Le
12 mai 2013, le pape François canonisa les 813 saints
martyrs d'Otrante. (Otrante est une commune de la
province
de Lecce, dans les Pouilles, en Italie. Elle donna son
nom au Canal d'Otrante qui sépare l'Italie de
l'Albanie.) Les martyrs d'Otrante sont 800 hommes
inconnus: pêcheurs, artisans, bergers et agriculteurs
d’une petite ville: Salento. Il y a cinq siècles, le 14
août 1480, leur sang a été versé par les turcs conduits
par Gedik Ahmed Pacha, uniquement parce qu’ils étaient
chrétiens. Seul le nom d’Antonio Primaldo est resté
parce qu'il s'était écrié avant de mourir:
"Nous considérons
Jésus-Christ comme notre Seigneur et le vrai Dieu. Nous
préférons plutôt mille fois mourir que de le renier et
devenir turcs."
Que s'était-il donc passé en 1480?
Nous
vous rappelons d'abord qu'en 1453, à la tête d’une armée
de 260000 Turcs, Mehmet II avait conquis Byzance, ou
Constantinople, la "seconde Rome". Dès lors, il
projetait de s’emparer de la "première Rome", la vraie
Rome, et de transformer la basilique Saint-Pierre en
écurie pour ses chevaux. Nous nous souvenons aussi que
1453 signe la fin de la Guerre de cent ans, et la fin du
Moyen-âge. En juin 1480, Mehmet II juge le moment
opportun: il dirige sa flotte vers la mer Adriatique. Il
a l’intention de s’emparer de Brindisi, et de remonter
l’Italie jusqu’au siège de la papauté. Mais un fort vent
contraire contraint cependant les navires à toucher
terre à 50 milles plus au sud. Le débarquement eut lieu
à Roca, à quelques kilomètres d’Otrante. Nous sommes le
28 juillet 1480, et l'armée turque était forte de 90
galères, 40 galiotes et 20 autres navires, au total 18
000 soldats.
Otrante, ville située le plus à l’est de l’Italie, est
un pont entre l’Orient et l’Occident. C'est une ville
historique: c’est à Otrante que saint François d’Assise,
revenant de Terre Sainte, avait débarqué en 1219 et
avait été accueilli avec tous les honneurs. En 1480, au
moment du débarquement des Ottomans, la ville ne peut
compter que sur une garnison de 400 hommes armés qui
fuiront avant même les premiers combats. Seuls restèrent
les habitants pour défendre Otrante. La ville résista de
toutes ses forces aux attaques, mais sa population
composée seulement de 6 000 habitants ne put s'opposer
longtemps aux bombardements de l'artillerie turque. En
définitive, le 29 juillet 1480 tous les habitants
abandonnèrent le bourg aux mains des Turcs en se
retirant dans la citadelle tandis que ceux-ci
commencèrent leur razzia, même dans les habitations
avoisinantes. Quand Gedik Ahmed Pacha demanda aux
défenseurs de se rendre, ceux-ci refusèrent, et
l'artillerie turque reprit le bombardement. Le 11 août
après 15 jours de siège, Gedik Ahmed Pacha donna
l'ordre de l'attaque finale et réussit à enfoncer les
défenses et à prendre le château. Un terrible massacre
s'ensuivit. Tous les hommes de plus de quinze ans furent
tués et les femmes et les enfants réduits en esclavage.
S’ensuivit un siège éprouvant: les bombardes turques
lancent des centaines de boulets de pierre sur la ville
(beaucoup d’entre eux sont encore visibles aujourd’hui
dans les rues du centre historique). Quinze jours plus
tard, à l’aube du 12 août, les Ottomans concentrent
leurs tirs sur un des points les plus fragiles des
murailles. Ils ouvrent une brèche, envahissent les rues,
massacrant tout ce qui est à la portée de leurs tirs.
Ils gagnent la cathédrale où de nombreux habitants
s'étaient réfugiés.
Environ huit cents habitants furent présentés au Pacha
qui leur ordonna de se convertir sinon ils seraient tous
tués. Antonio Primaldo, un tailleur, d’un âge avancé,
mais plein de foi et de ferveur, déclara au nom de tous,
"croire tous en Jésus-Christ, Fils de Dieu, et être
prêts à mourir mille fois pour lui." À ces mots, tous se
mirent à crier d’une seule voix et avec ferveur:
"Plutôt mourir mille fois, et de n’importe quelle mort
que de renier le Christ." Le lendemain matin,
"ces braves champions de la sainte foi avec la corde
autour du cou et les mains attachées derrière le dos,
furent emmenés au col de Minerve tout proche." Le
tyran ordonna qu’on leur tranchât la tête; le premier à
avoir la tête coupée fut le vieux Primaldo. C'était le
14 août 1480.
Le
sacrifice des huit cents d’Otrante et, les deux semaines
de résistance de la ville permirent à l’armée du roi de
Naples de s’organiser et de se rapprocher de ces lieux,
empêchant ainsi les 18 000 Ottomans d’envahir toute la
région des Pouilles et d’avancer sur Rome.
Les
rescapés et le clergé qui s'étaient réfugiés à
l'intérieur de la cathédrale afin de prier avec
l'archevêque Stefano Agricoli, furent tous tués, et
l'église fut transformée en étable à chevaux. Toutes les
personnes massacrées furent reconnues martyrs de
l'Église et vénérées comme bienheureux martyrs
d'Otrante. La plus grande partie de leurs ossements se
trouve dans sept grandes armoires en bois dans la
chapelle des Martyrs bâtie dans l'abside droite de la
cathédrale d'Otrante. Sur le col de la Minerve fut
construite une petite église qui leur fut dédiée, Sainte
Marie des Martyrs. Treize mois après, Otrante était
reconquise par les Aragonais.
La
cause de ces martyrs de l'Église catholique sera tout
d'abord instruite par le pape Clément XIV en 1711, qui
les béatifia, puis elle s'endormit plusieurs siècles.
C'est finalement Benoît XVI qui reconnut officiellement
«le miracle» obtenu en 1981 par une religieuse de cette
ville, sœur Francesca, atteinte d'un cancer à l'ovaire
dont la «guérison inexpliquée» serait intervenue après
avoir prié les reliques de ces martyrs.
Le
saint Siège fut très prudent avant d'annoncer cette
canonisation, redoutant une polémique qui pourrait venir
du côté de l'islam, l'Église catholique osant
aujourd'hui, dans un contexte de relations tendues,
proposer à la méditation de ses fidèles l'exemple de ces
résistants de la foi. Ce sujet était si délicat que
cette cause de canonisation collective resta au point
mort sous le pontificat de Jean-Paul II, et que ce n'est
que presque au dernier jour du pontificat de Benoît XVI
qu'elle fut annoncée. C'est en effet le 11 février
dernier que le pape allemand a officiellement reconnu le
miracle pour la religieuse, ouvrant ainsi la voie à la
canonisation. Une minute plus tard, Benoît XVI, devant
les mêmes cardinaux réunis en consistoire, annonçait
qu'il avait décidé de renoncer à son pontificat. C'est
le pape François qui procéda à cette canonisation.
Méditant sur la force de ces martyrs, le pape François a
posé cette question: "Où trouvèrent-ils la force de
demeurer fidèles?" Réponse: "Dans la foi qui nous
fait voir au-delà des limites de notre regard humain"
et ce, "même au cœur des obstacles et des
incompréhensions." Et le pape François d'ajouter:
"Demandons au Seigneur qu'il soutienne les nombreux
chrétiens qui, à notre époque et dans de nombreuses
parties du monde, souffrent encore de violences. Qu'il
leur donne le courage d'être fidèles et de répondre au
mal par le bien." Aujourd'hui, quand des chrétiens
vivent le pire, on peut vraiment dire que la foi est
notre seul trésor.
Concluons: Le calife Mehmet II, qui avait déjà pris
Constantinople, avait pour objectif de s'emparer de
Rome. Mais il a été arrêté par des chrétiens prêts à
défendre la foi en versant leur sang.
Le
martyre de ces huit cents personnes a eu lieu en 1480,
un 14 août, le jour où la liturgie rappelle leur
souvenir. Cinq siècles plus tard, en 1980, Jean-Paul II
s’est rendu à cause d’eux à Otrante, la ville d’Italie
où ils furent martyrisés. Le 6 juillet 2007, Benoît XVI
a authentifié de manière définitive leur martyre par un
décret promulgué par la congrégation pour la cause des
saints. Qui étaient les huit cents d’Otrante? Des gens
ordinaires. Pourquoi ont-ils été tués? En haine des
chrétiens.
Leur
histoire est extraordinairement actuelle, comme l’est le
conflit entre l'islam et le christianisme au cours
duquel ils ont sacrifié leur vie.
Paulette Leblanc |