A nos vénérables
frères les Archevêques, Évêques et au Clergé de France,
Vénérables
Frères, Très chers Fils,
Depuis le jour où
Nous avons été élevé à la chaire pontificale, la France a été
constamment l’objet de Notre sollicitude et de Notre affection
toute particulière. C’est chez elle, en effet, que, dans le
cours des siècles, mû par les insondables desseins de sa
miséricorde sur le monde, Dieu a choisi de préférence les hommes
apostoliques destinés à prêcher la vraie foi jusqu’aux confins
du globe, et à porter la lumière de l’Évangile aux nations
encore plongées dans les ténèbres du paganisme. Il l’a
prédestinée à être le défenseur de son Église et l’instrument de
ses grandes œuvres : Gesta Dei per Francos.
A une si haute
mission correspondent évidemment de nombreux et graves devoirs.
Désireux, comme Nos prédécesseurs, de voir la France accomplir
fidèlement le glorieux mandat dont elle a été chargée, Nous lui
avons plusieurs fois déjà, durant Notre long Pontificat, adressé
Nos conseils, Nos encouragements, Nos exhortations. Nous l’avons
fait tout spécialement dans Notre Lettre Encyclique du 8 février
1884, Nobilissima Gallorum gens, et dans Notre Lettre du
16 février 1892, publiée dans l’idiome de la France et qui
commence par ces mots : Au milieu des sollicitudes. Nos
paroles ne sont pas demeurées infructueuses, et Nous savons par
vous, Vénérables Frères, qu’une grande partie du peuple français
tient toujours en honneur la foi de ses ancêtres et remplit avec
fidélité les devoirs qu’elle impose. D’autre part, Nous ne
saurions ignorer que les ennemis de cette foi sainte ne sont pas
demeurés inactifs, et qu’ils sont parvenus à bannir tout
principe de religion d’un grand nombre de familles, qui, par
suite, vivent dans une lamentable ignorance de la vérité révélée
et dans une complète indifférence pour tout ce qui touche à
leurs intérêts spirituels et au salut de leurs âmes.
Si donc, et à bon
droit, Nous félicitons la France d’être pour les nations
infidèles un foyer d’apostolat, Nous devons encourager aussi les
efforts de ceux de ses fils qui, enrôlés dans le sacerdoce de
Jésus-Christ, travaillent à évangéliser leurs compatriotes, à
les prémunir contre l’envahissement du naturalisme et de
l’incrédulité, avec leurs funestes et inévitables conséquences.
Appelés par la volonté de Dieu à être les sauveurs du monde, les
prêtres doivent toujours, et avant tout, se rappeler qu’ils
sont, de par l’institution même de Jésus-Christ, « le sel de la
terre » (Mt 5, 13), d’où saint Paul, écrivant à
son disciple Timothée, conclut avec raison qu’ils doivent être
l’exemple des fidèles dans leurs paroles et dans leurs rapports
avec le prochain, par leur charité, leur foi et leur pureté (1
Tm 4, 12).
Qu’il en soit ainsi
du clergé de France, pris dans son ensemble, ce Nous est
toujours, Vénérables Frères, une grande consolation de
l’apprendre, soit par les relations quadriennales que vous Nous
envoyez sur l’état de vos diocèses, conformément à la
Constitution de Sixte-Quint ; soit par les communications orales
que Nous recevons de vous, lorsque Nous avons la joie de Nous
entretenir avec vous et de recevoir vos confidences : Oui, la
dignité de la vie, l’ardeur de la foi, l’esprit de dévouement et
de sacrifice, l’élan et la générosité du zèle, la charité
inépuisable envers le prochain, l’énergie dans toutes les nobles
et fécondes entreprises qui ont pour but la gloire de Dieu, le
salut des âmes, le bonheur de la patrie : telles sont les
traditionnelles et précieuses qualités du clergé français,
auxquelles Nous sommes heureux de pouvoir rendre ici un public
et paternel témoignage.
Toutefois, en
raison même de la tendre et profonde affection que Nous lui
portons, tout à la fois pour satisfaire au devoir de Notre
ministère apostolique, et pour répondre à Notre vif désir de le
voir demeurer toujours à la hauteur de sa grande mission, Nous
avons résolu, Vénérables Frères, de traiter dans la présente
Lettre quelques points que les circonstances actuelles
recommandent de la façon la plus instante à la consciencieuse
attention des premiers pasteurs de l’Église de France et des
prêtres qui travaillent sous leur autorité.
C’est d’abord chose
évidente que, plus un office est relevé, complexe, difficile,
plus longue et plus soignée doit être la préparation de ceux qui
sont appelés à le remplir. Or, existe-t-il sur la terre une
dignité plus haute que celle du sacerdoce et un ministère
imposant une plus lourde responsabilité, que celui qui a pour
objet la sanctification de tous les actes libres de l’homme ?
N’est-ce pas du gouvernement des âmes que les Pères ont dit,
avec raison, que c’est « l’art des arts », c’est-à-dire le plus
important et le plus délicat de tous les labeurs auxquels un
homme puisse être appliqué au profit de ses semblables, ars
artium regimen animarum ?
Rien donc ne devra être négligé pour préparer à remplir
dignement et fructueusement une telle mission, ceux qu’une
vocation divine y appelle.
Avant toute chose,
il convient de discerner, parmi les jeunes enfants, ceux en qui
le Très Haut a déposé le germe d’une semblable vocation. Nous
savons que, dans un certain nombre de diocèses de France, grâce
à vos sages recommandations, les prêtres des paroisses, surtout
dans les campagnes, s’appliquent, avec un zèle et une abnégation
que Nous ne saurions trop louer, à commencer eux-mêmes les
études élémentaires des enfants dans lesquels ils ont remarqué
des dispositions sérieuses à la piété et des aptitudes au
travail intellectuel. Les écoles presbytérales sont ainsi comme
le premier degré de cette échelle ascendante qui, d’abord par
les Petits, puis par les Grands Séminaires, fera monter jusqu’au
sacerdoce les jeunes gens auxquels le Sauveur a répété l’appel
adressé à Pierre et à André, à Jean et à Jacques : « Laissez vos
filets ; suivez-moi ; je veux faire de vous des pêcheurs
d’hommes » (Mt 4, 19).
Quant aux Petits
Séminaires, cette très salutaire institution a été souvent et
justement comparée à ces pépinières ou sont mises à part les
plantes qui réclament des soins plus spéciaux et plus assidus,
moyennant lesquels, seuls, elles peuvent porter des fruits et
dédommager de leurs peines ceux qui s’appliquent à les cultiver.
Nous renouvelons, à cet égard, la recommandation que, dans son
Encyclique du 8 décembre 1849, Notre prédécesseur, Pie IX,
adressait aux évêques. Elle se référait elle-même à une des plus
importantes décisions des Pères du saint Concile de Trente.
C’est la gloire de l’Église de France, dans le siècle présent,
d’en avoir tenu le plus grand compte, puisqu’il n’est pas un
seul des 94 diocèses dont elle se compose qui ne soit doté d’un
ou de plusieurs Petits Séminaires.
Nous savons,
vénérables Frères, de quelles sollicitudes vous entourez ces
institutions si justement chères à votre zèle pastoral, et Nous
vous en félicitons. Les prêtres qui, sous votre haute direction,
travaillent à la formation de la jeunesse appelée à s’enrôler
plus tard dans les rangs de la milice sacerdotale, ne sauraient
trop souvent méditer devant Dieu l’importance exceptionnelle de
la mission que vous leur confiez. Il ne s’agit pas pour eux,
comme pour le commun des maîtres, d’enseigner simplement à ces
enfants les éléments des lettres et des sciences humaines. Ce
n’est là que la moindre partie de leur tâche. Il faut que leur
attention, leur zèle, leur dévouement soient sans cesse en éveil
et en action, d’une part, pour étudier continuellement sous le
regard et dans la lumière de Dieu les âmes des enfants et les
indices significatifs de leur vocation au service des autels ;
de l’autre, pour aider l’inexpérience et la faiblesse de leurs
jeunes disciples, à protéger la grâce si précieuse de l’appel
divin contre toutes les influences funestes, soit du dehors,
soit du dedans. Ils ont donc à remplir un ministère humble,
laborieux, délicat, qui exige une constante abnégation. Afin de
soutenir leur courage dans l’accomplissement de leurs devoirs,
ils auront soin de le retremper aux sources les plus pures de
l’esprit. de foi. Ils ne perdront jamais de vue qu’ils n’ont
point à préparer pour des fonctions terrestres, si légitimes et
honorables soient-elles les enfants dont ils forment
l’intelligence, le coeur, le caractère. L’Église les leur confie
pour qu’ils deviennent capables un jour d’être des prêtres,
c’est-à-dire des missionnaires de l’Évangile, des continuateurs
de l’œuvre de Jésus-Christ, des distributeurs de sa grâce et de
ses sacrements. Que cette considération, toute surnaturelle, se
mêle incessamment à leur double action de professeurs et
d’éducateurs, et soit comme ce levain qu’il faut mélanger au
meilleur froment, suivant la parabole évangélique, pour les
transformer en un pain savoureux et substantiel (cf. Mt
13, 33).
Si la préoccupation
constante d’une première et indispensable formation à l’esprit
et aux vertus du sacerdoce doit inspirer les maîtres de vos
Petits Séminaires dans leurs relations avec leurs élèves, c’est
à cette même idée principale et directrice que se rapporteront
le plan des études et toute l’économie de la discipline. Nous
n’ignorons pas, Vénérables Frères, que dans une certaine mesure,
vous êtes obligés de compter avec les programmes de l’État et
les conditions mises par lui à l’obtention des grades
universitaires, puisque, dans un certain nombre de cas, ces
grades sont exigés des prêtres employés soit à la direction des
collèges libres placés sous la tutelle des évêques et des
Congrégations religieuses, soit à l’enseignement supérieur dans
les Facultés catholiques que vous avez si louablement fondées.
Il est, d’ailleurs, d’un intérêt souverain, pour maintenir
l’influence du clergé sur la société, qu’il compte dans ses
rangs un assez grand nombre de prêtres ne le cédant en rien pour
la science, dont les grades sont la constatation officielle, aux
maîtres que l’État forme pour ses lycées et ses Universités.
Toutefois, et après
avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent
les circonstances, il faut que les études des aspirants au
sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des
siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents
dont l’Église de France est fière à si juste titre, les Pétau,
les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de
votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par
l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son
génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de
l’éloquence chrétienne. Or, c’est l’étude des belles-lettres qui
a puissamment aidé ces hommes à devenir de très vaillants et
utiles ouvriers au service de l’Église, et les a rendus capables
de composer des ouvrages vraiment dignes de passer à la
postérité et qui contribuent encore de nos jours à la défense et
à la diffusion de la vérité révélée. En effet, c’est le propre
des belles-lettres, quand elles sont enseignées par des maîtres
chrétiens et habiles, de développer rapidement dans l’âme des
jeunes gens tous les germes de vie intellectuelle et morale, en
même temps qu’elles contribuent à donner au jugement de la
rectitude et de l’ampleur, et au langage, de l’élégance et de la
distinction.
Cette considération
acquiert une importance spéciale quand il s’agit des
littératures grecque et latine, dépositaires des chefs-d'œuvre
de science sacrée que l’Église compte à bon droit parmi ses plus
précieux trésors. Il y a un demi-siècle, pendant cette période
trop courte de véritable liberté, durant laquelle les évêques de
France pouvaient se réunir et concerter les mesures qu’ils
estimaient les plus propres à favoriser les progrès de la
religion et, du même coup, les plus profitables à la paix
publique, plusieurs de vos Conciles provinciaux, Vénérables
Frères, recommandèrent de la façon la plus expresse la culture
de la langue et de la littérature latines. Vos collègues d’alors
déploraient déjà que, dans votre pays, la connaissance du latin
tendît à décroître
.
Si, depuis
plusieurs années, les méthodes pédagogiques en vigueur dans les
établissements de l’État réduisent progressivement l’étude de la
langue latine, et suppriment des exercices de prose et de poésie
que nos devanciers estimaient à bon droit devoir tenir une
grande place dans les classes des collèges, les Petits
Séminaires se mettront en garde contre ces innovations inspirées
par des préoccupations utilitaires, et qui tournent au détriment
de la solide formation de l’esprit. A ces anciennes méthodes,
tant de fois justifiées par leurs résultats, Nous appliquerions
volontiers le mot de saint Paul à son disciple Timothée, et,
avec l’Apôtre, Nous vous dirions, Vénérables Frères :
« Gardez-en le dépôt » (1 Tm 6, 20) avec un soin jaloux.
Si un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, elles devaient disparaître
complètement des autres écoles publiques, que vos Petits
Séminaires et collèges libres les gardent avec une intelligente
et patriotique sollicitude. Vous imiterez ainsi les prêtres de
Jérusalem qui, voulant soustraire à de barbares envahisseurs le
feu sacré du Temple, le cachèrent de manière à pouvoir le
retrouver et à lui rendre toute sa splendeur, quand les mauvais
jours seraient passés (cf. 2 M 1, 19. 22).
Une fois en
possession de la langue latine, qui est comme la clef de la
science sacrée, et les facultés de l’esprit suffisamment
développées par l’étude des belles-lettres, les jeunes gens qui
se destinent au sacerdoce passent du Petit au Grand Séminaire.
Ils s’y prépareront, par la piété et l’exercice des vertus
cléricales, à la réception des saints Ordres, en même temps
qu’ils s’y livreront à l’étude de la philosophie et de la
théologie.
Nous le disions
dans Notre Encyclique Aeterni Patris, dont Nous
recommandons de nouveau la lecture attentive à vos séminaristes
et à leurs maîtres, et Nous le disions en Nous appuyant sur
l’autorité de saint Paul c’est par les vaines subtilités de la
mauvaise philosophie, per philosophiam et inanem fallaciam
(Col 2, 8), que l’esprit des fidèles se laisse le
plus souvent tromper, et que la pureté de la foi se corrompt
parmi les hommes. Nous ajoutions, et les événements accomplis
depuis vingt ans ont bien tristement confirmé les réflexions et
les appréhensions que Nous exprimions alors : « Si l’on fait
attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si
l’on embrasse par la pensée l’état des affaires tant publiques
que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui
nous oppriment, comme de ceux qui nous menacent, consiste en
ceci : que des opinions erronées sur toutes choses, divines et
humaines, des écoles des philosophes se sont peu à peu glissées
dans tous les rangs de la société et sont arrivées à se faire
accepter d’un grand nombre d’esprits »
.
Nous réprouvons de
nouveau ces doctrines qui n’ont de la vraie philosophie que le
nom, et qui, ébranlant la base même du savoir humain, conduisent
logiquement au scepticisme universel et à l’irréligion. Ce nous
est une profonde douleur d’apprendre que, depuis quelques
années, des catholiques ont cru pouvoir se mettre à la remorque
d’une philosophie qui, sous le spécieux prétexte d’affranchir la
raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion, lui
dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres
opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes
les certitudes que la métaphysique traditionnelle, consacrée par
l’autorité des plus vigoureux esprits, donnait comme nécessaires
et inébranlables fondements à la démonstration de l’existence de
Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme, et de la
réalité objective du monde extérieur. Il est profondément
regrettable que ce scepticisme doctrinal, d’impor-tation
étrangère et d’origine protestante, ait pu être accueilli avec
tant de faveur dans un pays justement célèbre par son amour pour
la clarté des idées et pour celle du langage. Nous savons,
Vénérables Frères, à quel point vous partagez là-dessus Nos
justes préoccupations et Nous comptons que vous redoublerez de
sollicitude et de vigilance pour écarter de l’enseignement de
vos Séminaires cette fallacieuse et dangereuse philosophie,
mettant plus que jamais en honneur les méthodes que Nous
recommandions dans Notre Encyclique précitée du 4 août 1879.
Moins que jamais, à
notre époque, les élèves de vos Petits et de vos Grands
Séminaires ne sauraient demeurer étrangers à l’étude des
sciences physiques et naturelles. II convient donc qu’ils y
soient appliqués, mais avec mesure et dans de sages proportions.
II n’est donc nullement nécessaire que, dans les cours de
sciences, annexes à l’étude de la philosophie, les professeurs
se croient obligés d’exposer en détail les applications presque
innombrables des sciences physiques et naturelles aux diverses
branches de l’industrie humaine. Il suffit que leurs élèves en
connaissent avec précision les grands principes et les
conclusions sommaires, afin d’être en état de résoudre les
objections que les incrédules tirent de ces sciences contre les
enseignements de la révélation.
Par-dessus tout, il
importe que, durant deux ans au moins, les élèves de vos Grands
Séminaires étudient avec un soin assidu la philosophie
rationnelle, laquelle, disait un savant Bénédictin,
l’honneur de son Ordre et de la France, D. Mabillon, leur sera
d’un si grand secours, non seulement pour leur apprendre à bien
raisonner et à porter de justes jugements, mais pour les mettre
à même de défendre la foi orthodoxe contre les arguments
captieux et souvent sophistiques des adversaires
.
Viennent ensuite
les sciences sacrées proprement dites, à savoir la Théologie
dogmatique et la Théologie morale, l’Écriture Sainte, l’Histoire
ecclésiastique et le Droit Canon. Ce sont là les sciences
propres au prêtre. Il en reçoit une première initiation pendant
son séjour au Grand Séminaire ; il devra en poursuivre l’étude
tout le reste de sa vie.
La théologie, c’est
la science des choses de la foi. Elle s’alimente, nous dit le
pape Sixte—Quint, à ces sources toujours jaillissantes qui sont
les Saintes Écritures, les décisions des Papes, les décrets des
Conciles
.
Appelée positive et
spéculative, ou scolastique, suivant la méthode qu’on emploie
pour l’étudier, la théologie ne se borne bas à proposer les
vérités à croire ; elle en scrute le fond intime, elle en montre
les rapports avec la raison humaine, et, à l’aide des ressources
que lui fournit la vraie philosophie, elle les explique, les
développe, et les adapte exactement à tous les besoins de la
défense et de la propagation de la foi. A l’instar de Béléséel,
à qui le Seigneur avait donné son esprit de sagesse,
d’intelligence et de science, en lui confiant la mission de
bâtir son temple, le théologien « taille les pierres précieuses
des divins dogmes, les assortit avec art, et, par l’encadrement
dans lequel il les place, en fait ressortir l’éclat, le charme
et la beauté »
.
C’est donc avec
raison que le même Sixte-Quint appelle cette théologie (et il
parle spécialement ici de la théologie scolastique) un don du
ciel et demande qu’elle soit maintenue dans les écoles et
cultivée avec une grande ardeur, comme étant ce qu’il y a de
plus fructueux pour l’Église
.
Est-il besoin
d’ajouter que le livre par excellence ou les élèves pourront
étudier avec plus de profit la théologie scolastique est la
Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin ? Nous voulons
donc que les professeurs aient soin d’en expliquer à tous leurs
élèves la méthode, ainsi que les principaux articles relatifs à
la foi catholique.
Nous recommandons
également que tous les séminaristes aient entre les mains et
relisent souvent le livre d’or, connu sous le nom de Catéchisme
du saint Concile de Trente ou Catéchisme romain, dédié à
tous les prêtres investis de la charge pastorale (Catechismus
ad parochos). Remarquable à la fois par la richesse
et l’exactitude de la doctrine et par l’élégance du style, ce
catéchisme est un précieux abrégé de toute la théologie
dogmatique et morale. Qui le posséderait à fond aurait toujours
à sa disposition les ressources à l’aide desquelles un prêtre
peut prêcher avec fruit, s’acquitter dignement de l’important
ministère de la confession et de la direction des âmes, et être
en état de réfuter victorieusement les objections des
incrédules.
Au sujet de l’étude
des Saintes Écritures, Nous appelons de nouveau votre attention,
Vénérables Frères, sur les enseignements que Nous avons donnés
dans Notre Encyclique Providentissimus Deus
,
dont nous désirons que les professeurs donnent connaissance à
leurs disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils
les mettront spécialement en garde contre des tendances
inquiétantes qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation
de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne
tarderaient pas à en ruiner l’inspiration et le caractère
surnaturels. Sous le spécieux prétexte d’enlever aux adversaires
de la parole révélée l’usage d’arguments qui semblaient
irréfutables contre l’authenticité et la véracité des Livres
Saints, des écrivains catholiques ont cru très habile de prendre
ces arguments à leur compte. En vertu de cette étrange et
périlleuse tactique, ils ont travaillé, de leurs propres mains,
à faire des brèches dans les murailles de la cité qu’ils avaient
mission de défendre. Dans Notre Encyclique précitée, ainsi que
dans un autre document
,
Nous avons fait justice de ces dangereuses témérités. Tout en
encourageant nos exégètes à se tenir au courant des progrès de
la critique, Nous avons fermement maintenu les principes
sanctionnés en cette matière par l’autorité traditionnelle des
Pères et des Conciles, et renouvelés de nos jours par le Concile
du Vatican.
L’historien de
l’Église sera d’autant plus fort pour faire ressortir son
origine divine, supérieure à tout concept d’ordre purement
terrestre et naturel, qu’il aura été plus loyal à ne rien
dissimuler des épreuves que les fautes de ses enfants, et
parfois même de ses ministres, ont fait subir à cette Épouse du
Christ dans le cours des siècles. Étudiée de cette façon,
l’histoire de l’Église, à elle toute seule, constitue une
magnifique et concluante démonstration de la vérité et de la
divinité du christianisme.
L’histoire de
l’Église est comme un miroir où resplendit la vie de l’Église à
travers les siècles. Bien plus encore que l’histoire civile et
profane, elle démontre la souveraine liberté de Dieu et son
action providentielle sur la marche des événements. Ceux qui
l’étudient ne doivent jamais perdre de vue qu’elle renferme un
ensemble de faits dogmatiques, qui s’imposent à la foi et qu’il
n’est permis à personne de révoquer en doute. Cette idée
directrice et surnaturelle qui préside aux destinées de l’Église
est en même temps le flambeau dont la lumière éclaire son
histoire. Toutefois, et parce que l’Église, qui continue parmi
les hommes la vie du Verbe incarné, se compose d’un élément
divin et d’un élément humain, ce dernier doit être exposé par
les élèves avec une grande probité. Comme il est dit au livre de
Job : « Dieu n’a pas besoin de nos mensonges » (Job 13,
77)
.
Enfin, pour achever
le cycle des études par lesquelles les candidats au sacerdoce
doivent se préparer à leur futur ministère, il faut mentionner
le droit canonique, ou science des lois et de la jurisprudence
de l’Église. Cette science se rattache par des liens très
intimes et très logiques à celle de la théologie, dont elle
montre les applications pratiques à tout ce qui concerne le
gouvernement de l’Église, la dispensation des choses saintes,
les droits et les devoirs de ses ministres, l’usage des biens
temporels, dont elle a besoin pour l’accomplissement de sa
mission. « Sans la connaissance du droit canonique (disaient
fort bien les Pères d’un de vos Conciles provinciaux), la
théologie est imparfaite, incomplète, semblable à un homme qui
serait privé d’un bras. C’est l’ignorance du droit canon qui a
favorisé la naissance et la diffusion de nombreuses erreurs sur
les droits des Pontifes Romains, sur ceux des évêques et sur la
puissance que l’Église tient de sa propre constitution, dont
elle proportionne l’exercice aux circonstances »
.
Nous résumerons
tout ce que Nous venons de dire sur vos Petits et vos Grands
Séminaires par cette parole de saint Paul, que Nous recommandons
à la fréquente méditation des maîtres et des élèves de vos
athénées ecclésiastiques : « O Timothée, gardez avec soin le
dépôt qui vous a été confié. Fuyez les profanes nouveautés de
paroles et les objections qui se couvrent du faux nom de
science ; car tout ceux qui en ont fait profession ont erré au
sujet de la foi » (1 Tm 6, 20-21)
.
C’est à vous
maintenant, très chers Fils, qui, ordonnés prêtres, êtes devenus
les coopérateurs de vos évêques, c’est à vous que Nous voulons
adresser la parole. Nous connaissons, et le monde entier connaît
comme Nous, les qualités qui vous distinguent. Pas une bonne
oeuvre dont vous ne soyez ou les inspirateurs ou les apôtres.
Dociles aux conseils que Nous avons donnés dans Notre Encyclique
Rerum Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux
pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide,
à les moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but,
vous provoquez des réunions et des Congrès ; vous fondez des
patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux
d’assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous
ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre économique et
social, et, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez pas à
faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore
pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les
journaux et les revues périodiques. Toutes ces choses, en
elles-mêmes, sont très louables, et vous y donnez des preuves
non équivoques de bon vouloir, d’intelligent et généreux
dévouement aux besoins les plus pressants de la société
contemporaine et des âmes.
Toutefois, très
chers Fils, Nous croyons devoir appeler paternellement votre
attention sur quelques principes fondamentaux, auxquels vous ne
manquerez pas de vous conformer, si vous voulez que votre action
soit réellement fructueuse et féconde.
Souvenez-vous avant
toute chose que, pour être profitable au bien et digne d’être
loué, le zèle doit être « accompagné de discrétion, de rectitude
et de pureté ». Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas a
Kempis
.
Avant lui, saint Bernard, la gloire de votre pays au XIIe
siècle, cet apôtre infatigable de toutes les grandes causes qui
touchaient à l’honneur de Dieu, aux droits de l’Église, au bien
des âmes, n’avait pas craint de dire que, séparé de la science
et de l’esprit de discernement ou de discrétion, le zèle est
insupportable ... que plus le zèle est ardent, plus il est
nécessaire qu’il soit accompagné de cette discrétion qui met
l’ordre dans l’exercice de la charité, et sans laquelle la vertu
elle-même peut devenir un défaut et un principe de désordre
.
Mais la discrétion
dans les œuvres et dans le choix des moyens pour les faire
réussir est d’autant plus indispensable que les temps présents
sont plus troublés et hérissés de difficultés plus nombreuses.
Tel acte, telle mesure, telle pratique de zèle pourront être
excellents en eux-mêmes, lesquels, vu les circonstances, ne
produiront que des résultats fâcheux. Les prêtres éviteront cet
inconvénient et ce malheur si, avant d’agir et dans l’action,
ils ont soin de se conformer à l’ordre établi et aux règles de
la discipline. Or, la discipline ecclésiastique exige l’union
entre les divers membres de la hiérarchie, le respect et
l’obéissance des inférieurs à l’égard des supérieurs. Nous le
disions naguère dans Nos lettres à l’archevêque de Tours :
« L’édifice de l’Église, dont Dieu lui-même est l’architecte,
repose sur un très visible fondement, d’abord sur l’autorité de
Pierre et de ses successeurs, mais aussi sur les apôtres, et les
successeurs des apôtres, qui sont les évêques ; de telle sorte
qu’écouter leur voix ou la mépriser équivaut à écouter ou à
mépriser Jésus-Christ lui-même »
.
Écoutez donc les
paroles adressées par le grand martyr d’Antioche, saint Ignace,
au clergé de l’Église primitive : « Que tous obéissent à leur
Évêque comme Jésus-Christ a obéi à son Père. Ne faites en dehors
de votre évêque rien de ce qui touche au service de l’Église, et
de même que Notre-Seigneur n’a rien fait que dans une étroite
union avec son Père, vous, prêtres, ne faites rien sans votre
évêque. Que tous les membres du corps presbytéral lui soient
unis, de même que sont unies à la harpe toutes les cordes de
l’instrument »
.
Si, au contraire,
vous agissiez, comme prêtres, en dehors de cette soumission et
de cette union à vos évêques, Nous vous répéterions ce que
disait Notre prédécesseur Grégoire XVI, à savoir que, « autant
qu’il dépend de votre pouvoir, vous détruisez de fond en comble
l’ordre établi avec une si sage prévoyance par Dieu, auteur de
1’Eglise »
.
Souvenez-vous
encore, Nos chers Fils, que l’Église est avec raison comparée à
une armée rangée en bataille, sicut castrorum acies ordinata
(Ct 6, 3), parce qu’elle a pour mission de combattre
les ennemis visibles et invisibles de Dieu et des âmes. Voilà
pourquoi saint Paul recommandait à Timothée de se comporter
« comme un bon soldat du Christ Jésus (2 Tm 2, 3) ». Or,
ce qui fait la force d’une armée et contribue le plus à la
victoire, c’est la discipline, c’est l’obéissance exacte et
rigoureuse de tous, à ceux qui ont la charge de commander.
C’est bien ici que
le zèle intempestif et sans discrétion peut aisément devenir la
cause de véritables désastres. Rappelez-vous un des faits les
plus mémorables de l’Histoire Sainte. Assurément, ils ne
manquaient ni de courage, ni de bon vouloir, ni de dévouement à
la cause sacrée de la religion, ces prêtres qui s’étaient
groupés autour de Judas Machabée pour combattre avec lui les
ennemis du vrai Dieu, les profanateurs du temple, les
oppresseurs de leur nation. Toutefois, ayant voulu s’affranchir
des règles de la discipline, ils s’engagèrent témérairement dans
un combat où ils furent vaincus. L’Esprit-Saint nous dit d’eux
« qu’ils n’étaient pas de la race de ceux qui pouvaient sauver
Israël. — Pourquoi ? parce qu’ils avaient voulu n’obéir qu’à
leurs propres inspirations et s’étaient jetés en avant sans
attendre les ordres de leurs chefs ». In
die illa ceciderunt sacerdotes in bello dum volunt fortiter
facere, dum sine consilio exeunt in proelium. Ipsi autem
non erant de semine virorum illorum, per quos salus facta est in
Israel (1 M 5, 67. 62).
A cet égard, nos
ennemis peuvent nous servir d’exemple. Ils savent très bien que
l’union fait la force, vis unita fortior ; aussi, ne
manquent-ils pas de s’unir étroitement, dès qu’il s’agit de
combattre la sainte Église de Jésus-Christ.
Si donc, Nos chers
Fils, comme tel est certainement votre cas, vous désirez que,
dans la lutte formidable engagée contre l’Église par les sectes
antichrétiennes et par la cité du démon, la victoire reste à
Dieu et à son Église, il est d’une absolue nécessité que vous
combattiez tous ensemble, en grand ordre et en exacte
discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques.
N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant
chrétiens et catholiques, jettent la zizanie dans le champ du
Seigneur et sèment la division dans son Église en attaquant, et
souvent même, en calomniant les évêques, « établis par
l’Esprit-Saint pour régir l’Église de Dieu » (Ac 20, 28).
Ne lisez ni leurs brochures, ni leurs journaux. Un bon prêtre ne
doit autoriser en aucune manière ni leurs idées, ni la licence
de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que, le jour de son
ordination, il a solennellement promis à son évêque, en face des
saints autels, obedientiam et reverentiam ?
Par-dessus tout,
Nos chers Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du
vrai zèle sacerdotal et le meilleur gage de succès dans les
oeuvres auxquelles l’obéissance hiérarchique vous consacre,
c’est la pureté et la sainteté de la vie. « Jésus a commencé par
faire avant d’enseigner » (Ac 1, 1). Comme lui, c’est par
la prédication de l’exemple que le prêtre doit préluder à la
prédication de la parole. « Séparés du siècle et de ses affaires
(disent les Pères du saint Concile de Trente), les clercs ont
été placés à une hauteur qui les met en évidence, et les fidèles
regardent dans leur vie comme dans un miroir pour savoir ce
qu’ils doivent imiter. C’est pourquoi les clercs, et tous ceux
que Dieu a spécialement appelés à son service, doivent si bien
régler leurs actions et leurs moeurs que dans leur manière
d’être, leurs mouvements, leurs démarches, leurs paroles et tous
les autres détails de leur vie, il n’y ait rien qui ne soit
grave, modeste, profondément empreint de religion. Ils éviteront
les fautes qui, légères chez les autres, seraient très graves
pour eux, afin qu’il n’y ait pas un seul de leurs actes qui
n’inspire à tous le respect »
.
A ces
recommandations du saint Concile, que Nous voudrions, Nos chers
Fils, graver dans tous vos cœurs, manqueraient assurément les
prêtres qui adopteraient dans leurs prédications un langage peu
en harmonie avec la dignité de leur sacerdoce et la sainteté de
la parole de Dieu ; qui assisteraient à des réunions populaires
où leur présence ne servirait qu’à exciter les passions des
impies et des ennemis de l’Église, et les exposerait eux-mêmes
aux plus grossières injures, sans profit pour personne et au
grand étonnement, sinon au scandale, des pieux fidèles ; qui
prendraient les manières d’être et d’agir, et l’esprit des
séculiers. Assurément, le sel a besoin d’être mélangé à la masse
qu’il doit préserver de la corruption, en même temps que
lui-même se défend contre elle, sous peine de perdre toute
saveur et de n’être plus bon à rien qu’à être jeté dehors et
foulé aux pieds (Mt 5, 13).
De même le prêtre,
sel de la terre, dans son contact obligé avec la société qui
l’entoure, doit-il conserver la modestie, la gravité, la
sainteté dans son maintien, ses actes, ses paroles, et ne pas se
laisser envahir par la légèreté, la dissipation, la vanité des
gens du monde. Il faut, au contraire, qu’au milieu des hommes il
conserve son âme si unie à Dieu, qu’il n’y perde rien de
l’esprit de son saint état et ne soit pas contraint de faire
devant Dieu et devant sa conscience ce triste et humiliant
aveu : « Toutes les fois que j’ai été parmi les laïques, j’en
suis revenu moins prêtre ».
Ne serait-ce pas
pour avoir, par un zèle présomptueux, mis de côté ces règles
traditionnelles de la discrétion, de la modestie, de la prudence
sacerdotales, que certains prêtres traitent de surannés,
d’incompatibles avec les besoins du ministère dans le temps ou
nous vivons, les principes de discipline et de conduite qu’ils
ont reçus de leurs maîtres du grand Séminaire ? On les voit
aller, comme d’instinct, au-devant des innovations les plus
périlleuses de langage, d’allures, de relations. Plusieurs,
hélas ! engagés témérairement sur des pentes glissantes, où, par
eux-mêmes, ils n’avaient pas la force de se retenir, méprisant
les avertissements charitables de leurs supérieurs ou de leurs
confrères plus anciens ou plus expérimentés, ont abouti à des
apostasies qui ont réjoui les adversaires de l’Église et fait
verser des larmes bien amères à leurs évêques, à leurs frères
dans le sacerdoce et aux pieux fidèles. Saint Augustin nous le
dit : « Plus on marche avec force et rapidité quand on est en
dehors du bon chemin, et plus on s’égare »
.
Assurément, il y a
des nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le royaume
de Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le
saint Évangile (Mt 13, 52), c’est au Père de famille,
et non aux enfants et aux serviteurs, qu’il appartient de les
examiner, et, s’il le juge à propos, de leur donner droit de
cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent
l’autre partie de son trésor.
Lorsque, naguère,
Nous remplissions le devoir apostolique de mettre les
catholiques de l’Amérique du Nord en garde contre des
innovations tendant, entre autres choses, à substituer aux
principes de perfection consacrés par l’enseignement des
docteurs et par la pratique des saints, des maximes ou des
règles de vie morale plus ou moins imprégnées de ce naturalisme
qui, de nos jours, tend à pénétrer partout, Nous avons hautement
proclamé que, loin de répudier et de rejeter en bloc les progrès
accomplis dans les temps présents, Nous voulions accueillir très
volontiers tout ce qui peut augmenter le patrimoine de la
science ou généraliser davantage les conditions de la prospérité
publique. Mais Nous avions soin d’ajouter que ces progrès ne
pouvaient servir efficacement la cause du bien, si l’on mettait
de côté la sage autorité de l’Église
.
En terminant ces
lettres, il Nous plaît d’appliquer au clergé de France, ce que
Nous écrivions jadis aux prêtres de Notre diocèse de Pérouse.
Nous reproduisons ici une partie de la Lettre pastorale que Nous
leur adressions le 19 juillet 1866.
« Nous demandons
aux ecclésiastiques de notre diocèse de réfléchir sérieusement
sur leurs sublimes obligations, sur les circonstances difficiles
que nous traversons, et de faire en sorte que leur conduite soit
en harmonie avec leurs devoirs et toujours conforme aux règles
d’un zèle éclairé et prudent. Ainsi ceux-là même qui sont nos
ennemis chercheront en vain des motifs de reproche et de blâme :
qui ex adverso est, vereatur nihil habens malum dicere de
nobis » (Tt 2, 8).
« Bien que les
difficultés et les périls se multiplient de jour en jour, le
prêtre pieux et fervent ne doit pas pour cela se décourager, il
ne doit pas abandonner ses devoirs, ni même s’arrêter dans
l’accomplissement de la mission spirituelle qu’il a reçue pour
le bien, pour le salut de l’humanité, et pour le maintien de
cette auguste religion dont il est le héraut et le ministre. Car
c’est surtout dans les difficultés, dans les épreuves, que sa
vertu s’affirme et se fortifie : c’est dans les plus grands
malheurs, au milieu des transformations politiques et des
bouleversements sociaux, que l’action bienfaisante et
civilisatrice de son ministère se manifeste avec plus d’éclat.
« ... Pour en venir
à la pratique, nous trouvons un enseignement parfaitement adapté
aux circonstances dans les quatre maximes que le grand apôtre
saint Paul donnait à son disciple Tite. En toutes choses, donnez
le bon exemple par vos œuvres, par votre doctrine, par
l’intégrité de votre vie, par la gravité de votre conduite, en
ne faisant usage que de paroles saintes et irrépréhensibles (In
omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum, in doctrina, in
integritate, in gravitate, verbum sanum, irreprehensibile (Tt
2, 7-8). Nous voudrions que chacun des membres de notre clergé
méditât ces maximes et y conformât sa conduite.
« In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum.
En toutes choses donnez l’exemple des bonnes œuvres,
c’est-à-dire d’une vie exemplaire et active, animée d’un
véritable esprit de charité et guidée par les maximes de la
prudence évangélique ; d’une vie de sacrifice et de travail,
consacrée à faire du bien au prochain, non pas dans des vues
terrestres et pour une récompense périssable, mais dans un but
surnaturel. Donnez l’exemple de ce langage à la fois simple,
noble et élevé, de cette parole saine et irrépréhensible, qui
confond toute opposition humaine, apaise l’antique haine que
nous a vouée le monde, et nous concilie le respect, l’estime
même des ennemis de la religion. Quiconque s’est voué au service
du sanctuaire a été obligé en tout temps de se montrer un vivant
modèle, un exemplaire parfait de toutes les vertus ; mais cette
obligation est beaucoup plus grande lorsque, par suite des
bouleversements sociaux, on marche sur un terrain difficile et
incertain, où l’on peut trouver à chaque pas des embûches et des
prétextes d’attaque...
« ... In
doctrina. En présence des efforts combinés de l’incrédulité
et de l’hérésie pour consommer la ruine de la foi catholique, ce
serait un vrai crime pour le clergé de rester hésitant et
inactif. Au milieu d’un si grand débordement d’erreurs, d’un tel
conflit d’opinions, il ne peut faillir à sa mission qui est de
défendre le dogme attaqué, la morale travestie et la justice si
souvent méconnue. C’est à lui qu’il appartient de s’opposer
comme une barrière à l’erreur envahissante et à l’hérésie qui se
dissimule ; à lui de surveiller les agissements des fauteurs
d’impiété qui s’attaquent à la foi et à l’honneur de cette
contrée catholique ; à lui de démasquer leurs ruses et de
signaler leurs embûches ; à lui de prémunir les simples, de
fortifier les timides, d’ouvrir les yeux aux aveugles. Une
érudition superficielle, une science vulgaire ne suffisent point
pour cela : il faut des études solides, approfondies et
continuelles, en un mot, un ensemble de connaissances
doctrinales capables de lutter avec la subtilité et la
singulière astuce de nos modernes contradicteurs...
« ... In
integritate. Rien ne prouve tant l’importance de ce conseil,
que la triste expérience de ce qui se passe autour de nous. Ne
voyons-nous pas, en effet, que la vie relâchée de certains
ecclésiastiques discrédite et fait mépriser leur ministère et
occasionne des scandales ? Si des hommes doués d’un esprit aussi
brillant que remarquable désertent parfois les rangs de la
sainte milice et se mettent en révolte contre l’Église, cette
mère qui, dans son affectueuse tendresse, les avait préposés au
gouvernement et au salut des âmes, leur défection et leurs
égarements n’ont le plus souvent pour origine que leur
indiscipline ou leurs mauvaises mœurs...
« ... In
gravitate. Par gravité, il faut entendre cette conduite
sérieuse, pleine de jugement et de tact qui doit être propre au
ministre fidèle et prudent que Dieu a choisi pour le
gouvernement de sa famille. Celui-ci, en effet, tout en
remerciant Dieu d’avoir daigné l’élever à cet honneur, doit se
montrer fidèle à toutes ses obligations, en même temps que
mesuré et prudent dans tous ses actes ; il ne doit point se
laisser dominer par de viles passions, ni emporter en paroles
violentes et excessives ; il doit compatir avec bonté aux
malheurs et aux faiblesses d’autrui, faire à chacun tout le bien
qu’il peut, d’une manière désintéressée, sans ostentation, en
maintenant toujours intact l’honneur de son caractère et de sa
sublime dignité ».
Nous revenons
maintenant à vous, Nos chers fils du clergé français, et Nous
avons la ferme confiance que Nos prescriptions et Nos conseils,
uniquement inspirés par Notre affection paternelle, seront
compris et reçus par vous, selon le sens et la portée que Nous
avons voulu leur donner en vous adressant ces Lettres.
Nous attendons
beaucoup de vous, parce que Dieu vous a richement pourvus de
tous les dons et de toutes les qualités nécessaires pour opérer
de grandes et saintes choses à l’avantage de l’Église et de la
société. Nous voudrions que pas un seul d’entre vous ne se
laissât entamer par ces imperfections qui diminuent la splendeur
du caractère sacerdotal et nuisent à son efficacité.
Les temps actuels
sont tristes, l’avenir est encore plus sombre et plus menaçant ;
il semble annoncer l’approche d’une crise redoutable de
bouleversements sociaux. Il faut donc, comme Nous l’avons dit en
diverses circonstances, que nous mettions en honneur les
principes salutaires de la religion, ainsi que ceux de la
justice, de la charité, du respect et du devoir. C’est à nous
d’en pénétrer profondément les âmes, particulièrement celles qui
sont captives de l’incrédulité ou agitées par de funestes
passions, de faire régner la grâce et la paix de notre divin
Rédempteur, qui est la lumière, la résurrection, la vie, et de
réunir en lui tous les hommes, malgré les inévitables
distinctions sociales qui les séparent.
Oui, plus que
jamais, les jours où nous sommes réclament le concours et le
dévouement de prêtres exemplaires, pleins de foi, de discrétion,
de zèle, qui, s’inspirant de la douceur et de l’énergie de
Jésus-Christ, dont ils sont les véritables ambassadeurs, pro
Christo legatione fungimur (2 Co 5, 20), annoncent
avec une courageuse et indéfectible patience les vérités
éternelles, lesquelles sont pour les âmes les semences fécondes
des vertus.
Leur ministère sera
laborieux, souvent même pénible, spécialement dans les pays où
les populations, absorbées par les intérêts terrestres, vivent
dans l’oubli de Dieu et de sa sainte religion. Mais l’action
éclairée, charitable, infatigable du prêtre, fortifiée par la
grâce divine, opérera, comme elle l’a fait en tous les temps,
d’incroyables prodiges de résurrection.
Nous saluons de
tous nos vœux et avec une joie ineffable cette consolante
perspective, tandis que, dans toute l’affection de Notre cœur,
Nous accordons à vous, vénérables Frères, au clergé et à tous
les catholiques de France, la bénédiction apostolique.
Donné à Rome,
près Saint-Pierre, le 8 septembre de l’année 1899, de Notre
Pontificat la vingt-deuxième.
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