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L'homme dans la création
C'était un matin
brumeux, propice à la méditation... Durant quelques secondes, je me
suis vu transporté dans l’infini de l’univers, comme un astronaute
bénéficiant d’une machine capable de voyager à travers tout
l’univers, et pas seulement dans notre petit système solaire. Grâce
à cette machine, je circulais dans les mondes stellaires et je
pouvais contempler toute la merveille des univers. Les ténèbres
interstellaires s’émaillaient des lucioles qu’étaient devenues les
galaxies. Je circulais, et je me disais que toute cette mécanique
était vraiment bien réglée. Je me souvenais aussi que Dieu, dès
qu'Il eut terminé sa création, en avait confié le fonctionnement à
ses anges, si intelligents et si rapides dans leurs déplacements:
c’est sûr, avec eux, tout marcherait très bien...
Moi, dans ma nacelle,
j’étais tout autre chose: je vivais dans une chair. Il y avait
quelque chose d’étrange qui faisait que j’étais très différent de
tout ce que je pouvais contempler. Oui, j’étais faiblesse infinie,
très vulnérable au milieu de ces univers bien réglés, mais aveugles.
Certes, les anges faisaient bien leur travail, mais on ne sait
jamais... il peut toujours y avoir des ratés ou des négligences:
d’ailleurs, on l'avait bien vu avec Lucifer, et il fallait se
méfier.
J’étais faiblesse
infinie dans ces univers que je traversais, que je contemplais, mais
il y avait la vie en moi. Il y avait bien de la matière en moi, mais
je n’étais pas que matière, il y avait autre chose d’infiniment plus
complexe, il y avait la vie... Et la vie, quel mystère! Quelle force
invisible, insensible et cependant présente, me permettait de me
libérer des forces matérielles, de n’être pas soumis à ces seules
forces mais à une autre force qui me donnait vie, intelligence et
sensibilité, qui me permettait de contempler et d’aimer?
Cette force vitale
m’étonnait beaucoup, mais elle m’étonna encore plus quand je pensai
à sa présence dans ce qu’il y a de plus petit dans l’être vivant:
l’embryon. Une cellule, infiniment petite et unique, peut se
développer seule, sans même s’en apercevoir, et devenir un être
complet, et même un homme adulte. Quelle est donc cette force
mystérieuse, inconnue, qui donne vie, et vie capable d’intelligence
et d’amour? Soudain je me sentis perdu au milieu de tous ces
univers, et je me découvris tout autre. Quel mystère, et quel
vertige!
Mais ce n’est pas tout.
Je me mis à chercher la terre. Impossible de la trouver: bien trop
petite, insignifiante, un simple microbe, et encore! perdu lui
aussi, au milieu de la farandole bien orchestrée des galaxies et des
mondes cosmiques. Je cherchais la terre: elle devait bien exister
puisque c’est sur elle que j’avais été conçu, que j’avais grandi,
que je m’étais développé... Et même, sur cette terre, je m’y
trouvais souvent très bien. C’est qu’elle est bien jolie, la terre
des hommes: jolie et accueillante... et confortable. Comme si elle
avait été spécialement préparée pour m’accueillir avec tellement
d’amour. Dans les univers cosmique, je ne découvrais rien de
semblable...
Ô Seigneur! Quelle
merveille étonnante qu’un homme sur la terre! On n’y pense pas
assez. Je me mis “dans la peau” du Créateur. C’est bien prétentieux
et bien inadapté ce que j’écris là, mais comment contempler notre
Créateur et sa sollicitude autrement qu’avec nos moyens humains? Les
hommes ne sont ni des dieux, ni des anges, ni des esprits, mais des
êtres contingents, complexes, hybrides, composés d’esprit et de
matière, de matière et de vie...
Oui, je me mis “dans la
peau“ de mon Créateur et je contemplai la terre. Et j’imaginai Dieu
façonnant la terre, semant d’innombrables plantes, toutes utiles,
même si plus tard, bien plus tard, le péché de l’ennemi et des
hommes sèmera de l'ivraie, plantera des orties ou fera naître des
épines. J’imaginai l’Amour préparant des terrains fertiles, des
sources généreuses, des brises salutaires, des rosées bénéfiques.
J’imaginai Dieu créant les animaux dont l’hommes aura besoin...
Oui, Dieu aimait la
terre, et s’attardait à la perfectionner, jusqu’au jour où l’Homme
fut créé. C’était une merveille, faite à l’image de Dieu. Dieu
aimait déjà toute sa création, mais là, devant l’Homme, Dieu fondit
d’amour...
Et Dieu mit au cœur des
hommes un peu de l’Amour qui est sa nature. Et Dieu, sachant tout ce
qui devait arriver dans le temps de la terre, le temps qui serait
celui des hommes, Dieu prépara le festin merveilleux qui donnerait
aux hommes une étincelle de sa vie éternelle. Doucement, tendrement,
dans son Cœur trinitaire, Dieu unique préparait l’Action de Grâce
éternelle de son Cœur de Dieu, de son Cœur de Père, de son Cœur Fils
et d’Esprit, Dieu préparait la Sainte Eucharistie, la nourriture
céleste des hommes terrestres. Jésus nous donna sa Sainte
Eucharistie et s'en alla vers Gethsémani...
Sans que je m'en
aperçoive, mon voyage dans l'espace m'avait conduit à Gethsémani, là
où s'est produit certainement le plus grands de tous les évènements
cosmiques que l'univers ait jamais connu: la mort de son Créateur...
J'étais toujours dans
ma nacelle spatiale, et je contemplais, effaré, Jésus dans son
Agonie. Je ne pus retenir un cri:
– Ô Jésus, que s’est-il
passé en Toi pour que là, à Gethsémani Tu aies crié: “Non Père,
pas ça!” Puis Te reprenant vite, que Tu aies ajouté:
“Cependant si ce Calice ne peut passer loin de Moi, que ta volonté
soit faite!” Et puis, pourquoi, bientôt, l’abandon du Père,
lorsque, sur ta Croix, Tu constateras que “Tout était accompli!”
et que Tu remettras l'Esprit entre ses mains. Pourquoi le Père
T’abandonna-t-il alors?
Je me posais ces
questions apparemment en contradiction avec les étonnantes
merveilles que je venais de contempler. Et soudain je compris:
c'était une décision trinitaire de sauver tous les hommes par
l’incarnation du Verbe de Dieu, puis demeurer avec eux par sa
présence dans son Eucharistie, sous l’apparence du pain et de vin.
Mais pour cela, Il devait mourir sur une Croix, comme abandonné du
Père....
Je poursuivis ma
contemplation de Jésus à Gethsémani, contemplation qui me
déconcertait car elle avait pris place en moi, bousculant la logique
de mon rêve spatial. Jésus, Tu nous as vus tous, durant ton Agonie
dans le Jardin des Oliviers, et il n’y avait pas de consolation pour
Toi, car alors, le Père se taisait, le Père semblait T’abandonner et
ne pas entendre ta soif des âmes. Pourtant, Jésus, Tu faisais la
volonté du Père, la volonté trinitaire tout entière, sans omettre un
iota! Tu accomplissais toutes les Écritures, tellement que Tu pus
dire, à bout de souffle: “Tout est accompli!”
Tout était accompli, Tu
pouvais remettre ton âme entre les mains du Père, et rendre
l’Esprit. Oui, Tu le pouvais et Tu savais que le Père allait
T’accueillir, que tes enfants étaient sauvés, par ton sang, par ta
mort, par ton holocauste. Tu étais toujours Dieu! Tu es toujours le
Tout-Puissant, Tu es toujours l’Amour! Et pourtant, Jésus, Tu es là,
à Gethsémani, et Tu pleures, et Tu cries vers le Père! Et les hommes
continuent à blasphémer... Et Tu restes, Jésus, à crier vers le
Père, le Père qui T’abandonne...
Que voulais-Tu nous
enseigner, Seigneur, par ton apparente impuissance, par ta
souffrance et par ta Croix? Que voulais-Tu nous dire, Jésus par ton
humilité, par ta douceur, et par ta soumission au Père? Dis-nous ce
que signifient ces expressions: "Faire la volonté de Dieu" et
"Laisser faire Dieu"?
Laisser faire Dieu,
c'est laisser les évènements venir en leur temps et comme Il le
veut. C'est vivre abandonné entre ses mains, mais toujours attentifs
aux besoins de l’autre... Car laisser faire Dieu, ce n’est pas se
désintéresser de ce qui arrive ou arrivera, et encore moins de son
prochain, mais c’est vivre unis à Dieu, à sa volonté, à ses désirs,
en pleine conformité avec l’Amour.
C'est alors que nous
pouvons "voir" Dieu. Nous "voyons" Jésus montrant son Sacré-Cœur,
puis ouvrant largement ses bras comme pour accueillir ses enfants
destinés à devenir son Corps. Jésus regarde le Père, le Père qui Le
regarde et qui L’aime, car, en Lui qui rassemble tous les mondes
créés, tous les mondes vivants, le Père se reconnaît, le Père
contemple sa Pensée créatrice et féconde. Le Père aime Jésus et Lui
dit: “Je T’aime, mon Fils en qui j’ai mis tout mon Amour!” Le Père
“sourit” à Jésus. Jésus “sourit” à son Père. Leurs sourires d’Amour,
leurs sourires d’éternité se rencontrent et se mêlent, et de leur
embrassement éternel et puissant jaillit l’Esprit d’Amour. Pourtant,
Jésus, à Gethsémani Tu cries vers le Père qui semble T'abandonner...
Le problème est
immense, infini, à la taille de Dieu; et nous, nous sommes infimes,
d’une taille infiniment petite. Jésus était bien un homme, un homme
à notre taille. Oui, mais Jésus avait deux natures: une nature
humaine et une nature divine, tellement et si étroitement associées
entre elles dans un corps humain qu’il n’y avait qu’un homme
complet...
Dans l’Éternité de Dieu
et dans son Être, il y a trois Personnes qui s’aiment tellement
qu’elles ne sont qu’UN. Trois personnes séparées, mais unies de
telle sorte qu’elles sont Dieu-Seul, Dieu-UN. L’Amour de Dieu
Créateur a été bafoué, mais Dieu veut conserver son œuvre
magistrale: l’homme que l’orgueilleux a sali. Les trois Personnes
décident, ensemble, en plein accord: l’Une d’entre elles
s’incarnera. C’est le Fils, le Verbe, Parole Créatrice du Père qui
accomplira cette tâche, en bénéficiant de toute la faveur du Père et
de l’Esprit.
Et le Verbe s’incarna.
Le Verbe se façonna un corps parfait dont Il pénétra la chair pour
l’animer des pensées divines et les manifester dans le langage des
hommes, qui, ainsi, pourraient, tous, comprendre les désirs de Dieu.
En s’incarnant, le Verbe se mettait à la portée des hommes...
Oui, le Verbe est Dieu,
Dieu-Unique. Dieu est infini, donc partout. Donc le Verbe, malgré
son incarnation dans le corps de Jésus, l’homme qu’Il imprégnait, le
Verbe demeurait forcément au sein de la Sainte Trinité... Le Verbe
agissait à travers l’homme Jésus tout en restant dans la Trinité.
Et jusqu’à l’Eucharistie, tout se passa bien. Jésus devait retourner
au Père, mais, Dieu incarné, Il avait expérimenté dans sa Chair les
contingences et les faiblesses de l’homme, et Il ne voulait pas
l’abandonner, le laisser orphelin. C'est alors que le Verbe de Dieu
se mit tout entier dans du pain et du vin, et multiplia ces espèces
à l’infini: ainsi l’Amour de Dieu resterait avec les hommes qui
aimeraient Dieu.
De tout ceci, la
Trinité était parfaitement d’accord, puisque c’était en son sein que
les décisions avaient été prises. Alors pourquoi, brusquement,
Jésus, qui est l’incarnation du Verbe, qui est Celui à travers qui
le Verbe de Dieu, donc la Trinité, s’exprime pour les hommes,
pourquoi, brusquement, Jésus, Corps parfait que le Verbe s’était
façonné, pourquoi Jésus a-t-Il semblé hésiter devant la volonté du
Père qui était aussi sa propre volonté à Lui? Et pourquoi le Père
a-t-Il abandonné Jésus sur la Croix, s’abandonnant en quelque sorte
Lui-même?
Ces choses sont
inouïes! J'essayai pourtant d’imaginer la création blottie dans la
grande Main de Dieu. La création entière est toute petite, blottie
au fond de la Main de Dieu, de la Très Sainte Trinité qu’elle ne
verra jamais. Alors que dire du microbe qu’est la terre, et des
micro-micro-microbes que sont les hommes sur la terre? Pourtant,
chose inexplicable pour nous, Dieu voit les hommes qu’Il aime, et Il
voit chacun d’entre eux... Et Dieu voit les détresses des hommes;
mais comment les atteindre? Et moi, dans ma nacelle spatiale je
poursuivais mon incroyable contemplation.
Pour sauver les hommes,
Dieu avait décidé d'aller vers eux: le Verbe se ferait un homme
parmi les hommes. Comment faire? Dieu infiniment grand ne pouvait
pas entrer dans un homme infiniment petit. Alors la Trinité fit
jaillir de son Cœur un fin rayon de son Amour, un fin rayon de son
Verbe qui pouvait ainsi toucher la terre, après avoir traversé une
grande partie de l'espace. Ce “fil” d’amour “transportait” l’Amour
du Verbe, la deuxième nature du Christ.
Le Verbe s’incarna, se
fit chair; le Verbe, pour délivrer les hommes de leurs péchés, prit
sur Lui tous leurs péchés. Agneau de Dieu, Il pouvait prendre le
Chemin de la Croix, ce Chemin qui avait été prévu et décidé dans le
sein de la Trinité, en un accord parfait. Jésus, Verbe de Dieu était
donc en plein accord avec le Père dont il avait toute la faveur, le
Père qui ne pouvait pas l’abandonner car le “fil”, qui reliait Dieu
à la terre et aux hommes, était Dieu Lui-même et indestructible. De
plus, le Père et le Fils sont UN dans l’amour qu’est l’esprit...
Il me sembla
appréhender un peu ce mystère insensé de l’abandon du Fils par le
Père. Jésus s’était fait péché pour délivrer les hommes de leurs
péchés, Jésus avait pris sur Lui tous les péchés des hommes. Mais
voici que soudain le péché du monde faisait écran entre le Père et
le Corps de Jésus, Jésus-Fils et Verbe de Dieu, mais aussi homme.
Voici que le péché qui allait mourir avec Jésus sur la Croix
assombrissait même le “fil” divin qui reliait le Verbe incarné à la
Trinité Sainte. L’espace d’un instant, Jésus-homme se crut
abandonné. Mais ce ne fut qu’une éclipse...
J'étais toujours dans
ma nacelle qui, ayant comme quitté le mouvement des espaces
célestes, stationnait maintenant au-dessus du Jardin des Oliviers où
Jésus était en Agonie. Et je voulais comprendre.
Lorsqu’un homme est
dans une grande angoisse intérieure à cause d’une décision qu’il
doit prendre rapidement, décision grave qui engagera non seulement
toute sa vie, mais également celle des autres, il ne peut s’empêcher
d’envisager tous les cas de figure qui ne manqueront pas de se
produire après son choix définitif. Les conséquences les meilleures
lui apparaissent avec netteté et le consolent; mais il y a aussi
tout ce qui peut se produire d’imprévu, de mauvais, d’inévitable. Si
l’homme qui doit prendre une telle décision mettant en cause tout
l’avenir du genre humain, et si cet homme est l'Homme, le Verbe
incarné, Dieu et homme à la fois, l’angoisse qui est sienne peut
prendre des proportions de taille cosmique, et même davantage, et
peser d’un poids tel qu’aucun corps humain ne pourra jamais
l'assumer.
Jésus est cet Homme, et
Il tremble. Le “fil” d’Amour qui Le relie au Père est comme
“encombré” des multiples images que le Fils ne peut ignorer, et que
le Mauvais déforme et caricature. L’espace d’un instant, la partie
humaine de Jésus paraît défaillir, mais l’Amour l’emporte. Le “Fil”
que la Trinité a envoyé pour toucher la terre et permettre au Verbe
de s’incarner, ce “Fil” a été agité d’un léger frémissement, mais
d’un frémissement d’amour. L’espace d’une seconde humaine,
délaissant sa nature humaine, Jésus a laissé sa partie divine
retrouver le Père... Jésus a rejoint le Cœur de la Trinité, son
“chez Lui”, mais son corps fléchit ne pouvant supporter l'infinité
de sa douleur. Mais le Verbe revient dans le corps de Jésus qui
retrouve ses forces humaines, toutes ses forces. Jésus peut se lever
et partir vers son Chemin de Croix, car c’est l’Heure désirée pour
laquelle Il est venu...
Un brusque rayon de
soleil est venu interrompre mon rêve.
Tout est tellement
inouï quand nous méditons sur la grandeur de Dieu et notre infinie
petitesse... Tout est tellement inouï quand nous pensons à la
réalité de notre intelligence qui peut contenir l’immensité des
univers, quand nous contemplons l’Infini de l'Amour de Dieu, de
l’Amour qu’Il nous donne, de l’amour que nous pouvons aussi Lui
rendre. Nous demeurons confondus.
Quand nous regardons
des films d’astronomie, nous prenons conscience de ce que,
peut-être, nous sommes, ou ne sommes pas. Et par moments, nous nous
disons que, peut-être, le péché originel, c’est nous qui sommes en
train de le commettre... “Tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de
la connaissance!” Et nous sommes en train de le manger... et croyant
devenir “comme des dieux”, nous nous perdons dans un vertige
démesuré. “Tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de vie!” Et nous
le mangeons, et peut-être allons-nous en mourir... Ô mon Dieu! Aie
pitié de nous!...
Les hypothèses
concernant la création de l'univers, concernant le bigbang évoluent
encore: c’est normal, parce que ce que nous voyons aujourd'hui avec
nos instruments les plus puissants s’est passé il y a plusieurs
millions d’années-lumière; il est bien évident que l’on ne pouvons
pas vraiment saisir la vérité... Mais ce que nous pouvons en
appréhender est vraiment terrifiant. En effet, que sommes-nous, nous
les hommes, qui avons osé faire entrer dans notre intelligence
l’infinité de la Création? Le vertige est inévitable... et quel
vertige!!!
Oui, que sommes-nous?
Inévitablement voués à la mort? Alors, à quoi bon la vie... Et notre
intelligence? Au fond, qu’est-ce que c’est? Penser, découvrir des
merveilles, réaliser des œuvres, se donner de la peine puis
disparaître... En un mot, avoir servir à quoi? Il nous semble que
notre être se vide, se vide au sens propre: c’est étrange et atroce,
car c’est comme le chemin du désespoir... Mieux vaut ne pas savoir,
mieux vaut ne pas penser. Mais nous savons, et nous pensons... Ô
Seigneur!...
Il y a un autre
vertige, celui de l’infiniment grand de l’infiniment petit. Par
rapport à l’immensité des univers, nous ne sommes rien, rien que des
micro-microbes d’atome... Mais par rapport à l’infiniment grand de
l’infiniment petit, chacun de nous est quelque chose, mais quoi?
Rien, et pourtant quelque chose capable de construire autre chose si
nous consentons à rester à notre taille, à notre échelle.
La vérité des cris de
ceux qui ont écrit les psaumes, de ceux à qui Dieu a fait saisir un
peu de sa Vérité prend alors tout son sens. C’est le même vertige,
un peu atténué cependant, car ils connaissaient un peu moins que
nous... Ils comprenaient aussi que Dieu était amour.
Regardons de nouveau la
grande Main de Dieu qui contient tout l’univers. Le Père regarde son
Œuvre, les merveilles qui sont dans sa main: elles sont bonnes. Dieu
contemple les infiniment grands qui tiennent dans le creux de sa
Main: ils sont tout petits dans leur immensité. L'Œuvre est belle,
et Dieu l’aime... Il contemple aussi les infiniment grands de
l’infiniment petit, car Dieu les voit ces infiniment petits, et Il
les aime aussi... Nous pouvons imaginer l’infiniment grand de
l'univers que le Seigneur a créé: cela nous donne le vertige, mais
nous pouvons imaginer. Par contre, notre esprit est totalement
aveugle devant l’infiniment petit, et notre imagination morte. Nous
savons que cela existe, mais nous ne savons pas vraiment ce que
c’est... Et nous avons peur soudain...
Heureusement, voici qui
est plus rassurant. Dieu a aussi créé les hommes et Il les a placés
comme à la charnière des deux infiniment grands de sa Création,
l’infiniment grand de l’infiniment grand, et l’infiniment grand de
l’infiniment petit. L’Homme est en équilibre entre ces deux infinis.
Pour qu’il puisse rester en équilibre, Dieu lui as donné des règles
à respecter, des règles obligatoires, car Dieu aime l’Homme, et Il
ne veut pas qu’il se perde. Et la plus grande Règle qu'Il lui ait
donnée, c’est aussi la règle du bonheur: “Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu... Tu aimeras ton prochain... Heureux les amoureux de Dieu...
Heureux les miséricordieux... ” La Règle de Dieu, c’est la Loi de
l’Amour...
Nous adorons en silence
mais une question surgit, une unique question qui contient tout. Qui
était Jésus? Comment son Être à la fois humain et divin pouvait-Il
vivre au milieu de nous? Sa nourriture, c’était de faire la volonté
du Père. Mais comment pouvait-Il faire?...
Le matin, quand Jésus
vivait chez nous avec ses apôtres, Il se levait très tôt, Il
s’éloignait un peu, et dans le calme de la nature, sa nature, Il
rencontrait le Père. Pendant quelques brefs instants, Père et Jésus
se retrouvaient UN dans l’Esprit! À ces heures matinales, quand
Jésus rencontrait le Père et que, Verbe de Dieu, Il “retrouvait” sa
divinité, Il devait Se transfigurer. Sa divinité devait
transparaître à travers le manteau de sa nature humaine, et Il
devait être si beau. Mais personne n’a pu Le voir... Sauf, un jour,
mais l’Heure était grave, quand Il Se transfigura devant trois de
ses disciples qui en furent à jamais émerveillés...
Ces choses sont
beaucoup trop grandes pour nous, car elles sont autres: elles ne
sont ni de l’univers infiniment grand, ni des univers infiniment
petits, elles ne sont pas humaines, elles ne sont pas de la
Création, elles sont de Dieu, et elles sont indicibles... Nous
devrions être épouvantés, mais en contemplant Jésus quand Il
rencontrait le Père, nous L’aimons, car Il est l’Amour... Et Il met
de l’Amour dans nos cœurs.
Nous connaissons le
monde visible, audible, sensible, le monde qui nous entoure, dans
lequel nous sommes plongés. Ce monde, nous ne le connaissons que par
nos sens, nos cinq sens adaptés pour en capter les informations et
les envoyer à notre cerveau. Les infirmes à qui un ou plusieurs de
ces sens manquent, ne connaîtront jamais le monde extérieur dans sa
réalité, du moins sa réalité telle qu’il nous est donné de la
saisir. Si, par miracle, un sens supplémentaire nous était donné,
peut-être découvririons-nous un autre aspect de ce monde que nous
croyons bien connaître, mais dont nous ne connaissons peut-être
qu’une infime partie... Étonnante pensée!
Imaginons que nous
sommes à la charnière de deux mondes: le monde extérieur, connu par
nos sens, et l’Autre monde, celui qui ne nous est ni extérieur, ni
intérieur, dont nous ignorons tout, car nous n’avons pas de sens
adapté pour en capter les manifestations. Pourtant, cet Autre monde
doit bien exister. Cet autre monde n'est pas notre monde intérieur,
propre à chacun de nous, ce monde assez mystérieux qui “contient”
notre subconscient, notre inconscient, en un mot tout ce qui est
nous, qui constitue ce que nous appelons notre psychologie, et que
nous maîtrisons encore très mal. L'autre monde que nous essayons de
percevoir est un monde qui nous entoure aussi, qui nous enveloppe,
mais que nous ne discernons pas, que nous ne voyons pas, que nous ne
sentons pas. Pourtant, il existe ce monde!... Le château de l’âme de
Sainte Thérèse et ses sept demeures nous montrent bien qu’il existe,
mais très peu de personnes ont pu le connaître de leur vivant sur
terre. Alors? Comment faire pour y pénétrer?
Nous, les hommes,
sommes comme situés à la charnière de ces deux mondes. Dieu est en
dehors de nous, et cependant Il est au plus profond de chacun de
nous et Il nous donne la vie. Dieu est en moi, dans mon monde
intérieur qui est encore moi, et Dieu est en dehors de moi, dans
l’Autre monde dans lequel je ne peux pénétrer. Parfois, nous pouvons
"sentir" la présence intime de Jésus, mais c’est très fugitif. Nous
n'avons pas, non plus, de sens ni de capteur pour détecter notre
propre monde intérieur, pour y découvrir Dieu, plus intime à
nous-même que nous. Comment, dans ces conditions, parler de cet
Autre monde qui doit être aussi vaste et aussi merveilleux, plus,
peut-être, que les mondes extérieur et intérieur à l’homme?
Vivons une nouvelle
parabole! Nous voici sur un bateau. Nous sommes sur le pont. Nous
découvrons la mer immense et les côtes qui se dessinent au loin. Le
navire avance vite, grâce à ses hélices, cachées à nos yeux, mais
vraiment efficaces. Nous quittons le pont et nous descendons vers
les cabines. Des coursives nous font découvrir l’intérieur du
navire. Nous ne craignons rien car des hublots nous maintiennent
constamment en contact avec le monde extérieur, avec les vagues et
les oiseaux qui volent autour du navire.
Descendons encore un
peu: voici la salle des machines. Tout fonctionne à merveille car le
mécanicien surveille de très près la mécanique bien huilée qui fait
sa vie. C’est ce monde qui actionne les hélices et donne la vie au
bateau. Mais nous sommes encore dans le monde propre à l’homme...
Maintenant essayons de descendre dans la cale. On nous laisse aller,
nous tâtonnons car il y a peu d’éclairage, mais nous nous sentons
encore en sécurité. Soudain nous pensons: “Mais, à côté de moi,
juste derriere la coque du navire, il y a l'eau, il y a un autre
monde, un monde que je ne peux pas voir et qui pourtant existe...”
Nous sommes perplexes.
Le capitaine du navire
nous fait signe d’approcher. Nous entrons dans une pièce très
particulière dont les cloisons avant sont recouvertes d’un store
épais. Le capitaine ouvre le store et nous voyons "l’intérieur" de
la mer. La lumière est verdâtre, assez foncée, mais nous devinons
une vie derrière la coque transparente. Pour surveiller la mer, le
constructeur a réservé la partie avant et a remplacé le métal opaque
par du verre. Nos yeux s’habituent: nous sommes émerveillés... Nous
sommes dans un autre monde, un monde que nous ne connaissons pas,
mais qui se découvre peu à peu grâce aux projecteurs. Hélas! Nous
voyons peu de choses car la vision possible est limitée aux
faisceaux de lumière. Tout le reste est ténèbre.
Fermons les yeux. Nous
ne voyons plus le monde extérieur, mais nous l’entendons. Un silence
feutré se fait autour de nous; mais ce silence n'est pas total: il
laisse passer le ronflement des machines, le monde intérieur du
bateau, la vie du bateau.
Maintenant entrons dans
l’Autre monde, le monde de Dieu qui est notre vie, qui est la vie de
chacun de nous, qui est à la fois au plus profond de notre être et
hors de nous. Nos sens ne captent rien, ils ne peuvent pas, ils ne
sont pas adaptés aux merveilles de l’Autre monde, le monde de Dieu.
C’est comme si nous étions dans la salle d’observation d’un navire
dont les stores ne seraient pas ouverts.
Nous nous sentons comme
placés à la charnière de deux mondes. Ces deux mondes que nous
connaissons bien sont aussi merveilleux l’un que l’autre, aussi
vastes, aussi surprenants. Mais ni nos sens extérieurs, ni nos sens
intérieurs, nos sens courants, ne sont adaptés à l’Autre monde, ce
monde que tant de nous voudraient découvrir... car c’est la demeure
de Dieu.
Tous les hommes sont
souvent comme hantés par la grandeur de Dieu, par son humilité sur
la terre, et par la place de l’homme, d’abord dans l’immensité de
l’univers, ensuite dans l’infinitude de Dieu. Parfois nos réflexions
nous plongent dans un abîme de vertige incommensurable, perdus que
nous sommes dans l’infini de Dieu. Heureusement que Dieu s’est
révélé Amour, sinon notre pauvre intelligence, ce presque néant,
aurait tôt fait de nous conduire au désespoir. Une image peut nous
aider à comprendre Dieu et ce vertige qu'Il suscite en nous.
Considérons une immense
sphère, une immensité sans limite, sans dimension, présente partout
dans l'infini présent de Dieu, dans son intelligence totale, dans
son Amour qui est son Être; cette immensité EST. Elle EST, car elle
est Dieu...
Cette immensité est
Amour car Dieu est une famille, une Trinité: un Père qui aime le
Fils, un Fils qui se reçoit du Père qu’Il aime, et dont l’Amour pour
le Père se confond avec l’Amour du Père pour le Fils, ceci dans une
éternité d’Amour qui génère l’Esprit, l’Esprit du Père et du Fils,
Personne à part entière, engendrée mais non créée, Amour du Père et
du Fils, venant éternellement du Père et du Fils et retournant sans
fin, au Père et au Fils.
Or, un jour du présent
de Dieu, cet éternel présent de l’Éternité divine, Dieu créa le
monde des esprits, le monde des anges. Dieu, en créant les esprits,
en ce même instant de son Éternel présent, créait aussi un monde
matériel, émanation étonnante de l’Énergie divine, minuscule
étincelle de l’Énergie fondamentale qui est Dieu. Cette minuscule
étincelle de l'Énergie divine devait devenir l’énergie initiale de
ce qui serait, dans le temps créé simultanément, l’univers matériel
d'une autre créature de Dieu, la terre, destinée à être la demeure
de l’Homme, la dernière créature de Dieu, celle qui devait achever
la Création.
Dieu créa l’homme à son
image de Dieu. Dieu fit de l'Homme une créature complète rassemblant
en elle-même, pour en être le lien, le monde des esprits dans son
âme, le monde de la matière dans son corps, et l’Amour de Dieu pour
en réussir l’unité. Le Père aimait spécialement l'Homme car, nous le
savons, ce sont les hommes qui devaient, qui doivent constituer le
Corps de son Fils.
Les anges, ces esprits
bienheureux, superbement intelligents, étaient destinés à gérer et
protéger l'ensemble de la création. Ils devaient, venant de l’Amour,
répondre librement à l’Amour, et pour cela accepter l’humilité de
Dieu, et adorer Dieu dans une Personne humaine, de la race des
hommes, donc apparemment très inférieure à la race des anges, mais
Dieu Lui-même incarné.
Nous ne pouvons
maintenant nous empêcher de penser à la structure réelle de la
matière, à la circulation invisible des électrons et de tant
d'autres particules qui permettent la réalisation de ces matériaux
si utiles... "Regardons" l’intérieur de la matière dont la réalité
nous est cachée; “voyons” les mondes microscopiques, ces univers
infinitésimaux structurés, maintenus en place et consolidés par des
forces énormes, invisibles elles aussi. Le moindre des électrons -il
en est d’ailleurs de même pour les autres composants des atomes-
obéit à des forces interactives dont nous ignorons à peu près tout.
Nous voyons les effets de ces forces, mais ce qu’elles sont en
elles-mêmes, mystère! Sans compter toutes les autres forces
réparties dans l’univers, et dont nous ignorons tout, et jusqu’à
leur existence, si elles existent...
On lit parfois des
remarques curieuses concernant la Création. Certains parlent du
chaos primitif qui aurait existé avant la Création du monde. Dieu
serait seulement intervenu pour mettre de l’ordre dans ce chaos, et
créer les mondes... Mais alors, si le chaos existait avant la
création, qui avait créé le chaos? Si Dieu n’avait pas créé le chaos
mais s’en était juste servi, d’où venait ce chaos, et qui l’avait
fait? Car “rien” ne peut pas créer quelque chose. Donc, seul Dieu,
éternel, pouvait avoir créé le chaos dont il se servit plus tard,
mais quand, puisque le temps n’existait pas?
En Dieu, dans la pensée
de Dieu, il y a les milliards d’anges et les milliards de galaxies
du cosmos matériel comprenant chacune des milliards de mondes. Dans
un de ces mondes, perdue dans le Cosmos, voici la Terre, le Jardin
de Dieu. Sur cette Terre, des milliards d’hommes. Parmi ces
milliards d’hommes, il y a chacun de nous, et il y a moi!...
Que sommes-nous? Et que
suis-je dans cette immensité, grain d’énergie, donc matière, associé
à une âme choisie parmi des milliards d’âmes, toutes créées à
l’image de Dieu pour devenir un jour un élément, une pierre vivante
irremplaçable de ce qui deviendra le Corps Mystique du Christ, le
"Corps" de la deuxième Personne de la Trinité... Il faut avouer que
nous tremblons devant ce mystère insondable du dessein de Dieu sur
sa Création.
Nous sommes encore plus
stupéfiés quand nous pensons que Dieu aime l’Homme, qu’Il nous aime,
chacun individuellement, et qu'Il veut que nous L’aimions,
librement; car nous sommes créés uniquement pour l’Amour, nous qui
sommes si petits, si petits... Nous sommes créés par Dieu et pour
Lui, l’Amour, nous qui ne savons même pas répondre à l’Amour, et qui
osons nous croire quelque chose alors que nous devrions être
anéantis d’humilité.
C'est surtout par le
Christ que l'amour de Dieu se manifeste sensiblement pour nous, car
Jésus nous a dit clairement au moment de mourir sur la Croix combien
Il avait soif de nous. “J’ai soif!...”
Ce cri de Jésus sur la
Croix est d'abord et incontestablement le cri de souffrance d’un
être torturé, tremblant de fièvre et dévoré de soif. Cela c’est
certain. Mais les saints mystiques qui, comme Padre Pio ou Marthe
Robin, ont "vécu" ou "assisté" à la Passion de Jésus ont vu beaucoup
d’autres choses dans ce cri. Jésus a soif de nous, de notre amour,
de notre bonheur. Il a soif de tous les hommes, de tous les pécheurs
qu’Il est venu sauver, qu’Il a rachetés par son sang versé pour nous
à cause de nos péchés. Jésus a soif de nous parce qu'Il nous aime.
Dieu aime les hommes, tous les hommes...
Dans la première lettre
de Saint Jean, chapitres 4 et 5, nous lisons :
“Bien-aimés,
aimons-nous les uns les autres, parce que l’amour vient de Dieu, et
quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. (1-Jean 4, 7)
Donc l’amour vient d’abord de Dieu. Et aussi, au verset 10: “En
ceci consiste l’amour: non pas que nous ayons aimé Dieu, mais que
Lui nous a aimés et a envoyé son Fils expier nos péchés.” Ou
encore: “Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous,
et nous y avons cru. Dieu est amour, et celui qui demeure dans
l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.” (1-Jean 4, 10
et 16)
Et voici l’essentiel:
“Mais nous, nous aimons parce que lui, le premier, nous a aimés.
Si quelqu’un dit: ‘J’aime Dieu’ et qu’il haïsse son frère, il est un
menteur. Car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, est
incapable d’aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et nous avons ce
commandement: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère.”
(1-Jean 4, 19 à 21) Cependant on ne doit pas exclure Dieu.
D’ailleurs la suite, que curieusement on ne cite que très rarement,
est très explicite: “À ceci nous reconnaissons que nous aimons
les enfants de Dieu: quand nous aimons Dieu et que nous pratiquons
ses commandements.”
Regardons encore la
Grande Main de Dieu... Tout au fond, au creux de cette Main, il y a
une minuscule terre, et des micro-minuscules êtres humains, et
quelques micro-micro-minuscules âmes que le Seigneur a mises dans
son Cœur. Dans la Main de Dieu, nous sommes aussi dans son Cœur...
Comment cela peut-il se faire?
Fermons les yeux
pendant un instant... Du Cœur de Dieu, donc du Cœur de Jésus,
puisque Dieu est UN et Unique, du Cœur de Jésus partent les
innombrables rayons de son amour... Ces rayons, touchant la terre,
s’effritent en une multitude d’hosties consacrées: l’Eucharistie.
Quand nous communions, une de ces hosties nous touche, nous
atteint... Nous mangeons cette hostie, et c'est un peu comme si le
rayon d’où elle provient nous aspirait: nous sommes à la fois sur la
terre, et dans le Cœur de Dieu. Nous sommes dans notre nature
humaine et terrestre tout en étant hors de la terre car Dieu nous
aime, et nous aussi nous L'aimons. Quelle merveille!
Dieu n’est qu’amour, et
c’est justement pourquoi nous devons Le craindre, car nous sommes
entièrement dépendants de Lui; sans Dieu nous ne sommes rien, nous
n’existons pas. Dieu peut faire de nous ce qu’Il veut, et nous, nous
n’avons rien à dire; d’ailleurs nous sommes si peu de chose que la
création ne s’apercevrait de rien si nous disparaissions. Dieu est
tellement immense, tellement infini, que nous sommes bien obligés de
Le craindre. Mais Dieu est Amour; mais Dieu nous aime et Il ne veut
pas, Il ne peut pas renier son œuvre, Il ne peut pas ôter ce qui est
dans sa pensée car sa mémoire est éternelle comme Lui.
Dieu ne peut pas nous
détruire, car Il nous aime et Il veut que nous L’aimions, et cela
est magnifique, et cela est notre joie. Pourtant nous craignons.
Oui, nous craignons de faire mal à Dieu, de Lui faire de la peine,
nous craignons de Le blesser. Car quand on pêche, c’est Dieu que
l’on blesse. Ces choses étonnantes, Jésus les a souvent dites à ses
saints. Pourtant, Il est ressuscité, Il est Dieu, Il est hors du
temps, et nous ne pouvons pas Lui faire mal, nous ne pouvons pas Le
blesser... Alors?
Jésus nous as fait
comprendre que son Corps mystique, c’est Lui. Son Corps mystique,
vivant, sensible, constitué des millions de cellules que nous sommes
tous, son Corps mystique sent, vit, vibre, et souffre beaucoup quand
on le blesse. En blessant son Corps, c'est-à-dire les hommes, c’est
Jésus que nous blessons. Et blesser Jésus, cela, nous ne le voulons
à aucun prix: c’est pourquoi nous craignons tant de Lui faire mal.
Nous craignons parce que nous sommes si faibles, si fragiles qu’à
chaque instant nous pouvons laisser échapper la faute, le manque,
l’erreur qui blesse. Et cela nous ne le voulons pas... et pourtant!
C’est pour cela que nous craignons, nous craignons Dieu,
c’est-à-dire que nous craignons de blesser l’Amour.
Illusions que ces
propos stupides? Alors tous les saints sont des "illusionnés". Ils
ne le paraissaient pourtant pas quand ils vivaient et multipliaient
leurs œuvres humaines pour laisser Dieu réaliser ses œuvres d’amour.
Illusions que les charités de saint Vincent de Paul ou de Mère
Thérésa? Illusions que les pédagogies de saint Jean Bosco ou de
Jean-Baptiste de La Salle? Illusions que la patience des persécutés?
Illusions que la force de saint Charles Borromée pour redresser
l’Église de son temps, et malgré les innombrables résistances de
ceux qui auraient dû le soutenir? Illusionnés, les saints prêtres,
les saints évêques, les saints papes? Illusionnés ceux dont le cœur
a été brûlé par l’amour de leur Seigneur?
Tant de gens ont donc
été des illusionnés. Mais, est-ce être illusionné que d’aimer son
Créateur? Quand nous pensons à Dieu, à Jésus, notre cœur n’est plus
le même. Est-ce une illusion? Alors, continuons à réfléchir, et à
aimer, et à laisser notre cœur brûler avec le Cœur de Dieu... Et
puis nous continuerons à Le craindre, à craindre de Lui faire mal en
blessant notre prochain ou en le blessant Lui.
“Comme est la
tendresse d’un Père pour ses fils, tendre est le Seigneur pour qui
Le craint.” (Ps 103) Ô la tendresse de Dieu, la tendresse du
Père éternel! Dieu est Amour et Dieu aime. Dieu est éternel, et
pourtant Il crée les temps. Tout est en Lui, pleinement achevé dans
son Cœur et sa pensée éternelle. Pourtant la Création continue. La
Création est dans la pensée et le Cœur de Dieu depuis toute
éternité, et elle sera dans le Cœur de Dieu éternellement. La
Création est achevée depuis que Dieu l’a pensée, depuis, toute
éternité, et pourtant, pour nous qui sommes dans le temps, elle
paraît ne pas cesser de se construire, de se parfaire, de
s’achever...
Dieu est Amour et cet
Amour engendre le Fils, de toute éternité. Et de l’Amour du Père et
du Fils jaillit l’Esprit, tendresse du Père, tendresse de Dieu. Et
le Père, de toute éternité, construit ce qui sera, pour nous, mais
ce qui est déjà, pour Dieu, le Corps du Fils qui rassemble
(rassemblera pour nous qui sommes dans un temps) toute la Création.
Et chacun de nous a (aura) sa place dans le Corps mystique du Fils,
le Christ.
Dieu est Amour, et Dieu
est “tendre pour qui le craint.” La tendresse de Dieu est
liée à la crainte que l’on a pour Dieu, que l’on doit avoir envers
Dieu. Mais qu’est-ce que la crainte de Dieu? Qu’est-ce que cette
crainte aux multiples facettes qui s’est manifestée, au cours des
siècles, sous des aspects différents en fonction des besoins des
hommes.
Dieu est Créateur, Dieu
est le Tout-Puissant. Sans Lui rien n’existe, rien ne se fait. Dieu
aime ses créatures, et parce qu’Il les aime, Il leur a donné des
Lois, c’est-à-dire des sortes de modes d’emploi pour la vie:
– si vous voulez
fonctionner normalement, vous devez obéir aux lois de la mécanique
cosmique afin de ne pas troubler la course des univers, et respecter
les énormes forces qui vous meuvent, dit Dieu à tous les mondes
matériels.
– si vous voulez vivre
libres et heureux, si vous voulez utiliser correctement le monde que
j’ai mis à votre disposition, vous devez respecter le mode d’emploi
que je vous ai confié, dit Dieu plein de tendresse, en s’adressant
aux hommes.
Toute œuvre qui vit,
qui fonctionne, ne peut le faire qu’en respectant les règles,
c’est-à-dire le mode d’emploi. Si le mode d’emploi est violé, tout
se dérègle, et c’est le drame. Il faut donc obéir aux règles de bon
fonctionnement, et craindre de ne pas les mettre en œuvre. Cela,
c’est la première facette de la crainte de Dieu; elle est
essentielle et vitale. Celui qui viole la Loi, c’est-à-dire celui
qui pèche, en termes de relation avec Dieu, celui-là dérègle ce qui
lui est vital, nécessaire et s’exclut du bon équilibre de la
Création; il pénètre dans le malheur, car il se sépare de la
communion qui associe toutes les œuvre de Dieu.
Voici que nous
comprenons mieux ce qu’est le péché. Si l’homme ne craint pas Dieu,
s’il ne respecte pas les lois fondamentales de la Création, les
merveilleuses lois du Créateur, il devient très malheureux. L’homme,
créé libre, doit librement respecter les lois de Dieu pour être
heureux.
À partir de là, une
autre facette de la crainte de Dieu se découvre. Dieu est le
Tout-Puissant, mais Il est Amour: c’est sa nature. Dieu crée par
Amour, pour constituer le Corps de son Fils, son Verbe, et Dieu
demande l’amour de ses créatures en retour de son Amour.
– Respecte mes Lois,
dit Dieu à sa créature, car je T’aime. Aime-Moi car je T’aime, car
Tu ne peux être heureux que dans mon Amour. Craindre Dieu, c’est
L’aimer, c’est répondre à son Amour. Et aimer Dieu, c’est l’intérêt
de la créature qui ne peut être pleinement heureuse que si elle
répond à l’amour qu’est Dieu. C’est la deuxième facette de la
crainte de Dieu: j’aime Dieu, car je veux être heureux.
Mais il y a beaucoup
plus. Dieu nous crée gratuitement; Dieu nous aime gratuitement.
Pourquoi, imitant son Amour, ne L’aimerions-nous pas gratuitement?
Alors, si j’aime Dieu gratuitement, seulement pour Lui-même, pour
répondre à sa tendresse d’Amour, alors, je vais craindre de ne pas
L’aimer assez, je vais craindre, en blessant ses lois, de blesser
son Amour, de blesser l’Amour. La troisième face de la crainte de
Dieu, c’est la crainte de “faire du mal” à Dieu.
Mais comment peut-on
faire mal à Dieu? Est-ce possible? Comment faire du mal à Celui qui
peut tout, qui peut nous engendrer ou nous effacer? Comment peut-on
faire du mal à Dieu?
L’amour ne peut être
que douleur, nous a fait comprendre Jésus sur la Croix. L’amour qui
n’est pas aimé ne peut être que douleur. Et quand nous n’aimons pas
l’Amour, nous faisons souffrir l’Amour, nous faisons souffrir Dieu.
C'est le plus mystérieux des mystères que nous puissions méditer...
Ô mon Seigneur! Je sais
que Tu m’aimes, et je veux T’aimer. Mais je suis plongé dans un
monde malheureux parce qu’il n’aime plus, parce qu’il a chassé
l’amour. Et je suis fragile. Et je peux tomber. C’est pourquoi,
connaissant ma misère j’ai tellement la crainte de Dieu: j’ai
tellement peur de faire mal au Cœur de Dieu. J’ai tellement peur de
blesser l’amour que j’aime! J’ai tellement peur de blesser la
tendresse du Seigneur, si tendre pour celui qui Le craint.
Dieu est UN, Dieu est
Amour et l’Amour jaillit éternellement de Lui. Et l’Homme, s’il le
veut, peut vivre en Dieu et de l’Amour de Dieu. Et l’Homme peut être
heureux, ou aurait pu être heureux dans l’Amour de Dieu. Mais il y
eut le péché et ses conséquences... Satan a tenté l’Homme par la
connaissance: “Si tu manges le fruit de cet arbre, tu sauras tout,
tu seras comme Dieu...” L’Homme mangea et découvrit qu’on l’avait
trompé: au lieu de savoir, il s’aperçut qu’il avait perdu la
connaissance... Et l’Homme est comme perdu, suspendu dans la
création entre deux infinis, l’infiniment grand et l’infiniment
petit. L’Homme a perdu Dieu, et en perdant Dieu il a perdu la vraie
connaissance, il a perdu le bonheur...
Tout ce nous venons de
lire paraît très logique. Pourtant, bien souvent, nous nous disons:
Est-ce vrai? Ces raisonnements sont-ils justes? Ne me trompé-je pas?
Dans ces moments-là, seule la foi peut nous venir en aide: mais
qu'est-ce que la foi?
La foi est difficile et
certains jours il faut faire un gros effort pour se mettre en
présence de Dieu, même devant un tabernacle. Pourtant nous savons
que Jésus est là, présent. Mais c’est si difficile de croire cela!
Alors nous gémissons:
– Jésus montre-Toi un
peu, manifeste-Toi. Comment veux-Tu que l’on croie en Toi si Tu ne
révèles pas ton existence? Certes, nous savons bien qu’il y a, en
certains lieux privilégiés, de nombreuses conversions. Mais tout le
monde ne peut pas, ou ne veut pas aller dans ces lieux privilégiés.
Alors, fais quelque chose pour tous tes pauvres enfants. Cela Te
réjouirait tellement s’ils revenaient au bercail. Souviens-Toi,
Jésus, Tu as dit un jour: “Il y a plus de joie pour un seul
pécheur qui fait pénitence que pour des milliers de justes qui n’ont
pas besoin de se convertir.” Alors, imagine la joie qui serait
la tienne si le monde se convertissait! Seigneur viens à notre aide:
Tu sais bien que la foi, c'est souvent difficile!
Nous ne cessons de
prier, de crier vers Dieu en disant: “Seigneur, je T’en prie,
montre-Toi, manifeste-Toi, nous avons tellement besoin de Te voir,
de T’entendre...” Nous ne cessons de prier ainsi, mais nous devons
vivre dans la foi. Alors, parfois, le Seigneur qui a entendu nos
prières, nous "parle", pas avec des mots parlés, mais en mettant
sous nos yeux des phrases du style de celle de Saint Pierre
Chrysologue quand il disait:
"L’amour ignore le
jugement, il manque de raison, il ignore la mesure. L’amour ne se
laisse pas consoler par l’impossibilité, il n’admet pas que la
difficulté soit un remède. L’amour engendre le désir, s’enflamme
d’ardeur, son ardeur le porte au-delà de ce qui lui est accordé. À
quoi bon insister?
Il est impossible
que l’amour ne voie pas ce qu’il aime; voilà pourquoi
tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu’ils avaient obtenu,
s’ils ne voyaient pas le Seigneur. Voilà pourquoi l’amour qui désire
voir Dieu, s’il manque de jugement, a pourtant une piété ardente.
Voilà pourquoi Moïse ose dire: “Si j’ai trouvé grâce à tes yeux,
montre-moi ton visage.” Et le psalmiste insiste aussi: “Montre-moi
ton visage.”
Enfin quelqu’un qui
parle d’or! Mais avec un nom pareil, comment ne pas parler d’or?
Merci Saint Pierre Chrysologue, Pierre à la parole d’or. Nous
comprenons soudain que nous ne sommes pas des malades, des anormaux
désirant ce qu'il est impossible d'obtenir sur la terre, car tous
ceux qui ont aimé le Seigneur ont désiré Le voir, et cela, d’un
grand désir.
Lorsqu’un homme devient
sourd, c’est que son capteur auditif est défaillant. Il n’entend
plus. Il peut juste se souvenir des sons qu’il avait entendus avant
sa surdité et que sa mémoire avait conservés. Il n’a pas à croire
que les sons existent, il le sait, il sait qu’ils existent même si
ses capteurs sont morts. Il n’a pas à avoir la foi, il sait. Mais un
sourd de naissance ne sait pas ce qu’est un son. Il comprend que les
entendants discernent des choses que lui, sourd de naissance,
n’appréhende pas, car il n’a jamais eu de capteur auditif. Il croit
seulement que quelque chose se passe. Et comme il a confiance en ses
parents et ses amis, il croit ce qu’on essaie de lui faire
comprendre en utilisant les seuls capteurs dont il dispose.
On pourrait dire
exactement la même chose à propos des aveugles ou de ceux qui ne
sentent pas les odeurs. Il ne captent pas, mais ils croient ceux qui
leur disent que les odeurs existent, que les couleurs sont belles.
Ils ne captent pas, mais ils font confiance: ils ont la foi.
Il n’existe pas de mots
pour exprimer les choix de Dieu pour chacun de nous, dans notre
aujourd'hui qui demeure dans son inexprimable éternité.
Dans ces conditions,
que signifie cette expression si souvent utilisée: "Dieu m'a
choisi, Dieu a choisi tes ses ouvriers, Dieu a choisi..." De
toute éternité, à un “instant” éternel de son Éternité, Dieu a pensé
individuellement chacun de nous. Chacun de nous peut se dire: Dieu
m’a voulu, puis Dieu m’a créé. A cet instant où l’éternité et le
temps, mon temps, se rejoignaient, Dieu m’a créé et Il m’a placé
dans le monde. Il ne pouvait pas faire autrement car Il est l’Amour.
Il voulait que je L’aime, et pour cela Il me voulait libre. Or
l’amour ne peut se manifester que dans la liberté où l’épreuve est
indispensable, car seule, l’épreuve prouve et manifeste l’amour.
Dieu qui m’aimait m’a
donc mis dans le monde, un monde blessé par le péché de ceux qui
n’avaient pas su aimer. Mais Dieu veillait; Dieu veillait sur moi et
Il me protégeait, comme Il protège tous ses enfants et veille sur
chacun de tous ses petits, ses petits qu’Il aime et qu’Il a
prédestinés à devenir le Corps de son Christ, le Corps mystique de
son Fils, son unique.
Dieu ne nous a pas
choisis dans une foule, dans la masse, comme on dit aujourd’hui, si
horriblement. Dieu nous a faits spécialement pour Lui, Il nous a
tous modelés individuellement et façonnés avec Amour, pour Lui. Pour
son bonheur et pour notre bonheur.
Ainsi chacun de nous
peut se dire: Dieu m’a fait pour Lui, sans aucun mérite de ma part,
sinon celui de naître, et encore, je n’avais pas le choix. Dieu m’a
fait pour Lui, Dieu m’a prédestiné pour Lui, depuis toujours, mais
le "toujours" éternel de l’Éternité divine.
Quelle que soit la
vocation à laquelle Dieu nous destine, Dieu nous a prédestinés à
n’être que pour Lui seul, qu’à Lui seul, mais libre, car la réponse
d’amour à l’Amour ne peut être que libre: Dieu l’a voulu ainsi. Pour
que je puisse répondre à son Amour, Dieu m’a placé, libre, dans le
monde, ce monde qui est de ma race. Dieu m’a placé libre dans un
monde blessé par le péché, Dieu m’a placé libre et blessé d’origine
comme tous ceux de ma race pour que je puisse, malgré tout, et
peut-être malgré moi, Le préférer à tout et Le préférer aussi à
moi-même.
Dieu m’a placé libre
dans un monde blessé, avec mes tares humaines, mes faiblesses
humaines, les sollicitations de ce monde merveilleux mais dangereux
à cause des tentations que l’Impur ne manque pas de susciter. Dieu
m’a placé libre dans ce monde devenu dangereux, non pas à cause de
Lui, mais à cause du péché des hommes.
Dieu m’a placé libre
dans un monde dangereux pour y susciter l’amour, pour aimer, pour
L’aimer. Pour que je puisse réussir l’épreuve obligatoire qui
conduit à l’Amour, Dieu m’a comblé d’Amour, de son Amour. Bien sûr,
il y a des chutes, elles sont presque inévitables: seule Marie, la
toute sainte, la toute pure ne tomba jamais, tant son amour était
fort.
On peut se poser des
milliers de questions sur notre création, notre destinée, notre
prédestination, l’Amour du Seigneur et nos chutes. Le Seigneur, dans
sa grande bonté, nous répondra toujours, même si parfois Il nous
fait attendre un peu, ou beaucoup.
On peut, de nouveau, se
demander: “Le Seigneur nous veut tous; Il nous a créés pour Lui. Il
nous aime et Il veut que nous L’aimions. Alors pourquoi nous a-t-Il
“jetés” dans un monde pécheur, plein de sollicitations, au milieu de
tentations multiples et souvent si subtiles et si pernicieuses qu’on
ne les détecte pas toujours?” Bien sûr, c’est l’épreuve de l’Amour:
Dieu m’aime. Il m’a créé à son image, et Il me veut pur et humble.
Humble comme Dieu est humble. L’humilité de Dieu est un mystère qui
nous dépasse tous infiniment, et les chemins par lesquels Dieu nous
mène doivent nous faire acquérir, par sa seule grâce, un peu de
l’humilité qu’Il désire pour chacun de nous.
Dieu nous aime. Il nous
a créés à son image, donc Il nous veut humbles, à son image,
c’est-à-dire d’une humilité divine, et non pas d’une humilité
humaine qui n’a d’humble que le nom. En effet, quand nous prenons
conscience de nos péchés, de nos faiblesses, de nos fautes sans
nombre, des misères innombrables que peut cacher un passé
apparemment vertueux, nous comprenons, comme l'ont fait tous les
saints, que seule la vue et la prise de conscience de toutes ces
misères, et de nos chutes passées et actuelles, peuvent nous ouvrir
à la connaissance de nous-mêmes, à la réalité de notre néant, et à
l’immensité de la bonté et de l’Amour de notre Seigneur.
Dieu nous forme, Dieu
nous travaille. Dieu continue à nous former. Il nous place comme des
créatures contingentes, entièrement dépendantes de Lui, devant la
réalité, la puissance, et l’immensité de son Existence éternelle et
nous fait découvrir la profondeur de son Amour et la vérité de notre
pauvreté, de notre petitesse, de notre misère. Et nous découvrons
que chaque chute, à condition qu’elle ne soit pas mortelle, chaque
chute nous permet de nous rapprocher de Dieu. Chaque faiblesse nous
ramène chaque fois un peu plus dans le cœur de Dieu. Nous nous
sentons sans force, impuissants, mais tellement aimés. Dieu permet
nos fautes, nos erreurs, dont beaucoup ne sont pas délibérément
voulues. Dieu permet nos faiblesses, voire nos péchés, car dès que
nous les regrettons et Lui en demandons pardon, Il nous fait
comprendre, Il nous montre que nous blessons son Amour.
Nous blessons l’Amour
de Dieu!!... Et nous sommes responsables de toutes ces blessures
infligées à l’Amour et qui ont conduit Jésus à Gethsémani puis à la
Croix!...
Seigneur, c’est
terrible de méditer ces choses! Nos fautes blessent Jésus. Nos
péchés blessent l’Amour qui continue à nous aimer et qui nous dit:
“Viens!” Jésus blessé nous pardonne et nous appelle à plus d’amour.
Étrange! La faute, nos fautes, celles que nous regrettons, nous
mènent à toujours plus d’amour et plus d’humilité. Nos faiblesses
nous font découvrir le Cœur de Dieu, le Cœur de Jésus, le Cœur si
miséricordieux de Dieu, l’Amour donné et livré pour le salut des
hommes. Oh! la miséricorde de Dieu pour tous ses petits! Comme il
faut craindre de blesser Dieu!
Nos péchés, nos fautes,
nos misères, nos faiblesses nous conduisent vers l’Amour et nous
apprennent l’humilité, l’humilité à l’image et ressemblance de
l’humilité de Dieu. Seule la grâce de Dieu et l’Amour miséricordieux
du Cœur de Jésus peuvent nous faire entrevoir de telles merveilles.
Alors, confondus d’amour, nous ne pouvons que crier l’Amour de Dieu
et dire: “Mon Dieu! Laissez-nous découvrir encore un peu de votre
Cœur, votre Cœur de Père, votre Cœur de Fils, votre Cœur de Dieu
doux et humble car c’est le Cœur de l’Amour, de l'Esprit d'Amour.”
Maintenant, Père,
donnez-nous quelques mots pour dire et chanter votre Cœur, votre
Cœur de Père.
Père, nous sommes si
petits, si faibles et si fragiles que nous nous réfugions au fond
de votre Cœur pour en saisir au moins quelques battements. Et les
quelques battements de votre Cœur, ô Père, ceux que nous pouvons
saisir, que Vous permettez que nous saisissions, ces quelques
battements de votre Cœur résonnent de tendresse dans nos pauvres
cœurs d'hommes pécheurs. Nos pauvres cœurs recueillent avec tout
l’amour dont ils disposent, celui que Vous leur avez donné, nos
pauvres cœurs recueillent les attentions, les soins, et les
délicatesses de votre Cœur de Père. Les battements de votre Cœur de
Père nous disent l’Amour que Vous avez pour nous, que vous avez pour
chacun de nous.
Père, les regards de
nos âmes croisent vos regards d’Amour, vos regards qui nous
enveloppent d’Amour, vos regards qui nous appellent et qui nous
disent: “Venez! N’ayez pas peur!” Vos regards, les regards de votre
cœur de Père captent les yeux de nos âmes, comme pour nous
encourager, pour nous aider à poursuivre l’ascension commencée.
Père, avec tant de bonté Vous nous accompagnez dans notre vie, Vous
nous formez, vous nous éduquez, Vous nous aidez à marcher. Vous nous
grondez aussi, et Vous nous reprenez lorsque nous éloignons de Vous.
Mais surtout, Père,
quand nous voulons nous éloigner de Vous, quand notre amour, notre
pauvre amour humain se fatigue ou se lasse, alors Vous mettez dans
nos âmes des sentiments nouveaux. Nous sentons alors au plus profond
de nous, un amour différent. Car votre Cœur de Père, votre Cœur si
aimant nous fait comprendre qu’Il souffre quand nous nous éloignons,
que nous blessons l’Amour quand nous cessons d’aimer ou que nous
aimons moins. Père, se peut-il? Père, ne permettez pas que nous
cessions d’aimer. Gardez-nous près de Vous, cachés dans votre Cœur,
dans votre Cœur de Père.
Père, quand nous
contemplons votre Cœur de Père, Vous nous conduisez à Jésus, votre
Verbe incréé, votre Fils Bien-aimé, votre Unique, en qui Vous Vous
complaisez. Le Fils, et le Père, c’est tout UN, mais le Fils s’est
fait l’un de nous, et quand Vous voulez nous montrer le chemin qui
mène à Vous, Vous nous montrez Jésus. Car votre cœur de Père, et le
Cœur de Jésus c’est tout UN, car c’est le Cœur de Dieu. Vous nous
montrez Jésus qui s’est fait l’un de nous. Vous nous montrez Jésus
et nous dîtes: “Aimez-Le! J'ai mis en Lui tout mon amour!”
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