Jean-Bernard Rousseau naquit le 22 mars 1797, dans un
petit village de l'Yonne, Annay la Côte. Fils de Bernard
Rousseau, tailleur de pierres, et de Reine Pelletier, il
passa son enfance à Tharoiseau, également dans l'Yonne.
Sa famille, catholique très fervente, cacha des prêtres
réfractaires pendant la révolution. Jean-Bernard décida,
à l'imitation de ses parents, de consacrer sa vie au
service de Dieu et des autres. Aspirant depuis son
enfance à la vie religieuse, Jean-Bernard priait
beaucoup pour connaître les desseins de Dieu sur lui.
Jeune homme très actif dans sa paroisse où il enseignait
le catéchisme, Jean-Bernard fit la connaissance des
Frères de Écoles Chrétiennes qui s'étaient installés
près de chez lui. Aussi décida-t-il de se faire
religieux chez les Frères. En 1822, il se rendit à Paris
où les frères s'étaient installés en 1821, et, le 9
novembre 1822, il entra au noviciat où il prit le nom de
Frère Scubilion.
De
1823 à 1833, le Frère Scubilion fit des études et se
forma à l'enseignement, réalisant ses aspirations auprès
des enfants. Ces années d’enseignement furent pour lui
lumineuses et douces, car il confortait sa vocation qui
répondait si bien à ses aspirations. Le 27 septembre
1827,
il
prononça ses vœux perpétuels.
Notons que chaque jour de sa vie, comme Jésus le lui
avait appris, il répétait sans cesse: "Ma nourriture
est d’accomplir la volonté de mon Dieu." Mais son
désir d'apostolat était tel qu'il rêvait des missions
lointaines. Enfin, le 9 mars 1833, les désirs
missionnaires du Frère Scubillion furent exaucés. Il
était désigné pour aller à l’île Bourbon, qui deviendra
l'Île de la Réunion. Le 20 avril 1833, le navire "Le
Commerce" emmenait le Frère Scubilion et deux autres
frères: le Frère Jean de Martha, futur Provincial de
l’océan Indien et le Frère Vétérins. Le 14 juillet 1833,
après quatre-vingt-cinq jours de voyage, le bateau
arriva en rade de Saint-Denis. Frère Scubilion rayonnant
de joie et de reconnaissance, salua Bourbon et s’offrit
totalement à Dieu, disant: "Rien ne m’attache en ce
monde et je suis prêt à tous les sacrifices pour le bien
des âmes et la plus grande gloire de Dieu." Le Frère
Scubilion avait 35 ans.
Le
18 novembre 1833, Frère Scubilion vit accourir à lui, 25
petits Réunionnais de Saint-Benoît et de Saint Paul. Il
les réunit dans l'école des Frères et commença leur
éducation. Malgré les grandes difficultés qu'ils
éprouvaient face à la discipline, les écoliers, heureux
de se sentir entourés par une paternelle tendresse,
faisaient partout des récits enthousiastes de ce qui se
passait dans leur classe. Et ils parlaient de Frère
Scubilion avec une affection qui gagna les hésitants:
bientôt 125 nouveaux élèves accoururent à l’école des
Frères. Pourtant la tâche, tant des élèves que des
maîtres, n’était pas facile. Les plus petites
difficultés rebutaient les enfants réunionnais.
Beaucoup, très paresseux, n'avaient que du dégoût pour
ce que leur maître leur demandait d'étudier, au moins un
peu. Devant ces difficultés, Frère Scubilion peinait
beaucoup, et il cherchait comment éduquer ses enfants et
les catéchiser vraiment… Car ici, élever un enfant,
cultiver son esprit, exciter son effort, était un
travail inattendu qui imposait un dévouement permanent.
Mais, par le travail de la grâce divine, Frère Scubilion
se montrait toujours doux et patient, afin de gagner ses
élèves à Jésus-Christ. De plus, il devait convertir les
pêcheurs et édifier son prochain. Aussi Frère Scubilion
évitait-il toute impatience et toute colère inutile.
Tout entier à Jésus-Christ, il ne vivait que pour ses
élèves. Et bientôt Frère Scubilion réussit son œuvre
pédagogique. Il donna même à son Institut plusieurs
jeunes de Saint-Paul et de Saint-Benoît. En 1843, lors
de son départ pour Saint-Leu, Frère Scubilion pouvait
laisser sa classe à un Réunionnais qu’il avait formé.
Mais
voici que peu à peu, Frère Scubilion découvrait une
réalité inconnue en France: l'esclavage.
Il
faut savoir qu'à cette époque, il y avait dans l'île
Bourbon au moins 60 000 esclaves que leurs maîtres
employaient dans les champs pour de multiplies cultures:
girofle, vanille, café, canne à sucre… Immédiatement,
Frère Scubilion se fit le défenseur des esclaves et
lutta contre les mauvais traitements et les abus dont
ils étaient victimes, surtout les femmes esclaves.
Ainsi, on cite souvent le cas de Biney, une esclave
originaire de Madagascar que son maître avait estropiée
malgré les lois votées en France par la Monarchie de
Juillet, qui dura de 1830 à 1848, lois interdisant les
mauvais traitements envers les esclaves. Le cas Biney
est resté célèbre car frère Scubilion obtint la
condamnation de son cruel maître.
Le 17 novembre 1843, Frère
Scubilion fut nommé à Saint Leu où les esclaves noirs
étaient très nombreux. En 1811, il y avait eu à Saint
Leu une révolte d'esclaves, durant laquelle de nombreux
magasins avaient été pillés et des crimes affreux
avaient été commis. Il était devenu urgent d'assurer la
sécurité par la moralisation des noirs: et cela, seule
la religion chrétienne pouvait le faire. Aussi Frère
Scubilion devint-il l'enseignant, le défenseur et
l'avocat des esclaves. Il prépara au baptême plus de
mille esclaves. Il inaugura les classes du soir pour les
esclaves. Très vite on l'appela "le catéchiste des
esclaves".
Frère Scubilion était aidé
par ses frères en religion qui trouvaient dans leur foi
assez de courage pour créer, après les classes du jour,
les catéchismes du soir.
Il y
avait beaucoup de Noirs qui voulaient s’instruire, mais
ils étaient condamnés à leur labeur excessif. C'est
pourquoi Frère Scubilion ne disposait que du soir pour
s'occuper de ces élèves improvisés. Grand pédagogue
Frère Scubilion entrecoupait les séances de catéchisme
par des histoires captivantes ou des chants religieux.
L’esclave devenait ainsi, par le Christ et dans l’eau
baptismale le frère de son maître. Enfin un grand jour
arriva le 20 décembre 1848, quand Sarda Garriga, le
gouverneur de l’île, proclama, au nom de la France,
l’affranchissement général et immédiat des esclaves.
Cette transition de la servitude à la liberté, bien
préparée par Frère Scubilion, ses frères, l'évêque et
les curés de l'île s’accomplit sans secousse, sans
violence, sous les auspices de la religion, via
l'instruction et l'évangélisation. Le bonheur fut grand
dans l'île de Bourbon. Cependant,
Frère Scubilion estimait que les anciens esclaves
devaient continuer à travailler dans les plantations,
seul moyen, pour les esclaves de conquérir, par le
travail, une dignité humaine, et de maintenir l'activité
économique indispensable. L'émancipation de 1848
n'empêcha donc pas les missionnaires de poursuivre leur
travail de formateur et d'évangélisateur.
Beaucoup d'esclaves n'avaient pas pu être évangélisés.
Aussi, en 1850, arrivé à la Possession, autre ville de
l'île de Bourbon, Frère Scubilion se dévoua sans compter
et les noirs se convertirent en très grand nombre. Le
Frère créa une école du soir, et comme le Bon Pasteur,
il allait chercher les brebis perdues. Le sourire qui
l'illuminait faisait que les Noirs étonnés,
s’attachaient au bon Frère et ses champs portaient une
récolte généreuse. Et même les Blancs qui avaient été
réticents à l'émancipation des noirs devenaient
meilleurs... En 1856, Frère Scubilion enseigna à
Saint-Denis, à Salazie et à Sainte-Marie où il organisa
de nombreux pèlerinages pour les ouvriers des
plantations et des usines de cannes à sucre. Le 7
novembre 1866 il dut partir à Madagascar et rejoindre
ses frères Gonzalvien, Yvon et Ladolien pour ouvrir une
école destinée aux petits Malgaches, mais il revint vite
à Sainte-Marie où, toujours oublieux de lui même et si
près de Dieu par la grâce, il entoura de nouveau, de son
affection et de son amitié ceux au milieu desquels il
vivrait jusqu'à sa mort. Frère Scubilion mourut le 13
avril 1867, âgé de 70 ans.
Quelques instants après le décès du Frère, Sainte-Marie
se plongea dans le deuil et la consternation. Une foule
de fidèles vint prier auprès du cher défunt et surtout
se recommander à lui. Les funérailles eurent lieu le 14
avril 1867, dimanche des Rameaux. Une foule immense
accourut de toute l’île afin d’escorter le cercueil de
l’humble frère. Cette confiance ne s’est jamais
affaiblie, et aujourd'hui il y a toujours des pèlerins
qui viennent lui demander des faveurs. Et
des guérisons ou des conversions inespérées se
produisent. Ainsi, Octave, un enfant sourd et muet fut
guéri.
Frère Scubilion a été béatifié le 2 mai 1989 lors de la
visite du pape Jean-Paul II à La Réunion.
Petite remarque: Pendant la nuit du vendredi 5 au samedi
6 octobre 2012, le mausolée du Bienheureux Frère
Scubilion, situé près de l'église de Sainte-Marie a été
profané: la tombe de marbre, qui abrite les restes du
Bienheureux a été recouverte de tags satanistes. Cette
profanation a provoqué la colère et l’indignation du
curé et des paroissiens de la paroisse de Sainte-Marie.
Paulette Leblanc |