Sa vie
Ferme témoin de l'ère patristique dans la
décadence romaine où, pendant vingt-et-un ans, il affronte victorieusement les
nouveaux maîtres,
les Barbares,
le quarante-cinquième évêque de Rome, quarante-troisième saint pape, est le
premier à porter le nom de Léon
et le premier dont nous conservons les œuvres complètes qui
lui valent d'êtrele premier pape à porter le titre de docteur de l'Eglise ;
il est aussi le premier pape à être enseveli au Vatican : « L'ancienne Eglise,
écrivait le savant Batiffol,
n'a pas connu de pape plus complet ni de plus grand. » Il pourfend les
hérétiques, il prêche à temps et à contretemps, avec simplicité et profondeur,
dignité et tendresse ; il déploie un courage authentique et modeste quand il
affronte les Huns et les Vandales ; faiseur de paix, appliqué à son métier de
pape, ce conducteur d'hommes sacrifie sa vie privée à sa vie publique : « Nous
devons courir la route qui n'est autre que Jésus en personne. »
Fils de Quintanius, certains le
supposent toscan tandis que d'autres, s'appuyant sur une de ses lettres à
Pulchérie (épître XXXI) l'affirment romain. Nous ne savons rien de sûr de ses
premières années, sinon la belle résultante d'une bonne éducation classique. On
le rencontre en 418, déjà l'acolyte, utilisé comme vaguemestre du pape Zosime
qui le distingue pour son humanisme solide (hormis la maîtrise du grec), sa
connaissance approfondie des sciences ecclésiastiques et sa séduisante éloquence
ordonnée. Ordonné diacre par le pape Célestin, il est nommé archidiacre de Rome
(432) et bientôt chargé de mission à l'époque où Cassien lui dédie son
traité contre les Nestoriens. »
C'est grâce à lui que le pape
Sixte III déjoue les arguties de Julien d'Eclane (439) qui soutient les
pélagiens.
En 440, il est désigné comme médiateur dans le litige qui oppose, en Gaule, le
général Ætius au seigneur Albinus. Lorsque meurt Sixte III (19 août 440), Léon
est rappelé d'urgence à Rome où il est élu à la succession de Pierre (29
septembre 440).
Chef prudent et sage, homme de
doctrine et de discipline, Léon I° s'entoure de conseillers avisés, choisis
parmi les spécialistes des grandes questions comme le moine Prosper d'Aquitaine,
polémiste vigoureux contre Cassien et Vincent de Lérins, et viscéralement
anti-pélagien.
Dans ses homélies, en style
elliptique, il commente l'année liturgique en formules lapidaires. On cite comme
exemple de beau latin et de commentaire intériorisé, son fameux sermon sur Noël.
« Aujourd'hui, frères bien-aimés, Notre-Seigneur est né. Réjouissons-nous !
Nulle tristesse n'est de mise, le jour où l'on célèbre : naissance de la vie,
abolition de la peur causée par la mort, éternité promise... Le Verbe divin,
Dieu lui-même, s'est fait homme pour délivrer l'homme de la mort éternelle. Pour
ce faire, il s'est abaissé jusqu'à nous, mais sans rien perdre de sa majesté. Il
est devenu ce qu'il n'était pas, tout en demeurant tout ce qu'il était. Il unit
donc la forme de l'esclave à la forme dans laquelle il est égal à Dieu le Père.
De la sorte, il a lié entre elles deux natures, de telle façon qu'il n'a pas
détruit la nature inférieure par sa glorification et n'a pas amoindri la nature
supérieure par l'addition de l'autre. »
A travers même la traduction, les plus délicats détectent et apprécient les
procédés rhétoriques : parallèles et antithèses, assonances et clausules... Il
en est de même du célèbre sermon sur la Passion. « La glorieuse passion de
Notre-Seigneur, apparaît spécialement admirable par son mystère d'humilité... En
effet, la toute-puissance du Fils de Dieu, source de son égalité avec le Père
dans l'unité d'essence, aurait pu soustraire le genre humain à l'esclavage du
diable par le seul commandement de sa volonté. Mais il était pleinement conforme
aux œuvres divines que l'hostilité et la malignité de l'ennemi fussent vaincues
par cela même qu'elles avaient vaincu, que la liberté fût restaurée par la
nature même qui nous avait tous jetés dans l'esclavage... Dans cette union entre
la créature et son créateur, rien ne manqua à la nature divine, rien d'humain ne
manque à celle qu'il assumait. »
Léon le Grand combat l'erreur
manichéenne du perse Manès (mort 227), hérésie qui reconnaît deux principes - le
Bon qui est Dieu et le Mauvais qui est le démon, en lutte
perpétuelle. En 443-444, il recourt au bras séculier et les empereurs
Théodose le Jeune et Valentinien III prononcent des peines sévères contre les
sectateurs. Même conduite envers les pélagiens, solennellement stigmatisés au
concile d'Ephèse (431). Seize ans après, les priscillianistes
sont condamnés.
Sous son impulsion, la délicate
question de l'élection des évêques est réglementée. Léon rappelle à l'ordre les
épiscopes de Mauritanie césarienne, Rusticus, évêque gaulois de Narbonne,
Hilaire évêque d'Arles. Au milieu du découpage de l'Eglise du V° siècle entre
les juridictions patriarcales
il sauvegarde la primauté romaine, au point de mériter (227 ans après sa mort)
l'éloge d'un de ses successeurs, Serge I° qui lui attribue cette devise : « Je
veille pour que le loup, toujours à l'affût, ne saccage pas mon troupeau. »
Après la condamnation de Nestorius,
au concile d'Ephèse (431), un archimandrite de Constantinople, Eutychès,
d'apparence austère, tombe dans l'erreur opposée à celle de Nestorius. Le
premier proclame qu'il y a deux personnes distinctes, en Jésus-Christ :
l'homme et le dieu ; le second soutient qu'il n'y a qu'une seule nature
en Jésus-Christ : la divine. Entre Flavien, patriarche de Constantinople qui
défend et diffuse la saine doctrine, et Eutychès qui la bafoue, il faut
trancher.
Eutychès, appuyant sa supplique
par une lettre de l'empereur Théodose, en appelle au pape Léon. Un rescrit
impérial convoque un concile à Ephèse, pour le 30 mars 449 où, à cause de son
appel au pape qui est suspensif, Eutychès échappe à la condamnation prononcée
par Flavien. Pire encore, lors du concile frauduleusement convoqué, les légats
du Pape
sont placés sous surveillance des mouchards impériaux et le patriarche Flavien
est molesté ; Léon le Grand dénonce l'irrégularité flagrante : Ephenisum
latrocinium, Le brigandage d'Ephèse. Le pape rédige son admirable Lettre
dogmatique à Flavien : outre la condamnation d'Eutychès (Imprudent à
l'excès, exégète ignorant et contempteur de la vérité) il fournit des
précisions dogmatiques ciselées comme des rasoirs. « Jésus-Christ fait homme,
unique médiateur entre Dieu et les hommes, a pu mourir dans sa nature humaine,
tout en restant immortel dans sa nature divine. Le vrai Dieu par sa naissance a
pris la nature parfaitement complète d'un homme authentique et il est : tout
entier dans la sienne et tout entier dans la nôtre... C'est grâce à cette unité
de personne dans une double nature que le Fils de l'homme est descendu du ciel
et, d'autre part, que le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli, alors qu'il a
pu souffrir ces épreuves par suite de l'infirmité de notre nature, nullement de
sa divinité elle-même... Si donc Eutychès accepte la foi chrétienne, il
reconnaîtra quelle est la nature qui a été percée par les clous et attachée à la
croix... L'Eglise catholique vit et perpétue cette croyance : dans le Christ
Jésus, l'humanité n'est pas sans véritable divinité et la divinité sans
véritable humanité ! » Placidie, mère de Valentinien III et Pulchérie,
devenue épouse de Marcien, interviennent près de l'autorité impériale ; toutes
les questions litigieuses seront précisées par une assemblée ecclésiale
régulière, le concile de Chalcédoine (octobre-novembre 451), convoqué par
l'empereur Marcien et approuvée par le pontife suprême où 550 évêques orientaux,
2 légats de pape et deux africains, destituent Dioscore, l’organisateur du
brigandage d'Ephèse, et condamnent Eutychès et le monophysisme.
On définit en Jésus deux natures distinctes et parfaites : la divine et
l'humaine. On publie le symbole de Chalcédoine, à propos duquel les
Pères du concile s'écrient unanimement : « C'est la foi des apôtres,
c'est la foi des premiers pasteurs, c'est ce que nous croyons... Pierre a parlé,
par la bouche de Léon. Les propos du Pape sont clairs : Rome donne des
solutions aux cas qu'on lui soumet. Ces solutions sont des sentences. Pour
l'avenir, Rome prononce des sanctions. »
La victoire des champs
catalauniques, gagnée, entre Châlons-sur-Marne et Troyes, par Aetius
(romain), Mérovée (franc) et Théodoric I° (wisigoth) contre Attila, roi des
Huns, le fléau de Dieu, renvoie les hordes sur le Danube d'où, au
printemps 452, il s'avance jusqu'au nord de l'Italie ; comme Aetius se déclare
incapable d'affronter victorieusement l'envahisseur qui menace Rome, le
Sénat s'adresse au pape Léon pour négocier. Aux environs de Mantoue, une
procession de gens d'Eglise — moines, prêtres et chasubles, évêques revêtus
d'or — précède le Pape à la rencontre des Huns. Attila regarde, hésite et,
subitement, enlève sa monture pour traverser au galop le Mincio (affluent du
Pô). Après l'entrevue, Attila qui parle couramment latin, rejoint ses troupes
pour leur donner l'ordre de retraite vers la Hongrie où il mourra l'année
suivante.
Trois ans plus tard (juin 455), les vandales de
Genséric, à partir de ses puissantes bases navales méditerranéennes, investit
Rome et s'en empare. Là encore, Léon le Grand négocie : mes soldats ne
verseront pas le sang humain, aucun édifice ne sera brûlé déclare Genséric
qui cesse son occupation, le 29 juin 455, fête des saints apôtres Pierre et
Paul. Léon exhorte les fidèles : « Peuple
romain, n'oublie pas trop vite cette délivrance ! »
Dans les dernières années du
pontificat de Léon le Grand, l'Eglise souffre de l'agitation orientale. En
Egypte, le moine Timothée, surnommé Elure (le chat), à cause de ses
manières félines, pour devenir patriarche d'Alexandrie fait massacrer le
titulaire, Porterius.
« Votre église alexandrine,
écrit Léon le Grand, devient une caverne de voleurs (spelunca latronum). »
Sa belle épître du 17 août 458, modèle de simplicité conjointe avec la fermeté
doctrinale, développe un plan de redressement. En 460, Timothée-le-chat, enfin
banni, est remplacé par un ancien solitaire du monastère de Canope,
Solophaciole. « Après seize ans de chicanes, notre sainte Eglise connaît
enfin la paix. » Un an après, le 10 novembre 461, Léon meurt et on l'inhume
dans la basilique Saint-Pierre.
Au plan doctrinal, ce lutteur pour
la foi, vainqueur du paganisme, se fait le champion de l'unité ecclésiale. Il
reste le docteur de l'Incarnation. Au plan politique, la Rome pontificale
succède, avec ce grand chef, à la Rome impériale. Avec Léon, le siège sacré de
l'apôtre Pierre devient inspirateur et conducteur de l'univers. Solidement
implanté sur ce roc, battu par l'ouragan des hérésies et les vagues des
barbares, ce pape de la sauvegarde est un inlassable prophète de l'espérance.
« Le bienheureux Pierre persiste dans la solidité qu'il reçut. Il
n'abandonnera jamais le gouvernement ecclésial. Je continue. »
SOURCE : http://missel.free.fr/Sanctoral/11/10.php
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