4
Les épreuves
4-1-Les défections
Nous avons déjà remarqué les pénitences extraordinaires et
surprenantes que pratiquaient les deux frères, fondateurs des
Passionistes. Ce genre de vie était un parfait holocauste
d'eux-mêmes. Pour s'y maintenir avec persévérance, que de victoires
ne durent-ils pas remporter sur la nature? Mais d'autres épreuves,
encore plus douloureuses, les attendaient. Aux pénitences courantes:
les jeûnes, les veilles, le pénible repos pris sur la terre nue ou
sur des planches, les cilices et les disciplines, les voyages à
pieds nus, il faut ajouter que beaucoup des premiers compagnons
firent défection, ne pouvant supporter une vie si mortifiée.
"Plusieurs sujets de la Congrégation, après avoir été formés avec
tant de soin et promus au sacerdoce, se dégoûtèrent de la vie
solitaire et pénitente et tournèrent le dos au bon Père..."
Quelle douleur pour le pauvre Père!
Mais Paul ne se découragea pas. Il écrivit à un ami: "Les œuvres
de Dieu sont toujours combattues, afin que la divine magnificence
éclate davantage. Quand les choses paraissent le plus près de leur
ruine, c'est alors qu'on les voit se relever... Le serviteur de Dieu
ne fut pas déçu dans son attente, car le Seigneur envoya d'autres
compagnons dont le Père Fulgence de Jésus..." En même temps un
frère lai, frère Joseph de Sainte-Marie, natif de Sicile, véritable
saint, vint rejoindre les compagnons.
4-2-Démêlés avec les ordres mendiants
Nous avons indiqué plus haut que lors de l'ouverture de la Retraite
du mont Argentario en 1748-1750, plusieurs ordres mendiants
s'étaient coalisés contre la Congrégation passioniste. Un procès
s'était ouvert à Rome et les passionistes eurent gain de cause. Ce
ne furent pas les seules épreuves que Paul de la Croix eut à
soutenir, et force est de constater que, parmi ceux qui auraient dû
soutenir l'action de Paul et des passionistes, beaucoup furent
souvent très hostiles.
Si les oppositions furent nombreuses
et les tempêtes violentes, il y eut encore plus douloureux: les
calomnies insupportables. Ainsi, quelques personnes, notamment
plusieurs appartenant à l'ordre des franciscains, se mirent à
décrier la conduite du Père Paul et de ses religieux. Elles
écrivirent au pape: On constate
"un désordre très grand, très
important, capable non seulement de troubler les communautés
religieuses, en y jetant des germes d'insubordination et
d'indépendance, mais encore, ce qui est bien pis, de causer un grave
scandale dans tout le monde catholique et de discréditer la
hiérarchie ecclésiastique. Saint-Père, il est grandement à craindre
que certains hommes, (les pères missionnaires de la Passion de
Jésus-Christ), ne soient de cette trempe..."
On croit rêver en lisant de telles
choses. Heureusement, le pape, face à ces calomnies,
"voulut qu'on examinât cette affaire
et qu'on lui rendît un compte exact du caractère et du genre de vie
des Pères de la Passion. Le résultat fut de le confirmer dans
l'opinion qu'il avait déjà conçue, que l'esprit de la nouvelle
congrégation était d'une simplicité tout évangélique, et son genre
de vie, pénitent, exemplaire, et entièrement conforme à
l'évangile..."
Cependant la tempête ne se calmait pas
rapidement et Paul en souffrait beaucoup, tout en s'en réjouissant.
Il écrivit à ses religieux:
"Il arrive souvent que la foudre éclate et qu'en frappant le sommet
dépouillé d'une montagne, elle découvre une mine d'or. Vous verrez
que le coup de foudre découvrira cette mine pour nous. Le Seigneur
fera sortir un grand bien de cette épreuve."
Et
au Père Fulgence: "Nos affaires vont à l'ordinaire, la tempête
gronde toujours, mais nous aurons la victoire par Jésus-Christ. Ce
ne sera cependant pas sans souffrir de grandes disgrâces, ni sans
avoir vu de nos yeux tout culbuter pour ainsi dire. Continuons à
prier... Sachez, mon très cher Père, que déjà les monitoires ont été
présentés, avec ordre de renverser les constructions de la Retraite
de Ceccano, et avec interdiction des autres Retraites de ce pays. On
a obtenu tout cela de la sacrée Congrégation... Je me trouve au
milieu d'une mer agitée par la tempête, je vous le dis en secret,
cœur à cœur: je suis désolé au dedans et au dehors, foulé aux pieds
d'une manière horrible par les démons, au point qu'il me semble ne
plus avoir ni foi, ni espérance, ni charité. Oh! Dans quel état je
me trouve! Mais personne ne le sait, ni ne s'en aperçoit." (Vie
du bienheureux Paul de la Croix, Chapitre 33)
Le 19 août 1753 il écrira à Colomba
Gandolfo, une de ses dirigées:
"Oh! Si vous saviez comment j'ai passé
la nuit dernière... vous vous épouvanteriez totalement. Et cela est
l'ordinaire! Ô Dieu, que deviendra ce misérable pécheur? Ah! Priez
afin que je ne perde pas mon Dieu! Ceci est ma grande peur..."
Le
temps passait... Les persécutions, ouvertes ou cachées,
continuaient. Paul se résignait, dans la paix et la confiance. Mais
parfois le Seigneur venait consoler son serviteur: et "il obtint
enfin la possession paisible de la Retraite de Ceccano, avec la
faculté de poursuivre les fondations de Paillano et de Terracine,
nonobstant toute opposition." Mais les épreuves n'étaient pas
terminées.
Paul de la Croix était toujours
submergé par le travail et les épreuves de toutes sortes. Il
implorait ses amis de prier pour lui. En 1755 il supplia Sœur
Colomba Gandolfi: "J'ai toujours plus besoin d'oraisons pour ma
pauvre âme et pour cette pauvre fille qu'est la Congrégation.
Faites-moi la charité de prier, de crier, surtout durant la sainte
Communion, offrant au Père divin le Cœur très pur de Jésus, avec ses
souffrances et les douleurs de Marie..." Paul gémissait même:
"... moi qui n'ai pas un
moment de répit! À droite et à gauche, à l'intérieur et à
l'extérieur de moi, batailles, terreurs, peines, angoisses, au point
que jamais je ne pourrai les exprimer, tandis que je me trouve dans
l'enfer inférieur..."
Et encore: "Maintenant se
présentent de nouvelles fatigues et de nouvelles croix... Criez vers
le Seigneur, mais faites-le de tout cœur... rapportez au Père
Éternel son très doux Fils Sacrement, et criez fort." Enfin:
"Je me trouve dans un état déplorable et dans un abandon qui fait
craindre à l'intérieur et à l'extérieur. Et en un état aussi
terrible je suis chargé de beaucoup d'affaires pour le service de
Dieu, du prochain et de la Congrégation..."
Parfois le Père Paul n'hésitait pas à
avouer: "Je me trouve dans un état que je ne puis vous expliquer:
je crains les jugements divins. Je vous prie... par pure charité, de
crier vers le Seigneur pour moi, afin que Dieu ait miséricorde et
sauve mon âme..." Pourtant il ajoute presqu'aussitôt:
"...
moi, je n'aspire à rien d'autre qu'à faire la volonté de Dieu."
4-3-Épreuves inattendues
Pendant ses derniers voyages, le Père Paul eut à souffrir un
tourment pour le moins inattendu: la renommée de ses vertus. Sa
sainteté étant connue dans les pays partout où il passait, "on
le traitait avec beaucoup d'honneur et de distinction... et ces
démonstrations lui étaient insupportables." En effet, le
Seigneur, pour glorifier son serviteur, lui avait donné l'esprit de
prophétie; ainsi Paul prédit une foule d'événements dont il ne
pouvait avoir, humainement connaissance. De plus, "au don de
prophétie, le Seigneur joignit celui de guérir les maladies. Le
serviteur de Dieu en guérit un grand nombre, au moyen d'une eau
qu'il bénissait.." C'est vrai, plus les serviteurs de Dieu
cherchent l'obscurité, plus on les estime. Et cela peut être parfois
très éprouvant. Mais Dieu en dispose ainsi et c'est ce qui eut lieu
pour le Père Paul.
4-4-La fatigue et les maladies
Nous avons été étonnés, tout au long de ces pages, en découvrant les
rudes pénitences auxquelles Paul de la Croix se soumettait.
Spontanément nous nous posons une question: était-ce bien
raisonnable? Tout aussi spontanément nous répondons: non! Mais la
réponse du Seigneur, nous ne la connaîtrons qu'au ciel. Nous pouvons
seulement constater que Dieu acceptait les offrandes de son cher
fils, et qu'il bénissait toutes ses œuvres, liées à la gloire de
Dieu, au salut des pécheurs et à la conversion de tous ceux qu'il
rencontrait. Par contre, sur le plan humain, nous sommes obligés de
constater aussi qu'il s'était ruiné la santé, tout comme son frère
Jean-Baptiste. Paul fut souvent malade, il souffrit beaucoup dans
son corps, comme dans son âme. Parfois on le crut mourant, mais Dieu
n'en disposait pas ainsi. Nous donnons tout de suite deux exemples.
Ainsi, en 1766, "le Seigneur
semblait parfois le laisser dans un douloureux abandon. Aux peines
d'esprit se joignaient les maux du corps qui devenaient de plus en
plus violents, et enfin les attaques des démons qui le maltraitaient
avec plus de fureur que jamais." En 1769, après être passé par
Rome, le Père Paul retourna à la retraite de Saint-Ange où il tomba
gravement malade, ce qui accrut
"ses douleurs habituelles souffertes
avec une grande patience et une humble soumission à la volonté
divine en vrai serviteur de Dieu. On crut qu'il allait mourir, mais
il plut à Dieu de lui rendre la santé pour achever de consolider la
Congrégation..."
Rétabli de sa maladie, mais grandement
affaibli et toujours physiquement douloureux, il dut le 9 mai 1769,
accepter de nouveau la charge de supérieur général et le
gouvernement de la congrégation. (Chapitre 36) Bientôt il
entreprendra sa dernière visite à ses frères des Retraites, tout en
prêchant la bonté de Dieu à ceux qui étaient avec lui, souvent
retardés comme lui dans les péripéties des voyages. En juillet 1770
il fut reçu par le Pape avec une extrême bienveillance. Sur le plan
spirituel, "il se voyait
toujours pauvre et dénué de tout bien; se tournant alors vers le
Sauveur crucifié, il s'appropriait ses souffrances par l'amour, et
s'en revêtant en esprit, il se présentait au Père céleste, orné des
mérites infinis de son Fils unique et se reposait dans son sein
paternel."
Les
démons l'attaquaient souvent et très violemment, le rendant très
malade. Mais ce n'était qu'une épreuve; l'heure de son départ
n'était pas encore venue et il devait poursuivre l'œuvre commencée:
gouverner sa congrégation et achever la fondation du monastère des
Religieuses de la Passion, dans la ville de Corneto.
4-5-Les nuits spirituelles
Outre les épreuves extérieures liées à
ses activités, Paul de la Croix, grand mystique fut également soumis
à de lourdes souffrances spirituelles. Nous en avons déjà cité
quelques-unes liées aux calomnies, démêlés avec les franciscains,
etc... Ici, nous nous arrêterons quelques instants sur ses combats
et angoisses spirituelles. Parfois il insiste auprès de ses
correspondants:
"Persistez à prier beaucoup, parce que
les tempêtes continuent d'être toujours plus horribles, et les
tourments croissent de toutes parts et de toutes les façons..."
4-6-Enfin quelques rayons de soleil
4-6-1-Le
monastère des religieuses de la Passion va s'ouvrir
Nous avons vu que, dès 1749, Paul de la Croix savait qu'il lui
faudrait fonder un monastère féminin dédié à la Passion de Jésus.
Nous avons vu plus haut les épreuves, nombreuses, qui retardèrent la
création de ce monastère. Mais en 1770, "le serviteur de Dieu eut
une révélation qui lui fit mieux connaître la volonté divine
touchant l'érection du monastère et du nouvel institut pour les
religieuses. Le Père Paul savait que pour donner un solide fondement
à cette œuvre, il était nécessaire d'obtenir l'assentiment du
Souverain Pontife." Ce qui fut fait le 3 septembre 1770. "Les
jeunes personnes destinées pour le nouveau monastère, se rendirent à
Corneto, au nombre de dix... Mais un nouvel obstacle survint
inopinément, de sorte qu'il fallut retarder leur entrée." Enfin,
en juillet 1772, le monastère put ouvrir. Cela avait demandé 34 ans!
4-6-2-Du
petit hospice à la maison des saints Jean-et-Paul
"Le 9 décembre 1773, après les premières vêpres de la translation de
la Sainte Maison de Lorette, vers la vingt-et-unième heure du jour,
les Pères passionistes prirent possession de la maison des
Saints-Jean-et-Paul. Le Père Paul avec ses religieux passèrent du
pauvre petit hospice à la basilique de ces saints martyrs... et ils
habitèrent la maison qui y est jointe."
Enfin les passionistes avaient une Retraite à Rome!
Vie du bienheureux Paul de la Croix, par Saint
Vincent-Marie Strambi – Chapitre 33.
Il convient de rappeler ici que Paul de la Croix avait de
gros problèmes de santé: ses jambes le portaient à peine et
ses oreilles déclinaient. Sa correspondance était
considérable et les litiges avec les ordres mendiants lui
demandaient une dépense d'énergie considérable... Sans
compter les campagnes de calomnies.
Lettre du 13 juillet 1756, à sœur Gandolfi.
Lettre du 27 juillet 1756, à Sœur Gandolfi
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