se mouiller les pieds et qu'Il apaise les
fureurs de la tempête. Pour m'arrêter à ces derniers exemples, ce n'est pas la
même nature qui pleure sur la mort de son ami Lazare, le fait sortir du sépulcre
et le ressuscite quatre jours après ; qui Se laisse attacher à la croix et
change le jour en ténèbres et bouleverse les éléments ; qui, fixée par des
clous, ouvre les portes du ciel au bon larron. Ce n'est pas la même nature qui
dit : " Moi et mon Père ne sommes qu'un " ; et ensuite : " Mon Père est plus
grand que Moi ". Quoiqu'il n'y ait qu'une seule et même Personne en notre
Seigneur Jésus Christ, cependant on ne doit point en conclure que ses
Souffrances et sa Gloire soient communes à ses deux Natures ; car Il est
inférieur à son Père comme homme, et comme Dieu Il est son égal.
Aussi, on comprend que les deux
natures soient réunies en une seule personne, et on lit que le Fils de l'homme
est descendu du ciel, lorsque le Fils de Dieu eut pris dans le sein de la Vierge
cette chair dans laquelle Il naquit. On dit aussi que le Fils de Dieu a été
crucifié et enseveli et ce n'est point dans sa Nature de Fils unique de Dieu,
consubstantiel et coéternel à son Père qu'Il a été soumis à ces souffrances,
mais bien dans sa Nature d'homme. C'est pourquoi nous confessons tous dans le
Symbole le Fils unique de Dieu, qui a été crucifié et enseveli suivant ces
paroles de l'Apôtre, " car, s'ils l'eussent connue, ils n'auraient jamais
crucifié le Seigneur de gloire " (1 Co 2,8). Lorsque le Seigneur notre Sauveur
interrogeait ses disciples sur ce qu'ils pensaient de Lui, Il leur dit : " Qui
croyez-vous que soit Celui qu'ils appellent le Fils de l'homme ? ", les
disciples Lui rapportèrent les opinions des étrangers et Il leur dit : " Et
vous, qui dites-vous que Je suis ? ", Moi qui suis en vérité Fils de l'homme et
que vous voyez sous la forme d'un esclave, d'un homme véritable, dites-Moi qui
Je suis ? Alors le bienheureux Pierre, inspiré par le Très-Haut, rendit ce
témoignage qui devait servir à toutes les nations : " Tu es, répondit-il, le
Christ, le Fils du Dieu vivant ". (Mt 16,16) C'est avec raison que le titre de
bienheureux lui est donné par le Seigneur et qu'il tire la solidité de sa vertu
et de son nom de la pierre même ; car éclairé par la révélation du Père
tout-puissant, il avait confessé que le Fils de Dieu était le Christ, parce
qu'il n'aurait rien servi à notre salut de recevoir parmi nous l'un sans
l'autre, et il était aussi malheureux pour nous de croire que notre Seigneur
Jésus Christ était seulement Dieu sans être homme, qu'homme seulement sans être
Dieu. Après sa Résurrection, qui fut celle de sa véritable Nature humaine dans
laquelle Il avait été crucifié et enseveli, pourquoi notre Seigneur resta-t-Il
quarante jours sur la terre, si ce n'est pour débarrasser notre foi des ténèbres
de l'incertitude ? En effet, Il S'entretenait avec ses disciples, Il habitait
et mangeait avec eux, Il permettait à leur avide curiosité de Le palper de leurs
propres mains, eux qui étaient tourmentés par le doute ; Il Se présentait tout à
coup au milieu d'eux, les portes étant fermées ; par son Souffle, Il leur
donnait l'Esprit, et en leur faisant don du feu de l'intelligence, Il leur
découvrait le sens mystérieux des saintes Écritures. Il leur montrait aussi la
blessure de son Côté, les marques des clous et toutes les traces de sa Passion
récente, et leur disait : " Voyez mes Mains et mes Pieds, c'est bien Moi ;
touchez-Moi et voyez : un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'ai.
" (Lc 24,39) Il nous faisait connaître ainsi que les propriétés des deux natures
restent indivisibles en Lui, que le Verbe n'est pas la chair, et que nous devons
confesser l'union du Verbe et de la chair dans le Fils unique de Dieu. On doit
croire qu'Il est trop éloigné de nos croyances, cet Eutychès, qui n'a pas
reconnu notre nature dans le Fils unique de Dieu ni à l'humilité de la mort, ni
à la Gloire de la résurrection. Il n'a pas non plus redouté cette sentence du
bienheureux apôtre et évangéliste Jean : " Tout esprit qui confesse Jésus
Christ venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus
n'est pas de Dieu, c'est celui de l'Antichrist. (1 Jn 4,2-3) N'est-ce pas
diviser Jésus que de nier sa Nature humaine et d'anéantir par d'odieux mensonges
ce mystère de la foi qui nous a sauvés ? Puisqu'il est dans l'erreur sur la
nature du Corps de Jésus Christ, il doit être nécessairement aussi dans l'erreur
sur sa Passion ; car s'il ne pense point que la croix de notre Seigneur soit un
mensonge et qu'il ne doute point de la vérité du supplice qu'Il a souffert pour
le salut du monde, il doit reconnaître la vérité de la Chair de Celui dont il
croit la mort. Il ne peut non plus douter qu'Il ne soit un homme semblable à
nous, s'il admet qu'Il a souffert ; car en niant la vérité de la chair, il nie
la passion du Corps de Jésus. Si la foi chrétienne est dans son cœur, s'il ne
ferme point l'oreille aux enseignements de l'évangile, qu'il voie quelle nature
fut attachée avec des clous au bois de la croix, et qu'il comprenne d'où
coulèrent, après que le soldat eut percé le Côté du Sauveur d'un coup de lance,
l'eau et le sang qui ont arrosé l'Église du Christ par le baptême et
l'Eucharistie. Qu'il écoute le bienheureux apôtre Pierre enseignant que l'esprit
est sanctifié par l'aspersion du Sang de Jésus Christ ; qu'il lise avec
attention ces paroles du même apôtre : " Šsachant que ce n'est pas par des
choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la
vaine manière de vivre que vous aviez héritée de vos pères, mais par le Sang
précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache ".
(1 Pi 1,18-19) Qu'il ne résiste point non plus au témoignage du bienheureux
apôtre Jean qui dit : " Le Sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché "
(1 Jn 1,7) ; et plus loin : " Šet la victoire qui triomphe du monde, c'est
notre foi. Qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que
Jésus est le Fils de Dieu ? C'est Lui, Jésus Christ, qui est venu avec de l'eau
et du sang; non avec l'eau seulement, mais avec l'eau et avec le sang ; et c'est
l'Esprit qui rend témoignage, parce que l'Esprit est la vérité. Car il y en a
trois qui rendent témoignage : l'Esprit, l'eau et le sang, et les trois sont
d'accord ". (1 Jn 5,4-8) L'esprit de sainteté, le sang de la rédemption et l'eau
du baptême, qui tous trois sont d'accord pour attester la même chose, et ils
restent toujours unis, ils ne diffèrent point d'une syllabe de ce qu'ils
prouvent ; car l'Église catholique vit et prospère dans cette croyance que dans
notre Seigneur Jésus Christ l'humanité est unie à la vraie Divinité et la
Divinité à la véritable humanité.
Aussi, quand Eutychès vous répondit
dans son interrogatoire : " Je confesse qu'il y avait deux natures en notre
Seigneur Jésus Christ avant son Incarnation, mais qu'il n'en restait qu'une
seule après " ; je m'étonne qu'une profession de foi aussi perverse et aussi
absurde n'ait point fait crier anathème à tous les juges ; qu'une telle folie,
qu'un tel blasphème ait passé sous silence, comme si nos plus chères croyances
n'étaient point attaquées. C'est une impiété aussi grande de dire qu'il y avait
avant l'incarnation deux natures distinctes dans le Verbe, Fils unique de Dieu,
que d'affirmer qu'Il n'en avait qu'une seule après qu'Il Se fut fait chair. De
crainte qu'Eutychès ne croie que sa proposition est vraie et qu'elle ne peut
être condamnée, parce que vous ne vous êtes point efforcés de la réfuter, je
vous engage, très cher frère, à employer votre pieuse sollicitude, si cette
affaire se termine comme elle le doit par la pénitence du coupable, à éclairer
cet homme ignorant sur l'impiété des paroles qu'il a prononcées. Comme la suite
des actes me l'a fait connaître, il avait presque commencé à revenir de son
erreur, lorsque, menacé par votre sentence, il protesta qu'il dirait ce qu'il ne
disait point auparavant et qu'il adoptait une doctrine qui n'était pas la
sienne. Mais comme il refusa de prononcer l'anathème contre son dogme impie,
vous avez compris avec raison qu'il persistait dans son crime et qu'il était
convenable de formuler la sentence de sa condamnation. S'il élève contre ce
jugement les plaintes d'un coeur fidèle et contrit ; s'il reconnaît, quoique
tard, que l'autorité de son évêque l'a frappé avec justice, et si, pour
accomplir entièrement l'acte de sa réconciliation avec l'Église du Christ, il
condamne toutes ses erreurs de vive voix et par écrit, alors vous ne serez point
répréhensible d'user de miséricorde à l'égard de ce pécheur converti, car notre
Seigneur est le véritable et bon Pasteur, qui est mort pour ses brebis et qui,
étant venu pour sauver et non pour perdre les âmes des hommes, veut que nous
imitions sa douce Piété, et que si notre justice sait punir les pécheurs, du
moins nous leur accordions leur pardon s'ils prouvent leur repentir. Mais enfin,
pour défendre la vraie foi d'une manière efficace, il faut toujours condamner
les hérésies dans la personne de ceux qui les professent. Pour suivre cette
cause avec piété et fidélité, je vous envoie nos frères Julien, évêque, et René,
prêtre du titre de saint Clément, et mon fils, le diacre Hilaire. Je leur ai
adjoint notre notaire Dulcitius, dont la foi m'a été souvent prouvée. Nous
espérons qu'avec l'aide de la Grâce de Dieu, celui qui est tombé dans l'erreur
sera sauvé après avoir condamné son erreur.
Que Dieu vous garde, très cher
frère.
Fait aux ides de juin, sous le
consulat des très illustres Astère et Protogène, en l'an 456.
A LA TRES PIEUSE IMPÉRATRICE PULCHÉRIE
Nous avons déjà éprouvé en de
nombreuses circonstances tout le secours que le Seigneur avait préparé à son
Église dans votre Clémence impériale. Mais ce que vous avez fait dans ces temps
pour protéger le zèle des évêques contre les ennemis de la vérité catholique
tournera à la plus grande gloire de votre Majesté, qui, montrant ainsi qu'elle
reçoit les inspirations du saint Esprit, Lui soumet sa puissance en toutes
choses et règne par sa Grâce et sa Protection. J'ai appris par les lettres de
notre frère et collègue Flavien, et le texte des actes du concile m'a fait
connaître d'une manière positive qu'Eutychès a fait naître de grands troubles
dans l'Église de Constantinople, en soulevant des questions contraires à la foi
catholique. Il est digne de votre gloire de détruire ces erreurs, nées plutôt,
comme je le crois, de l'ignorance que de l'iniquité, avant qu'elles puissent se
répandre et acquérir des forces par l'approbation des esprits peu éclairés, dont
l'opiniâtreté est si dangereuse. Souvent l'ignorance commet des fautes graves ;
souvent la simplicité imprudente se précipite aveuglément dans les pièges du
démon, et je crois que c'est ainsi qu'Eutychès s'est laissé surprendre par
l'esprit du mensonge. Il pense rendre hommage à la Majesté du Fils de Dieu, en
disant que notre nature n'existe point réellement en Lui, et en pensant que le
Verbe, qui S'est fait chair, est d'une seule et même essence. Autant Nestorius,
qui affirma que la mère du Christ n'avait enfanté qu'un homme, s'est écarté de
la vérité, autant celui-ci s'éloigne de la foi catholique, qui pense que cette
même vierge ne donna point le jour à une nature semblable à la nôtre. Il veut
ainsi que l'on croie à la seule réalité de la Divinité, et que cette forme
d'esclave, qu'Il prit semblable et conforme à la nôtre, ne fût, loin d'être
véritable, qu'une image trompeuse de notre nature. Il ne sert à rien de
reconnaître que notre Seigneur, fils de la bienheureuse vierge Marie, fut un
homme véritable et parfait, si l'on ne croit qu'Il fut un homme de cette race
dont parle l'évangile. Matthieu dit : " Généalogie de Jésus Christ, fils de
David, fils d'Abraham " et il part ainsi de la source de son origine humaine et
parcourt toutes les générations jusqu'à Joseph, qui fut l'époux de la mère du
Seigneur. Luc, examinant les générations en sens contraire, remonte jusqu'au
père du genre humain, afin de prouver que l'ancien Adam et le nouvel Adam sont
de la même nature. La Toute-Puissance du Fils de Dieu aurait pu apparaître aux
hommes pour les instruire et les sauver de la même manière qu'elle se révéla
sous les apparences de la chair aux patriarches et aux prophètes, soit
lorsqu'elle lutta avec Jacob et lui fit entendre sa voix, soit lorsqu'elle
accepta l'hospitalité d'Abraham et qu'elle prit la nourriture qu'elle offrit.
Mais ces vains fantômes n'étaient que les présages de l'arrivée de l'Homme qui
devait venir : mystiques prophéties, elles annonçaient la réalité de la chair
qu'Il devait prendre dans le sang de la race des patriarches. Et ces vaines
images ne pouvaient accomplir le mystère de notre réconciliation, que Dieu dans
sa Sagesse avait préparé avant les temps éternels, parce que le saint Esprit
n'avait encore plané sur la Vierge et la Vertu du Très-Haut ne l'avait point
encore couverte de son ombre, afin que la Sagesse se construisît une maison dans
ces entrailles non profanées, que le Verbe se fît chair en réunissant en une
seule Personne la Nature de Dieu et la nature de l'esclave, que le Créateur du
temps et de tout l'univers naquît au milieu de toutes les créatures à une époque
déterminée. Si l'Homme nouveau, créé à la ressemblance de la chair du péché,
n'avait point revêtu notre vieille nature, et, consubstantiel à son Père,
n'avait daigné être consubstantiel à sa mère, et, seul impeccable, n'avait point
uni notre nature à la sienne, l'humanité gémirait encore sous le joug du démon,
et nous n'aurions point triomphé de lui par la Victoire du Christ, s'Il l'avait
remportée dans une autre nature que la nôtre. Dans ce partage de son Triomphe,
Il nous a octroyé cet admirable sacrement de régénération de telle sorte que,
par la Grâce du saint Esprit, qui a fait naître Jésus Christ de la Vierge, nous
aussi, qui sommes nés de la concupiscence de la chair, nous naissions de nouveau
par une naissance spirituelle. C'est pourquoi le Théologien dit à des fidèles :
" Lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté
de l'homme, mais de Dieu ". (Jn 1,13) Il ne peut participer à cette Grâce
ineffable et mériter d'être adopté par Dieu, celui qui ne veut point croire à
cette vérité, qui est le principe de notre salut. Aussi j'éprouve un vif chagrin
et une grande douleur de ce que ce prêtre, dont l'humilité paraissait autrefois
si digne d'éloges, ose proférer d'absurdes mensonges contre cette vérité, qui
fait notre unique espérance et celle de nos pères. Lorsqu'il vit que sa doctrine
était blâmée par les catholiques, il aurait dû la condamner lui-même et ne point
attendre que les chefs de l'Église soient forcés de prononcer la sentence de sa
condamnation ; car le Siège apostolique , qui ne s'écarte jamais des lois de la
justice et de la modération, frappe avec plus de sévérité les pécheurs endurcis
et pardonne avec joie à ceux qui se repentent. Comme j'ai la plus grande
confiance dans la foi sincère de votre piété, je prie la gloire de votre
Clémence de déployer en cette occasion le zèle qu'elle a toujours montré pour la
religion catholique, et de contribuer à son triomphe. Peut-être le Seigneur
a-t-Il permis que ce fléau fondît sur nous pour nous éprouver, afin que l'on
puisse connaître ceux des fidèles qui partagent en secret, dans l'Église, les
erreurs d'Eutychès ; aussi est-il de notre devoir de nous empresser de les
éclairer et de les purifier, afin que nous n'ayons point à déplorer leur
damnation éternelle. L'empereur très auguste et très chrétien, désirant voir
mettre fin à ces troubles le plus tôt possible, a fixé à une époque beaucoup
trop rapprochée la célébration du concile, qui, selon sa volonté, doit se tenir
à Éphèse. En arrêtant sa convocation au jour des calendes d'août, le temps qui
nous reste, à nous qui n'avons reçu les lettres de sa Majesté que le troisième
jour des ides de mai, nous suffira à peine pour préparer le départ des évêques
qui nous représenteront en cette circonstance ; car l'empereur a jugé convenable
que j'assistasse en personne à ce concile ; mais outre qu'aucun exemple
précédent ne m'en fait une loi, je suis dans l'impossibilité de me rendre à son
désir, car l'état incertain des affaires publiques ne me permet pas de
m'éloigner du peuple d'une si grande ville ; les esprits se livreraient au
désespoir s'ils voyaient que je veuille abandonner ma patrie et le Siège
apostolique pour me rendre au concile. Comme vous voyez qu'il est de l'intérêt
public que je ne m'arrache point à l'amour et aux prières des citoyens, pensez
que j'assiste aussi au concile d'Éphèse, dans la personne de ceux de mes frères
que j'ai envoyés à ma place. Je leur ai enseigné les vérités qu'ils devaient
défendre dans cette cause, que les actes du concile de Constantinople et la
profession de foi d'Eutychès m'ont fait connaître parfaitement. Ce n'est point
sur quelque petit détail de nos dogmes, difficile à comprendre, qu'il a établi
son erreur, mais il a osé poursuivre de ses insultes insensées une vérité que
notre Seigneur a voulu que personne de l'un ou de l'autre sexe n'ignorât dans
son Église. En vérité, cette profession de foi si courte et si parfaite du
Symbole catholique qui est composé tout entier des paroles des apôtres, présente
des instructions toutes divines, qui suffisent pour anéantir toutes les
doctrines des hérétiques. Si Eutychès, animé par des sentiments simples et purs,
avait voulu remplir son coeur des instructions salutaires de ce Symbole, il ne
se serait jamais écarté en rien du décret du très saint concile de Nicée, et il
aurait compris qu'il lui était défendu par les lois des saints pères d'avoir
aucune pensée, de proférer aucune parole contre cette foi des apôtres, qui, sans
l'unité, n'existe point. Aussi, vous daignerez, avec votre zèle ordinaire,
travailler avec nous à bannir de toutes les âmes les blasphèmes insensés qu'il a
proférés contre notre salut. Si ce malheureux, qui a succombé à la tentation,
vient à se repentir de ses erreurs et les condamner par écrit, on le rétablira
dans sa dignité de prêtre et d'archimandrite. Votre Clémence voudra bien aussi
prendre connaissance des lettres que j'ai adressées au saint évêque Flavien,
dans ce but qu'on n'oublie pas les lois de la charité envers ceux qui
reconnaîtront leurs erreurs et les condamneront.
Fait aux ides de juin, sous le
consulat des très illustres Astère et Protogène.
Si les lettres que nous vous avons
adressées par nos clercs pour la défense de la foi vous étaient parvenues, il
est certain que votre sainteté, inspirée par le Très-Haut, se serait empressée
de porter remède de tout son pouvoir à ce qui a été fait contre la foi. En
effet, combien n'avez-vous point manqué aux évêques ? Combien n'avez-vous point
manqué à la foi et à la religion chrétienne ? Ainsi, comme ceux que nous vous
avions envoyés n'ont pu parvenir jusqu'à votre bienveillance, car c'est avec la
plus grande peine que notre diacre Hilaire est parvenu à s'échapper et à
regagner Rome, nous jugeons convenable de vous écrire de nouveau. Pour donner
plus de force à nos prières, nous joignons à cette lettre une copie de celle qui
n'a pu vous être remise, et nous vous supplions, par tout ce qu'il y a de plus
saint, de vous opposer à tout ce qui a été fait de criminel : cette noble tâche
que votre dignité impériale vous impose, ajoutera un nouvel éclat à la foi vive
qui vous distingue ; car le concile qui s'est réuni à Éphèse pour donner la paix
à l'Église, en portant un jugement contre l'hérésie, a non seulement agi de
manière à rendre toute pacification impossible, mais encore, et ce qu'on ne
saurait trop déplorer, a travaillé à la ruine de la foi chrétienne. Nos légats
eux-mêmes, dont un seul a su soustraire à la violence de l'évêque d'Alexandrie,
qui s'était arrogé la souveraine puissance, et nous faire le récit fidèle de ce
qui s'est passé, ont protesté, comme ils devaient le faire dans le concile, non
pas tant contre le jugement, mais contre la fureur de Dioscore. Ils se sont
écriés qu'une sentence rendue par la crainte et la violence, ne pouvait porter
aucun préjudice aux sacrements de l'Église et au Symbole établie par les
apôtres ; et aucune injure n'a pu les contraindre à s'écarter de cette règle de
foi, conçue et exprimée de la manière la plus positive, que le saint Siège leur
avait donné pour remettre au saint concile. Les évêques, malgré leurs
réclamations, n'ont pu obtenir la lecture de cette pièce : on a voulu, en
bannissant du concile le témoignage de foi qui couronna les patriarches, les
prophètes, les apôtres et les martyrs, abolir - nous avons horreur de le dire -
et la Naissance de notre Seigneur Jésus Christ selon la chair, et la vérité de
sa Mort et de sa Résurrection. Dès que nous l'avons pu, nous avons écrit sur ce
sujet, et nous vous adressons une copie de cette lettre à notre empereur très
glorieux et, ce qui est plus grand, très chrétien, pour le prier de ne point
laisser corrompre par aucune innovation la foi dans laquelle il a été baptisé et
dans laquelle il règne par la Grâce de Dieu. Comme l'évêque Flavien est resté
dans notre communion qui est celle de l'Église universelle, qu'il n'existe
aucune raison pour approuver le jugement rendu contre lui, au mépris de tout
sentiment de justice et à l'encontre des règles de la discipline ecclésiastique,
et comme le synode d'Éphèse, loin de terminer de scandaleux désordres, y a au
contraire mis le comble, nous lui avons demandé de convoquer un concile en
Italie, et d'en fixer le temps et le lieu, afin que toute discussion et toute
condamnation restant suspendues jusque là, on puisse alors revenir sur tout ce
qui a été mal fait, rendre à la paix du Seigneur, sans blesser la foi et sans
offenser la religion, les évêques qui, par faiblesse, se sont laissés
contraindre à souscrire au jugement de Dioscore, et détruire l'hérésie. Que
votre piété, dont la foi nous est si bien connue, et qui porte toujours secours
à l'Église dans ses travaux, daigne appuyer notre demande auprès du très clément
empereur, ainsi que les légats que le bienheureux apôtre Pierre lui envoie pour
ce sujet, afin qu'avant que ce fléau funeste de la guerre civile se propage dans
l'Église, il nous donne la force et les moyens de rétablir la paix avec l'Aide
de Dieu. Il sait que tout ce qu'il accordera à la liberté catholique, doit
contribuer à augmenter sa puissance.
Fait aux ides d'octobre, sous le
consulat des très illustres Astère et Protogène.
Toute l'Église a tressailli de joie
lorsque, par un bienfait de la Miséricorde de Dieu, l'hérésie la plus
pernicieuse a été détruite par le zèle saint et glorieux de votre Clémence ;
vous avez consacré votre puissance au service de Dieu ; vous avez aidé les
prêtres du Seigneur de toute votre foi et de tout votre pouvoir à parvenir plus
promptement au but de leurs travaux. Quoique, en vertu du saint Esprit qui les
inspire, ce soit le devoir des serviteurs du Siège apostolique de défendre en
toute circonstance les vérités et la liberté de l'évangile, cependant cette
fois, c'est par la seule Grâce de Dieu que nous avons triomphé ; et dans cette
victoire de la vérité Dieu a permis que les seuls auteurs de l'hérésie périssent
et que l'Église recouvrât son unité. Cette guerre que l'ennemi de notre paix
avait suscitée s'est donc terminée d'une manière si heureuse que, le Christ
triomphant, les mêmes lauriers couronnèrent tous les évêques ; et, la lumière de
la vérité brillant avec éclat, les ténèbres de l'erreur et ses partisans furent
seuls chassés au loin.
Sur ce qui concerne nos croyances
touchant la résurrection de notre Seigneur, il fut très avantageux, pour jeter
les bases de la foi, que certains apôtres aient douté de la réalité de la Chair
de Jésus Christ ; car, en se convainquant eux-mêmes par les sens de la vue et du
toucher, lorsqu'ils examinèrent la marque des clous et la cicatrice du coup de
lance, ils mirent fin aux doutes de tous ceux qui pourraient hésiter à croire ;
il en est de même aujourd'hui, lorsque l'infidélité de quelques-uns est
confondue ; tous ceux qui chancelaient dans leurs croyances s'y trouvent
confirmés, et l'aveuglement des uns sert à éclairer les autres. Il est digne et
juste que votre Clémence se glorifie de ses travaux ; car elle a pourvu avec
sagesse à ce que les embûches du démon ne puissent nuire aux Églises d'Orient,
et elle a compris avec fidélité qu'on ne saurait jamais offrir d'holocauste plus
agréable à Dieu qu'en réunissant les peuples, les évêques et les rois, pour
confesser tous de la même manière la Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme
Jésus Christ.
Après cette heureuse pacification
de l'Église universelle qui nécessita la réunion d'un si grand nombre d'évêques,
je m'étonne et je me plains de ce que le souffle de l'ambition vient encore
troubler cette paix que Dieu nous a accordée. Quoique mon frère Anatolius ait
compris qu'il était du dernier intérêt pour lui d'abandonner les erreurs de ceux
qui l'avaient ordonné et de revenir à la foi catholique par une correction
salutaire, il eût dû se garder néanmoins de troubler par sa cupidité cette
Église qu'il sait ne devoir qu'à notre bienveillance. Il devrait se rappeler
que, par égard pour votre demande et rassuré par votre piété, quand l'illégalité
de sa consécration le faisait chanceler sur son siège, j'ai plutôt écouté ma
bonté que la justice, désireux que j'étais d'apaiser tous les troubles que le
démon avait suscités, même par des moyens peu licites. Le souvenir de ces faits
devrait lui inspirer plus de modestie que d'orgueil. Et quand ses vertus
l'auraient porté à l'épiscopat, quand même il aurait été consacré légalement
après un mûr examen et d'une manière solennelle, il n'en serait pas moins
criminel en violant les anciennes règles, les canons des pères et les décrets du
saint Esprit. Je vous le dis à vous, chrétien vraiment pieux, à vous, prince
vraiment orthodoxe, l'évêque Anatolius perd ses propres mérites en voulant
augmenter ses droits d'une manière injuste.
Que la cité de Constantinople soit
glorieuse comme nous le désirons par la protection de Dieu ; qu'elle jouisse
longtemps, sous le règne de votre Clémence, des privilèges d'une ville
impériale. Mais il ne faut pas confondre les choses divines et les choses
humaines ; aucune construction ne sera éternelle et stable, à l'exception de
cette seule pierre que le Seigneur a posée Lui-même pour être le fondement de
son Église. Celui qui convoite le bien d'autrui, perd son propre bien. Qu'il
suffise à Anatolius d'avoir obtenu l'épiscopat dans une si grande ville, à
l'aide des recommandations de votre Majesté et de mon approbation. Qu'il ne
dédaigne point la Cité Impériale dont il ne peut faire un siège apostolique, et
qu'il n'espère point non plus s'élever jamais sur les ruines des autres. Les
décrets des saints pères ont établi les privilèges des Églises, et les canons du
concile de Nicée les ont déterminés ; l'ambition d'aucun homme ne peut y rien
retrancher, y rien ajouter. Avec l'Aide du Christ je maintiendrai fidèlement,
dans leur intégrité, ces règles saintes de nos pères qui furent faites, pour la
discipline de toute l'Église, dans le concile de Nicée par l'inspiration du
saint Esprit ; c'est à moi qu'a été confié le soin de les faire observer, et je
me montrerai bon et fidèle serviteur ; car si je prêtais les mains à ce qu'on
les violât, ce qui n'arrivera jamais, si la volonté d'un seul de mes frères
avait plus de poids auprès de moi que l'utilité générale de toute l'Église, je
me rendrais coupable d'un grand crime.
Comme je sais que votre glorieuse
Clémence aime à veiller sur la paix des Églises et qu'elle donne une pieuse
approbation à tout ce qui est convenable au maintien de l'ordre, je la prie et
la supplie de se garder de prêter le moindre assentiment à d'injustes tentatives
contre la paix des fidèles et l'unité catholique, et de réprimer d'une manière
salutaire l'ambition de mon frère Anatolius, qui, s'il y persiste, pourra lui
devenir préjudiciable. Il ne faut pas que, dans son ambition hostile à votre
gloire et à l'Église, il veuille s'élever au-dessus de ses mérites ; il lui
appartient de briller par toutes les vertus qu'il pourra réunir ; mais certes,
il n'en possédera aucune si, au lieu de se gonfler d'orgueil, il ne s'empresse
de faire place dans son coeur à la charité. Il n'aurait jamais dû concevoir cet
injuste désir ; et quand mes frères et collègues, qui me remplaçaient au
concile, s'opposèrent à ses prétentions illicites, il eût agi convenablement en
se désistant de ses projets devant leurs remontrances salutaires. Les actes de
votre piété et les lettres d'Anatolius lui-même prouvent que les légats du Siège
apostolique lui ont opposé, comme il était nécessaire, de justes réclamations ;
sa présomption, qui ne s'arrêta pas même après avoir été réprimandée, est donc
inexcusable.
Déployez contre toute ambition
condamnable cette vigueur que vous avez montrée en terrassant l'hérésie par la
Grâce de Dieu ; et, ce qui convient à votre piété et à votre gloire, ce qui est
digne de votre justice de chrétien et d'empereur, contraignez cet évêque à obéir
aux pères et à respecter la paix de l'Église, et défendez-lui de se faire un
droit de ce que, dans mon zèle à cicatriser les plaies de l'Église, et dans mon
amour pour la paix, j'ai bien voulu ne point annuler l'ordination sans exemple
de l'évêque d'Antioche qu'il avait faite au mépris des canons. Qu'il s'abstienne
donc de violer les lois ecclésiastiques ; qu'il réprime les excès de son
ambition, de peur qu'il ne soit retranché de l'Église universelle dont il veut
troubler la paix. Cependant, j'aimerais mieux le chérir à cause de ses vertus
que de le voir persévérer dans ses pensées d'orgueil qui pourraient le séparer
de nous. Mon frère et collègue Lucien, qui m'a apporté les lettres de votre
Clémence, avec mon fils, le diacre Basile, a accompli la mission dont vous
l'avez chargé, avec le plus grand zèle, et, s'il n'a point eu de succès, on peut
dire qu'il n'a point manqué à la cause, mais c'est plutôt la cause qui lui a
manqué.
Fait le onzième jour des calendes
de juin, sous le consulat du très illustre Herculanus.
SOURCE : http://www.jesusmarie.com
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