Jean-Martin Moyë naquit le 27 janvier 1730, à Cutting,
dans la région de Dieuze appartenant au diocèse de Metz.
Il était le sixième d'une famille de treize enfants, de
lointaine ascendance polonaise. Son père,
Jean-Christophe Moyë, fermier très actif avait obtenu un
brevet de maître de Poste du Roi Stanislas, duc de
Lorraine; sa mère Anne-Catherine Demange, venait d'un
milieu de cultivateurs. Ce foyer, relativement aisé,
était aussi profondément chrétien.
On
ne sait que peu de choses sur l'enfance de Jean-Martin,
sinon que, encore très jeune, il se révélait déjà
apôtre. Ainsi, lorsqu'il jouait avec ses amis, souvent
il grimpait sur un poirier improvisant une chaire afin
de faire un sermon aux gamins de son village. Plus tard,
avec son frère aîné, Jean-Jacques, entré au séminaire
Saint-Simon, à Metz, il prit des leçons de latin. Son
directeur fut frappé par son intelligence et il
convainquit ses parents pour qu'ils l'envoient à
l'Université de Pont-à-Mousson. Notons ici que
Jean-Jacques mourut en septembre 1744, âgé de 24 ans, ce
qui fut un très grand chagrin pour Jean-Martin.
Vers
1745, Jean-Martin entra à l’université de Pont-à-Mousson
puis à celle de Strasbourg vers 1747 pour y étudier la
philosophie. Ensuite, Jean-Martin alla au Séminaire
Saint-Simon en 1751 et fut ordonné prêtre le 9 mars 1754
par Mgr Louis de Montmorency-Laval, évêque de Metz.
Jean-Martin fut vicaire dans trois paroisses de Metz:
Saint-Victor, de mars 1754 à mai 1756, Saint-Livier
d'octobre 1756 à décembre 1758, et enfin, à
Sainte-Croix, de janvier 1759 à janvier 1765.
Incontestablement, Jean-Martin aimait son ministère en
paroisse, et il le préférait, de beaucoup, au
professorat de lettres, auquel avait songé pour lui son
Supérieur. Car tout jeune prêtre, il avait déjà la
claire vision de la détresse des âmes. Pendant dix ans,
vicaire dans les différentes paroisses de Metz, le
sacerdoce de Jean-Martin révéla sa spiritualité: grande
piété, abandon à la Providence, hantise des âmes à
sauver, et surtout un grand esprit de pauvreté. En 1765,
Jean-Martin fut nommé curé de Dieuze, en Moselle,
pendant quelques années, puis, en octobre 1768, il fut
affecté au séminaire de Saint-Dié qui venait d'être
ouvert par Mgr de Mareil, évêque de Sion.
La
fondation des Sœurs de la Providence fut la première
œuvre essentielle de Jean-Martin. Au cours de ses
vicariats à Metz, le jeune Abbé Moyë, qui prêchait des
missions dans les villages d'alentour, avait été frappé
par l'abandon absolu où se trouvaient les enfants de la
campagne. Aussi conçut-il le projet de recruter des
jeunes filles capables de remédier à cette misère. Ce
seraient des sœurs "de plein vent" qui iraient
deux par deux dans les hameaux faire l'école aux
enfants. Pour le logement et la subsistance, elles s'en
remettraient à la Providence et à la pitié des
habitants. Un tel programme de vie ne pouvait tenter que
des âmes bien trempées. Et il s'en trouva! La première
fut Marguerite Lecomte, qui s'installa, le 14 janvier
1762, dans un pauvre hameau dépendant de Vigy, à
quelques kilomètres de Metz. C'est alors que, face aux
autorités civiles réticentes, l'évêque de Metz, Mgr de
Montmorency, déplaça une nouvelle fois Jean-Martin qui
acquit la certitude, en raison même de tous ses
déboires, que son œuvre était bénie de Dieu. Notons ici
que Marguerite Lecomte mourra à 98 ans, après avoir
enseigné pendant 53 années même sous la Terreur.
Le
nouvel institut se développa très vite, et chaque année,
des jeunes filles accouraient pour ouvrir de nouvelles
écoles. Mademoiselle Fresne, de Metz, se chargea de
former les premières volontaires. La première à se
lancer dans cette œuvre, Marguerite Lecomte dont nous
venons de parler, était une simple ouvrière. Mais
Jean-Martin ne délaissait pas sa famille, et, le 29
septembre 1762, à Cutting, il assista sa mère mourante.
Naturellement le zèle de Jean-Martin ne plaisait pas à
tout le monde. Bientôt on l'accusa, d'abord de son
imprudence lorsqu'il envoyait des jeunes femmes dans des
hameaux perdus, mais aussi de son rigorisme dans sa
pratique du sacrement de pénitence et d’injustes
critiques envers le clergé. En conséquence, Mgr Bertin,
l’évêque, ordonna à Jean-Martin, en mai 1762, de
suspendre les envois d’enseignantes volontaires dans les
campagnes, sans cependant renvoyer celles qui s’y
trouvaient déjà. En même temps il le nommait vicaire à
la paroisse de Dieuze. C’était à peine une sanction,
puisqu’en allant à Dieuze Jean-Martin Moyë rentrait en
pays de connaissances, Cutting n’en étant distant que de
quelques kilomètres.
Ce
qui coûta le plus à l’abbé Moyë en cette affaire ne fut
pas son éloignement de Metz, mais l’interdiction de
former de nouvelles volontaires. Mademoiselle Fresne et
un ami, l’abbé Jobal, le rassurèrent en affirmant que la
mesure ne serait que temporaire, et que l’œuvre de
celles qu’il commençait à appeler les "pauvres sœurs"
repartirait bientôt. Et cela fut, puisque, quelques mois
plus tard, Mgr Bertin autorisa la reprise de cette œuvre
d’éducation et la fondation d’une école à Séligny. Les
"pauvres sœurs" prirent alors un nouvel essor, d’autant
plus fructueux que plusieurs prêtres, amis de
Jean-Martin, s’associèrent désormais à lui pour s’en
occuper activement.
Cependant, la hargne de certains adversaires poursuivit
Jean-Martin Moyë jusqu’à Dieuze où il avait été nommé
curé. On lui reprocha d’avoir interdit les bals
campagnards. On taxa d’hypocrisie sa pratique de prier
les bras en croix, chaque vendredi, devant des calvaires
érigés le long des chemins. Il refusait aussi
l’absolution à des pénitents qu’il estimait sans
contrition. Cette fois, Mgr de Montmorency-Laval prit
l’accusation au sérieux, et, en 1767, il suspendit
Jean-Martin Moyë de toutes fonctions sacerdotales dans
la paroisse de Dieuze, sans lui assigner un nouveau
poste; cependant Mgr de Montmorençy-Laval ne toucha pas
à l’œuvre des sœurs de la Providence. Ainsi, de Pâques à
octobre 1767, Jean-Martin résida dans plusieurs
presbytères, pour aider les curés. Enfin, en octobre
1768, Jean-Martin Moyë fut nommé directeur d'un petit
séminaire. À Dieuze, un noviciat en langue allemande,
des Sœurs de la Providence fut ouvert et confié à Marie
Morel. Enfin, à Saint-Dié, Jean-Martin rencontra le
Chanoine Raulin, qui fonda, dans sa propre demeure, un
second noviciat pour les Sœurs de langue française.
C'est ce chanoine Raulin qui remplaça le fondateur des
Sœurs de la Providence, pendant la durée de son séjour
en Chine.
Petite remarque:
Curieusement le partage en deux de la Lorraine, tant sur
le plan politique qu'au niveau linguistique, avait
permis la création en deux branches de la Congrégation
de la Providence, chaque branche ayant sa propre
Maison-Mère: les Sœurs de Saint-Jean-de-Bassel, au
diocèse de Metz, pour la branche de langue allemande, et
les Sœurs de langue française confiées au chanoine
Raulin. Mais chaque branche gardait fidèlement l'esprit
du fondateur.
Intérieurement, Jean-Martin Moyë était toujours attiré
par les missions étrangères. Aussi, en 1770,
rejoignit-il le Séminaire des Missions Étrangères de
Paris. Et le 30 décembre 1771, il embarquait à Lorient
pour aller en Chine, pays interdit aux missionnaires.
Après une longue escale à l'île Maurice, le navire
aborda les côtes de Chine à Macao, près de Hong-Kong. Le
5 mars 1773, Jean-Martin entrait clandestinement au
Sichuan par le poste de douane de Ou-chan-hien. Il
traversa la ville de Zhong qing, et arriva enfin à
Chengdu le 28 mars 1773. Évêque titulaire d'Agathopolis,
proche de Chengdu où il habitait, Mgr Pottier, qui était
en tournée pastorale en ce temps de carême, avait laissé
des instructions pour que Jean-Martin Moyë l’attende
dans un endroit plus sûr. Le nouveau missionnaire
profita de ce temps libre pour écouter les enfants d’une
école voisine réciter leurs leçons à voix haute, ce qui
lui permit de maîtriser rapidement les intonations de la
langue parlée. Bientôt, l'évêque lui confia un immense
territoire qui était sans prêtre depuis quelque temps,
et qui comprenait les trois provinces chinoises du
Sichuan, du Yunnan et du Guizhou. Le titre de
pro-vicaire fut accordé à Jean-Martin qui bénéficia
ainsi des pouvoirs correspondant à ceux d’un vicaire
général d’aujourd’hui.
Il
existait dans la région où travaillait Jean-Martin, des
femmes vouées au célibat, "les vierges chrétiennes",
qui vivaient dans leur famille, sous la protection de
leurs parents masculins. En 1744, Mgr de Martillat,
vicaire apostolique du Yunnan, leur avait donné une
règle apostolique qui en faisait des contemplatives dans
le monde. Jean-Martin orienta ces femmes consacrées vers
l’apostolat, surtout auprès des femmes, qui, surtout
chez les familles riches, vivaient dans des appartements
réservés. Pour les besoins de la mission, et en vue du
salut des âmes, Jean-Martin envoya un certain nombre de
ces jeunes femmes baptiser les enfants malades, même
dans des familles qui n’étaient pas chrétiennes, et
souvent sans demander l’avis de leurs parents
bouddhistes ou confucianistes.
Pour
ces auxiliaires bénévoles, Jean-Martin composa des
prières en chinois faciles à apprendre par cœur.
Jean-Martin Moyë ajouta plusieurs textes déjà utilisés
dans les missions de Chine, ainsi que des litanies et
des méditations sur les dogmes principaux de la foi, sur
la vie de Jésus-Christ, et sur la Vierge Marie.
Jean-Martin voulait que les femmes chinoises puissent
enseigner les fidèles, lorsque les prêtres, au cours des
persécutions, étaient dans l’impossibilité de les
visiter. Zélées et bien formées, les Vierges
chrétiennes deviendraient alors des ouvrières
précieuses du Royaume de Dieu. Rome suivait avec intérêt
les initiatives du missionnaire, mais, toujours
prudente, ne les approuva que bien plus tard, après son
retour en France en 1784.
Jean-Martin rencontrait aussi les missionnaires proches
de son territoire, surtout Jean-François Gleyo, un
confrère chargé de la province du Yunnan, qui, après
avoir été emprisonné, venait d’être libéré sur
intervention du Père Félix da Rocha (1713-1781), un
savant jésuite portugais. Par quatre fois Jean-Martin
rendit visite aux chrétiens du Guizhou, mais, arrêté le
10 mai 1774 à Mao-tien, pendant sa deuxième tournée dans
la région, il passa une dizaine de jours en prison et
fut reconduit à la frontière du Sichuan, avec la stricte
interdiction de revenir au Guizhou. Pendant cet
emprisonnement, Jean-Martin put instruire dans la foi,
l’un de ses gardiens, Augustin Tchou, qui devint prêtre
en 1782.
Cependant, épuisé par les contradictions et la maladie,
Jean-Martin Moyë revint en Lorraine en 1784. Quand
survint la Révolution française, la plupart des écoles
de ses sœurs furent fermées et les Sœurs dispersées.
Jean-Martin qui avait refusé de prêter le serment de la
Constitution Civile du Clergé, émigra en Allemagne; lui
et plusieurs de ses religieuses, gagnèrent Trèves.
Pourtant, le Père Moyë, qui en avait vu bien d'autres
en Chine, gardait toujours son sang-froid. Trèves, cette
vieille métropole de qui dépendaient toujours les
diocèses lorrains, fut accueillante aux réfugiés.
Jean-Martin y installa ses Sœurs. Il visitait aussi les
hôpitaux où affluaient, dès l'automne 1792, les soldats
blessés de Valmy et de Jemmapes. À leur chevet il
contracta le typhus. Il reçut les derniers Sacrements
des mains de son confrère et voisin, l'abbé Feys,
vicaire de Charmes; il mourut le lendemain, à l'aube,
le 4 mai 1793, âgé de 63 ans.
Jean-Martin Moyë fut béatifié, le 21 novembre 1954 par
le Pape Pie XII. Sa fête fut fixée au 4 mai.
Paulette
Leblanc |