LES GRANDS MYSTIQUES

 

QUELQUES ŒUVRES DE RUYSBROECK
(1291-1381)

Le miroir du salut éternel

 Les Bénédictins de l'Abbaye de Wisques, dont nous utilisons la traduction de 1919, ont présenté et regroupé dans un même volume, trois ouvrages de Ruysbrœck l'Admirable:

– Le Miroir du Salut éternel,

– Les Sept Degrés de l'Échelle spirituelle et

– Le Livre des sept Clôtures. 

Nous étudierons successivement cette trilogie qui semble s'adresser à une seule et unique religieuse, une clarisse: Dame Marguerite van Meerbeke. Toutefois, l'application à toutes les personnes consacrées paraît évidente. Nous commencerons par "Le Miroir du Salut éternel", le premier de la série. Ce livre, écrit vers 1359, décrit en détails les étapes menant à la vraie vie contemplative et à l'union à Dieu. Ruysbrœck fait d'abord allusion à la création de l'homme, créé à l'image de Dieu, à sa chute et à son salut apporté par Jésus-Christ, salut qui exige de notre part le travail des vertus. Enfin à l'âme devenue souple sous l'action de la grâce divine, Dieu se révèlera à elle d'une façon merveilleuse.  

Ruysbrœck parle d'abord de Notre Seigneur Jésus-Christ:  

"En lui et de lui coule la source de santé éternelle, et de ses blessures s'échappe un baume qui guérit tous les maux... Puissiez-vous y pénétrer, en goûter et ressentir la douceur!... Le Seigneur vous montrera le chemin d'amour qui conduit à son Père... Vous devez donc présenter et offrir le Christ d'un cœur humble et généreux, comme votre vraie offrande... À son tour il vous offrira avec lui-même à son Père céleste... et le Père vous accueillera avec son Fils dans un embrassement plein d'amour."  

Mais avant tout, il faut commencer simplement, car, "le premier et le plus humble degré de vie qui ait en Dieu son origine... est une vie vertueuse, qui meurt au péché et qui va croître en vertus." Oui, il faut d'abord regretter ses péchés, car, conseille Ruysbrœck: "En considérant vos péchés, vos manquements et vos nombreux défauts, vous y trouverez une cause de peine et de regret. Vous comprendrez en même temps combien vous êtes indigne de toute consolation et de tout égard de la part de Dieu et vous considérerez tous ses dons comme venant de sa fidélité éternelle, et de sa miséricorde..." En effet, "les gens… qui désirent mener une vie conforme à la très chère volonté de Dieu, doivent, dans l'humilité de leur cœur, désirer et implorer de sa bonté le don de l'Esprit de sagesse, qui les fera vivre selon son bon plaisir et sa très aimable volonté... "

De plus, il faut toujours progresser, et pour cela vivre les Béatitudes et savoir que nous subirons des persécutions, comme le Christ nous l'a annoncé: "et  nous devons nous en réjouir, selon la parole du Christ, car nous avons une récompense pleine et surabondante dans le ciel... C'est pourquoi il vaut mieux être avec le Christ dans la tribulation et la souffrance, que d'être sans lui dans la joie et les délices..." 

Quand l'âme aura bien progressé, elle atteindra l'union à Dieu, ce que Ruysbrœck appelle la vie mystique, c'est-à-dire "la vie qui s'anéantit dans l'amour, dans l'état de vide, dans la nature simple et la pureté de l'esprit."  Alors, l'âme rencontre Dieu, et, devant ses yeux attentifs, le Père "engendre son Fils, sa clarté infinie; il fait écouler son Esprit, il donne son amour comme prix de cet intime effort de l'esprit humain tendu vers l'éternité... Et nous devenons fils de Dieu par grâce... Dans son esprit nous goûtons son amour. L'union nous rend un même esprit, un même amour, une même vie avec lui, mais nous demeurons toujours créatures... nous sommes autres que lui."  

La vraie contemplation de Dieu peut ensuite nous être accordée. Mais voici les conditions données par Ruysbrœck: "Maintenant observons ses commandements, car il est un Dieu véritable dans la Trinité des personnes... Il mérite une louange éternelle. Bienheureux qui soupire vers lui!" Et tout naturellement Ruysbrœck arrive à l'Eucharistie notre Pâque et notre nourriture. Il écrit: "Notre Pâque, c'est le Christ, que nous recevons dans le Sacrement ... sous la forme d'un aliment qui nourrit le corps. Et chacun peut y trouver un aliment éternel, par le moyen de la foi, de l'amour et du désir... Jésus nous donna, par un procédé surnaturel, sa vie tout aimable, sa chair, son sang, son âme et sa divinité; c'est là une nourriture spirituelle..."  

Ruysbrœck nous rappelle ensuite que la Vierge Marie possédait toutes les qualités indispensables pour recevoir son Fils et Seigneur présent dans l'Eucharistie après son Ascension: "Si donc vous voulez recevoir Notre-Seigneur, vous devez être pure avec Marie..." D'où la conclusion:   

"Examinez votre conscience... et tout ce que vous y trouverez qui puisse déplaire à Dieu, accusez-le et confessez-le d'un cœur humble; devant Dieu et votre confesseur... Quant aux autres imperfections, qui sont journalières et communes et desquelles nul ne peut se garder, parlez-en brièvement et n'en soyez pas inquiète. De tout ce qui est péché ayez, au contraire, grande contrition et regret de cœur..."  

Car Dieu nous aime, et nous ne devons pas oublier que "la partie supérieure de notre âme... est comme un miroir éternel et vivant de Dieu... Dieu a donc créé chaque âme à l'état de miroir vivant où il a imprimé l'image de sa nature. De cette façon il vit en nous par son image et nous en lui; car notre vie créée est, sans intermédiaire, une avec cette image et avec cette vie que nous avons éternellement en Dieu. Et la vie que nous avons en Dieu est, sans intermédiaire, une avec Dieu. Elle vit dans le Père avec le Fils non produit au dehors, elle naît du Père avec le Fils et elle coule de l'un et de l'autre avec le Saint-Esprit; et ainsi vivons-nous éternellement en Dieu et Dieu en nous. Notre être créé, en effet, vit dans l'image éternelle que nous avons dans le Fils de Dieu, et notre image éternelle est une avec la Sagesse de Dieu et vit dans notre être créé. Et c'est pourquoi la génération éternelle et la procession du Saint-Esprit se renouvellent toujours et sans cesse dans le vide de notre âme; car Dieu nous a éternellement connus et aimés, appelés et élus..." 

La vie mystique, c'est-à-dire l'union à Dieu est enfin possible. Ruysbrœck décrit ce que nous appelons la vie mystique: c'est "la vie qui s'anéantit dans l'amour, dans l'état de vide, dans la nature simple et la pureté de l'esprit." L'homme atteint un état de vide, l'évanouissement de toutes ses images. La pureté de son esprit, c'est l'union avec l'Esprit de Dieu. Nous vivons au-dessus de notre raison que cependant nous gardons, "et nous avons conscience de toucher et d'être touchés, d'aimer et d'être aimés, de recommencer toujours et de rentrer en nous-mêmes, d'aller et de venir comme l'éclair dans le ciel…"   

Le toucher de Dieu, qu'est-ce que c'est? C'est la rencontre intime entre Dieu et l'âme. De la source vive qu'est l'Esprit-Saint, "jaillit avec abondance un flot si puissant, si divinement impétueux, que nous ne pouvons pénétrer dans l'abîme de son amour sans fond: c'est le toucher de Dieu. Et c'est pourquoi nous nous tenons toujours en nous-mêmes, au-dessus de la raison et sans images, les yeux fixés sur la beauté incompréhensible et tendant vers elle de toutes nos forces."  

Devant les yeux attentifs de l'âme, le Père "engendre son Fils, sa clarté infinie; il fait écouler son Esprit, il donne son amour comme prix de cet intime effort de l'esprit humain tendu vers l'éternité... Et nous devenons fils de Dieu par grâce... Dans son esprit nous goûtons son amour. L'union nous rend un même esprit, un même amour, une même vie avec lui, mais nous demeurons toujours créatures... nous sommes autres que lui[1]." En effet, nous ne serons jamais Dieu; c'est un thème sur lequel Ruysbrœck insiste constamment. En effet, même si le Fils de Dieu a pris notre nature et s'est fait homme lui-même, il ne nous a pas faits Dieu. Mais nous pouvons contempler l'humanité de Jésus-Christ. Pour cela il faut demander l'aide de Jésus le Fils de Dieu, afin que, dans le Royaume de Dieu nous contemplions la face si belle de notre Bien-Aimé: "En elle nous nous glorifierons et toujours jubilerons... Alors nous pratiquerons son amour, et lui-même à nous se donnera, et en lui nous habiterons..." Mais voici les conditions: "observer ses commandements, car il est un Dieu véritable dans la Trinité des personnes... Il mérite une louange éternelle. Bienheureux qui soupire vers lui!" 

Ruysbrœck peut maintenant s'attarder très longuement sur l'Eucharistie et nous présenter "l'autel de Dieu, où nous recevons une nourriture vivante qui nous vivifie, nous fortifie dans toute souffrance et nous fait vaincre tous nos ennemis ainsi que tout obstacle." D'ailleurs affirmera plus loin Ruysbrœck: "Notre Pâque, c'est le Christ, que nous recevons dans le Sacrement ... sous la forme d'un aliment qui nourrit le corps. Et chacun peut y trouver un aliment éternel, par le moyen de la foi, de l'amour et du désir... Jésus nous donna, par un procédé surnaturel, sa vie tout aimable, sa chair, son sang, son âme et sa divinité; c'est là une nourriture spirituelle..." Et si nous recevons le Christ dignement, nous entrerons dans le Royaume de Dieu, l'amour de Dieu.  

Ruysbrœck priait et demandait déjà, de son vivant, des prières pour tous ceux qui liraient ses ouvrages. Voici qui est très consolant pour nous, pauvres hommes du XXIe siècle.  

Le deuxième volume de la trilogie présentée par les moines de Wisques est appelé: Les sept degrés de l'Échelle d'Amour Spirituel. 

Ruysbrœck commence son ouvrage par un avertissement très net: "C'est la volonté de Dieu que nous soyons saints." Mais comment devenir de vrais saints? En montant les divers degrés de l'amour spirituel. Voici les sept degrés présentés par Ruysbrœck: 

Le premier degré de l'échelle d'amour spirituel est la bonne volonté, fondement de toutes les vertus. Et "lorsque nous n'avons avec Dieu qu'une même pensée et une même volonté, nous sommes au premier degré de l'échelle d'amour et de sainte vie." Mais la bonne volonté exige les bonnes œuvres, car seul "l'arbre bon porte le bon fruit". Le deuxième degré d'amour est la pauvreté volontaire, selon la béatitude présentée par Jésus: "Heureux les pauvres de cœur car le royaume de Dieu est à eux!" Le troisième degré d'amour "est la pureté de l'âme et la chasteté du corps..." Car, rappelle Ruysbrœck: "Celui qui vit selon la volonté de Dieu, est ma mère, ma sœur, mon frère." 

Le quatrième degré de notre échelle céleste "est l'humilité vraie, c'est-à-dire la conscience intime de notre propre bassesse. Par elle, nous vivons avec Dieu et Dieu vit avec nous dans une paix véritable" Ruysbrœck compare l'humilité à une source d'où jaillissent quatre fleuves de vertus et de vie éternelle: l'obéissance, la douceur, la patience, et l'abandon de la volonté propre. Le cinquième degré de l'échelle spirituelle d'amour "consiste à désirer l'honneur de Dieu par-dessus toutes chose..." Mais comment honorer Dieu? "Honorer Dieu, c'est s'abandonner et s'oublier soi-même ainsi que toute créature." Malheureusement nous sommes tombés dans le péché, et pour nous en délivrer, le Père envoya son Fils qui prit notre fardeau, et se fit obéissant jusqu'à la mort, afin de nous faire vivre avec lui, dans sa gloire, éternellement et sans fin. Ainsi, rendre grâce à Dieu relève de la simple justice.        

Celui qui veut faire l'expérience du Sixième degré d'amour, l'union à Dieu "doit offrir à Dieu toutes ses vertus et ses bonnes œuvres, sans envisager aucune récompense. Et, par-dessus tout, il doit s'offrir lui-même et s'abandonner à la libre disposition de Dieu, pour progresser toujours, sans regarder en arrière, dans une vive révérence..."  Enfin, Le septième degré, "existe lorsque, au-dessus de toute connaissance et de tout savoir, nous découvrons en nous un non-savoir sans limite..." Nous nous perdons alors dans un éternel inconnu et nous découvrons un repos et "une béatitude immense, où nous sommes tous un, cet 'un' même qui est la béatitude même dans son essence..." Et "nous contemplerons le Père, le Fils et le Saint Esprit, Dieu trine en personnes, un seul Dieu en nature, qui a créé le ciel et la terre et tout ce qui existe. Nous l'aimerons, le remercierons et le louerons à tout jamais." 

Ruysbrœck peut maintenant passer au Livre des  sept clôtures qui énumère les enceintes dans lesquelles une âme doit s'enfermer pour arriver à la cohabitation avec les trois personnes de la Sainte Trinité. Ce livre s'adresse surtout à des religieuses cloîtrées du XIVe siècle, mais ce véritable traité de théologie spirituelle peut aussi permettre à nos contemporains de découvrir les moyens pratiques pour entrer dans les "espaces" inexprimables que Dieu réserve à ceux qui Le cherchent vraiment.  

Avant tout, nous devons d'abord nous souvenir que "Le Christ, le Fils de Dieu, s'est humilié et anéanti lui-même et qu'il a pris la forme d'esclave afin de nous servir. Il a été doux, miséricordieux et obéissant envers son Père céleste jusqu'à la mort, tout cela pour nous. Au milieu de ses disciples, il a voulu paraître comme un serviteur, disant lui-même 'qu'il était venu non pour être servi, mais pour servir'." Et Ruysbrœck n'hésite pas à déclarer que "le fondement de toute sainteté est la pureté de conscience..."  Il rappelle également les vertus à mettre en œuvre et la nécessité de l'examen de conscience. Ruysbrœck peut alors parler des sept clôtures. 

La première clôture est matérielle et sépare du monde. La seconde clôture doit faire en sorte que la partie sensible de l'être humain soit toujours soumise à la raison, la raison qui doit constamment surveiller l'homme trop souvent enclin à pécher. La seconde clôture, spirituelle, consiste à faire en sorte "que notre partie sensible soit toujours soumise à la raison tout comme une servante à sa maîtresse..." La troisième clôture, c'est la grâce et l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi Jésus nous revêt de son vêtement de joie et d'amour, "nous vivons en lui et lui en nous.... Or, lorsque le bien-aimé est uni à son Bien-Aimé dans une clôture d'amour, c'est là un amour achevé." Cet amour effectif donne accès à la quatrième clôture. Nous remettons à Dieu notre volonté pour ne vouloir que ce que Dieu veut. 

Dans la cinquième clôture, "notre amour, devenu chaste et parfait, ressemble à un anneau d'or. Là, notre intelligence nue est élevée et établie, tandis qu'elle regarde fixement et contemple avec une vue simple dans la lumière divine. Tous ceux que l'amour conduit là sont les élus de Dieu car ils y trouvent une vie contemplative élevée à un amour éternel. La vie raisonnable qu'ils portent en eux est remplie de grâce, de charité et de saintes pratiques. Enfin, dans la partie inférieure d'eux-mêmes ils ont une vie sensible pleinement soumise aux commandements de Dieu, avec des mœurs honnêtes et la pratique des bonnes œuvres extérieures, aux yeux de tous... Lorsque l'homme possède et pratique ces trois vies: vie contemplative, vie raisonnable, vie sensible, il devient parfait…" Dès lors, dans le Père nous avons vie, dans le Fils nous sommes engendrés, et dans le Saint-Esprit, nous sommes éternellement aimés. C'est la sixième clôture.  

La septième clôture surpasse toutes les autres; elle "consiste en un repos apaisé et inactif par-dessus toutes nos œuvres. C'est une simple béatitude... qui rassasie toute faim et soif, tout amour et toute ardeur vers Dieu..." Ruysbrœck peut alors affirmer que  "nul autre que le Saint-Esprit ne peut donner accès aux sept clôtures et nul n'y entre s'il n'aime Dieu."  

Les textes cités viennent tous de la traduction du flamand en français, et présentation des œuvres de Ruysbrœck par les moines bénédictins de Saint-Paul de Wisques. 

Les personnes qui désirent lire des textes de Ruysbrœck mais plus courts et expliqués, peuvent se rendre sur les sites Internet:

         Nouvelle Évangélisation dans la littérature spirituelle, Biographies, Jean de Ruysbroeck - Ses Œuvres  

        Voie Mystique   Extraits biographiques puis Jean de Ruysbrœck, dans la table alphabétique.

Paulette Leblanc


 

[1] Notons que chaque fois qu'il le peut, Ruysbrœck a soin de combattre les hérésies qui sévissaient alors aux Pays-Bas.

 

 

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