Rose-Philippine Duchesne naquit à Grenoble, dans le
Dauphiné, le 29 août 1769, dans une famille très aisée.
Son père, Pierre-François Duchesne, était un riche
avocat; sa mère, Rose-Euphrasine Périer appartenait à
une famille très fortunée. L'un des oncles de
Philippine, Claude Périer était banquier; un autre de
ses oncles, Casimir Périer était un ministre célèbre. Le
père de Rose-Philippine était un voltairien athée, mais
heureusement sa mère était très pieuse. Et Philippine
entra à l’école Sainte-Marie-d’en-Haut, tenue par les
sœurs de la Visitation. Puis, attirée par la vie
contemplative des religieuses, elle entra, malgré
l'opposition de son père, comme novice au monastère.
Elle avait 19 ans.
Mais
la Révolution éclata et les visitandines du couvent
furent dispersées. Rose-Philippine retourna dans sa
famille et s’employa à soulager les pauvres et à
scolariser les enfants.
En pleine Terreur,
elle fonda même une petite communauté qui visitait les
prisonniers et les pauvres. Mais
sa
vie chrétienne devait être tenue très secrète. Après le
Concordat de 1801, Philippine essaya, avec quelques
anciennes compagnes de faire revivre le monastère de la
Visitation, mais en vain. C’est alors qu’entendant
parler de Madeleine-Sophie Barat qui venait de fonder, à
Amiens, en 1800, les Dames du Sacré-Cœur, elle entra, en
1804, dans cette congrégation. Après une brève période
de noviciat, Philippine Duchesne prononça ses premiers
vœux de religion en 1805. Elle avait 26 ans.
Après sa profession religieuse, en 1806, dans la nuit du
Jeudi-Saint 1806, alors qu'elle priait devant le
tabernacle, elle eut une vision qu’elle décrivit dans
une lettre à Mère Barat, sa supérieure: "Ô bénite
nuit! Toute la nuit, j'ai voyagé vers le nouveau
continent, mais j'étais en bonne compagnie. J'avais
précieusement recueilli… tout le sang de Jésus; je
m'étais emparée de lui au Saint-Sacrement… Saint
François-Xavier… se tenait au pied du trône de Dieu pour
demander l'ouverture de nouvelles terres à éclairer… Les
douze heures de la nuit sont bien vite passées… La
veille je ne croyais pas pouvoir tenir une heure en
adoration… Et voici que je me retrouvais seule avec
Jésus, et avec des enfants tout noirs… Ma Mère,
quand vous me direz:
'Voici que je vous envoie…' Je répondrai vite: 'Je
pars' ".
Mais Philippine devra attendre 12 ans avant de voir son
rêve réalisé.
En
1817, Monseigneur Dubourg, évêque de Louisiane était de
passage en France, car il cherchait des éducatrices pour
l'aider à annoncer l'Évangile aux Indiens et aux jeunes
français de son diocèse. Philippine ayant été informée
des désirs de l'évêque de Louisiane demanda à partir.
Elle alla jusqu'à Saint-Charles, près de Saint Louis
dans l'État du Missouri, aux Etats-Unis. Là, Philippine
fonda la première maison de sa Société hors d'Europe,
une simple cabane en bois, où elle dut subir toutes les
rigueurs du froid extrême, de la dureté du travail et du
manque d'argent. Malgré tout, elle resta toujours très
fidèle à sa vocation, grâce à son union avec sa famille
religieuse restée en France.
Philippine et les quatre religieuses qui l'avaient
rejointe, ouvrirent, en 1820, la première école gratuite
à l'ouest du Mississipi. Dès 1828 six maisons étaient
ouvertes afin d'accueillir les jeunes élèves, blancs,
noirs ou métis du Missouri et de la Louisiane.
Philippine aimait beaucoup
ses jeunes et ses enfants; mais pourtant elle aspirait
toujours à rejoindre les Indiens. Quand elle eut 72 ans,
une école pour les Potawatomis allait être ouverte par
un jésuite, à Sugar Creek dans le Kansas. Malgré la
santé très délabrée de Philippine, ce jésuite la voulut
auprès de lui, disant: "Elle doit venir; même si elle
n'est pas capable de beaucoup de travail, elle assurera
le succès de la mission par sa prière. Sa présence
attirera toutes sortes de faveurs divines sur nos
travaux." Heureuse, Philippine partit avec le
jésuite pour vivre avec les Potawatomis qui, ayant
constaté son dévouement, ses longues prières et ses
contemplations, les Indiens, la surnommèrent
"la femme qui prie
toujours."
Philippine ne resta qu'un an à Sugar Creek, car sa santé
ne pouvait résister au régime du village, et dès juillet
1842 elle dut regagner Saint-Charles où elle vivra
encore pendant 10 ans. Mais ses Indiens lui manquaient
...
Philippine Duchesne mourut à Saint-Charles le 18
novembre 1852; elle avait 83 ans. Elle fut béatifiée par
le pape Pie XII le 12 mai 1940, et canonisée par le pape
Jean-Paul II le 3 juillet 1988.
REMARQUES
Voici maintenant quelques précisions. Les Dames du
Sacré-Cœur était une congrégation enseignante, et leurs
débuts en Louisiane furent difficiles. En 1806, le père
Augustin de Lestrange qui, avec sa communauté de
trappistes avait dû fuir pendant la Terreur, fut invité
à prêcher chez les Dames du Sacré-Cœur. Il impressionna
beaucoup Philippine Duchesne en évoquant les fondations
d'Amérique du Nord. Philippine fut tentée par cet appel,
mais Madeleine-Sophie Barat, qui voulait vérifier la
solidité de cet appel, l'envoya d'abord à Paris, fonder
une communauté. Le passage à Paris de Monseigneur
Guillaume-Valentin Dubourg venu recevoir la consécration
épiscopale en 1816, comme premier évêque de Louisiane,
fut déterminante. En effet, ayant eu connaissance de la
communauté des Dames du Sacré-Cœur, il demanda quelques
sœurs capables d'instituer une éducation féminine dans
son diocèse d’Amérique nouvellement créé. Philippine
Duchesne était prête à partir. Elle avait déjà
quarante-neuf ans, mais ses puissants cousins lui
remirent des lettres de recommandation.
Le
19 mars 1818, avec quatre autres religieuses Philippine
Duchesne quittait Bordeaux. Après soixante-dix jours de
voyage, elles arrivèrent à La Nouvelle-Orléans. Puis,
pendant 42 jours elles remontèrent le fleuve Mississippi
et arrivèrent enfin, fin août 1818, à
Saint-Louis-du-Missouri, modeste bourgade française de
six mille habitants, fondée en 1764. Mgr Dubourg
les reçut chaleureusement et les installa à
Saint-Charles, un village situé à quelques kilomètres de
Saint-Louis. Elles ouvrirent un pensionnat en octobre
1818. Mais les conditions de vie très rudes, la pénurie,
la faim et le manque d’élèves eurent raison des
religieuses qui fermèrent le pensionnat en septembre
1819. Cependant Philippine Duchesne put commencer à
propager le culte du Sacré-Cœur en Louisiane.
Monseigneur Dubourg résidait à Florissant, pour être
proche des Indiens. Philippine et ses compagnes le
rejoignirent et une ferme fut mise à leur disposition.
Les perspectives étaient prometteuses et des élèves
arrivèrent. Une chapelle fut construite pour Noël 1819.
Philippine ouvrit un noviciat en 1820: deux jeunes
américaines entrèrent au noviciat et trois nouvelles
religieuses arrivèrent de France. Et il y eut des
conversions parmi les Algonquins et les Osages venus
d'Oklahoma. Mais le travail était difficile, car les
élèves étaient peu portées à la régularité nécessaire à
toute éducation. Heureusement, en 1823, l’arrivée d’un
groupe de onze jésuites belges donna une grande
impulsion à la mission du Missouri. Bientôt, d’autres
congrégations missionnaires s’investirent dans la
région, notamment des Lazaristes. Et de nouvelles
fondations virent le jour, à Saint Michel en 1826 et à
Saint-Louis en 1827.
En
1828, les jésuites, installés à Saint-Charles
demandèrent aux religieuses de revenir. Et en octobre
1828, l’école et le pensionnat reprirent vie. Philippine
Duchesne dont la santé donnait des inquiétudes, fut
pourtant nommée supérieure des maisons de la
Congrégation du Sacré-Cœur en Louisiane. En 1840, une
nouvelle assistante générale pour les missions
d’Amérique étant nommée, Philippine Duchesne retourna à
Saint-Louis où elle put consacrer davantage de temps à
la prière, tout en restant proche des populations
indiennes. En 1841, elle effectua une mission auprès des
Potawatomi. Malheureusement très peu se convertirent. En
1842, Philippine Duchesne revint à Saint-Charles où elle
passa les dix dernières années de sa vie dans la
souffrance et la prière.
Maintenant, nous devons ajouter que chaque fois que
Philippine fondait une maison, elle se réservait les
tâches les plus humbles: elle bêchait le jardin,
soignait les bêtes, surveillait le dortoir des
pensionnaires. De plus, elle s'occupait des malades.
Travail, pauvreté, prière tissaient ses journées. Et
c'est dans ce contexte que grandissaient les écoles et
que les vocations religieuses affluaient. Après la mort
de Philippine Duchesne, le 18 novembre 1852, les
indiennes Patowatomies écrivirent le poème suivant: "Ô
grand Esprit, elle arrive vers toi cette femme 'grande',
qui est bien nôtre. Elle arrive vers toi sans tarder.
Conforte son esprit, et fais-lui le chemin. Fais que
prairies et collines murmurent, tout au long de son
retour à la maison. Que le courant des eaux du
Mississipi chante son retour vers toi."
Et
les Indiens Potowamis composèrent un autre poème: "Nous
sommes affligés: il y a des milliers de distance qui
nous empêcheront de placer, une fois de plus, nos capes
sur son dos. Elle a appris de nous la manière de les
tisser, et nous, nous avons appris à prier en regardant
son visage. Fais que le soleil brille sur sa tendresse
et que cette nuit la lune en son plein nous rappelle les
heures qu'elle a passées devant toi à prier dans cette
tente."
Paulette
Leblanc |