Père Charles de Condren
(15 décembre 1588-7 janvier 1641)
Disciple bien-aimé de Bérulle, fondateur de l’Oratoire de France
et Père spirituel de Monsieur Olier
 

“Sans contredit la plus belle lumière de son siècle et même de plusieurs autres...”
(J. J. Olier)

Préliminaires-Avertissement

Le Père de Condren n’a rien publié de son vivant [1]. Les citations qui seront rapportées ci-dessous, proviennent, soit de conférences, de prédications, de conseils divers, que ses disciples ont précieusement recueillis et conservés, et dont beaucoup ont été cités par Claude Pouillard, soit de documents trouvés sur Internet.

Le contexte historique

Quand naît Charles de Condren en 1588, l’Église de France, en plein désarroi, a besoin d’insuffler à son clergé des réformes profondes, tant l’ignorance est grande, et la pratique des vertus, délaissée... Il y a déjà un quart de siècle que le Concile de Trente a publié ses conclusions sur la nécessité de mettre en œuvre des réformes profondes. Seules l’Italie, avec Philippe Néri et Charles Borromée, et l’Espagne avec Jean de la Croix, ont déjà entrepris cet immense travail.

Est-il possible d’évangéliser sans rencontrer l’épreuve, le sacrifice ? Il ne semble pas, et la doctrine du Père de Condren, en accord avec son temps, sera tout entière basée sur cette évidence: “Il faut que les âmes que Dieu a consacrées à Jésus-Christ crucifié... ne cherchent qu’à se sacrifier à Dieu.[2]

L’École Française

L’École française se situe à une époque comparable à la nôtre sur le plan spirituel, mais avec la différence que l’on n’avait pas peur des mots, et qu’on osait appeler un chat: un chat. Les mots de Charles de Condren sont souvent durs à entendre pour des gens du XXIe siècle, mais quand on a dépassé le stade de la surprise, et qu’on a essayé de revenir au sens exact des vocabulaires employés, on découvre un mystique étonnant, dont l’amour pour Jésus, relativement pudique, – ou du moins présenté tel par Claude Pouillard, l’auteur du livre Le Père de Condren, Le mystique de l’Oratoire –, est au moins aussi brûlant que l’amour des plus grands mystiques canonisés par l’Église.

Le livre de Claude Pouillard Le Père de Condren, Le mystique de l’Oratoire, réalisé à partir de documents dont beaucoup, nous l’avons dit plus haut, ne sont pas encore publiés, présente Charles de Condren avec une précision chirurgicale, comme si l’auteur avait craint de présenter un grand mystique. Il faut dire que de nos jours, on n’aime pas parler des mystiques. C’est peut-être dommage!  Mais lorsqu’on prend la peine de lire entre les lignes, alors, quel émerveillement!

La doctrine du Père de Condren

Le grand mot de Charles de Condren, c’est le sacrifice, l’état sacrificiel. Pour lui, tout est rapporté au sacrifice du Christ, et ceux qui aiment Jésus sont inévitablement invités à vivre dans l’état de sacrifice, en commençant pas la pénitence et l’ascèse, jusqu’à la destruction. Mots bien austères pour nous! Pourtant, le Père de Condren a vécu pour lui-même, et a conseillé à ses dirigés, l’esprit d’enfance, absolument comparable à celui préconisé par Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, et cela, dans un grand amour de la Sainte Vierge. Mais pour Charles de Condren, l’esprit d’enfance se situe aussi dans un état sacrificiel.

Pour Charles de Condren l’oraison est obligatoire: c’est elle qui nous conduira à l’union à Dieu, mais par un chemin qu’il faut d’abord décrypter pour le bien comprendre. Ainsi, il faut aller jusqu’à l’adhérence, et l’appropriation pour atteindre le pur amour.

De même, toujours selon le Père de Condren, l’oraison conduit celui qui aime Jésus à l’adhérence. L’âme colle à Jésus, est entée sur le Christ. Jésus s’approprie l’âme tout comme l’âme s’approprie Jésus, et l’âme se transforme en Jésus. Jésus consomme l’âme et l’âme consomme la chair du Christ. Le sang de l’âme est le sang de Jésus, et c’est ce sang qui irrigue le Corps mystique dans lequel l’âme se trouve. Jésus s’est approprié l’âme et la consomme jusqu’à la détruire, en la consumant dans le brasier ardent de l’Amour.

L’âme est détruite, transformée en Jésus, mais ne disparaît pas, ne se fond pas dans un grand tout vague et impersonnel: elle vivra éternellement à sa place, dans le Corps mystique du Christ.

La vie du Père Charles de Condren
(1588-1641)

1
L’enfance et
la jeunesse du Père de Condren

Dès sa naissance, à Vaubuin, près de Soissons, le 15 décembre 1588, Charles de Condren fut un enfant fragile. En le portant dans son sein, sa mère l’avait déjà consacré à Dieu, mais son père, d’une très noble famille, et gouverneur du château royal de Monceaux,  souhaitait cependant qu’il apprît le métier des armes. Toutefois les prières, la vie d’oraison de Charles, et la maladie finirent par avoir raison des résistances familiales.

En effet, son père avait eu l’intention de le faire servir d’abord à Calais puis en Hollande. Charles dont l’unique ambition était de travailler pour Dieu dans l’Église, demanda au moins comme une grâce d’aller en Hongrie pour y combattre les Turcs, et y faire servir le métier des armes à la gloire de Dieu et à la défense de la religion.

Une maladie soudaine et grave vint rendre à Charles la liberté de sa vocation. Naguère si courroucé contre un fils dont les pensées pieuses se refusaient à la recherche de tout avancement temporel, Mr de Condren se trouva frappé au cœur par le danger auquel son fils fut bientôt réduit. En peu de jours, la maladie avait fait de graves progrès et les médecins ne savaient quoi faire. C’est alors que le malade, subitement inspiré, fait dire à son père, puisqu’il est sur le point d’aller à Dieu pour jamais, “qu’il le supplie de vouloir bien devenir lui-même son sacrificateur, ajoutant que si son père lui permet de se faire prêtre, Dieu aussi lui accordera la vie.”

Ce langage étrange, sortant des lèvres d’un mourant, triompha des réticences de Mr de Condren qui donna son consentement. Une amélioration sensible se produisit immédiatement dans l’état du malade. Quelques jours après, il quittait le lit, et peu après, commençait à suivre, à la Sorbonne[3], les leçons de deux docteurs illustres du temps, André Duval et Philippe de Gamache.

Dès lors, Charles poursuivit des études brillantes[4]. À l’âge de vingt trois ans, il est professeur de philosophie au collège du Plessis. Deux ans plus tard, il est ordonné prêtre, le 27 septembre 1614, après une longue séparation du monde: il s’était retiré à la campagne dans une solitude profonde, pendant un an entier, méditant sur la grandeur du sacerdoce, sur les obligations attachées à ce saint état et, par-dessus tout, sur la plus glorieuse et la plus redoutable des prérogatives du prêtre: le pouvoir de consacrer le corps et le sang de Jésus-Christ et de continuer à l’autel l’immolation du Calvaire. Charles voulait faire de son sacerdoce “un état permanent d’holocauste.”

Par obéissance, Charles de Condren revint à Paris, et tout en continuant ses travaux théologiques, sut donner libre carrière à son zèle. Plusieurs missions prêchées avec fruit dans diverses paroisses[5] témoignèrent à la fois de son talent pour la parole et de sa volonté d’évangéliser.

Le Cardinal de Bérulle avait remarqué ce jeune prêtre intelligent, dévoué et pieux. Après une retraite prêchée par Bérulle lui-même[6], Charles de Condren, à vingt neuf ans, entra au noviciat de l’Oratoire le 17 juin 1617 et prit l’habit de la congrégation le 25 novembre suivant. Il fut rapidement chargé de missions délicates[7]: fondations de maisons à Nevers, à Langres, à Poitiers, et à Paris. Il devint également le confesseur de Gaston d’Orléans!...

2
Le successeur de Bérulle

2-1 – Les assemblées générales

Le 20 octobre 1629, le Cardinal de Bérulle décédait. Dix jours plus tard, Charles de Condren était élu supérieur général de l’Oratoire. Seule l’obéissance avait réussi à lui faire accepter cette charge, mais comme une croix.

Responsable de l’Oratoire, le Père de Condren saisit immédiatement les rênes de l'administration. Son premier soin fut de préparer la tenue de la première assemblée générale. Trois raisons le portaient à ne pas la différer:

– D'abord, le désir de recueillir ce qui nous pouvait rester des enseignements et des exemples du fondateur, et de confirmer son esprit dans la Congrégation. Charles de Condren déclara dès la première session: “Tant qu'il a plu à Dieu de nous conserver notre très honoré Père fondateur, il nous a été comme une arche vivante, dans laquelle nous devions rechercher les volontés de Dieu sur nous, et comme l'oracle duquel la Congrégation recevait ses lois et sa conduite. Mais l'ayant retiré à soi, nous avons eu sujet de désirer de nous voir tous ensemble, afin de nous...”

– En second lieu, la rédaction des constitutions de l’Oratoire. Bérulle avait quitté les siens, leur léguant non un code de constitutions, mais de simples usages et quelques règles en vue des cas les plus pressants. L'Institut était maintenant assez développé pour qu'il devînt indispensable de préciser ses premières traditions; or le Père de Condren ne voulait accomplir ce travail qu'entouré des conseils de ses frères.

Condren, en effet, était soucieux de maintenir dans l'Oratoire l'esprit qu'avait entendu lui donner Bérulle. Aussi entreprit-il de rédiger les règles de l’Oratoire, d’une part en s'inspirant des notes trouvées dans les papiers de son prédécesseur, et, d’autre part, en faisant appel aux souvenirs de ceux qui avaient vécu le plus près de lui. Il publia les Règlements de la Congrégation de l'Oratoire établis par Mgr le Cardinal de Bérulle, auxquels il donna pour préface un discours trouvé dans les papiers de l'auteur sur le but et l'esprit de la Congrégation.

Ces règlements furent officiellement promulgués à la seconde assemblée, qui se tint, en 1634, rue Saint-Honoré.

– Enfin, pour modeler les âmes de ses fils à l'image de Jésus, et pour les établir dans ses dispositions, pour former le Christ en eux, aussitôt après la première assemblée, le Père de Condren s'imposa l'obligation de visiter toutes les maisons. Ses conférences au cours de ces visites frappèrent tellement les Pères que partout on le voyait s'éloigner avec peine. Le supérieur de Notre-Dame des Ardilliers le pria même de prolonger son séjour pour y poursuivre ses entretiens. C’est à cette occasion que, commentant l'épître aux Hébreux, il parla d'une manière si sainte et si sublime du sacerdoce de Jésus-Christ, que le Père Bertad, l'un des meilleurs théologiens de son siècle, entreprit de copier tout ce qu'il lui avait ouï dire. Ce sont ces conférences qui ont été publiées soixante ans plus tard sous le titre: L'idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ.

Le Père de Condren gouvernait en suivant pas à pas l'esprit et les traces du fondateur, ”se faisant le serviteur de tous, ne violentant jamais les inclinations de personne, s'accommodant aux goûts et aux volontés d'un chacun autant qu'il pouvait. Convaincu que tout autre que lui était plus propre à nous conduire, il se déchargea le plus qu'il put des diverses fonctions de sa charge, non par amour du repos, mais par un sentiment d'humilité.[8]Ce qu’il souhaitait c’est que le bien fût accompli, que Jésus se trouvât connu et l’Église servie.

Vint le temps de la deuxième Assemblée Générale. À l'avant-dernière session, le secrétaire présenta une lettre cachetée que le Père général, absent depuis la veille au soir, adressait aux membres de l’assemblée. Dans cette lettre, le Père de Condren informait ses confrères qu'il leur envoyait sa démission... L’Assemblée refusa sa démission.

En 1635, il voulut de nouveau démissionner, mais “il se heurta à la résolution de son confesseur qui lui refusa l’absolution, à moins qu’il ne promît de ne point s’en aller.” Le Père de Condren dut garder sa charge... Il espérait qu’une occasion s'offrirait, lors de la troisième assemblée, qui s'ouvrit à Notre-Dame des Ardilliers, le 6 mai 1638. Mais il en fut empêché par Richelieu qui, instruit de son dessein, le menaça d'un archevêché en cas de démission, et par son confesseur, qui lui refusa l'absolution jusqu'à ce qu'il lui eût promis de renoncer pour toujours à cette pensée. Le Père de Condren s’inclina et ne parla plus de résilier sa charge.

2-2 – Le sacerdoce du Père de Condren

Qui donc, en effet, eût présidé avec plus d'autorité aux destinées d'un Institut établi pour renouveler l'idéal sacerdotal, que ce prêtre si plein de l'esprit de Jésus-Christ et si soucieux de faire régner ce même esprit dans toutes les âmes soumises à sa conduite? Il apportait en effet tant de soin à s'unir au sacrifice du Souverain Prêtre et à s'anéantir avec lui, il s'attachait tant à se renoncer lui-même pour vivre dans une perpétuelle communion aux dispositions, aux sentiments, aux volontés, aux états de Jésus, en un mot, “pour lui faire place en tout”, que, selon l'expression du P. Amelote, “la vie de Jésus-Christ ne lui était pas simplement une grâce, mais qu'elle lui était comme tournée en nature.”

Le plus cher disciple du Père de Condren, M. Olier, écrit dans ses Mémoires: “Il n'était qu'une apparence et écorce de ce qu'il paraissait être, étant vraiment l'intérieur de Jésus-Christ en sa vie cachée; en sorte que c'était plutôt Jésus-Christ vivant dans le Père de Condren que le Père de Condren vivant en lui même. Il était comme une hostie de nos autels: au dehors on voit les accidents et les apparences du pain, mais, au dedans, c'est Jésus-Christ: de même en était-il de ce grand serviteur de Notre-Seigneur, tant aimé de Dieu.”

3
La charité de Charles de Condren

Professeur de philosophie, Charles se rendit vite compte que “les écoles étaient pleines de disputes et que l’on ne traitait pas les matières avec onction.[9]” Et il déclara, au sujet du collège de Troyes: “Je supplie le Seigneur Jésus-Christ de répandre sur cette maison ce même esprit de piété et de religion. Que le désir des choses saintes, que l’amour de la sapience de Dieu et de sa sainte parole y règnent principalement. Et combien qu’elle soit un collège où les lettres humaines et les auteurs profanes doivent être enseignés, que ce soit néanmoins dans la charité chrétiene.”

La charité consiste aussi, et surtout, à évangéliser le peuple de Dieu, et à lui faire connaître l’amour divin, surtout là où la vie chrétienne s’est affaiblie ou éteinte. Il écrit à un prêtre: “Le Fils de Dieu, fondement de la mission évangélique, a voulu faire voir ce que nous avions à faire; et comme il est à l’origine de la mission évangélique, il en a voulu aussi être la loi et la règle de perfection.” De plus, c’est Jésus qui doit parler lui-même, et pour cela: “demandez-lui sa parole et son esprit tout ensemble et essayez d’appliquer à votre âme les vérités que vous recevez de Dieu pour les appliquer aux autres.”

L’état sacerdotal, état de sacrifice qui relève de la nuptialité, oblige les prêtres “à l’oblation de leur corps, de leur esprit, de leur volonté et de leur cœur.” Les prêtres doivent être “des nourrices plutôt que des maîtres.” Faire monter les âmes vers Dieu était l’obsession de de Condren. Il fut le Directeur de grandes personnalités de son temps, y compris des saints comme Bérulle ou Jean-Jacques Olier, car Dieu l’avait fait pour les saints afin de les conduire à la plus haute sainteté.

Cependant sa direction reste toujours empreinte de la plus grande bonté et pleine de consolations. Il écrit à un prêtre malade: “Je vois bien que vos infirmités sont grandes... J’ai toujours estimé que ceux qui souffrent et qui édifient la Congrégation par leur vertu lui sont plus utiles que ceux qui prêchent ou enseignent.”

Il encourageait les chrétiens à la communion fréquente, faisant remarquer “que la dévotion envers le Saint Sacrement, l’hostie de notre autel, est la dévotion propre des prêtres et qu’ils devraient s’appliquer à la répandre partout.”

4
La mort du Père de Condren

Saisi par une fièvre continue et atteint d'une inflammation de poitrine, dans les derniers jours de 1640, le Père de Condren prit le lit pour ne plus le quitter. Pendant une semaine, il donna aux siens l'exemple de toutes les vertus, malgré les grandes angoisses qui achevèrent de le purifier. Comme on lui demandait de bénir sa famille religieuse, il le fit par une formule devenue depuis lors, avec les développements que lui donna M. Olier, la prière quotidienne du clergé français: ”Venez, Seigneur Jésus et vivez dans vos serviteurs, dans la plénitude de votre force, et dominez sur la puissance ennemie, vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles.”

Sa dernière parole au prêtre qui l'exhortait à s'abandonner à Dieu, ne différa que dans les termes de celle de Jésus expirant: “Eh bien, dit-il, je m'y abandonne!” À l'instant, il rendit l'esprit. Ce 7 janvier 1641, après une courte maladie, la mort le faisait passer “à la gloire du nouveau sacrifice.”

Le Père de Condren s’était soigneusement préparé à cet “évènement le plus désirable et le plus consolant.” En pleine lucidité il avait demandé l’extrême-onction.

H. Brémond écrit : “Il se mit en trois dispositions :

– Le respect et l’adoration de la parfaite obéissance que Jésus-Christ avait rendue à son Père jusqu’à la mort.

– L’union à Jésus-Christ pour adorer avec lui la justice divine.

– L’offrande de lui-même à Jésus-Christ.

Le corps du Père de Condren fut inhumé, le 8 janvier 1641, en l'église Saint-Honoré dans la chapelle de la Sainte-Vierge. Le Père Ingold eut la consolation de l'y découvrir, le 2 juillet 1884. Les restes mortels du second général de l'Oratoire reposent, depuis le 10 juillet 1884, dans la chapelle du collège de Juilly dans un caveau creusé devant le maître-autel.

Louis XIII, s’adressant aux Pères de l'Oratoire, peu après le décès de leur supérieur, leur parla de sa mort comme de celle “du saint homme de son royaume et du plus désintéressé.”

Charles de Condren avait souhaité être le plus oublié des hommes, mais il ne put empêcher que, dès sa disparition, il fût immédiatement l’objet d’une grande vénération, et l’archevêque de Saint-Brieuc, Mgr de Virazel, se plut à rappeler “sa pureté extraordinaire, son impuissance à s’amuser parmi les divertissements, sa mansuétude capable de charmer les esprits les plus farouches,... les rares vertus qu’il a fidèlement pratiquées, les grâces que Dieu lui a données, sa modestie animée de douceur, la merveilleuse humilité de ce grand serviteur de Jésus-Christ.” [10] 

La Théologie du Père de Condren

Le sacrifice dans la théologie du Père de Condren

L’École Française fut vraiment le chantre du sacrifice de Jésus-Christ. Bérulle en a été le précurseur, mais Charles de Condren, le véritable docteur.

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La notion de Sacrifice dans la Bible

1-1 – Dans l’Ancien Testament

Toutes les religions ont connu, ou connaissent encore la notion de “sacrifice” qui est, selon Saint Thomas d’Aquin [11], “comme une activité naturelle et rationnelle où l’homme fait usage de choses sensibles pour les offrir à Dieu, reconnaissant ainsi sa dépendance, sa sujétion.” Le Père de Condren, lui, précise l’origine de notre connaissance naturelle de Dieu, par la philosophie qui ”nous empêche de devenir bête”, mais qui est limitée, et la foi, “qui nous fait voir Dieu et ses perfections et vérités en leur sublimité.[12]” Quand nous avons compris qui est Dieu, alors nous comprenons la nécessité du sacrifice.

1-1-1 – Les sacrifices d’animaux. L’holocauste

Selon Galy, ”la notion de sacrifice n’est pas métaphysique, mais scripturaire.” Ainsi :

– Dieu demanda à Abraham le sacrifice d’Isaac, mais Il arrêta à temps le bras sacrificateur, car l’homme ne doit pas tuer son semblable.

– Dieu épargne son peuple grâce au sang de l’agneau pascal.

– Dieu est le seul Dieu, le seul qu’Israël doit servir et aimer. Dieu est unique, et c’est à Lui seul qu’il faut offrir des sacrifices. C’est aussi un Dieu jaloux.

– Dieu donne une Loi, sa Loi, à Moïse. Et dans cette Loi, Il demande, entre autres, à Moïse: ”Tu me feras un autel de terre sur quoi immoler tes holocaustes et tes sacrifices de communion, ton petit et ton gros bétail.” (Ex 20, 24)

L’homme n’est qu’un néant, et en réponse à Dieu qui cherche l’homme, l’homme avoue sa misère: “L’esprit d’anéantissement... n’est pas simplement respect, c’est une louange à l’infinité de Dieu, c’est une charité, une humilité, c’est un sacrifice.[13]

Les sacrifices, dans l’Ancien Testament, sont des institutions divines. Les victimes offertes à Dieu ne sont que des animaux, car Dieu ne veut pas qu’on tue, Dieu épargne les hommes. Mais les victimes animales doivent être sans défaut, et d’abord présentées à Dieu, au Temple, avant l’immolation. La victime était ensuite presque entièrement brûlée au feu: “La victime représente l’univers et tient sa place... Le monde est détruit en elle, au moins en effigie. En offrant tout à Dieu, nous protestons qu’il est tout; en détruisant tout devant Dieu, nous protestons qu’il n’est rien de tout ce qui est dans l’univers.[14]  ” Dieu est le Tout Autre.

1-1-2 – La manducation : l’union avec la divinité

Une partie de la victime était cependant réservée à la manducation, image de l’union avec Dieu, car, parmi les intentions de ceux qui offraient le sacrifice, “la principale était qu’ils eussent communion avec Dieu, par la manducation de ce qui restait.[15]

1-1-3 – Le meilleur sacrifice : l’adoration et la charité

Le Père de Condren enseigne : “Seul l’anéantissement de soi-même est capable d’honorer dignement l’infinité divine... En offrant tout à Dieu, nous professons qu’il est tout.” Ainsi, l’adoration est la protestation de notre néant et l’affirmation de la Gloire de Dieu, car, pour le Père de Condren, l’adoration et la louange sont aussi des sacrifices. Adoration et louange présupposent un état d’esprit d’anéantissement: on se reconnaît néant devant Dieu, et dépendant de Lui. Nous avons donc envers Lui un devoir d’adoration et de sacrifice de nous-mêmes: ”Même si l’homme n’avait pas péché, il aurait un devoir de sacrifier... le devoir de sacrifice est de droit naturel.”

“À l’adoration-sacrifice”, il faut ajouter la charité, car la réponse du créé à l’Incréé ne peut être qu’une réponse d’amour. Dieu est un Maître, mais c’est aussi un Père; l’adoration-sacrifice est comme un chœur à deux voix, chant d’amour où celui qui adore aime à se livrer à l’Amour, accueillant ainsi une abondance de vie.

Mais l’homme a péché, il a conscience de son péché et en est profondément malheureux. Il constate l’énorme distance existant entre l’offrande et celui auquel elle est destinée. C’est pourquoi les sacrifices d’animaux de l’Ancien Testament sont insuffisants bien que, ”ce ne soient pas des inventions humaines, mais des institutions prophétiques,” qui annoncent le juste, “lequel justifiera les multitudes, en s’accablant lui-même de leurs fautes.”

1-2 – Dans le Nouveau Testament

La sainteté de Dieu exige le sacrifice. Mais les sacrifices d’animaux sont incapables de laver les hommes de leurs péchés et de leur faire recouvrer l’amitié de Dieu. Dieu seul peut sauver, et Dieu seul peut offrir le sacrifice qui sauve: c’est-à-dire Lui-même. Pour sauver l’humanité, le Verbe-Dieu s’incarne en Jésus, Verbe fait chair. Jésus doit honorer le Père par toutes les voies possibles, et révéler au monde la Trinité Sainte.

1-2-1 – Le Sacrifice de l’Incarnation

Rédempteur d’une humanité déchue, Jésus est assujetti à la souffrance humaine: “Il souffre pour le pur honneur de son Père, afin de l’honorer par voie de souffrances. Car bien qu’il n’y eût point de péché, néanmoins Jésus-Christ ayant capacité de souffrir, il devait glorifier par voie de souffrances, d’autant que Dieu doit être honoré par toutes les voies possibles...” Mais cette décision est prise au sein de la Trinité elle-même. Le Père de Condren conçoit le mystère de l’Incarnation “comme l’union de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu. Le mystère de l’Incarnation n’a pas été opéré en un seul instant mais il est continuellement opéré...”

Même si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu se serait quand même incarné, afin d’honorer le Père : “Il ne faut pas penser que la première intention de Jésus, venant au monde, ait été de racheter le monde. Sa première intention a donc été d’honorer Dieu, et comme il a vu que la rédemption des hommes était un moyen d’honorer Dieu, il s’est offert en sacrifice pour satisfaire à sa justice, pour les péchés de tous les hommes...”

Ainsi, Jésus est le don de Dieu : “Il n’y a pas don à la terre si propre pour Dieu et correspondant à la grandeur de Dieu, digne du Père éternel, que son propre Fils.[16]” 

Selon Charles de Condren, le sacrifice du Christ commence dès les premiers instants de son Incarnation, dès qu’Il quitte le sein du Père pour entrer dans le sein de la Vierge Marie: “Toute la vie de Jésus, depuis le premier moment de l’Incarnation jusque dans l’éternité est le sacrifice véritable figuré par ceux de la Loi ancienne[17]...” Le Fils de Dieu est la vérité de tous les sacrifices.

Jésus est Celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde. En quittant le sein du Père, Jésus prenait une chair mortelle destinée au sacrifice, mais une chair sanctifiée par la substance même de Dieu, la personne même du Verbe. Jésus est donc la victime pure par excellence. Le Fils quitte le Père pour la terre; il y a dès le premier instant de l’Incarnation une séparation : l’Incarnation est déjà pour le Christ, un sacrifice. Dès lors, Jésus, objet de toutes les complaisances du Père, devient l’Agneau de Dieu, objet des rigueurs de la justice du Père.

Selon Le Père de Condren, “le Verbe sort des grandeurs de son Père pour se faire homme et le dernier de tous les hommes. Il sort des richesses du Ciel pour s’assujettir aux indigences de la terre. Il sort du repos et de la gloire de son Père pour entrer dans le travail et la souffrance.”

La divinité de Jésus est cachée; sa grandeur est dans son humilité. Mais Jésus est saint, “et sa sainteté est condescendance.” Jésus est saint et Il honore son Père en sauvant les hommes. “Sa vie sera le reposoir de Dieu son Père et de son Esprit.”

1-2-2 – L’oblation de Jésus

La vie de Jésus sera également une oblation, depuis sa naissance, jusqu’à la Rédemption, avec des temps forts, comme la fuite en Égypte, la présentation au Temple, la tentation au désert, etc. Mais il s’agit ici d’une oblation intérieure qui renvoie à son esprit de sacrifice. Et le vrai sacrifice de Jésus consistait à mettre librement en veilleuse sa puissance divine pour laisser s’exercer celle des hommes. Et ce sacrifice commence dès sa plus tendre enfance: sur la terre, “Jésus s’est destitué, en quelque sorte de son éternité pour restituer l’honneur qui avait été dérobé à son Père par l’homme qui se voulait rendre éternel et voulait être semblable à Dieu.[18] ”

Lors du Baptême, dans le Jourdain, par le Baptiste, Jésus fut chargé des péchés du monde: “Jésus-Christ en ce baptême fut chargé par saint Jean qui agissait en la personne du Père éternel, de tous les péchés du monde, et obligé de satisfaire à son Père pour tous... Dieu seul peut charger Jésus-Christ de nos fautes.”

Immédiatement après, l’Esprit chassa Jésus au désert, et Dieu Le traita avec rigueur... “selon nos démérites. Dieu le bannit dans une solitude qui n’est pas digne de lui...” Le Saint-Esprit “le chassa dans une solitude d’avilissement,” comme autrefois on chassait, dans le désert, un bouc chargé des péchés des hommes. Le Père de Condren voit Jésus comme “un excommunié, indigne de la société des autres hommes[19].”

Au désert, Jésus devra affronter Satan en personne, et se trouver en présence du père du mensonge, Lui l’innocence et la vérité. Jésus, c’est Dieu “qui s’offre... Son dessein c’est de rendre honneur à la Majesté de Dieu... Son dernier but et sa fin, c’est la gloire de son Père... En son Incarnation, il est hostie de louange.”

1-2-3 – Le sacrifice de la Rédemption

Le Père de Condren présente Jésus comme une victime qui sera détruite, car il n’y a pas de sacrifice sans mise à mort, sans destruction. C’est ce que de Condren appelle l’occision. Jésus sera “abandonné aux bêtes, c’est-à-dire aux Gentils,[20]” En conservant son regard d’amour et d’obéissance vers son Père. Sur la Croix, ce regard d’amour reste le même: “Sa souffrance ne le distrait pas... Dans ses souffrances il ne voit que Dieu et ne souffre que dans lui... Il ne souffre que de la part de Dieu.[21]” Et cela, pour la gloire de Dieu d’abord, et pour donner la vie éternelle aux hommes. En effet, Jésus “a souffert par charité envers nous.”

Cependant, pour le Père de Condren, le sacrifice de Jésus ne se limite pas à la Rédemption, mais il se prolonge dans les mystères de la Résurrection et de l’Ascension.

2
Sacrifice et Résurrection

2-1 – La consomption

La tradition biblique souligne que le sacrifice n’était complet que si la victime était brûlée: c’était l’holocauste. L’holocauste de Jésus a eu lieu lors de sa Résurrection. Jésus est alors envahi par la gloire de Dieu. Le Père de Condren précise que la Résurrection du Sauveur, “c’est la consomption[22] du sacrifice, qui, à l’égard du corps du Fils de Dieu incarné n’a pas été fait par le feu, mais par la vérité représentée par le feu, c’est-à-dire par la gloire de Dieu.[23]Pour être plus précis: en la consommation de la Rédemption, Jésus est une hostie, une victime; en la consomption de la Résurrection, il est un holocauste. Jésus, en ressuscitant est revêtu de l’amour incandescent du Père. “La consommation, consomption et inflammation du corps de Jésus-Christ comme victime, s’est dont faite en sa Résurrection. Il a été ressuscité par ce feu divin de la gloire du Père.” Jésus ressuscite avec son corps, mais avec un corps spiritualisé, un corps de gloire.

2-2 – La gloire

En ressuscitant, Jésus affirme sa divinité, avec majesté et autorité: “Non seulement Jésus-Christ est séparé du monde présent et est retiré en Dieu en ce mystère, mais de plus, il y prend une nouvelle vie plus opposée et contraire au monde présent que celle qu’il menait sur terre[24].” La Résurrection est une séparation glorieuse d’avec la terre:“ C’est par ce mystère (de la Résurrection) que le Fils de Dieu entre dans la vie qui lui est propre... et il y entre pour jamais... Dans l’Incarnation, le Fils de Dieu est né fils de l’homme, et dans la Résurrection, le Fils de l’homme est né Fils de Dieu.[25]

Cependant Jésus ne sera pas séparé de nous; le Père de Condren nous fait découvrir la pérennité du sacrifice du Christ, jusque dans le ciel où Jésus continue son sacrifice.

3
Pérennité du Sacrifice du Christ :
le sacrifice continué au ciel

3-1 – Le sacrifice au ciel

Le Père de Condren pense que ce que Jésus a opéré sur la croix est perpétué dans le ciel. Les sacrifices de l’Ancienne Alliance se concluaient par la consommation de la victime, la manducation, dont l’intention réelle était l’union à Dieu. À l’instant de sa Résurrection, Jésus a reçu la gloire, et au même moment, “le Père est entré en communion de son Fils, en le retirant, pour ainsi dire, dans sa bouche et dans son sein, selon son corps.[26]C’est-à-dire, pour être plus clair: le Père communie à son Fils en recevant dans le ciel son corps glorifié. Et la joie du Père est immense.

3-2 – Perfection du sacrifice céleste

Le bonheur des saints, dans le ciel, c’est aussi de communier à Jésus-Christ, “car le même pain des anges que nous mangeons main-tenant sous les voiles sacrés, nous le mangerons là sans aucun voile, dit le Concile de Trente.” La vision béatifique ce n’est pas seulement voir Dieu, c’est aussi se nourrir de Lui, de vivre en Lui. Le sacrifice du ciel prolonge la Cène Eucharistique.

Le sacrifice céleste est parfait: c’est Jésus s’offrant et Jésus offert. Car Jésus est toujours en état de sacrifice. Au ciel, il est impossible d’oublier la Passion du Christ: voir le corps glorifié de Jésus, c’est revoir son corps torturé. Sur la croix, Jésus est prêtre et victime. “Au ciel Jésus-Christ s’offre et offre avec lui tous les saints comme ses membres à la Très Sainte Trinité, et les saints s’offrent aussi et avec eux Jésus-Christ, leur chef, par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et en Jésus-Christ.[27]

Le sacrifice céleste est parfait parce que Jésus-Prêtre est parfait et son sacerdoce est éternel. Au Calvaire, c’est son corps passible qui était offert; au ciel, le Christ-Prêtre offre éternellemnt son corps glorifié: “L’oblation de Jésus-Christ n’a été commencée ici-bas que pour être continuée au ciel où se trouve la perfection du sacrifice.[28]” L’amour divin ne cesse de se présenter au Père pour continuer à intercéder pour les hommes. Pour évoquer le sacrifice de Jésus, il faut donc parler, non seulement d’achèvement, mais aussi de continuité, de pérennité, d’éternité. Le sacrifice de Jésus-Christ est unique, car ce qui est parfait ne se répète pas, mais se prolonge, s’irradie, s’étend, éternellement.

3-3 – La mission du Christ

Jésus est le médiateur, le Pontife qui relie les hommes à Dieu: “Jésus-Christ n’a fait la première oblation de soi-même sur la terre qu’afin de faire dans le ciel une seconde et éternelle oblation de son sang pour l’expiation des péchés des hommes.” La mission du Christ est commencée, elle se poursuivra jusqu’aux derniers temps. Promesse eschatologique s’il en est! Le sacrifice du ciel, communion du Père et du Fils est aussi communion des saints, car Jésus ne cesse d’intercéder auprès du Père, pour le salut de toutes les âmes. Et les élus partagent la fonction sacerdotale de Jésus en l’offrant au Père.

Faisant référence au texte de l’Apocalypse (6, 9) “Les âmes des saints ont été vues sous l’autel”, Condren estime que Jésus est l’Autel qui contient tous les sacrifices des élus: “C’est sur cet autel que sont mises toutes les prières des saints, c’est-à-dire de l’Église, pour être offertes à Dieu... C’est de cet autel que le feu a été pris pour être jeté sur la terre, c’est-à-dire que c’est du Fils de Dieu que le Saint-Esprit, représenté par le feu, procède dans l’éternité... Le Saint-Esprit est le feu du sacrifice de Jésus-Christ.[29]” C’est le don inouï de Jésus à son peuple. L’absence de Jésus sur la terre est en réalité la présence de Dieu, caché mais vivant en nous et avec nous. Le ciel visite continuellement la terre, surtout dans le Sacrement de l’Eucharistie, sacrifice du ciel continué sur la terre.

4
Le sacrifice du ciel continué sur
la terre

Par ses prêtres, Notre-Seigneur confie à son Église son sacrifice du ciel. Ce sacrifice se continue par la Messe et par sa présence eucharistique dans le Saint-Sacrement.

4-1 – La Messe

C’est le sacrifice du ciel que Jésus confie à son Église, en la personne de ses prêtres, “et que toute l’Église offre par eux sur la terre dans la sainte Messe... C’est la même hostie qu’ils offrent à Dieu, c’est le même prêtre (Jésus-Christ), qui l’offre par ses ministres...” Il y a identité entre le sacrifice du ciel et celui de la terre. “La seule différence qu’il y a, c’est qu’encore qu’elle (l’hostie) y soit aussi réellement présente que dans le ciel, ce n’est toutefois pas d’une manière visible.[30]

La Messe renouvelle le sacrifice du Calvaire. On y retrouve les quatre étapes essentielles :

1 - L’oblation, le Jeudi-Saint, du “Fils de Dieu, prêtre éternel du Très-Haut”, annonçant le sacrifice sanglant de la Croix.

2 - L’immolation, “d’une manière non sanglante, occision sacramentelle et mystérieuse... Le sacrifice de la Messe est le même que celui de la Croix, en tant qu’il le contient... Jésus-Hostie est complètement abandonné entre les mains du prêtre: il ne fait aucune action extérieure, ni aucun usage de ses sens et de son corps... Au Saint Sacrement, il renonce en quelque sorte, à ses privilèges... Il est là comme n’étant point du tout soi-même, mais tout à Dieu et aux âmes... Sa disposition naturelle est d’offrande et de sacrifice.”

Participer à la Messe, c’est vivre à nouveau le triduum pascal :

3 - L’inflammation de l’agneau mis à mort. Mais cette victime est glorieuse: elle est devenue un holocauste. “Le feu de l’Esprit, le feu de Dieu l’a ressuscité au matin de Pâque.”

4 - La communion: la Messe prolonge le caractère sacrificiel de l’oblation en offrant aux fidèles le corps et le sang du Seigneur. À la Messe,”Jésus se livre au Père pour le monde, mais il s’offre aussi au monde pour son Père.”

Dans le ciel, Jésus auquel le Père communie est une victime ressuscitée: “Le Saint-Esprit ne nous fut donné qu’après sa Résurrection... Il fallait que le Père éternel communiât à son Fils en le recevant dans son sein, avant que l’Église y communiât en recevant le fruit de ses souffrances et de sa mort.”

Pour résumer, disons que le sacrifice au ciel, et le sacrifice sur la terre, dans le cadre de la Messe, c’est la Gloire du Père. La différence entre le sacrifice de la Messe et le sacrifice céleste n’est qu’eschatologique.

Pourquoi célébrer tant de messes et tout au long des siècles? C’est que, dit le Père de Condren, “la communion qu’ont les saints à Jésus-Christ dans le ciel est sans interruption et éternelle, au lieu que la nôtre est journalière et passagère[31].” Sur la terre, l’Église militante vit dans le discontinu, avec toutes les faiblesses que cela suppose: fatigue, distractions, lassitudes, etc. Il faut donc répéter dans le temps ce qui en soi est parfait. La perfection du sacrifice de la messe réclame notre répétition: nous demandons le secours du Père. La messe comme sacrifice a un caractère pédagogique: dans le temps nous offrons le Fils de Dieu avant de l’offrir dans l’éternité. Dans tous les cas il faut assister à la messe et y communier avec pureté d’intention et de cœur: “Nul ne doit venir à ce festin sans être vêtu de la robe nuptiale.[32]

4-2 – Le Très Saint-Sacrement

La Messe est la célébration par excellence de l’Eucharistie. Le Père qui avait donné son Fils aux hommes, voulait aussi demeurer parmi eux. Le Père de Condren s’est fait le propagateur de la dévotion au Saint Sacrement. À un missionnaire, le Père Amelote, le Père de Condren écrit: “Je supplie Jésus-Christ, Notre Seigneur, qui a voulu par le moyen du Saint Sacrement continuer en nous sa vie et sa religion, de vous disposer toujours de plus en plus et de vous donner la grâce de le faire comprendre aux autres.... Je crois qu’assurément dans ce siècle-ci, Dieu donnera à son Église beaucoup plus de connaissance et de lumière du Très Saint Sacrement qu’on en a maintenant... Cette grâce qu’il plaira à Dieu de faire à son Église fera partie de la rétribution et récompense pour tant d’outrages faits par les hérésies dernières; et les humiliations et mépris que le Fils de Dieu a supportées au Très Saint Sacrement par ses ennemis ont obtenu l’exaltation du même sacrement.[33]

C’est dans ce sacrement que Jésus est, à la fois, le plus exposé et le plus caché: mystère de la grande humilité du sacrifice du Christ qui, ici, est dépouillé, à la fois de sa divinité, et de son humanité, “de sorte que par ce moyen, il puisse être aperçu de nous en quelque façon; car en sa substance, il ne peut être regardé par nous étant dans l’invisibilité de Dieu, ni touché... Il est, au Saint Sacrement, dans une extrême humiliation de vouloir ainsi être environné d’espèces si chétives et si basses comme celles du pain et du vin.[34]

Le Père de Condren considère que le Saint Sacrement est “l’Abrégé de tous les mystères; il les renferme tous en foi.” Et, sous les réalités “qui ont perdu leur substance naturelle, c’est le Fils de Dieu qui est le soutien des accidents et qui empêche qu’ils ne défaillent.” Dans ses Considérations, Charles de Condren insiste: ”Dans le Saint sacrement, Jésus y est non seulement afin que nous jouissions de sa présence, le regardant simplement dans cet état, mais pour nous donner encore tout ce qu’il est, ses mystères, ses états, sa vie, ses vertus, ses perfections et tout ce qui est compris en lui.”

Comme sur la Croix, Jésus au Saint Sacrement n’a qu’une intention: se donner aux âmes. Là, Jésus nous attend pour nous apprendre la patience et le silence, pour nous apprendre à nous donner à Lui pour qu’Il se donne à nous. Et cela, dans une totale liberté d’amour.

4-3 – L’Église et les prêtres

4-3-1 – L’Église

L’Église, née sur le bois du sacrifice, a une fonction sacerdotale et sacrificielle. “L’Église, c’est le Cœur du Christ.” Corps mystique du Christ, elle en est aussi l’Épouse. “Le Père se donne au Christ en le produisant dans la Sainte Trinité... Jésus fait la même chose qui lui est faite dans la Sainte Trinité en se donnant à l’Église,” par son Incarnation. Le mystère de l’Église, c’est l’Incarnation continuée. L’Église qui offre Jésus-Christ est en Dieu comme Dieu est en elle. Dans ses conseils à une âme sacerdotale, le Père de Condren insiste sur le fait que ce n’est pas le prêtre qui offre le Christ mais le Christ qui s’offre Lui-même: “Nous devons, écrit-il, nous anéantir en cette action, y être purs membres de Jésus-Christ, offrant et faisant ce qu’il offre et fait comme si nous n’étions pas nous-mêmes...” À l’exinanition[35] de la victime offerte doit correspondre l’exinanition du prêtre qui offre.

4-3-2 – Le sacerdoce

L’oblation de Jésus à son Père, le Père de Condren l’explicite dans ses lettres aux prêtres qu’il dirige: “Offrez à la divine Majesté son hostie en l’honneur de tout ce qu’il est, en action de grâce de tous ses bienfaits à son Église, et même à toute créature, et en satisfaction de toutes ses offenses... Offrez-la encore comme l’oraison de l’Église et la vôtre, car Jésus est et contient tout ce que nous pouvons désirer et demander à Dieu, et notre plus parfaite prière doit être qu’il soit accompli en nous et en autrui[36].”

Et encore : “Vous devez vous souvenir que le sacrifice que vous offrez n’est pas solitairement le sacrifice du Fils de Dieu, mais du Chef et des membres, de Jésus-Christ accompli qui contient son Église: car il lui communique la prêtrise, et elle l’offre avec lui et lui avec elle.”

Le prêtre doit rassembler tous les membres de l’Église: “Nous ne devons jamais rien opérer pour nous particulièrement, nous ne devons pas être à lui seulement pour nous, mais pour toutes les nécessités communes.” De plus, l’Église, en rassemblant tous ses membres à la messe pour offrir Jésus-Christ, en leur présentant la sainte Hostie, et en la leur remettant pour la consommer, les fait vivre de foi.

Il résulte de ce qui précède que le sacerdoce des prêtres est quelque chose de très grand, de sublimement grand. C’est Dieu qui choisit ses prêtres. La consécration sacerdotale attribue au prêtre une fonction éminente dans un état sublime, quels que soient ses mérites ou sa valeur personnelle: “Le prêtre par l’état de sa prêtrise est élevé au-dessus de soi-même. Il est soumis au Souverain Prêtre comme étant de son Ordre, et il est entré dans sa puissance pour détruire le règne du diable et établir celui de Jésus-christ dans les âmes[37]...”

Cette sublimité du prêtre entraîne son état de serviteur, et peut-être de martyr : “Ils sont tenus d’être dans des dispositions du martyre,” comme le fut Jésus sur la Croix, Jésus offrant et offert. Jésus est prêtre et victime : comment ses prêtres ne le seraient-ils pas ? C’est tout simplement la logique de l’amour : “Les prêtres doivent bien plus aimer Jésus-Christ qu’eux-mêmes, ils doivent bien plus désirer d’être sacrifiés...”

Et voici un conseil écrit à un prêtre: “Vous devez vous anéantir vous-même à l’exemple du Fils de Dieu... comme il s’est anéanti pour se rendre semblable aux hommes pécheurs et comme il est sorti du ciel et du sein du Père.” Et encore : “Nous prêtres, devons rechercher à nous offrir avec lui, Jésus, en sacrifice à Dieu, et nous immoler en sa patience dans la contradiction et persécution des créatures.”

Le Père de Condren va plus loin. Dans l’Église, tous les fidèles doivent offrir et s’offrir: ainsi des malades, dont les infirmités sont des richesses pour l’Église. Et ainsi des religieux et des religieuses, qui, séparés du monde, ne peuvent être qu’à Jésus-Christ: “Vous devez laisser votre vie, tout ce que vous êtes, en sacrifice, en possession et en usage, tel qu’il lui plaira... Cessez d’être afin qu’il soit... Vous devez être consommée dans tout ce qu’est Jésus-Christ [38].”

Nota: le langage du XVIIe siècle a vieilli, et certaines des expressions utilisées par le Père de Condren peuvent surprendre. Il ne faut cependant pas les rejeter d’emblée, car elles cachent souvent des vérités toujours actuelles ou vers lesquelles il conviendrait de revenir.

Les grandes orientations spirituelles
de Charles de Condren

1
L’esprit d’enfance spirituelle

Trois siècles avant la Petite Thérèse de Lisieux, Charles de Condren exaltera l’enfance spirtuelle, en la liant, toutefois, à la notion de sacrifice, ce qui est tout à fait conforme à sa doctrine et à son siècle. Car, selon le Père de Condren, il y a, dans les exigences de l’enfance spirituelle, toute la gravité du sacrifice.

1-1 – L’enfance de Jésus

L’Incarnation véritable et totale de Jésus passe nécessairement par le stade de l’enfance, avec ce que cela cache de fragilité, de dépendance, d’impuissance, d’indigence et d’humiliation. L’enfance de Jésus est de nature sacrificielle: “Son impuissance est source de vertu et de force pour opérer, sa dépendance doit être notre direction et conduite, son indigence nous est plénitude et abondance de grâces. C’est par ce mystère de l’enfance qu’il commence à se donner à nous, qu’il commence notre conversion[39]... L’enfance est le printemps de la grâce... La grâce de cet état est de rendre petits à nos propres yeux.[40]Car la stupéfaction saisit notre cœur devant l’abaissement de Jésus.

1-2 – Le Baptême, entrée dans la voie du sacrifice et de l’enfance spirituelle

Le Père de Condren note l’extrême misère de notre première enfance, celle d’avant le Baptême, esclave du péché, ignorante et infirme. Jésus ne peut supporter cet état dans lequel nous a mis le péché originel. Il veut donc nous revêtir de Lui-même, c’est-à-dire de son esprit et d’une grâce venant de Lui seul. Cet esprit et cette grâce sont esprit de pureté, de douceur, d’humilité, en un mot l’esprit d’enfance spirituelle, et c’est ce que le Baptême opère en nous.

1-3 – Les vertus de l’enfance spirituelle

1-3-1 – L’humilité

Le fondement de toutes les vertus, c’est l’humilité: “Ayez toutes les vertus, confirme Condren, si vous n’avez celle-là, vous ne pouvez plaire à Dieu, mais quoique vous ayiez beaucoup d’imperfections, si vous avez l’humilité, vous avez quelque chose qui plaît à Dieu.[41]Et de Condren conseille de refaire le trajet parcouru par Jésus, sur la terre. “Comme le Verbe a mis ses grandeurs, ses attributs, en exinanition... il faut mettre nos personnes, nos grandeurs, notre nature, nos inclinaisons, en exinanition pour nous faire petits, quoique nous sentions y répugner et qu’elles nous fassent peine.” Se faire petit est un véritable labeur tant cela est contraire à la spontanéité de notre nature.

L’humilité est une méfiance à l’égard de nous-mêmes, et il nous est  impossible d’être humbles sans faire appel à l’Esprit-Saint. Être humble, c’est d’abord le vouloir, c’est savoir ce que Dieu pense, c’est vouloir ce que Dieu veut, c’est aimer ce qu’Il aime: “Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain.” Cette vertu nous transforme et fait de notre cœur un ”foyer de douceur,... car la douceur est la sœur de l’humilité...”

L’humilité c’est l’inclination qui nous permet d’accepter, à l’avance, ce que Dieu nous demandera: “Il faut être dans l’inclination de sacrifier cette vie en ce monde et nous-mêmes à Dieu avec Jésus-Christ. C’est entrer en son sacrifice par lequel il sacrifiait tout le monde avec lui.” Ce sacrifice d’enfance spirituelle se vit dans la pauvreté.

1-3-2 – La pauvreté

“La pauvreté de cœur est la première des Béatitudes évangéliques, afin de n’avoir pensée que de Dieu et de n’être occupé que de lui.[42]

La pauvreté spirituelle est un choix, quête du seul Bien: l’Être de Dieu. C’est une pauvreté de désir, et non pas de résignation, c’est une soif, mais de Dieu. La pauvreté spirituelle est craintive, car elle craint que Dieu s’éloigne à cause de nos égarements, froideurs, indignités...

La pauvreté de l’enfance spirituelle, renvoie à l’humilité. Les riches comme les pauvres peuvent vivre en esprit de pauvreté et d’humilité. Dieu permet qu’il y ait des riches, “et ces personnes doivent vivre avec leurs marques de grandeur... St Jacques dit que le pauvre se doit glorifier dans son exaltation, c’est-à-dire d’être dans un état que Dieu a voulu élever et sanctifier de sa personne, et le riche au contraire dans son humilité, c’est-à-dire qu’il regarde son état comme un état d’humilité et d’abaissement que Jésus-Christ a réprouvé et dont il n’a pas voulu... Mais il veut qu’il y ait de ses membres qui y vivent et qui s’y sauvent.” 

L’esprit de pauvreté consiste à vivre dans l’état que Jésus a choisi pour nous. C’est un état désemcombré de soi-même, tout simplement.

1-3-3 – La simplicité

“Dieu demande de nous la simplicité du cœur... Il nous demande un œil simple, c’est-à-dire la pureté du cœur. Il faut aller droit dans les chemins du service de Dieu, sans tant de détours que nous faisons dans notre voie. La grâce de cette perfection opérera en nous la grâce de marcher simplement dans la voie de Dieu,...”  à l’exemple de la Sainte Trinité ”dont l’essence divine est commune aux trois personnes.

Concrètement, être simple, c’est se déterminer pour Jésus-Christ et dire non à tout ce qui n’est pas Lui. Condren nous demande d’abandonner tous nos vouloirs personnels: “Pour honorer Dieu dans son unité, nous devons perdre notre propre volonté et n’avoir que la sienne.” L’enfant spirituel, le simple de cœur, modèle son jeune esprit sur les vues de l’Esprit-Saint. Et l’on en revient encore à l’humilité. C’est l’abandon à la volonté de Dieu

1-3-4 – L’abandon

L’abandon n’est pas la résignation, mais l’expression de la confiance en Dieu notre Père: “Donnez-vous au Fils de Dieu avec confiance, et soyez assuré que les petites peines que vous souffrez tourneront à votre salut... Nous ne sommes rien et ne pouvons rien de nous-mêmes, et c’est une grâce que Dieu vous fait de ressentir en vous-même votre impuissance et de vous rendre son secours nécessaire en vos actions ordinaires.[43]

Les sacrements sont les dons de Dieu aux hommes pour les ramener sur le chemin de la confiance, le chemin de l’enfance spirituelle. Mais l’abandon à Dieu n’est pas passif; il est la source de notre prière, l’ouverture naturelle à l’esprit d’oraison. 

2
L’oraison

Pour le Père de Condren, “l’oraison est une conversation de l’âme avec Dieu,” pleine d’humilité et de respect, car la créature qui fait oraison découvre sa petitesse extrême quand elle est en présence de Dieu, Tout-Puissant, plein de grandeur et de Majesté. L’oraison est un devoir, car elle permet de découvrir Jésus-Christ et de le prendre pour modèle.

2-1 – L’oraison est une obligation

Notre nature humaine finie a besoin de considérer “les divines perfections, ses grandeurs admirables, et d’adorer sa majesté infinie.” Le temps de l’oraison est aussi le temps privilégié où l’enfant de Dieu retrouve son Père. “C’est le commencement de la vie au ciel.” L‘oraison n’est ni “une paresse”, ni une “nonchalance”... mais une activité de notre esprit qui vise à être “un même esprit avec Dieu,” ce qui suppose une ascèse et un renoncement à soi-même.

Il est également de notre devoir d’imiter “celui dont la vie a été une continuelle oraison, depuis le moment de son Incarnation jusqu’à sa mort. Faire oraison, c’est entrer “en société avec Notre Seigneur, en son enfance, en sa Passion, et en tous ses autres états... Et parce que nous sommes les membres de son corps mystique, nous ne pouvons nous séparer de lui: il est notre modèle.”

2-2 – Nous avons besoin de l’oraison

Nous sommes tous des pécheurs indigents, et l’oraison est l’occasion de nous humilier devant Dieu: “Comme nous avons plus besoin de Dieu pour vivre que de notre cœur même, nous recevons continuellement de lui ce qui est nécessaire à la vie; aussi sommes-nous obligés d’avoir recours continuellement à lui et à cet entretien et oraison par laquelle nous reconnaissons notre indigence, lui exposons nos besoins et lui demandons ce qui nous est nécessaire.”

La miséricorde divine nous fait éprouver notre misère, mais ne la condamne pas, au contraire, car c’est lui qui nous inspire à solliciter sa bonté.

Tout le monde doit faire oraison: “La plupart des hommes croient que c’est un don et une grâce particulière de Dieu faite à quelques-uns et à laquelle tout le monde ne doit pas prétendre.” Quelle erreur! Comment pourrions-nous nous acquitter de nos tâches liées à la charité, sans le secours de la prière permanente?

2-3 – Le contenu d’une oraison

2-3-1 – Tout d’abord, l’adoration

L’adoration est aussi sacrifice: elle demande donc de sortir de soi-même, de s’oublier, de pénétrer dans l’Esprit de Dieu: “Nous ne pouvons de nous-mêmes faire oraison. Nous devons... faire  abnégation de notre esprit, ne voulant nous entretenir avec Dieu qu’en l’esprit de Jésus-Christ, parce qu’il est vrai que nous sommes incapables de traiter avec lui par notre esprit... En qualité de pécheurs nous ne pouvons nous trouver devant Dieu” infiniment distant de nous. Pour adorer Dieu tel qu’Il est, nous devons “prier Jésus-Christ qu’il nous anéantisse en nous-mêmes.”

Dans ses Instructions spirituelles, de Condren conseille: “Laissez-vous à lui, dans l’esprit de tout ce qu’il est,... ne voulant  rechercher que sa propre gloire, vous dépouillant de tout votre intérêt, et n’ayant d’autre dessein que de le glorifier.”

Faire oraison, c’est penser Dieu tel qu’il est, et corrélativement nous penser tels que nous sommes. “Il faut donc que nous perdions nos pensées pour l’honorer tel qu’il est, et que nous trouvions bon d’entrer dans son esprit inconnu pour sortir du nôtre que nous connaissons... sinon nous sommes ridicules, nous méprisons Dieu et nous nous rendons incapables de recevoir les grâces de Dieu.[44]

Adorer Dieu c’est découvrir notre misère et la grandeur de Dieu. “L’adoration requiert de nous que nous nous sacrifiions entièrement à Dieu, car l’adoration parfaite dit le sacrifice... soumission de la créature pour rendre honneur à Dieu.” La contemplation des perfections divines et des mystères de la vie de Jésus peut alimenter notre oraison.

2-3-2 – Ce que Dieu désire

La première partie de l’oraison dominicale contient les “besoins” de Dieu: que son Règne arrive, que sa volonté soit faite. Selon les propres termes du Père de Condren: “l’oraison est un véritable brasier de charité...” D’abord amour de Dieu, puis mouvement d’amour vers les hommes, à cause de l’amour qu’on porte à Dieu: Non seulement nous désirons l’établissement de Dieu en nous, mais aussi dans tous les autres, et même en éminence par dessus nous, étant bien aises de tenir le bas lieu du Royaume de Dieu... Ce serait peu aimer Dieu que de ne l’aimer que glorieux et absolu en nous, mais nous devons ainsi désirer de même en tous les autres.”

Le Père de Condren insiste sur ce point: “Que les choses que vous demandez en l’oraison soient universelles et en disposition générale

de charité, c’est-à-dire si vous demandez par exemple quelque vertu, demandez-la non seulement pour vous, mais encore pour votre prochain, pour votre maison et pour l’Église. L’oraison est d’autant plus agréable à Dieu qu’elle est faite avec plus de charité.”

Si la prière concernant nos propres besoins ne doit pas être l’essentiel de notre oraison, nous devons cependant savoir exprimer à Dieu nos vraies nécessités, afin de rester dans la dépendance du Père. C’est ce qu’exprime avec perfection la deuxième partie de l’oraison dominicale que nous a donnée Jésus-Christ.

2-4 – Quelles oraisons ?

Le Père de Condren mentionne plusieurs catégories d’oraison :

        – Les oraisons de pénitence, associées aux oraisons de privation, de peine, ou de sacrifice: ces oraisons qui sous-entendent: combat, effort, ascèse, ont une réelle valeur sacrificielle.

Pour entrer en oraison, il faut accepter une lutte allant à contre-courant de nos tendances naturelles. Si des pensées étrangères nous traversent, c’est que nous n’aimons pas assez Dieu. Le Père conseille à une dame: Demandez pardon du manquement que vous avez commis de vous être si facilement séparée de lui et de sa divine présence pour vous occuper d’une autre pensée... Avouez que vous n’êtes pas digne de converser avec Dieu, puisque la moindre pensée des choses du monde vous en sépare si facilement; mais si vous désirez être plus attentive à l’oraison et éviter les distractions qui vous arrivent, ayez soin de faire un continuel usage de la pensée que Dieu vous donne[45]...” Le combat est à mener, non seulement en nous, mais aussi autour de nous.

        – Les oraisons de sécheresse, de nuit, d’inquiétude, de stérilité de notre esprit : “Ici, il faut patienter dans l’impatience, résister doucement mais virilement.” Surtout, il ne faut pas abandonner: “Ne laissez point votre oraison, encore que vous y ayez de la peine; s’il plaît à Dieu de vous faire faire pénitence, vous n’y perdrez pas le temps... C’est un sacrifice que vous lui faites d’une partie de la journée... C’est quelque chose de perdre son temps pour Dieu... Dieu veut que vous fassiez pénitence en sa présence, il faut le vouloir avec lui...

L’oraison, c’est souvent le temps “des nuits, des ténèbres.” Les oraisons désertiques sont souvent de notre faute, mais Dieu peut aussi les vouloir, en vue de ”notre salut”. L’oraison nous conduit à une expérience de Dieu, mais cette expérience se vit “en bosse et en creux.”

        – Les oraisons consolées “plus conformes aux sens et à l’amour-propre, parce que dans les consolations que Dieu nous envoie, et les grâces que Dieu fait, il y a plus de danger d’amour propre, propriété et impureté d’intention que dans les délaissements et les afflictions.”

Il y a deux sortes de consolations :

– les consolations sensibles souvent obstacles et ennemies de notre progrès spirituel,

– les consolations que l’Esprit-Saint seul autorise en nous révélant “qu’accepter sa pauvreté par esprit de pénitence, et par hommage à la justice divine” nous mettent dans un état de reconnaissance envers Dieu

Aimons-nous Dieu pour Lui-même, ou aimons-nous ses seuls dons ? Pour le Père de Condren l’expérience crucifiante est aussi une consolation : “C’est la marque d’une bonne oraison... lorsqu’elle (l’âme) ne trouve pas étrange si elle est privée des grâces qu’elle reçoit ordinairement. Car cela montre qu’elle n’est pas attachée aux grâces, mais à Dieu qui, quelquefois, retire ses grâces actuelles ou assistance en l’oraison pour le plus grand bien de l’âme.”

L’oraison est une expérience d’amour, et il n’y a pas d’amour qui soit rassasié. Est-ce pour cela que la meilleure oraison est “l’oraison de la Passion”? Notre amour pour Dieu ne peut s’approfondir que si Dieu creuse en nous un puits d’amour. “L’oraison de la Passion porte mortification de l’Esprit, séparation ou plutôt privation de l’usage de l’esprit.” Dieu ne nous quitte que pour que nous nous élancions vers Lui: oraison de pure adoration, fuite éperdue de l’âme qui recherche le Bien-Aimé sans pouvoir le saisir: “Je ne serai jamais content que vous ne soyiez tout à moi, et moi tout à vous.[46]

3
Notre modèle :
la Vierge Marie

”La vie présente est le noviciat de l’éternité.” Pour le Père de Condren, en effet, toute notre vie spirituelle, sur la terre, prépare notre éternité. Mais notre faiblesse est telle que Jésus nous a donné un modèle, sa Mère: “Nous devons vivre en elle avec lui, et avec elle en lui et pour Lui.” Marie n’a pas été épargnée par les vicissitudes de la vie; mais, unie étroitement à son Fils, elle partagea aussi avec Lui ses mystères de joie et de gloire.   

3-1 – Les mystères de Marie

3-1-1 – L’anéantissement de Marie

Durant toute la vie mortelle de la Sainte Vierge, le Père lui demandera de partager l’exinanition de son Fils: “Il faut regarder cette voie d’exinanition de Jésus-Christ étendue par l’opération de Dieu en l’âme de la Vierge. Aussi commence-t-elle au même moment en elle qu’elle commence en son Fils.[47]

L’abaissement de Marie devait durer toute sa vie; c’est ce qu’estime Charles de Condren: “Dieu ayant suspendu par un miracle très grand tous les effets de gloire qui devaient accompagner sa grâce de maternité et sa qualité d’épouse, elle demeure dépouillée jusqu’à son Assomption de toute la gloire qui lui est due.” L’exinanition de Marie doit être la réplique de celle de son fils. Cela est particulièrement visible au moment de la Présentaion de Jésus au Temple, quand le vieillard Syméon dit à Marie: “Cet enfant... sera en butte à la contradiction, et toi-même une épée te transpercera l’âme.” Cette fête, dit le Père de Condren, est “la fête du commencement des douleurs de la Vierge.”

L’oblation de Marie sera effective dès le moment où Jésus est  racheté. Puis, c’est la fuite en Égypte, etc... Mais l’oblation de Marie est vécue au plus profond d’elle-même, comme dans l’ombre: elle seule sait que son Fils sera crucifié, quoique sans en connaître les détails. Le Très-Haut a donné Jésus à Marie pour qu’à son tour elle Le livre aux hommes, jusqu’au Calvaire.   

3-2 – La charité de Marie et son don de soi

Chez Élisabeth, aux bergers, aux Mages et jusqu’à la Croix, Marie ne cesse de nous donner son Fils, don de la plus sublime des charités: “Marie produit son Fils, elle l’expose dès sa naissance aux hommes, se conformant à son Fils, lequel voulait non seulement entrer en elle, mais aussi, par elle, être et appartenir à nous.”

Au Calvaire, Jésus livré, nous donne sa Mère, Marie nous adopte, et ce faisant, adopte toute l’Église. Mais Marie ne peut nous aimer que si nous sommes une survivance de Jésus: “Je ne doute point aussi que l’Église ne veuille conserver avec un très grand soin le monument le plus exprès de l’adoption des chrétiens par la Mère de Dieu et la plus vive image qui lui reste de l’union de Saint Jean à la Vierge, et en lui, de tous les membres de Jésus-Christ.[48]

3-3 – Le culte à rendre à Marie

Le Père de Condren exigera un vrai culte marial de ses Oratoriens: “Bien que vous ne soyiez pas dignes de regarder la Sainte Vierge, ni de penser à elle... vous vous porterez avec toute l’Église triomphante... et avec toutes les bonnes âmes qui sont au monde, à honorer la Vierge de toutes vos forces... Vous prierez pour les intentions de la Sainte Vierge, pour son accomplissement et plénitude dans l’Église, pour qu’elle soit reconnue et honorée, et vous vous donnerez à elle pour y travailler de tout votre pouvoir.[49]

On pourrait ajouter: à l’imitation du Père de Condren, “qui rendait par son chapelet et autres oraisons, les devoirs à la Très Sainte Vierge.” Car la dévotion mariale est une condition pour vivre avec Jésus, pour entrer dans son intimité: “Il nous faut lier à l’âme de la Sainte Vierge qui eut plus de part de connaissance et d’estime des grandeurs de son Fils, que tous les hommes et les anges... C’est par elle que nous devons le former en nous.”

Ame de silence, d’oblation et de charité, Marie dirige nos âmes sur la terre: “La Sainte Vierge ne parle pas de son Fils,... elle se tait... Marie n’en dit mot, demeurant toujours avec Jésus dans le silence...”

4
L’union à Dieu et le pur amour

C’est le propre de l’École Française, illustrée, entre autres, par Bérulle, Charles de Condren et Jean-Jacques Olier, de ramener toute la vie spirituelle à l’état de sacrifice. Le Père de Condren a vécu sa vie de prêtre comme un sacrifice offert à Dieu. Cette idée, pour le Père de Condren se retrouve dans toute vie spirituelle, celle des religieux comme celle des laîcs. Mais, pour de Condren, l’esprit de sacrifice qui préside à toute vie spirituelle est, en fait, l’introduction à l’union à Dieu, “l’adhérence”: adoration vécue dans l’assujettissement à l’amour de Jésus, et “l’appropriation”: prise de possession de notre être par Jésus, pour nous transformer  complètement en lui.

4-1 – L’adhérence

“Je vous adore, mon Seigneur Jésus, je renonce à moi-même pour être à vous sans réserve, je renonce à ma propre volonté puisqu’elle vous est si contraire... Je renonce à mon propre esprit et j’adore le vôtre auquel je veux m’assujettir... Surtout, je renonce à l’amour propre parce que je veux vivre dans votre amour, je vous prie de le détruire en moi.[50]

L’adhérence est véritablement l’attachement d’amour de notre petitesse à la grandeur divine. En réalité nous retournons à Dieu car nous savons que nous venons d’en haut et que “mon moi originaire, c’est Dieu.” Par le péché, nous avons perdu l’amitié du Père, mais pas sa pitié, ni sa miséricorde. Et nous pouvons toujours nous unir à Dieu, adhérer à Lui; c’est même un devoir. Et Jésus est notre modèle, parce que Jésus Fils de Dieu “a toujours adhéré au vouloir de son Père.”

Mais l’union à Dieu c’est un renoncement, qu’il s’agisse “d’abandon, de délaissement, de séparation de nous-mêmes... Adhérer à Jésus-Christ, c’est d’abord se détacher de soi... pour s’unir à son Esprit, dont les grandeurs sont anéantissantes, élevantes, unissantes, séparantes.”

S’unir à Dieu c’est laisser derrière soi tout ce qui n’est pas Dieu. Adhérer à Jésus-Christ, c’est accepter d’entrer dans une voie purificatrice; on ne peut louer Dieu avec un cœur partagé. Le Père de Condren demande: “le renoncement de toute notre vertu et de notre propre esprit pour entrer en celui de Jésus-Christ et pour faire toutes choses par son esprit et par sa vertu même... C’est au Saint-Esprit de nous élever au-dessus de notre capacité, car de nous-mêmes nous n’avons aucune puissance de nous élever.” L’adhérence est abandon de nous-mêmes et ouverture de notre âme à la vie divine. Adhérer à Dieu, c’est se séparer de soi-même, c’est entrer dans l’état sacrificiel de l’”adhérence”.

Être uni au Christ, c’est être uni au Fils de Dieu qui est passé par la mort avant de ressusciter. De Condren conseille: “Donnez-vous à Notre-Seigneur... pour n’estimer jamais les choses que comme il les estime, pour n’approuver que ce qu’il approuve, et pour condamner ce qu’il condamne...”

Il nous faut vivre comme des petits enfants, mais pour cela, il faut veiller, “nous abandonnant à la disposition de Dieu quelle qu’elle puisse être sur nous en tous les accidents de la vie.” Il faut veiller, car nous vivons dans le monde, et vivre dans le monde c’est être exposé en permanence à l’esprit du monde qui n’est pas celui de Jésus-Christ, et la vigilance suppose l’action.

Les plus grands contemplatifs ont toujours été des hommes d’action, Aussi, le Père de Condren conseille-t-il: ”Ne négligez rien qui puisse conduire à Dieu... puisque les moindres accidents de notre vie doivent servir à notre salut et que les moindres de nos actions faites pour Dieu servent à notre sanctification.[51]

Jésus notre Sauveur est un Dieu crucifié. Celui qui adhère à Lui sera crucifié, inévitablement, et d’abord volontairement par la pénitence: ”La pénitence est une vertu propre à l’homme... les anges n’ont pas reçu la grâce de la pénitence.” Par la pénitence nous retrouvons la vie et l’espoir: “Nos péchés ne nous doivent jamais porter au découragement et au désespoir... Le péché nous oblige à être dans un état de continuel sacrifice et de mort pour Dieu... La pénitence n’est autre chose que prendre le parti de Dieu contre nous-mêmes... Il convient de regarder la pénitence comme une participation de la justice divine vengeresse du péché, comme une grâce qui nous unit à Dieu... Jésus veut que nous nous offrions comme lui et avec lui en sacrifice.”

4-2 – L’appropiation

L’âme en état d’adhérence est en état de sacrifice, d’oblation, de victime: Jésus va pouvoir se l’approprier.

Appartenir à Jésus-Christ, c’est “être enté en lui.” Il est la tête du corps mystique, nous ses membres. “Jésus-Christ doit être notre substance: nous devons nous perdre heureusement en lui, en sorte que nous n’ayons plus de substance que lui... Nous devons être tout changé en lui, consommé et abîmé en lui...” Mais il y a plus, selon le Père de Condren: “Jésus n’est pas seulement consommé en Dieu comme notre chef, il l’est aussi en ses membres, en qui il s’établit pour être de nouveau consommé en eux, l’étant déjà en sa propre personne.”

Ces notions sont difficiles. Jésus pénètre en ceux qui désirent s’unir à Lui pour continuer sa mission de prêtre. Il prend possession de notre être pour nous transformer complètement en Lui et le détruire, afin de ”s’approprier” tous nos états. Jésus n’a qu’un désir: “... s’approprier toute la capacité et les propriétés que nous avons d’opérer et d’agir vers Dieu intérieurement, et aussi la puissance que nous avons d’opérer extérieurement, afin que ce soit lui qui fasse toutes les fonctions en nous.., afin qu’il y vive à la place de nous-mêmes.[52]

Cette opération de Jésus en nous est totalisante: “Nous devons désirer avec Dieu de tout perdre afin qu’il ait tout, de ne rien être en nous afin qu’il y soit tout... de ne rien posséder en nous afin qu’il possède tout et jouisse de tout.[53]Jésus a tous les droits, donnés par son Père, ou acquis par sa Passion. “C’est la gloire du Verbe de nous consommer, de nous faire participer à sa propre consommation.”

Jésus pénétrant en nous par son Esprit y dépose le feu de son Amour purifiant qui détruit tout ce qui n’est pas saint. Ainsi: “les cœurs qui lui sont voués et consacrés sont des autels qui doivent brûler de son amour, dans lequel toute autre chose doit être immolée à sa sainteté, et parfaitement consommé.”

L’âme que Jésus s’approprie contemple souvent le mystère de la Rédemption, donc, il lui faut “être dans l’inclination de sacrifier cette vie en ce monde et elle-même à Dieu avec Jésus-Christ pour être en son esprit crucifié.” La destruction dont il a été parlé plus haut, c’est tout simplement la vocation à la sainteté: “La sainteté consiste en la séparation de vous-même, car quand il n’y aura rien en vous que Dieu, alors, vous serez saint.” (Lettre à un dirigé)

Jésus-prêtre peut blesser sa créature, mais c’est une blessure d’amour, d’amour de Dieu, qui n’est jamais pernicieuse “Nous devons être comme des hosties devant Jésus-Christ. Nous nous devons présenter à Jésus-Cchrist afin qu’il emploie toute notre capacité, nos puissances, nos opérations, nos études, de sorte que ce soit lui qui prie, qui parle, qui étudie, qui converse, qui agisse, enfin qui fasse toutes choses en nous, et non pas nous; il faut que ceux qui nous parlent soient trompés, et qu’au lieu de nous parler, ils parlent à Jésus-Christ.[54]

Une hostie n’offre aucune résistance: elle s’abandonne à Dieu. Se laisser consommer par Jésus, ce n’est pas une faillite de la liberté, c’est au contraire une sublime liberté: être libre, c’est rendre à Notre Seigneur sa liberté d’opérer comme Il l’entend avec sa créature. À cette fin, l’état de victime est indispensable. L’hostie consommée par l’Esprit de Jésus est devenue son épouse: il n’y a d’appropriation que nuptiale: “Notre vie est celle par laquelle nous vivons en Jésus et Jésus vit en nous, étant plus âme de notre âme, et cœur de notre cœur, que notre âme est âme de notre corps.”

5
Le pur amour

Le Père de Condren nous fait comprendre qu’il y a, dans la connaissance naturelle, des insuffisances qui privent l’humanité d’une approche amoureuse de Dieu. Pour aimer Dieu, pour savoir qui Il est, il faut entrer dans sa connaissnce, et pour cela, ouvrir les Livres saints. Dieu, nous dit de Condren, est ”la source de toute lumière. Il est le créateur souverain, le Père éternel, le principe et le terme du sacrifice de Jésus.”

Dieu est Amour, et malgré la brièveté de sa vie terrestre, Jésus a su nous le révéler, par ses enseignements et par ses miracles. “La connaissance qu’on peut avoir de Dieu par la raison est infiniment au-dessous de ce qu’il est, mais la foi l’atteint jusque dans son infinité.”

La foi seule conduit à Dieu et entretient notre fidélité à Dieu: “La foi est au-dessus de toute la science.”

La connaissance de Dieu est volontaire; il faut le vouloir et, comme tout sacrifice, cela implique la nécessité de se séparer de tout le mondain. Ainsi, le pur amour n’est pas réservé à une élite, mais il est offert à tous ceux qui sauront écouter Jésus-Christ, “le pur Amour lui-même”.

Le pur amour, c’est la rencontre de deux volontés: la volonté divine qui veut répandre “son feu sur la terre”, et la volonté humaine qui commence à “préférer Dieu à toutes les autres choses.” Dès lors, Jésus apparaît comme l’Époux proposant un amour auquel aucun pécheur ne peut prétendre; les hommes ne sont pas dignes de cet amour. De Condren écrit: “De l’aimer... nous n’en étions pas dignes, nous n’en étions pas capables. Il nous a toutefois obligés à l’aimer. Remercions tous Dieu de ce qu’il a voulu nous obliger tous à l’aimer... Il lui a plu de nous en rendre dignes et capables par l’administration de sa grâce... puisqu’il a voulu mettre notre perfection à l’aimer.”

L’obligation d’aimer Dieu “est ce qui donne à l’âme ses mouvements d’une façon bien plus noble et relevée...” C’est Dieu qui soulève, élève l’âme vers Lui, la stimule, et lui permet de se détacher de tout le créé pour atteindre au mieux le Créateur, ce qui la rend étonnamment libre: “On entre dans la gloire en perdant tout ce que l’on est humainement.”

Tout cela n’est que la préparation de l’âme au pur amour. Alors, qu’est-ce que le pur amour?

5-1 – Qu’est-ce que le pur amour ?

Selon le Père de Condren, le pur amour est, à la fois, “un amour de bienveillance qui consiste à vouloir du bien à la chose aimée, un amour de complaisance lorsqu’on se plaît en la vue ou en la pensée de ce qu’on aime, et l’amour de désir quand on désire la posséder.”

5-1-1 – L’amour de bienveillance

Nous ne pouvons rien apporter à Dieu qui a tout. Condren résoud la difficulté en disant: “La bienveillance en l’amour de Dieu consiste à vouloir de tout son cœur que Dieu, étant la bonté, la beauté et vertu universelle et infinie, soit loué et glorifié, sanctifié et adoré partout, qu’il règne en toute créature... Que toute sa volonté soit parfaitement accomplie.” Vouloir du bien à Dieu, c’est prendre en compte ses désirs, ses afflictions, ses peines de n’être pas aimé des hommes qu’Il aime: “Quand il fut proche de la ville (Jérusalem) Jésus pleura sur elle.”  

Que désire Jésus? Nous-mêmes tout entiers: “Ce désir (de Dieu) qu’il a de nous recevoir est aussi grand comme sa charité est grande... C’est grande infidélité de manquer à ces désirs de Jésus-Christ... Le Fils de Dieu ne se contente pas d’être offert à son Père en un lieu, mais son désir est de lui être offert en plusieurs.[55]

Satisfaire les désirs de Dieu, c’est aussi aller au-devant des brebis perdues, des brebis ignorantes de son existence, car l’amour de bienveillance est un amour d’apôtre, et l’amour d’apôtre est un amour du sacrifice. Aimer Dieu d’un amour pur, c’est ne pas lui refuser les âmes qu’Il s’est choisies. Les créatures ne nous sont jamais données, mais confiées.

5-1-2 – L’amour de complaisance

L’amour de complaisance “consiste à arrêter son esprit à la considération des perfections divines infinies, à se délecter de ce qu’il est si beau et si parfait.”  L’amour de complaisance se porte vers l’Être qui est, par essence, Lumière et Vérité. Dieu ne nous a pas créés pour la médiocrité des amours fugitives mais pour Lui, l’Amour.

Le pur amour aime parce que, saisi par l’Amour, il est devenu le bien de l’Amour.

L’âme désire posséder Dieu, “et le désire plus que toute autre chose.” Se complaire en Dieu, c’est désirer être de plus en plus en Lui et à Lui. Le Père de Condren s’écrie: “Votre amour est la vie. Seigneur, j’attends de vous cette grâce, je proteste de ne vouloir aimer autre chose: que je mette toute ma béatitude à vous pouvoir aimer parfaitement.” Le Père avait d’ailleurs fait un ”vœu de servitude, un vœu de victime.” Il disait: “Être victime, c’est retourner à Dieu de la manière la plus complète et la plus parfaite.”

L’état de sacrifice est, en effet, le fondement du pur amour.

5-2 – Le pur amour, liberté et bonheur

Par son sacrifice, Jésus nous a libérés de la servitude du péché, et Il a fait de nous les enfants adoptifs de Dieu. Il nous veut libres et capables d’aimer.“Jésus ne veut avoir que des serviteurs volontaires et tient toujours perdu ce que l’amour ne lui gagne point.” Dieu veut être aimé librement. La réponse humaine à une avance divine est un choix, et un choix libre.

La liberté est d’abord et toujours un libre arbitre. C’est librement et par choix que nous nous lions à Jésus-Christ, “et la plus étroite liaison que nous connaissons est celle de l’esclavage.” (spirituel)[56] 

“Pour être fait esclave, dit encore Charles de Condren, il ne faut pas être privé de soi-même et de sa liberté, mais du droit d’user de soi-même et de sa liberté pour ses intérêts.” La finalité de notre dépouillement est la gloire de Dieu.

5-2-1 – La grâce de Dieu

Mais aimer Dieu d’un amour pur, n’évacue pas toutes nos faiblesses. Notre liberté, même parfaite, et désirant la volonté de Dieu n’est pas suffisante: “Il n’y a que la grâce qui rende notre capacité puissante à produire quelques actes... Sans elle, nous ne pouvons rien, mais aussi il est vrai que la grâce seule ne nous sauvera pas si nous n’y coopérons, et correspondons par notre fidélité... Aussi la grâce est bien la cause principale de nos bonnes actions, mais il faut que nous y contribuions...”

5-2-2 – Le pur amour conduit à la béatitude

“Comme nous devons aimer Dieu plus que nous-mêmes, aussi devons-nous avoir plus de soin de sa gloire que de notre propre salut.” Et, ce faisant, nous trouvons la béatitude, “la société de ceux qui adhèrent à Dieu, qu’on appelle la Jérusalem mystique qu’est l’Église, laquelle combat ici-bas et doit régner un jour au ciel...“

Contemplant cette béatitude, le Père de Condren s’écrie : “Vous êtes, mon Dieu, ma fleur, ma rose, mon jardin... ma récréation, mon divertissement, en un mot, ma béatitude... Notre Seigneur ne demande pas seulement une joie, mais un bondissement de joie. Or la joie vient de l’abondance de l’amour.” Il n’y a de pur amour que vécu dans la béatitude. Le pur amour, c’est le chant de l’âme à son Seigneur, qu’elle soit blessée de son amour, qu’elle en reçoive les suaves douceurs, ou qu’elle en soit privée.

Ainsi on comprend les pénitences et l’état de sacrifice: “Les privations que Dieu permet, que Dieu envoie, elles sont jouissantes de sa gloire et de Dieu même, puisque tout ce que Dieu permet et envoie dans une âme est pour l’attirer à sa gloire et à lui-même.”  C’est la joie de l’oblation.

La joie de l’oblation dans le pur Amour, c’est toute la doctrine du Père de Condren. Ce sera notre conclusion.

Bibliographie

Manuscrits du Père de Condren

Père de Condren, Mystères de Jésus-Christ

Père de Condren, Des fêtes et mystères de Jésus-Christ

Père de Condren, Traité de l’Oraison

Père de Condren, Fragments du Père de Condren

Ouvrages imprimés

Père de Condren, Instructions spirituelles tirées des écrits du Père de Condren, second supérieur de la Congrégation de l’Oratoire de Jésus

Père de Condren, L’Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ

Père de Condren, Considérations sur les Mystères de Jésus-Christ, selon que l’Église les propose pendant le cours de l’année

Père de Condren, Lettres, Éditions du Cerf, 1943

Claude Pouillard Le Père de Condren, le Mystique de l’Oratoire, publié chez FAC-éditions, en 1994

Denis Amelote, Vie du Père de Condren,  publié à Paris en 1657

Denis Amelote, La vie du R.-P. Charles de Condren, second général de l'Oratoire publié chez SARA & JESLÉ - Paris, 1643

Leherpeur L’Oratoire de France, publié à Paris en 1926 - Éditions SPES

H.Brémond Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, publié en 1921, chez Bloud et Gay

Galy, Le sacrifice dans l’École française de spiritualité, publié en 1951, à Paris, chez les Nouvelles Éditions latines

Adolphe Perraud, L'Oratoire de France au XVIIème et au XIXème  Editions DOUNIOL - Paris, 1865

Autres sources obtenues sur Internet :

http://perso.wanadoo.fr/abbe.papon/charlesdecondren.html

-Yahoo! Encyclopédie-Charles de Condren  Accueil- Yahoo! -Aide Encyclopédie

http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/c/c0007178_p0.html

Paulette Leblanc


[1] Les citations qui seront rapportées ci-dessous, proviennent, soit de conférences, de prédications, ou de conseils divers, que ses disciples ont précieusement recueillis et conservés, et dont beaucoup ont été cités par Claude Pouillard, soit de documents divers éparpillés çà et là sur Internet.

[2] Lettres du Père de Condren.

[3] En même temps que ses études littéraires, Charles avait commencé en secret à étudier la théologie. “Pour n’être pas surpris sur la Somme de saint Thomas et sur les livres de saint Augustin, il en cachait des volumes sous le même bras sous lequel il portait son arquebuse à la campagne, et comme son père ne voulait voir entre ses mains que des armes ou des instruments de mathématiques, il avait vidé à demi la paillasse de son lit, pour en faire sa bibliothèque, et il donnait ordre que personne ne fît sa chambre qu’un laquais allemand qui lui était fort fidèle.” (P. Amelote)

[4] Qu’il avait déjà commencées en cachette. Les dons de l’intelligence lui avaient été départis avec libéralité. Une mémoire prodigieuse lui permettait, tout enfant encore, et avant d’avoir été appliqué à l’étude du grec, de réciter sans se tromper plus de cent vers d’Homère, pour les avoir lus une seule fois 

[5] Parmi les églises dans lesquelles le P. de Condren se fit entendre, le P. Amelote cite Saint-Nicolas du Chardonnet, Saint-Honoré, Saint-Médard.

[6] Le Père de Bérulle écrivit à un père de l’Oratoire: “Il a plu à Dieu de nous donner M. de Condren, qui est de très grande considération et un des rares esprits que j’aie connus. Il est doué de grande humilité, douceur et modestie. Je vous prie d’en louer Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très sainte Mère.”

Le même Pierre de Bérulle dit à d’autres Pères de l’Oratoire “que Mr de Condren avait eu l’esprit de la Congrégation de l’Oratoire dès le berceau.” (P.Cloyseault)

[7] Qu'il suffise de citer les noms de M. Bernard, le “pauvre prêtre”, du saint évêque de Comminges, Barthélémy de Donadieu; du baron de Renty, le “mystique normand”, de Godeau, le futur évêque de Vence, de M. Olier, de Gaston d'Orléans enfin, que le cardinal de Bérulle, à la prière de la reine-mère, lui confia en 1627.

[8] D’après Batterel mémoires domestiques pour servir à l’histoire de l’Oratoire.

[9] D’après Gaston de Renty.

[10] Extrait de l’oraison funèbre.

[11] Somme théologique II, 2, 85.

[12] Instructions spirituelles.

[13] Instructions spirituelles.

[14] L’Idée du Sacerdoce.

[15] Cité par Galy.

[16] Les mystères de Jésus-Christ (Manuscrits de la bibliothèque de Saint Sulpice).

[17] L’Idée du Sacerdoce.

[18] Les mystères de Jésus-Christ.

[19] Fêtes et Mystères.

[20] Fêtes et Mystères.

[21] Considérations.

[22] de consumere, qui signifie faire disparaître, détruire. Ici, lors de sa destruction,  conclusion du sacrifice, Jésus est recouvert du feu de gloire. Ce terme de destruction signifie ici que disparaissent toutes les misères de la nature humaine que Jésus avait acceptées et supportées en son corps.

[23] L’Idée du Sacerdoce.

[24] Considérations.

[25] L’Idée du Sacerdoce.

[26] L’Idée du Sacerdoce.

[27] L’Idée du Sacerdoce.

[28] L’Idée du Sacerdoce.

[29] Fêtes et Mystères.

[30] L’Idée du sacerdoce.

[31] L’Idée du sacerdoce.

[32] Instructions spirituelles.

[33] Lettre au Père Bertin, du 23 mars 1627.

[34] Considérations sur les mystères de Jésus-Christ.

[35] L’exinanition de Jésus, c’est son anéantissement. L’exinanition cache la divinité de Jésus.

[36] Lettre n° 38.

[37] Fragments du Père de Condren.

[38] Lettres n° 9, à la Sœur Angélique de Jésus.

[39] Considérations.

[40] Instructions spirituelles.

[41] Lettre n° 118, à la supérieure des Annonciades de Nancy.

[42] Instructions spirituelles.

[43] Lettre n° 126, à un homme du monde.

[44] Saintes Instructions.

[45] Saintes Instructions.

[46] Instructions spirituelles.

[47]  Mystères.

[48] Lettre n° 121, à l’Abbesse de Fontevrault.

[49] Déclaration concernant la doctrine de l’Oratoire.

[50] Lettre n° 141.

[51] Lettres.

[52] Considérations.

[53] Lettres.

[54] Instructions spirituelles.

[55] Lettres.

[56] On ne peut s’empêcher de penser à Saint Louis-Marie Grignion de Montfort.

 

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