Le
miroir du salut éternel
Les
Bénédictins de l'Abbaye de Wisques, dont nous utilisons la
traduction de 1919, ont présenté et regroupé dans un même
volume, trois ouvrages de Ruysbrœck l'Admirable:
– Le Miroir du Salut éternel,
– Les
Sept Degrés de l'Échelle spirituelle et
– Le
Livre des sept Clôtures.
Nous
étudierons successivement cette trilogie qui semble
s'adresser à une seule et unique religieuse, une clarisse:
Dame Marguerite van Meerbeke. Toutefois, l'application à
toutes les personnes consacrées paraît évidente. Nous
commencerons par
"Le
Miroir du Salut éternel",
le premier de la série. Ce livre, écrit vers 1359, décrit en
détails les étapes menant à la vraie vie contemplative et à
l'union à Dieu. Ruysbrœck
fait d'abord
allusion à la création de l'homme, créé à l'image de Dieu, à
sa chute et à son salut apporté par Jésus-Christ, salut qui
exige de notre part le travail des vertus. Enfin à l'âme
devenue souple sous l'action de la grâce divine, Dieu se
révèlera à elle d'une façon merveilleuse.
Ruysbrœck parle d'abord de Notre Seigneur Jésus-Christ:
"En lui et de lui coule la source de santé éternelle, et de
ses blessures s'échappe un baume qui guérit tous les maux...
Puissiez-vous y pénétrer, en goûter et ressentir la
douceur!... Le Seigneur vous montrera le chemin d'amour qui
conduit à son Père... Vous devez donc présenter et offrir le
Christ d'un cœur humble et généreux, comme votre vraie
offrande... À son tour il vous offrira avec lui-même à son
Père céleste... et le Père vous accueillera avec son Fils
dans un embrassement plein d'amour."
Mais avant tout, il faut
commencer simplement, car, "le
premier et le plus humble degré de vie qui ait en Dieu son
origine... est une vie vertueuse, qui meurt au péché et qui
va croître en vertus."
Oui, il faut d'abord regretter ses péchés, car, conseille
Ruysbrœck: "En considérant vos péchés, vos manquements et
vos nombreux défauts, vous y trouverez une cause de peine et
de regret. Vous comprendrez en même temps combien vous êtes
indigne de toute consolation et de tout égard de la part de
Dieu et vous considérerez tous ses dons comme venant de sa
fidélité éternelle, et de sa miséricorde..." En effet,
"les gens… qui
désirent mener une vie conforme à la très chère volonté de
Dieu, doivent, dans l'humilité de leur cœur, désirer et
implorer de sa bonté le don de l'Esprit de sagesse, qui les
fera vivre selon son bon plaisir et sa très aimable
volonté... "
De plus, il faut toujours
progresser, et pour cela vivre les Béatitudes et savoir que
nous subirons des persécutions, comme le Christ nous l'a
annoncé: "et nous
devons nous en réjouir, selon la parole du Christ, car nous
avons une récompense pleine et surabondante dans le ciel...
C'est pourquoi il vaut mieux être avec le Christ dans la
tribulation et la souffrance, que d'être sans lui dans la
joie et les délices..."
Quand l'âme aura bien
progressé, elle atteindra l'union à Dieu, ce que Ruysbrœck
appelle la vie mystique, c'est-à-dire "la vie qui
s'anéantit dans l'amour, dans l'état de vide, dans la nature
simple et la pureté de l'esprit." Alors, l'âme
rencontre Dieu, et, devant ses yeux attentifs, le Père
"engendre son Fils,
sa clarté infinie; il fait écouler son Esprit, il donne son
amour comme prix de cet intime effort de l'esprit humain
tendu vers l'éternité... Et nous devenons fils de Dieu par
grâce... Dans son esprit nous goûtons son amour. L'union
nous rend un même esprit, un même amour, une même vie avec
lui, mais nous demeurons toujours créatures... nous sommes
autres que lui."
La vraie contemplation de Dieu
peut ensuite nous être accordée. Mais voici les conditions
données par Ruysbrœck: "Maintenant observons ses
commandements, car il est un Dieu véritable dans la Trinité
des personnes... Il mérite une louange éternelle.
Bienheureux qui soupire vers lui!" Et tout naturellement
Ruysbrœck arrive à l'Eucharistie notre Pâque et notre
nourriture. Il écrit:
"Notre Pâque, c'est le Christ,
que nous recevons dans le Sacrement ... sous la forme d'un
aliment qui nourrit le corps. Et chacun peut y trouver un
aliment éternel, par le moyen de la foi, de l'amour et du
désir... Jésus nous donna, par un procédé surnaturel, sa vie
tout aimable, sa chair, son sang, son âme et sa divinité;
c'est là une nourriture spirituelle..."
Ruysbrœck nous rappelle
ensuite que la Vierge Marie possédait toutes les qualités
indispensables pour recevoir son Fils et Seigneur présent
dans l'Eucharistie après son Ascension: "Si donc vous
voulez recevoir Notre-Seigneur, vous devez être pure avec
Marie..." D'où la conclusion:
"Examinez votre conscience... et tout ce que vous y
trouverez qui puisse déplaire à Dieu, accusez-le et
confessez-le d'un cœur humble; devant Dieu et votre
confesseur... Quant aux autres imperfections, qui sont
journalières et communes et desquelles nul ne peut se
garder, parlez-en brièvement et n'en soyez pas inquiète. De
tout ce qui est péché ayez, au contraire, grande contrition
et regret de cœur..."
Car Dieu nous aime, et nous ne
devons pas oublier que
"la partie supérieure de notre
âme... est comme un miroir éternel et vivant de Dieu... Dieu
a donc créé chaque âme à l'état de miroir vivant où il a
imprimé l'image de sa nature. De cette façon il vit en nous
par son image et nous en lui; car notre vie créée est, sans
intermédiaire, une avec cette image et avec cette vie que
nous avons éternellement en Dieu. Et la vie que nous avons
en Dieu est, sans intermédiaire, une avec Dieu. Elle vit
dans le Père avec le Fils non produit au dehors, elle naît
du Père avec le Fils et elle coule de l'un et de l'autre
avec le Saint-Esprit; et ainsi vivons-nous éternellement en
Dieu et Dieu en nous. Notre être créé, en effet, vit dans
l'image éternelle que nous avons dans le Fils de Dieu, et
notre image éternelle est une avec la Sagesse de Dieu et vit
dans notre être créé. Et c'est pourquoi la génération
éternelle et la procession du Saint-Esprit se renouvellent
toujours et sans cesse dans le vide de notre âme; car Dieu
nous a éternellement connus et aimés, appelés et élus..."
La vie mystique, c'est-à-dire
l'union à Dieu est enfin possible. Ruysbrœck décrit ce que
nous appelons la vie mystique: c'est "la vie qui
s'anéantit dans l'amour, dans l'état de vide, dans la nature
simple et la pureté de l'esprit." L'homme atteint un
état de vide, l'évanouissement de toutes ses images. La
pureté de son esprit, c'est l'union avec l'Esprit de Dieu.
Nous vivons au-dessus de notre raison que cependant nous
gardons, "et nous
avons conscience de toucher et d'être touchés, d'aimer et
d'être aimés, de recommencer toujours et de rentrer en
nous-mêmes, d'aller et de venir comme l'éclair dans le
ciel…"
Le toucher de Dieu, qu'est-ce que c'est? C'est la rencontre
intime entre Dieu et l'âme. De la source vive qu'est
l'Esprit-Saint, "jaillit avec abondance un flot si
puissant, si divinement impétueux, que nous ne pouvons
pénétrer dans l'abîme de son amour sans fond: c'est le
toucher de Dieu. Et c'est pourquoi nous nous tenons toujours
en nous-mêmes, au-dessus de la raison et sans images, les
yeux fixés sur la beauté incompréhensible et tendant vers
elle de toutes nos forces."
Devant les yeux
attentifs de l'âme, le Père
"engendre son
Fils, sa clarté infinie; il fait écouler son Esprit, il
donne son amour comme prix de cet intime effort de l'esprit
humain tendu vers l'éternité... Et nous devenons fils de
Dieu par grâce... Dans son esprit nous goûtons son amour.
L'union nous rend un même esprit, un même amour, une même
vie avec lui, mais nous demeurons toujours créatures... nous
sommes autres que lui."
En effet,
nous ne serons jamais Dieu; c'est un
thème sur lequel Ruysbrœck insiste constamment. En effet,
même si le Fils de Dieu a pris notre nature et s'est fait
homme lui-même, il ne nous a pas faits Dieu. Mais nous
pouvons contempler l'humanité de Jésus-Christ. Pour cela il
faut demander l'aide de Jésus le Fils de Dieu, afin que,
dans le Royaume de Dieu nous contemplions la face si belle
de notre Bien-Aimé: "En elle nous nous glorifierons et
toujours jubilerons... Alors nous pratiquerons son amour, et
lui-même à nous se donnera, et en lui nous habiterons..."
Mais voici les conditions:
"observer ses commandements, car il est un Dieu véritable
dans la Trinité des personnes... Il mérite une louange
éternelle. Bienheureux qui soupire vers lui!"
Ruysbrœck peut maintenant
s'attarder très longuement sur l'Eucharistie et nous
présenter "l'autel de Dieu, où nous recevons une
nourriture vivante qui nous vivifie, nous fortifie dans
toute souffrance et nous fait vaincre tous nos ennemis ainsi
que tout obstacle." D'ailleurs affirmera plus loin
Ruysbrœck: "Notre Pâque, c'est le Christ, que nous
recevons dans le Sacrement ... sous la forme d'un aliment
qui nourrit le corps. Et chacun peut y trouver un aliment
éternel, par le moyen de la foi, de l'amour et du désir...
Jésus nous donna, par un procédé surnaturel, sa vie tout
aimable, sa chair, son sang, son âme et sa divinité; c'est
là une nourriture spirituelle..." Et si nous recevons le
Christ dignement, nous entrerons dans le Royaume de Dieu,
l'amour de Dieu.
Ruysbrœck priait et demandait déjà, de son vivant, des
prières pour tous ceux qui liraient ses ouvrages. Voici qui
est très consolant pour nous, pauvres hommes du XXIe siècle.
Le deuxième volume de la trilogie présentée par les moines
de Wisques est appelé:
Les sept
degrés de l'Échelle d'Amour Spirituel.
Ruysbrœck commence son ouvrage
par un avertissement très net: "C'est
la volonté de Dieu que nous soyons saints."
Mais
comment devenir de vrais saints? En montant les divers
degrés de l'amour spirituel. Voici les sept degrés présentés
par Ruysbrœck:
Le premier degré de l'échelle
d'amour spirituel est la bonne volonté, fondement de
toutes les vertus. Et "lorsque nous n'avons avec Dieu
qu'une même pensée et une même volonté, nous sommes au
premier degré de l'échelle d'amour et de sainte vie."
Mais la bonne volonté exige les bonnes œuvres, car seul "l'arbre
bon porte le bon fruit". Le deuxième degré d'amour est
la pauvreté volontaire, selon la béatitude présentée
par Jésus: "Heureux les pauvres de cœur car le royaume de
Dieu est à eux!" Le troisième degré d'amour
"est la pureté de l'âme et la chasteté du corps..."
Car, rappelle Ruysbrœck:
"Celui qui vit selon la
volonté de Dieu, est ma mère, ma sœur, mon frère."
Le quatrième degré de notre échelle céleste
"est l'humilité vraie, c'est-à-dire la conscience
intime de notre propre bassesse. Par elle, nous vivons avec
Dieu et Dieu vit avec nous dans une paix véritable"
Ruysbrœck compare l'humilité à une source d'où jaillissent
quatre fleuves de vertus et de vie éternelle: l'obéissance,
la douceur, la patience, et l'abandon de la volonté propre.
Le cinquième degré de l'échelle spirituelle d'amour
"consiste à désirer l'honneur de Dieu par-dessus toutes
chose..." Mais comment honorer Dieu? "Honorer Dieu,
c'est s'abandonner et s'oublier soi-même ainsi que toute
créature." Malheureusement nous sommes tombés dans le
péché, et pour nous en délivrer, le Père envoya son Fils qui
prit notre fardeau, et se fit obéissant jusqu'à la mort,
afin de nous faire vivre avec lui, dans sa gloire,
éternellement et sans fin. Ainsi, rendre grâce à Dieu relève
de la simple justice.
Celui qui veut faire
l'expérience du Sixième degré d'amour, l'union à Dieu
"doit offrir à Dieu toutes ses vertus et ses bonnes
œuvres, sans envisager aucune récompense. Et, par-dessus
tout, il doit s'offrir lui-même et s'abandonner à la libre
disposition de Dieu, pour progresser toujours, sans regarder
en arrière, dans une vive révérence..." Enfin, Le
septième degré, "existe lorsque, au-dessus de toute
connaissance et de tout savoir, nous découvrons en nous un
non-savoir sans limite..." Nous nous perdons alors dans
un éternel inconnu et nous découvrons un repos et "une
béatitude immense, où nous sommes tous un, cet 'un' même qui
est la béatitude même dans son essence..." Et
"nous contemplerons le Père,
le Fils et le Saint Esprit, Dieu trine en personnes, un seul
Dieu en nature, qui a créé le ciel et la terre et tout ce
qui existe. Nous l'aimerons, le remercierons et le louerons
à tout jamais."
Ruysbrœck peut maintenant passer au
Livre des
sept clôtures
qui
énumère
les enceintes dans lesquelles une âme doit s'enfermer pour
arriver à la cohabitation avec les trois personnes de la
Sainte Trinité. Ce livre
s'adresse surtout à des religieuses cloîtrées du XIVe
siècle, mais ce véritable traité de théologie spirituelle
peut aussi permettre à nos contemporains de découvrir les
moyens pratiques pour entrer dans les "espaces"
inexprimables que Dieu réserve à ceux qui Le cherchent
vraiment.
Avant tout, nous devons d'abord nous souvenir que "Le
Christ, le Fils de Dieu, s'est humilié et anéanti lui-même
et qu'il a pris la forme d'esclave afin de nous servir. Il a
été doux, miséricordieux et obéissant envers son Père
céleste jusqu'à la mort, tout cela pour nous. Au milieu de
ses disciples, il a voulu paraître comme un serviteur,
disant lui-même 'qu'il était venu non pour être servi, mais
pour servir'." Et Ruysbrœck n'hésite pas à déclarer que
"le fondement de toute sainteté est la pureté de
conscience..." Il rappelle également les vertus à
mettre en œuvre et la nécessité de l'examen de conscience.
Ruysbrœck peut alors parler des sept clôtures.
La première clôture
est matérielle et sépare du monde. La seconde clôture
doit faire en sorte que la partie sensible de l'être humain
soit toujours soumise à la raison, la raison qui doit
constamment surveiller l'homme trop souvent enclin à pécher.
La seconde clôture, spirituelle, consiste à faire en sorte
"que notre partie sensible soit toujours soumise à la
raison tout comme une servante à sa maîtresse..." La
troisième clôture, c'est la grâce et l'amour de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi Jésus nous revêt
de son vêtement de joie et d'amour, "nous vivons en lui
et lui en nous.... Or, lorsque le bien-aimé est uni à son
Bien-Aimé dans une clôture d'amour, c'est là un amour
achevé." Cet amour effectif donne accès à la
quatrième clôture. Nous remettons à Dieu notre volonté
pour ne vouloir que ce que Dieu veut.
Dans la cinquième clôture, "notre
amour, devenu chaste et parfait, ressemble à un anneau d'or.
Là, notre intelligence nue est élevée et établie, tandis
qu'elle regarde fixement et contemple avec une vue simple
dans la lumière divine. Tous ceux que l'amour conduit là
sont les élus de Dieu car ils y trouvent une vie
contemplative élevée à un amour éternel. La vie
raisonnable qu'ils portent en eux est remplie de grâce,
de charité et de saintes pratiques. Enfin, dans la partie
inférieure d'eux-mêmes ils ont une vie sensible
pleinement soumise aux commandements de Dieu, avec des mœurs
honnêtes et la pratique des bonnes œuvres extérieures, aux
yeux de tous... Lorsque l'homme possède et pratique ces
trois vies: vie contemplative, vie raisonnable, vie
sensible, il devient parfait…"
Dès lors, dans le Père nous avons vie, dans le Fils nous
sommes engendrés, et dans le Saint-Esprit, nous sommes
éternellement aimés. C'est la
sixième clôture.
La septième clôture
surpasse toutes les autres;
elle "consiste en un repos apaisé et inactif par-dessus
toutes nos œuvres. C'est une simple béatitude... qui
rassasie toute faim et soif, tout amour et toute ardeur vers
Dieu..." Ruysbrœck peut alors affirmer que
"nul autre que le Saint-Esprit
ne peut donner accès aux sept clôtures et nul n'y entre s'il
n'aime Dieu."
Les
textes cités viennent tous de la traduction du flamand en
français, et présentation des œuvres de Ruysbrœck par les
moines bénédictins de Saint-Paul de Wisques.
Les
personnes qui désirent lire des textes de Ruysbrœck mais
plus courts et expliqués, peuvent se rendre sur les sites
Internet:
Nouvelle Évangélisation
dans la littérature spirituelle, Biographies,
Jean de
Ruysbroeck - Ses Œuvres
Voie
Mystique Extraits biographiques puis Jean de
Ruysbrœck, dans la table alphabétique.
Paulette
Leblanc
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