SAINT PAUL DE LA CROIX
 1694-1775

 SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

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Les débuts de la congrégation

Après sa retraite et un voyage à Gênes, Paul-François se retira dans un petit ermitage proche d'une église dédiée à saint Étienne. C'est là que le 28 octobre 1721, son frère Jean-Baptiste vint le rejoindre pour s’engager avec lui dans la vie consacrée. Leur vie y fut extrêmement pauvre et pénitente. Mais le Seigneur leur accorda de nombreuses consolations  spirituelles.

Pourtant, la vocation de Paul-François et de Jean-Baptiste ne devait pas se cantonner à leur sanctification personnelle; ils devaient aussi être des apôtres destinés à aider de nombreuses âmes à revenir à Dieu. L'évêque du lieu ordonna à Paul-François de commencer par enseigner le catéchisme aux enfants. Puis l'évêque lui ordonna de monter en chaire pour faire le catéchisme aux adultes et prêcher sur la Passion de Jésus-Christ. Paul-François n'étant pas prêtre, son évêque fut obligé de lui accorder une dispense, pour qu'un laïc, même consacré, puisse prêcher en chaire. Mais le bien réalisé fut considérable. Sans qu'ils le sussent, Paul et Jean-Baptiste étaient ainsi préparés par Dieu à ce que seraient leurs missions futures.

Bientôt des missions furent organisées aux environs de Castellazzo, dans un lieu appelé Retordo, puis dans deux autres lieux. Le zèle des deux frères s'amplifiait; on disait de Paul "qu'il était continuellement occupé à consoler et à visiter les malades, à faire cesser les ressentiments et les discordes, à réconcilier ceux qui se haïssaient... À tout prix, il voulait plaire au Cœur sacré de son Jésus."

Paul parlait avec tant de feu et d'efficacité que les cœurs s'ouvraient à Dieu, même les plus endurcis.

5-1-Remarques sur la vie spirituelle quotidienne de Paul-François

Comment Paul pouvait-il faire face à tant de travaux et de pénitences? Seulement grâce à sa vie de prière et d'oraison intense, et en contemplant la vie des saints, les seuls détenteurs de la science de Dieu. Ainsi, il passait chaque jour plusieurs heures dans son ermitage à converser intimement seul à seul avec son Seigneur. C'est par cette union constante avec Dieu, de qui vient la grâce, la force et la vie, qu'il pouvait se soutenir dans le genre de vie qui était le sien.

5-2-Premier voyage à Rome en 1724

Paul sentait qu'il devait aller à Rome pour présenter au pape ses projets de fondation. Avec l'accord de son évêque, il partit. À Gênes, alors qu'il attendait le moment de s'embarquer[1], son frère Jean-Baptiste le rejoignit  et lui dit: "Eh bien, oui, partez; mais vous ne trouverez pas de repos sans moi." Paul s'embarqua, mais dès que le bâtiment fut arrivé, le 8 septembre 1724, fête de la Nativité de la sainte Vierge, au mont Argentario, le vent tomba tout à coup, en sorte qu'il fut impossible de continuer le voyage.  Paul "sentit un grand désir de se retirer lui-même dans la solitude de cette montagne, pour y vivre dans la pénitence et la prière", mais de nouveau le vent se leva et le bateau arriva enfin au port de Civita Vecchia. Mais comme on craignait la peste, marins et passagers furent obligés de faire une quarantaine. 

Or Paul n'avait aucune provision, aussi dut-il vivre de quelques morceaux de pain qu'on lui donnait par charité. Mais, "il savait se contenter de peu et souffrir de grand cœur la disette." Il employa les jours de la quarantaine à transcrire en bonne forme les Règles qu'il avait déjà écrites dans l'église de Saint Charles. Le reste du temps, il instruisait et catéchisait les gens qui l'entouraient.

La quarantaine terminée, il prit la route de Rome... Dès qu'il fut arrivé, il visita la basilique Saint-Pierre. "Le lendemain matin, il se rendit au palais pontifical pour se jeter aux pieds du souverain Pontife, Innocent XIII. Il demanda audience, mais sa demande fut rejetée avec mépris par un des serviteurs du palais qui lui dit: 'Vous ne savez donc pas combien de gueux nous viennent ici chaque jour? Partez!'. Paul comprit à cet accueil que le moment marqué par la Providence n'était pas encore venu... et il retourna au mont Argentario..."

5-3-Retour de Rome à Castellazzo

Paul aurait aimé s'installer sur le mont Argentario, dans l'ermitage situé près de l'église de l'Annonciation, mais il devait d'abord demander l'autorisation de l'évêque de Soana. Le voyage de Rome à Soana fut particulièrement éprouvant. Enfin Mgr Fulvio Salvi l'accueillit avec grande bonté et lui accorda ce qu'il désirait. "Se rappelant alors le grand désir que lui avait témoigné, à Gênes, son frère Jean-Baptiste, de s'associer à lui, et réfléchissant à ce que celui-ci lui avait dit, il retourna pour le prendre et demeurer ensuite avec lui dans ce pieux ermitage."

Ce voyage fut aussi éprouvant que le précédent. Cependant, affirme Saint Vincent-Marie Strambi "on ne doit pas s'étonner du reste qu'il ait été souvent exposé à des rencontres si pénibles: son étrange accoutrement choquait les idées des gens dépourvus de l'esprit de Dieu, tandis qu'il en excitait d'autres à la pitié et à la compassion..." À Gênes, nouvelle quarantaine... Dans l'extrême misère où il se trouvait, "Paul s'offrit humblement et sans réserve à la sainte volonté de Dieu, se résignant de tout cœur, pour l'amour de Dieu, aux incommodités et aux souffrances."

Enfin Paul arriva à Castellazzo... Il retrouva Jean-Baptiste, vêtu comme lui du même habit de deuil et de pénitence. Conduits par l'Esprit-Saint, ils quittèrent le pays pour aller au Mont Argentario. Mais avant de quitter son pays et sa famille, Paul écrivit à ses proches la lettre que l'on trouvera en Annexe 1. Nous n'indiquons ci-dessous que les principaux thèmes abordés dans cette longue lettre. Paul-François, qui se sentait obligé de quitter son pays pour répondre aux appels de Dieu, donnait à ses proches quelques avis spirituels :

– En premier lieu, observer avec grande exactitude la sainte loi du Seigneur.

– Avoir une crainte filiale pour ce Dieu aimable qui nous a créés et rachetés. "Sachez, mes bien-aimés, que plus un fils aime tendrement son père, plus il craint de lui déplaire, de le mettre en colère, enfin de l'offenser."

– Aimer ce tendre Père d'un amour très ardent, et avoir pour lui la plus tendre et la plus respectueuse confiance.

– Fréquenter les sacrements, c'est-à-dire, la confession et la communion. "Ah! certes, notre bon Jésus n'a rien pu faire de plus que de se donner lui-même en nourriture; aimons donc ce tendre amant."

– Être dévot envers le Saint-Sacrement; aller souvent à l'église, et visiter avec grande piété l'autel de la sainte Vierge...

– Ne pas passer pas un jour sans faire une demi-heure ou au moins un quart d'heure d'oraison mentale sur la douloureuse Passion du Sauveur.

– Avoir une tendre dévotion aux douleurs de Marie, à sa sainte et immaculée Conception, aux Anges gardiens, aux saints, et surtout aux saints Apôtres.

– Faire fréquemment des actes de repentir de ses péchés et d'amour de Dieu. Paul-François insiste tout particulièrement sur le commandement d'amour proposé par Jésus-Christ: "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés moi-même. Aimez-vous, aimez-vous, parce que c'est à cela qu'on reconnaît l'amour de Dieu."

À ses frères et sœurs, Paul-François, qui s'appellera dorénavant Paul de la Croix, conseille aussi l'obéissance envers leur père et leur mère. Voulant ensuite les tenir éloignés des dangers du monde: "Lisez, leur dit-il, dans le cours de la journée, quelque ouvrage de piété, et fuyez comme le diable les mauvaises compagnies".

5-4-Paul-François et Jean-Baptiste à Argentario

Après un voyage relativement éprouvant mais consolé par les offices de la semaine sainte, à Portercole, nos deux jeunes gens "d'après le conseil de l'archiprêtre de Portercole chez qui ils avaient logé, résolurent, avant de se rendre au mont Argentario, d'aller saluer ensemble Monseigneur l'évêque de Soana pour obtenir de nouveau sa bénédiction... À Pitigliano, ils reçurent la bénédiction de l'évêque, et gagnèrent la solitude tant désirée du mont Argentario, que Paul de la Croix appela plus tard 'la montagne de la sanctification'."

Paul de la Croix raconta plus tard ce qu'avait été leur vie dans cet ermitage: "Paul couchait le plus souvent sur la terre nue, et Jean-Baptiste sur une planche. Ils reposaient peu, car, outre qu'ils se levaient à minuit pour réciter matines et faire oraison jusqu'à trois heures, le matin, de très bonne heure, Paul se levait de nouveau, lorsqu'il entendait les chants du rossignol, et se remettait en prière,.. Leur silence était continuel; ils parlaient peu entre eux pour parler plus souvent avec Dieu et entendre sa voix... En un mot, la vie qu'ils menaient dans cet ermitage était toute de retraite, de silence, de pénitence, de prière..." Cependant ils ne perdaient pas de vue qu'ils étaient appelés à aider le prochain dans la grande affaire du salut éternel. Aussi s'employaient-ils à enseigner et à expliquer la doctrine chrétienne... Ils descendaient à Portercole les jours de fêtes, et là ils apprenaient au peuple à connaître et à aimer Dieu, et à observer sa très sainte loi.

5-5-Vers les missions

Les deux frères ne demeurèrent pas longtemps sur l'Argentario: Monseigneur Pignattelli, évêque de Gaète, les engagea à venir dans sa ville épiscopale et leur accorda la permission de se retirer dans un ermitage voisin de la plage qu'on nomme aujourd'hui Serapi; cet ermitage était sous le patronage de la Sainte Madone de la Chaîne. Les deux frères reprirent leur vie de prière, de jeûne et de pénitence. "Par suite de ces austères pratiques et de cette abstinence rigoureuse, ils étaient devenus si maigres et si décharnés, qu'ils n'avaient plus que la peau sur les os." Le Seigneur continuait leur longue formation.

"Paul et Jean-Baptiste avaient une dévotion extraordinaire pour le très Saint Sacrement... Jésus, dans l'Eucharistie, était leur amour, leur soutien, leur vraie nourriture..." L'évêque d'Alexandria, qui avait dirigé Paul, leur ordonna bientôt "de faire le catéchisme aux enfants dans sa cathédrale et d'aller visiter les moribonds qui les feraient appeler, pour les consoler et leur inspirer les sentiments de la piété chrétienne. Il voulut en outre que Paul donnât les exercices spirituels aux ordinands." Malheureusement, on vit tout de suite s'élever des critiques: on alla même jusqu'à censurer le digne prélat qui osait faire donner les exercices à ses ecclésiastiques, non par un prêtre, mais par un simple ermite...

Puis, en 1724, l'éminent évêque de Troia, Mgr Cavalieri voulut les avoir dans son diocèse, "afin d'exciter les peuples par leur exemple à honorer son bien-aimé Seigneur." Ils partirent de Gaète pour Troia au mois d'août. Arrivés près du mont Gargano, ils passèrent la nuit en prière à la porte de la caverne miraculeuse, célèbre par l'apparition de l'Archange saint Michel. Pendant qu'ils étaient en oraison, le père Jean-Baptiste entendit une voix qui disait: "Visitabo vos in virga ferrea, et dabo vobis Spiritum Sanctum: Je vous châtierai avec une verge de fer, et je vous donnerai le Saint-Esprit". Le Seigneur continuait à les préparer à leurs futures épreuves; mais il leur promettait aussi d'abondantes consolations spirituelles.


[1] À cette époque, c'est souvent par la mer que l'on atteignait Rome.

   

  

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