Toute la vie de Catherine de
Bar, qui deviendra Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, se déroula au XVIIe
siècle, époque qui, succédant à un siècle de tourmentes de toutes sortes, vit
surgir une multitude de saints et naître une spiritualité à facettes multiples
que l’on synthétisa plus tard sous le nom d’”École Française”.
Mais le monde était encore
très agité: la Guerre de Trente ans, en particulier, débuta en 1635. Les misères
étaient grandes: pauvreté extrême du peuple des campagnes, peste, famines,
etc... Le clergé et la vie monastique montraient des signes évidents de
décadence avancée. La sorcellerie et la magie noire régnaient dans plusieurs
provinces de France.
La grande majorité des saints
que le Seigneur envoya pour panser les plaies, ayant constaté les graves ou
douloureuses misères qui sévissaient, se mirent rapidement au travail pour
soulager le maximum de détresses. D’autres, et c’est probablement le cas de
Catherine, furent appelés à supporter ces misères, dans une conformité de plus
en plus grande, et acceptée, aux souffrances du Christ.
1
Mère Mechtilde et son siècle
Quand on parle du Grand
Siècle de Louis XIV, on pense tout de suite à son rayonnement culturel et
spirituel, illustré par les grands écrivains, les grands artistes, ou les grands
noms
de la spiritualité. Mais on parle rarement de la situation réelle du peuple de
France, parce qu’on ne la connaît que fort peu, ou même pas du tout. C’est comme
si on avait voulu oublier ce qui ternirait l’idée que l’on se fait du Siècle de
Louis XIV.
Les guerres perpétuelles, les
invasions de troupes étrangères, la Réforme protestante et les retombées
néfastes de la Renaissance incitant indirectement à un certain retour au
paganisme, les guerres de religion qui étaient, en fait, essentiellement des
guerres politiques ou féodales, avaient créé un climat de grande insécurité
auquel s’ajoutaient, comme on l’a rappelé ci-dessus, des famines à répétitions
et des épidémies de peste.
L’ignorance religieuse, même
chez les clercs avait atteint son degré maximum. Comme dans toutes les périodes
de détresses économiques et spirituelles, la grande majorité des gens du peuple,
y compris des moines et des prêtres, n’hésitait pas à revenir aux anciennes
pratiques païennes que l’on avait cru mortes depuis bien longtemps. Beaucoup de
monastères en étaient infestés. Aussi, la fin du XVIe siècle et la
première moitié du XVIIe siècle vécurent-ils une montée spectaculaire
de la sorcellerie, de la magie noire, des cultes sataniques, etc, etc... Coûte
que coûte il fallait se sortir de la misère, il fallait trouver de l’argent, il
fallait se débarrasser de ceux qui gênaient... On utilisait les charmes, on
jetait des sorts, on fabriquait des filtres... La magie noire était devenue un
instrument très utilisé.
Il semble que même Mère
Mechtilde ait eu à souffrir des sorciers et des sortilèges. En effet, dans une
biographie récente de Marie des Vallées[1],
une grande mystique normande de cette époque, qui fut à la fois la pénitente et
la conseillère de Saint Jean Eudes, on peut lire: ”Anéantir les effets des
sortilèges, préserver la vertu de ses compagnes contre les manœuvres des
libertins, convertir les sorciers, fut une partie de la mission de Marie des
Vallées. D’autres âmes d’élite: Catherine Daniélou, la bonne Armelle, la Mère
Catherine de Saint Augustin, par exemple, semblent avoir eu pareille mission. La
Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Catherine de Bar, dont la communauté de Paris
eut à souffrir des sorciers et de leurs sortilèges, donna à sa réforme, comme un
des buts à atteindre, la réparation pour les crimes des sorciers.”
Pourtant, et en contraste
avec cette situation dramatique, le XVIIème siècle se présente également comme
celui de la restauration religieuse, de la mise en œuvre des orientations
données par le Concile de Trente, et du développement de la dévotion
eucharistique.
Il n’est pas inutile de
remarquer que ce développement de la dévotion eucharistique fut, en grande
partie, l’œuvre de l’”École Française”, avec Bérulle, le Père de Condren, Mr
Olier, etc... Les Bénédictines du Saint-Sacrement sont donc parfaitement dans la
ligne spirituelle de leur temps, tout en restant dans leur spiritualité propre
de disciples de Saint Benoît.[2]
Catherine de Bar naquit à
Saint Dié, le 31 décembre 1614. Son père, Jean de Bar, homme de solide piété,
appartenait à une ancienne famille de robe. Troisième enfant d’un foyer qui
devait en compter six, Catherine reçut une instruction particulièrement soignée:
latin, peinture, musique, etc. Elle avait reçu aussi une solide formation
religieuse.
En novembre 1631, quand elle
entra chez les Annonciades de Bruyères, elle avait dix-sept ans.[3] Elle
reçut l’habit avec le nom de Sœur Saint-Jean-l’Évangéliste.
Quand Catherine de Bar, Sœur
Saint Jean, alors âgée de vingt ans, eut prononcé ses vœux, sa supérieure,
obligée de s’éloigner, lui demanda, au nom de l’obéissance, de la remplacer avec
le titre de vice-gérante. Pendant deux ans Sœur Saint Jean gouverna son petit
troupeau quand la Guerre de Trente ans éclata.
En mai 1635, devant
l’approche des troupes suédoises particulièrement redoutées à cause de leur
férocité, le monastère dut être évacué. Quatre heures après le départ des sœurs,
les bâtiments étaient incendiés et détruits.
Au début de 1636, les
religieuses, purent être reçues à Commercy, dans une aile d’un château
appartenant au marquis des Armoises. Bientôt la peste ravagea le pays, et sur
ses vingt filles, Catherine, Mère Saint-Jean, ne put en sauver que cinq.
Vers la fin de l’année 1637,
Catherine et ses sœurs purent se fixer chez son père, dans une partie de l’hôtel
familial. Grâce à l’entremise de personnes amies, Mère Saint-Jean et l’une de
ses filles furent reçues à Rambervillers, chez les bénédictines. Ce fut le
premier contact de Catherine de Bar avec l’Ordre bénédictin. Après avoir
beaucoup réfléchi, Catherine entra au noviciat de Rambervillers et prit le nom
de Sœur Catherine de Sainte Mechtilde.
La maîtresse des novices,
Mère Benoîte, femme d’une trentaine d’années, qui était bien du ”Grand siècle”
où l’on ne faisait rien à moitié, incita sa novice à vivre les austérités que
l’on croyait alors indispensables à la vie spirituelle. Elle l’initia aussi à la
vie d’oraison. Le 11 juillet, Catherine prononçait ses vœux de bénédictine. Elle
avait vingt cinq ans.
Les guerres continuelles
avaient réduit le couvent de Rambervillers à une telle misère, que les sœurs
durent se séparer. Catherine de Sainte Mechtilde, sa maîtresse des novices et
une autre moniale trouvèrent refuge à Saint-Mihiel, ville également ruinée par
les combats. Mère Mechtilde dira plus tard: “Ce qui ne mourait pas de faim
mourait de peste.”
Au milieu de ce dénuement,
les trois sœurs surent vivre les épreuves communes à toutes les populations
lorraines. Plus tard, Mère Mechtilde écrira: “Nous souffrions une grande
pauvreté mais, dans le dénuement absolu de toutes les choses nécessaires à la
vie, Notre Seigneur nous dédommageait avec tant de bonté qu’il nous semblait
n’avoir rien à souffrir. Pour moi, en particulier, je puis dire que j’étais
tellement inondée de consolations que je me trouvais quelquefois obligée de
supplier Notre Bon Maître de vouloir bien les modérer. Nous vivions dans une
grande paix, suivant nos observances comme si nous avions été dans notre
monastère.”
Un jour, Monsieur Guérin,
disciple de Monsieur Vincent, sans cesse à l’affût des détresses des régions
éprouvées, constata le délabrement de la petite communauté: vêtements en loques,
longues privations, etc. Le 21 août 1641, Mère Mechtilde et une de ses
compagnes, partirent pour l’abbaye de Montmartre, à Paris, dont l’abbesse était
Marie de Beauvilliers. Cette dernière, entrée toute jeune à l’abbaye, avait été
nommée abbesse à l’âge de 24 ans. C’était alors, en 1598, l’abbaye la plus
misérable, la plus relâchée et la plus mal fâmée du Royaume. Mais, grâce à
beaucoup d’efforts, de douceur et de ténacité de la part de son abbesse, cette
abbaye était devenue très fervente.
Mechtilde écrivit à Mère
Benoîte restée à Saint-Mihiel: “Je vous ai déjà souhaitée plus de mille fois
en ce saint lieu où je suis... S’il existe un Paradis en terre, je puis dire que
c’est Montmartre où les vertus se pratiquent en perfection et où notre Sainte
Règle est gardée dans une observance très exacte. Je sais que vous avez été
autrefois dans la pensée que la réforme n’y était pas. Je puis vous assurer et
protester qu’elle y est parfaitemetn appliquée... que cela me ravit d’admiration
et je vous supplie d’en louer et remercier notre Bon Dieu.” De plus, la
Vierge Marie était particulièrement honorée...
Mechtilde gardera de son
passage à Montmartre un souvenir ému. En effet, les circonstances obligèrent
Mère Mechtilde à quitter Montmartre pour aller à Caen où elle arriva avec deux
de ses sœurs le 14 août 1642. Elles rejoignirent ensuite l’hospice qui leur
avait été offert, sur la paroisse de Bretteville.
Hélas ! Mère Mechtilde ne
trouva qu’une chaumière vide, délabrée, exposée, à chaque pluie, aux
débordements d’un ruisseau. Habituée à la misère, elle s’y installa néanmoins
avec Mère Angélique très malade... Heureusement, Mr de Torp, ami intime de Dom
Louis Quinet, abbé de l’abbaye cistercienne de Barbery, s’émut de cette
situation et offrit aux deux religieuses une petite maison située près de
l’abbaye de Barbery.
Mr de Torp et Dom Quinet
demandèrent à Mère Mechtilde de se mettre en relation avec le grand mystique
caennais Jean de Bernières-Louvigny, l’un des personnages les plus marquants du
renouveau catholique en France. C’est lui qui avait fondé l’Ermitage, maison de
retraites fermées pour les évêques, les moines, les prêtres, et de pieux laïcs.
Cette rencontre sera capitale pour l’avenir de Mère Mechtilde.
Merchtilde devra quitter
Barbery pour s’installer, en août 1643 à Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris,
dans un local où elle put regrouper les membres dispersés de sa communauté de
Rambervillers. Les religieuses reprirent vite leurs observances bénédictines, et
ouvrirent un pensionnat. Peu de temps après Mr de Bernières envoya à Mère
Mechtilde le Père Jean Chrysostôme réputé pour ses austérités... Ce fut alors la
désolation dans l’âme de Mère Mechtilde. Elle écrivit à Mr de Bernières: “Je
ne trouve point de parole pour vous peindre ma douleur, très cher frère; ayez
pitié de moi, pour l’amour que le saint Père
[4] vous
portait; soyez-moi en ce monde ce qu’il m’était.” Le Père Jean Chrysostôme
restera le Père spirituel de Mère Mechtilde jusqu’à sa mort en mars 1646.
Mais bientôt la paix revint
dans l’âme de Mère Mechtilde: ”Je me sens fortifiée pour aller à Dieu dans la
pureté de ses voies et par son propre esprit. Jésus pauvre, souffrant, abject,
est à présent l’amour de mon cœur. Indépendance suprême des créatures,
souffrances sans consolation d’aucune créature; il faut que je tâche de
pratiquer selon le degré de ma grâce, ce que je pourrai de cette divine leçon.”
Heureusement que Mechtilde se trouvait dans cet état d’esprit, car de
nouvelles tribulations se préparaient.
Nous sommes en Juin 1647.
Mère Mechtilde fut envoyée à Caen pour rendre la paix à une petite communauté
bénédictine, mais elle dut au bout d’un an, retourner à Rambervillers. On était
en pleine guerre et la misère était extrême. De nouveau, la communauté dut se
disperser...
Le 6 mars 1651, Mère
Mechtilde regagnait Paris; elle quittait l’enfer de Rambervillers pour trouver
Paris à feu et à sang: c’était la Fronde... Quand elle eut retrouvé ses filles
réfugiées dans un pauvre local du Faubourg Saint Germain, et les avoir
installées dans un immeuble de la rue du Bac, et toujours dans le même
dénuement, Mère Mechtilde tomba gravement malade. Convalescente, elle écrivit à
Mr de Bernières:
“Dieu m’a mise à la mort
et m’a ramenée à la vie. N’est-il pas juste que je l’adore dans toutes ces
incertitudes de vie et de mort ? Mon âme est toujours demeurée en Lui, et de
quelque façon qu’Il m’ait traitée, tout mon fond s’est toujours maintenu dans un
entier abandon à sa sainte volonté, sans autre vue que d’être, saine ou malade,
vive ou morte, la victime de son amour.”
C’est là que le Seigneur
attendait Mère Mechtilde.
En août 1651, Mechtilde
rencontrait pour la première fois la comtesse de Châteauvieux. Plus tard, au
cours d’une conversation avec quelques amies, Mme de Châteauvieux découvrit,
grâce aux explications de Mère Mechtilde, les secrets de l’oraison; elle obtint
de l’avoir pour directrice spirituelle. Un peu plus tard, Mme de Châteauvieux et
trois de ses amies: la marquise de Boves, Mme de Cessac et Mme Mangot
convainquirent Mère Mechtilde d’ouvrir un hospice à Paris.
Mais Mère Mechtile refusait
l’idée d’en être la supérieure: “J’étais alors, disait Mechtilde, très
souvent en procès avec Notre Seigneur. Il voulait que je fisse quelque chose,
mais moi, je ne voulais pas. Je souhaitais d’être sourde, aveugle, muette, afin
que, incapable de tout, je pusse m’appliquer uniquement à Dieu seul. Mais enfin,
Il n’a pas voulu et Il a renversé tous mes projets.”
Mère Mechtilde ne voulait
pas, mais Dieu voulait... Un contrat fut signé le 14 août 1652 par les quatre
fondatrices: Madame de Châteauvieux, la Marquise de Boves, Madame de Cessac et
Madame Mangot. Ce contrat est d’un grand intérêt. En effet, le XVIIème siècle
fut un siècle eucharistique, et, depuis son enfance, Mère Mechtilde avait été
imprégnée de cette ambiance eucharistique.
Or, le contrat du 14 août
stipulait que les quatre signataires s’engageaient à verser la somme nécessaire
pour “assurer la fondation d’un monastère de religieuses de l’Ordre réformé
de Saint Benoît, auquel, continuellement jours et nuits, soit adoré le très
saint et très auguste Sacrement de l’autel par les âmes consacrées à Dieu dans
le dit monastère, pour réparer, autant qu’il sera possible, les indévotions,
mépris, profanations, sacrilèges et déshonneurs rendus, commis et qui se
commettent actuellement contre ce très adorable Sacrement, dans le cours des
malheurs où nous sommes par la guerre qui désole à présent toute la France et
pour obtenir de Dieu une bonne paix dans tout le royaume, et pour la
conservation du Roi...” (sic)
L’acte de fondation accordait
à Mère Mechtilde un délai de deux ans pour exécuter ce projet. Les obstacles ne
manquèrent pas, comme il se doit, à toute œuvre de Dieu. Mais on pria tant que
l’autorisation tant désirée arriva, et le 25 mars 1653, une messe fut chantée
dans la pauvre chapelle de la rue du Bac, et le Saint Sacrement exposé. Durant
cette messe, Mechtilde eut une vision: la Vierge Marie portant les insignes
d’Abbesse, présentait à Jésus-Hostie l’humble communauté et l’œuvre qu’elle
inaugurait.
Mechtilde écrivit à Mme de
Châteauvieux: “Ma très chère fille, je viens vous donner le bonjour, dans le
transport de ma joie; elle ne peut être plus vive. Tout ce que le paradis aime
et adore, je le possède grâce à vous. Qui ne serait ravi d’admiration à la vue
de la bonté d’un Dieu qui souffre que je porte, par un état réel, la qualité de
Victime du Très Saint Sacrement!”
Hélas! Le bonheur ne dura pas
longtemps. Il fallut quitter la rue du Bac et s’installer rue Férou. Le 12 mars
1654, Dom Roussel, prieur de Saint Germain des Prés, installa les sœurs et les
mit en clôture en présence de la Reine Anne d’Autriche qui prononça les paroles
de l’Acte de Réparation. Le lendemain, Mechtilde faisait élire par le chapître,
la Vierge Marie Supérieure et Abbesse perpétuelle de la maison.[5]
Ici une remarque s’avère
nécessaire: le Père Jean Eudes vint visiter les sœurs quelques mois plus tard.
Mechtilde écrivit à Mr de Bernières: “Nous avons eu l’honneur de voir le Père
Eudes; il m’a promis qu’il serait notre avocat vers la bonne Marie.[6]”
Tout allait bien, enfin! Mais
les épreuves continuaient pour Mère Mechtilde: décès de la marquise de Boves, de
Monsieur de Bernières, puis de Madame Mangot. Il fallut à la fondatrice, saisie
d’angoisse, les avis de Saint Vincent de Paul, de Mr Olier et d’autres saints
hommes, pour la rassurer. Entre temps, les sœurs étant trop à l’étroit, et il
avait encore fallu déménager et aller rue Cassette.
Mechtilde était bénédictine;
l’adoration perpétuelle n’avait rien changé dans les pratiques de la vie
monastique. Elle disait à ses religieuses, dans ses conférences: “Ne vous
étonnez pas de l’élection que Dieu a fait des enfants de notre grand patriarche
[7] pour
l’œuvre d’Adoration perpétuelle et de Réparation. C’est un secret qui m’est
découvert en la mort de notre grand Patriarche, lequel voulant témoigner l’amour
qu’il portait au très Saint Sacrement de l’autel, ne peut lui rendre un
témoignage de sa foi et de son amour plus grand que d’expirer debout en sa
sainte présence et rendre les derniers soupirs de son Cœur à cette adorable
Hostie renfermée dans le Sacré Ciboire, pour y produire, en son temps, des
enfants de son Ordre, qui lui rendront, jusqu’à la fin du monde, des adorations,
des respects et des devoirs d’amour et de réparation continuels...
La bénédictine... se fait
toute semblable à une Hostie et elle entre dans des rapports merveilleux à Jésus
dans l’adorable Eucharistie. Voyez-vous point, mes sœurs, que N.P. Saint Benoît
meurt debout pour nous donner à entendre qu’il pousse avec effort le sacré
Institut que nous professons. Il le conçoit dans l’Eucharistie pour estre (sic)
produit plus de douze cents ans après...”
Le nouveau prieur de Saint
Germain, Dom Ignace Philibert, porta aux bénédictines du Saint Sacrement un
grand intérêt. Pressentant que cet Institut s’étendrait, il jugea que des
statuts précis devaient être élaborés. Ainsi naquirent les Constitutions pour
le Régime des Religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement et les Déclarations
sur la Règle de Saint Benoît qui en expliquent l’esprit.
Dès lors la vie de Mère
Mechtilde se partagea entre la direction de ses religieuses et les nombreuses
fondations: Toul (1664), Notre-Dame de la Consolation à Nancy (1669), Monastère
de la rue Monsieur à Paris (1667), Rouen (1667), Varsovie (1688) et Châtillon
sur Loing (1688), et enfin Dreux (1696). Entre temps, Rambervillers avait été
agrégé (1665) ainsi que Bon Secours de Caen (1685).
L’influence de Mère Mechtilde
fut considérable dans la société religieuse d’alors. Son immense correspondance
(plus de dix mille lettres) le prouve. On a retrouvé, dans cette correspondance,
toutes les personnalités marquantes de l’époque: Anne d’autriche, la duchesse
douairière d’Orléans, la Reine Marie-Thérèse, Saint Jean Eudes, Jean de
Bernières, Henri Boudon, Dom Louis Quinet, Marie des Vallées, etc...
Les dernières années de Mère
Mechtilde furent encore marquées par la souffrance. Elle fut attaquée dans sa
réputation, blamée dans sa conduite, accablée par les infirmités, sans compter
les épreuves intérieures. Le 6 avril 1698, Mère Mechtilde décédait après une
longue et douloureuse maladie: elle avait 83 ans.
Le 15 juin 1704, la
communauté recevait le décret d’approbation, confirmé par le pape Clément XI le
1er août 1705: l’œuvre de Mère Mechtilde était définitivement approuvée.
Pour y voir un peu clair dans
cette existence particulièrement bousculée et tourmentée, il convient d’en
présenter ici les principales étapes. Mère Mechtilde fut successivement:
– religieuse puis supérieure
au couvent des Annonciades de Bruyères (1631-1638), puis
– bénédictine à
Rambervillers,
– réfugiée à Saint-Mihiel,
– puis à l’abbaye de
Montmartre à Paris (1641),
– à la Trinité de Caen
(1642),
– à Saint-Maur des fossés,
puis
– supérieure du monastère de
Bon Secours à Caen,
– de nouveau à Rambervillers,
– et enfin rue du Bac à Paris
(1651).
Le 8 décembre 1654,
l’Adoration perpétuelle était solennellement inaugurée dans le monastère de la
communauté à Paris, rue du Bac.
En avril 1666, Rambervillers
était associé à l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Le 29 mai 1668,
un Bref venu de Rome, érigeait l’Institut en Congrégation. Des offices propres à
la Congrégation étaient inaugurés.
La volonté de Mère Mechtilde,
c’était de faire la volonté du Bien-Aimé. Elle était sa victime, et elle en
viendra, comme tous les mystiques, à désirer la souffrance et à ne plus pouvoir
s’en passer. En 1670, elle écrira:
“Oh! véritablement
heureuse l’âme qui ne cherche qu’à contenter son Sauveur, en se livrant à la
souffrance comme la proie de sa justice, comme la victime de son amour... Je
tremble quand je vois une âme qui ne souffre point, il me semble qu’elle est
comme ensevelie dans la nature... L’Invention de la Sainte Croix est une fête
qui arrive tous les jours, parce que tous les jours on trouve à souffrir, mais
il n’en est pas de même de son exaltation; rien de plus rare que de voir
accepter et honorer la tribulation.”
Mère Mechtilde écrira aussi :
“Que l’âme perd quand elle
se trouve sans les humiliations qui sont les plus précieux gages de l’amour
divin... Mais pour découvrir la grâce qui y est renfermée, il faut les envisager
dans les vues de Dieu et les recevoir de sa divine main. Notre Seigneur, étendu
sur la croix, a plus regardé la volonté du Père que les bourreaux qui le
crucifiaient.”
Toute la vie de Mère
Mechtilde a été ponctuée de souffrances et de grandes tribulations. En plus des
difficultés qui sont le lot de tous les fondateurs, elle verra partir, les uns
après les autres, tous ceux qui lui avaient apporté leur concours. À la fin de
sa vie, entourée et consolée cependant de l’affection de personnes plus jeunes,
elle rendait grâce à Dieu d’avoir été l’humble l’instrument dont Il avait voulu
se servir pour réaliser son œuvre.
Cependant, supérieure de
communauté, Mère Mechtilde veillait soigneusement sur la santé et l’équilibre de
ses sœurs. L’austérité qu’elle recommandait consistait surtout dans la fidélité
aux observances et dans l’obéissance par amour; elle ne voulait pas que les
santés soient compromises.
La piété, très eucharistique,
de Mère Mechtilde, était forcément liturgique. Le Père Épiphane rédigea une
série d’ouvrages renfermant toute la spiritualité de Mère Mechtilde orientée
vers l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement et la réparation. Les
bénédictines du Saint Sacrement, telles que les voulait Mère Mechtilde, devaient
être des victimes de Jésus, et elles devaient lui être totalement données afin
de satisfaire la justice du Père. Nous dirions maintenant, des victimes
totalement données à l’Amour de Jésus et à la Miséricorde du Père, dans l’oubli
et le don de soi.
Avec ses filles et ses amis,
Mère Mechtilde était préoccupée de la Gloire de Dieu et du salut des âmes. Mère
Mechtilde n’accablait pas, mais elle savait conduire ceux qui se confiaient en
elle, dans les voies de l’immolation et de la réparation: “J’ai le cœur tout
plein de zèle, de tendresse et d’amour pour tout ce qui vous touche,
écrit-elle à la duchesse d’Orléans, mais beaucoup plus pour les choses du
ciel que pour celles de la terre, quoique je ne les oublie pas en mes pauvres et
indignes prières.”
Le 7 décembre 1677, à Rouen,
Mère Mechtilde du Saint-Sacrement composa le texte suivant qui faisait de la
Très Sainte Vierge Marie, l’Abbesse de l’Institut des Bénédictines du
Saint-Sacrement.
Très Auguste Mère de Dieu;
Prosternées humblement à
vos pieds, au nom de toute la communauté présente et à venir, nous renouvelons
aujourd’hui et pour toujours, l’Élection Volontaire et Solennelle que nous avons
faite de votre Sainte Majesté, pour la Généralissime de notre Institut, et la
Supérieure perpétuelle de ce Monastère; sans que cette Élection se puisse jamais
révoquer, ni que cette place et cette qualité puisse être usurpée par aucune
créature que ce soit, protestant à la Face du Ciel et de la terre de n’en
admettre jamais d’autre, commandez et disposez de tout le temporel et le
spirituel de ce Monastère comme vous appartenant sans réserve.
Depuis le mois d’août 1678,
cette formule est récitée chaque année, le dimanche dans l’octave de
l’Assomption, dans chacun des monastères de l’Institut des Bénédictines du
Saint-Sacrement.
L’œuvre de Catherine de Bar,
Mère Mechtilde du Saint Sacrement, se situe en plein XVIIe siècle,
pendant la période où naissaient de magnifiques courants spirituels que l’on a
regroupés sous le nom d’“École française
[9].”
La vie de celle qui deviendra Mère Mechtilde, fondatrice des Bénédictines du
Saint Sacrement, fut particulièrement semée d’imprévus et d’épreuves très
douloureuses. Mais ce sont peut-être ces épreuves qui ont rendu son œuvre si
féconde.
Depuis 1664 les Bénédictines
du Saint Sacrement s’étaient multipliées, et les fondations, en France, étaient
nombreuses. En 1687, alors que son œuvre était déjà bien établie, on aurait pu
penser que Mère Mechtilde allait pouvoir se reposer, enfin, un peu... Le
Seigneur qui avait d’autres vues, lui demandera d’envoyer ses filles “dans
une région lointaine
[10],
comme des victimes”, pour y faire glorifier le Saint Sacrement.
Des victimes ! Le mot
peut surprendre de nos jours, comme les mots sacrifice, holocauste,
mortification. Pourtant ce sont bien ceux-là que Mère Mechtilde emploie
lorsqu’elle s’adresse à ses religieuses désignées pour partir en Pologne. Mais
la fondatrice et ses filles savaient qu’elles devraient contenter à la fois
Dieu, ce qui était relativement facile, et la Reine de Pologne, ce qui l’était
beaucoup moins... De plus, ce vocabulaire victimal était courant et cher à
Bérulle, à Monsieur Olier, et aux autres spirituels de l’École française. Et
puis, partout, retentissaient des bruits de guerre.
Voici ce qu’écrit Mère
Mechtilde à ses filles : “Séparez-vous de l’humain, abandonnez tous vos
petits intérêts, pour vous conformer à l’adorable hostie qui est tous les jours
immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire, avec lui
(le Seigneur présent dans l’hostie consacrée), des hosties dignes d’être
consommées à sa gloire.”
C’est en 966 que le Duc
Mieszko avait fait entrer son peuple dans la chrétienté romaine, et donné à son
pays les frontières qu’il a à peu près retrouvées en 1945. Le XVIe
siècle, appelé “Siècle d’Or”, vit l’apogée de la Pologne, grenier à
grains de l’Europe et pays très étendu. Mais les ambitions de Sigismond Vasa
(1587-1632) firent naître des menaces génératrices de guerres ruineuses contre
la Moscovie, la Turquie et la Suède.
La Pologne aurait péri sans
un sursaut national et religieux, marqué par la résistance victorieuse du
monastère de Jasna Gora, à Czestochova. Toutefois la paix d’Oliva (1660) donna
la Livonie à la Suède, et le Traité d’Androussovo (1657) livra, à la Russie,
Smolensk et la rive gauche du Dniepr. À cette époque, la Pologne était couverte
de ruines, et la population avait diminué du tiers... En 1668 le roi Jean II
Casimir abdiqua et se retira à Paris. C’est alors que “surgit” des rangs de
l’aristocratie polonaise, celui qui allait devenir Jean III Sobieski (1674-1696)
Né en 1624 à 0lesko, le jeune
Sobieski, et son frère Marc, avaient voyagé à travers l’Europe, séjourné en
France, et s’étaient conduits en héros dans la lutte contre les cosaques, les
turcs et les Tartares. Le 21 mai 1674, après la mort de l’incapable roi Korybut,
successeur de Jean II Casimir, la diète proclama Sobieski Roi de Pologne, sous
le nom de Jean III.
Le 31 mars 1683, Jean III
s’allia à l’Autriche, contre la Turquie. Menacé par l’armée ottomane, l’empereur
Léopold Ier d’Autriche, implorait le secours de Sobieski. Le 14 août 1683 les
ottomans assiégeaient Vienne; le 15, Sobieski quittait Varsovie avec 25 OOO
hommes. Le 12 septembre, les Turs s’enfuyaient. Le 13 septembre, le Roi
assistait à un Te Deum dans l’église des Augustins de Vienne, transformée en
hôpital. L’Europe échappait au joug ottoman. Malheureusement la fin de Jean III
Sobieski fut assez triste à cause des nombreux complots qui menaçaient la paix,
complots dont la reine Marie-Casimire, d’origine française, était souvent
l’instigatrice.
Louise-Marie de Gonzague
avait épousé le roi de Pologne, Ladislas IV Wasa, en 1645. Veuve en 1648, elle
épousa le frère et successeur du défunt, Jean-Casimir. Louise-Marie avait une
très jeune demoiselle d’honneur française, étonnamment belle, Marie-Casimire,
dont s’éprit Sobieski. Mais, le 2 mars 1658, la Reine obligea l’adolescente à
épouser Jacques Radziwill, prince Zamoyski...
En juillet 1665, après la
mort de Zamoyski, Marie-Casimire put épouser Sobieski, alors maréchal de
Pologne. Devenue reine, Marie-Casimire voulut aller en France pour montrer sa
couronne, mais la reine de France lui signifia qu’une couronne élective était
inférieure à une couronne héréditaire. L’affront fut si grand que Marie-Casimire
renonça à son voyage en France et s’allia avec tous les ennemis de la France,
entraînant ainsi la politique de son mari, Jean III. Or Marie-Casimire avait
quatre sœurs, dont l’une d’elles, Marie-Louise, avait épousé François-Gaston,
marquis de Béthune, petit neveu de Sully. François Gaston fut nommé ambassadeur
en Pologne, à plusieurs reprises. C’est à cette Madame de Béthune que la reine
Marie-Casimire confia la charge de demander à Mère Mechtilde d’envoyer des
religieuses adoratrices à Varsovie.
La sœur du marquis de
Béthune, Anne-Berthe, avait été admise à l’abbaye de Montmartre que dirigeait sa
tante, Marie de Beauvillier. En 1659, Anne-Berthe avait été nommée, par le roi,
abbesse de Saint- Corentin, du diocèse de Chartres. En 1669, elle fut nommée
abbesse du monastère de Beaumont-lès-Tours. Anne-Berthe et Catherine de Bar, la
fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement étaient amies. Et c’était grâce à
l’abbesse de Beaumont que Mère Mechtilde avait pu obtenir les locaux de la rue
Cassette en 1683...
Nous nous souvenons que
Catherine de Bar était entrée à l’âge de 17 ans, en 1631, chez les Annonciades
de Bruyère, dans le diocèse de Toul, mais la guerre de Trente Ans avait dispersé
les religieuses. Catherine, recueillie par les Bénédictines de Rambervillers y
prononça ses vœux en 1640. De nouveau expulsée, elle se réfugia au monastère de
Montmartre, puis dans diverses maisons, en Normandie, et de nouveau à Paris, rue
du Bac.
Là où logeaient Mère
Mechtilde et plusieurs de ses filles, la misère était telle que quelques grandes
dames vinrent à leur secours et suggérèrent à Mère Mechtilde de fonder à Paris,
un monastère bénédictin entièrement voué au culte et à l’adoration du
Saint-Sacrement. Il s’agissait de répondre à un vœu émis par la Régente
Anne-d’Autriche, afin de ramener l’ordre et la paix dans le royaume de France.
Quand, après le triomphe de
Louis XIV, le 21 octobre 1652, la France eut retrouvé son calme, autorisation
fut donnée d’ouvrir une maison dédiée à l’adoration perpétuelle. Le 21 mars
1659, Mère Mechtilde et ses vingt moniales s’installèrent rue Cassette et
commencèrent l’adoration perpétuelle. Ce monastère, austère, allait devenir le
centre de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement.
Pendant que, en août 1683,
Sobieski, roi de Pologne, partait de Cracovie pour délivrer Vienne des Turcs, la
reine, Marie-Casimire, priait... Au cours d’une retraite, elle promit de fonder,
à Varsovie, un couvent de religieuses, qui, par l’adoration du Saint-Sacrement,
exprimeraient sa reconnaissance pour la protection qu’elle espérait du ciel.
Marie-Casimire, par
l’intermédiaire de Mme de Béthune, connaissait Mère Mechtilde et l’Institut des
Bénédictines du Saint-Sacrement. Cette Congrégation accepterait certainement
d’essaimer en Pologne pour y développer le culte eucharistique. Mère Mechtilde
accepta et commença à préparer le voyage de celles qu’elle appellera “les
missionnaires du Saint Sacrement”.
À la Mère Monique des Anges
de Beauvais, dont la sœur bénédictine est désignée pour aller en Pologne, Mère
Mechtilde écrit, en juin 1687: “Il faudrait des séraphins pour aller ranimer
les peuples à l’amour du très Saint-Sacrement. La reine de Pologne (Marie-Casimire)
est bonne et fort pieuse. Elle attend les filles du Saint-Sacrement avec
beaucoup de zèle et d’affection.”
Et à la révérende Mère Marie
de Jésus Petigot, future supérieure en Pologne, avant que soit prise la décision
définitive de partir en Pologne: “Je vous prie de faire venir Monsieur votre
frère, pour vous y accompagner et y être votre chapelain. Je serais bien aise
qu’il fût un peu de temps à Paris pour y voir la manière d’officier dans nos
maisons. Vous savez que l’on a besoin d’un saint prêtre pour confesseur en ce
pays-là...”
Car Mère Mechtilde s’efforce
de pourvoir à tous les besoins des voyageurs: ”Il prendra tout le soin pour
vous soulager, surtout pour la nourriture dans le vaisseau...
Il faudra des ornements
pour dire la sainte Messe dans le dit- vaisseau pour la consolation des
religieuses. Nous ferons ici d’autres provisions de choses qui sont rares et
chères en Pologne: nous en avons un mémoire. Il faut des livres spirituels et
des livres de chants, des règles et des constitutions, etc... Il faut du papier,
des plumes, des canifs, des petits et des grands saints sacrements,
(probablement des hosties), des soies de toutes couleurs, fil blanc et
autres, etc...”
Mère Mechtilde se soucie
aussi beaucoup du spirituel. Avant le départ de ses filles, de Rouen, elle leur
écrivit de Paris, le 23 août 1687: “Si vous vous sacrifiez pour Dieu, Il sera
votre force... Qu’Il vous maintienne toutes dans une sainte paix et union; cela
sera si vous êtes fidèles et humbles. C’est les deux points que Notre Seigneur a
ordonné à la bonne âme
[11] de
vous dire; si vous lui êtes fidèles en ces deux points, ne doutez pas qu’Il ne
vous comble de bénédictions pour le reste, et qu’Il vous conserve pendant le
voyage... Tenez-vous en Dieu, attendez tout de sa bonté infinie; marchez sous
les ailes de sa divine protection, celle de sa sainte Mère ne vous manquera
pas... Je vous regarde comme des missionnaires du Très Saint-sacrement...
Oubliez tout pour l’amour de celui qui s’est, pour vous, oublié de lui-même pour
demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui, et pour
lui...”
Le 22 août 1687, 15
religieuses (de chœur, converses et novices) quittaient Paris pour le monastère
de Rouen où elles furent accueillies, après trois jours de voyage en carrosse,
par leurs sœurs. Trois jeunes françaises qui parlaient un peu le polonais les
accompagnaient, ainsi qu’un aumônier, un jardinier, un sacristain et trois
joueurs de hautbois. Elles durent attendre les provisions jusqu’au 2 septembre.
Quand les marchandises
attendues furent enfin arrivées à Rouen, les sœurs et leurs compagnons
embarquèrent. Mais les vents ayant été constamment contraires, le bateau
n’atteignit la mer qu’au bout de quinze jours!!!.. La troupe fut très malmenée
par les éléments, et les passagers durent un jour quitter le bateau pour trouver
un asile plus sûr, mais cependant exposé à toutes les intempéries. Enfin, le 17
septembre 1687, la mer était en vue
[12].
Le 8 septembre, les
“missionnaires” n’étant pas encore arrivées à Dantzig, Mère Mechtilde,
soucieuse, leur fit remettre un message d’encouragement: “J’ai appris les
peines et les grandes difficultés que vous avez souffertes à Rouen, et comme les
vents vous ont été contraires... Nous demandons à Dieu, de toute l’ardeur de nos
cœurs de soutenir votre courage et d’animer votre zèle qui ne va au-delà des
mers que pour la pure gloire du divin Mystère que nous adorons... Marchez en
nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n’y
vivez que pour lui... Ne vous rebutez point des difficultés: les œuvres de Dieu
ne s’établissent que par la croix...”
La traversée sur mer avait
été épouvantable, et presque tous les passagers avaient souffert du mal de mer.
Le 4 octobre 1687, le bateau atteignit Dantzig.
Enfin, les voyageuses était
arrivées à bon port... Le 31 octobre 1687, Mère Mechtilde écrivit à la
supérieure du petit groupe, Mère de la Présentation de Beauvais: “Je ne doute
pas que vous n’ayez souffert dans le voyage, terriblement, en toutes manières.
Le corps et l’esprit en ont été affligés; il était impossible que cela ne fût
pas quant au corps, car un voyage de huit cents lieues par mer ne peut se faire
sans d’étranges renversements... Notre Seigneur a voulu par là vous disposer
pour travailler à son œuvre avec un esprit de séparation de vous-même pour la
rendre plus sainte...”
Après de nouvelles
péripéties, les religieuses arrivèrent à Varsovie le 14 octobre 1687, et elles
furent logées dans une aile du château de la reine. Rapidement les sœurs purent
reprendre leurs exercices religieux. Ce n’est que le 27 décembre que la reine
put les rencontrer. Le 31 décembre 1687, le Roi arriva à son tour à Varsovie, et
le 1er janvier 1688, l’adoration perpétuelle put commencer.
Remarque : La
bienveillance des souverains envers les Bénédictines du Saint-Sacrement était
alors sensible et efficace, malgré quelques difficultés inhérentes au caractère
entier et autoritaire de la reine. Malheureusement le roi mourut trop tôt, le 17
juin 1696.
À leur arrivée à Varsovie,
les religieuses venues de Paris avaient été reçues dans le château royal. Le 31
octobre 1687, Mère Mechtilde écrivait dans sa lettre adressée à la supérieure du
petit groupe: “Tâchez de contenter la reine
[13] qui
est si bonne et si remplie de vertus. C’est assurément une grande et admirable
princesse en toutes manières... Je vous estime heureuses d’être en ses royales
mains. Son cœur est grand pour Dieu... Je vous prie d’assurer sa Majesté que
nous ne cessons de prier pour la conservation du roi et de toute la royale
famille que nous aimons tendrement. Il me semble que la Pologne est ma patrie,
tant elle m’est intime.”
Mère Mechtilde ne pouvait pas
encore savoir les difficultés que la reine de Pologne ferait subir à ses
religieuses, s’en croyant la seule supérieure... Mais ce jour-là, les
religieuses de Mère Mechtilde étaient tout entières dans la joie. Bientôt, dès
le 1er janvier 1688, elles pourraient commencer leur mission d’adoratrices du
Saint-Sacrement, dans la chapelle du château. Elles restèrent au château royal
jusqu’au 27 juin 1689.
Cependant, les religieuses
françaises avaient besoin d’une demeure stable. La reine leur acheta donc, le 19
janvier 1689, une propriété à Nowe Miasto, et rédigea l’Acte de Fondation le 4
juin 1689. Le 25 juin suivant, Mgr stanislas Witwicki, évêque de Poznam[14],
signa l’Acte d’Érection du Monastère. Au cours d’une procession solennelle, les
religieuses furent introduites dans leur nouveau couvent. Seule l’Église placée
sous la protection de Saint Casimir était inachevée. Dès lors, des jeunes filles
polonaises purent entrer chez les Bénédictines.
Le 23 novembre 1687, ayant
appris les peines souffertes par ses religieuses, et leur installation dans un
logement rudimentaire, Mère Mechtilde écrit: “Je n’en suis pas surprise, les
œuvres de Dieu, pareilles à celles que vous êtes allées faire, ne s’enfantent
que par la Croix. Je me suis bien attendue que vous auriez beaucoup à crucifier;
tous les royaumes du monde ne sont pas comme celui que vous avez quitté; mais
souvenez-vous, très chères, que vous l’avez quitté pour Dieu et que si l’on vous
avait dit qu’il y avait un martyre à soutenir, vos grands Cœurs, pour Dieu, vous
l’aurait fait embrasser...
Les souffrances de la mer
ne vous ont pas rebutées; ne vous effrayez pas de ne trouver d’abord que les
quatre murailles, la suite vous semblera meilleure; et après tout, si la reine
manquait, Dieu ne vous manquera pas...
Notre Seigneur a dit que
votre établissement sera à sa gloire et qu’il le bénira... Ayez courage... Vos
souffrances vous serviront de préparation à son œuvre. Adorez ses desseins et
son entrée en ce monde dans une étable, sans secours humain; honorez ses états
pauvres, abjects et souffrants. Il est vrai que vous êtes dans un pays étranger;
mais vous êtes dans les bras et dans le sein de Dieu même, toujours avec lui et
soutenues de ses grâces...
Vous avez bien pu vous
persuader en prenant votre résolution d’aller, que l’on ne fait pas des
établissements hors d’un royaume sans s’exposer à beaucoup de peines et de
grandes incommodités. Prenez courage, la Croix est venue du devant de vous pour
vous faire soutenir toutes choses, pour parvenir à glorifier Notre Seigneur, et
à élever un autel à sa gloire...
Souvenez-vous que vous
êtes les héros du très Saint-Sacrement et qu’il vous a choisies pour porter sa
gloire et son amour dans les cœurs, que notre Seigneur vous tient dans sa divine
main, m’assurant par sa fidèle servante
[15] que
tout irait bien, qu’il vous protégerait, et vous conduirait lui-même. Il ne nous
a pas dit, très chères mères, que ce serait sans peine...”
À Noël et au début du mois de
janvier 1688, les bénédictines du Saint-Sacrement rencontrèrent la reine et le
roi, rentrés de leurs obligations. Ce fut très chaleureux, et les choses purent
enfin s’arranger un peu. Ce qui ne signifie pas que tout se passa sans heurt,
ensuite. Nous pouvons en effet lire, dans une correspondance de février 1688, de
Mère Mechtilde qui a été très malade, les phrases suivantes, éminemment
diplomatiques :
“Je n’ai pu m’empêcher de
vous faire un mot de réponse, vous voyant dans la douleur de ce que Sa Majesté
[16] vous
fait des propositions qui vous donnent lieu de penser qu’elle n’a pas pour vous
toutes les bontés qui ont paru dans les témoignages qu’elle vous a rendus
lorsqu’elle vous a honorées de sa présence. Il ne faut point, mes très chères
enfants, vous rebuter. Vous connaissez le bon cœur de la reine... Notre Seigneur
lui donnera des sentiments plus avantageux pour vous...
La reine est si bonne et
si judicieuse qu’elle ne vous fera jamais des propositions qui ne soient
avantageuses, ainsi que je l’ai toujours attendu de sa royale bonté...
En même temps, Mère Mechtilde
écrit aussi à la prieure, le 20 février 1688 :
“Tâchez, ma chère mère, de
mettre partout l’Institut en estime. Ce sera par les vertus et la bonne conduite
qui paraîtront entre vous... Souvenez-vous des bénédictions que Notre Seigneur
nous a promises par la “bonne âme”: ‘il veut que vous preniez courage... me
disant que le démon fera tous ses efforts pour vous lasser et vous dégoûter
toutes de son œuvre, mais qu’il faut que vous la souteniez avec courage et
confiance...’ Ne vous lassez point de souffrir. Vous avez beaucoup de peine dans
ce commencement, mais le progrès vous donnera plus de satisfaction. Tâchez de
contenter et d’édifier la reine, qui a tant de bonté pour vous.“
Le 1er mars 1688,
Mère Mechtilde confiait aux religieuses de Pologne: “Il n’y aura peut-être
jamais d’établissement qui soit plus crucifiant que le vôtre, à cause de
l’éloignement et du langage difficile à comprendre... Consolez-vous, je me porte
bien, grâce à Notre Seigneur; mais les médecins me tiennent de près, disant que
mon accident était un fâcheux avertissement; néanmoins, Notre Seigneur a dit par
la “bonne âme” qu’il me guérirait, et en effet, l’on dit que c’est un miracle...
Soyez, je vous supplie, bien cordiales les unes avec les autres, afin que votre
union attire les miséricordes du ciel sur votre établissement... Vous avez
besoin de vous entr’aider... Il est vrai que vous êtes bien dénuées
[17]...
Les privations sont très grandes.”
Un peu plus tard, à Madame de
Béthune, Mère Mechtilde écrivait: “Les petites peines et difficultés qui
surviennent dans les nouveaux établissements ne me surprennent pas; le démon
fera son possible pour renverser celui-ci dès son commencement...”
Le 3 juin 1688, la Mère Marie
de Jésus Petigot, prieure, reçut ce qui suit :
“Je reçus hier une lettre
de la part de la “bonne âme”
[18] .
Notre Seigneur promet des grâces prodigieuses pour sa Majesté et pour le Roi. Et
croyez qu’ils seront bien récompensés de l’honneur qu’ils procurent au
Saint-Sacrement... Comme ce mystère est le plus grand qui renferme tous les
autres et dans lequel Notre Seigneur est le plus anéanti, il prend plaisir d’y
être reconnu, aimé et adoré de ses élus.”
4
Les bénédictines de Mère Mechtilde en Pologne
Les religieuses ont été très
discrètes sur tout ce qui touche aux difficultés qu’elles ont rencontrées avec
la reine de Pologne. Les choses n’ont probablement pas dû vraiment s’arranger
avec le temps, car on peut lire, dans une lettre du 23 août 1688, adressée à
Madame de Béthune: “Ces pauvres filles (ses religieuses) me mandent qu’elles
sont sur les dents, ne pouvant plus soutenir. Elles m’ont prié d’avoir pitié
d’elles, parce qu’elles n’osent rien demander à la reine mais, grâce à Notre
Seigneur, cette bonne princesse revient un peu. La “bonne âme” m’assure qu’elle
se remettra dans sa bonne disposition pour ses religieuses qu’elle a honorées de
son affection et qu’elle ne peut abandonner...”
Et le 25 août, à Madame de
Béthune :
“Je serais désolée sur
tout cela si je n’espérais à ce que la “bonne âme” m’a demandé que Notre
Seigneur a dit qu’il accommodera cette mésintelligence; ce sont ses propres
termes.”
Et le 31 août, à la même:
“Je vois la terrible douleur de votre bon cœur touchant la Pologne... Je m’en
serais terriblement désolée si la “bonne âme” ne m’avait consolée, me promettant
que Notre Seigneur remédierait à cette mésintelligence qui est entre la reine et
nos sœurs; sans cela, je ne m’en consolerais jamais.”
Y aurait-il aussi des
questions d’argent? Il faut savoir que les religieuses envoyées en Pologne ne
disposaient d’aucun revenu, et n’avaient pour vivre que les dons de la reine.
Or, la reine avait écrit à Mère Mechtilde pour se plaindre de la dépense des
sœurs. Mère Mechtilde lui répond :
“C’est pourquoi, Madame,
si votre Majesté veut absolument me renvoyer mes religieuses, je les recevrai
comme Notre Seigneur me les renvoie, et le prierai, Madame, qu’il donne à Votre
Majesté d’autres religieuses, capables de remplir les desseins de Dieu, de le
glorifier davantage, et donner un parfait contentement à votre Majesté.”
Toutefois, Mère Mechtilde
n’est pas dupe. Tout en espérant que tout se raccommode, -la reine semblant un
peu radoucie-, elle écrit à Madame de Béthune, le 22 mars 1689:
“Je suis résolue de leur
envoyer de l’argent, car, selon qu’il paraît, c’est leur trop de dépenses qui
indispose la reine, mais je crois aussi que c’est un prétexte.”
Le 7 octobre 1689, Mère
Mechtilde écrit à la prieure de la maison de Pologne, la Mère de la Présentation
de Beauvais, une page admirable :
“Les établissements des
filles du Saint Sacrement ne sont fondés que sur la croix: il semblait, au
commencement du vôtre que tout devait vous succéder en joie, par les
applaudissements de la reine et les témoignages d’une amitié qui devait être
éternelle. Mais très chère mère, l’œuvre n’aurait pas pris de si fortes racines
sans la terre de l’humiliation, qui est celle de tous les beaux parterres de
Notre Seigneur Jésus Christ; il n’y aurait pas trouvé les belles fleurs de
vertus que l’on pratique ordinairement dans les souffrances, où souvent, hors de
là, ce ne sont que des ombres de vertus...
La croix a une vertu
admirable pour purifier à recevoir les grâces singulières de la bonté de Dieu...
Prenez courage: vous avez souffert les plus rudes coups... Si vous étiez du
monde, dit Notre Seigneur, le monde vous aimerait, mais vous n’êtes pas du
monde. Demeurez en Notre Seigneur, vivez de son Esprit de paix, d’union, de
concorde. Vous devez n’avoir aussi qu’une même volonté, ne tendant qu’à bien
édifier l’œuvre de Dieu...
Vous êtes dans un pays qui
vous aide beaucoup à vivre dans cette sainte séparation et dégagement de tout ce
que la nature peut aimer... C’est une vie bien dure, bien crucifiante que de
vivre dans un perpétuel sacrifice, sans quasi trouver aucun soulagement parce
que vous portez une privation de mille petits secours que l’on trouve ici, que
l’amour de Dieu et de sa gloire vous ont fait sacrifier... Travaillez donc
fidèlement à la perfection de l’œuvre que le Seigneur vous a confiée.
Je vous assure que vous
devez avoir un grand recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère...
Attachez-vous à Dieu, vous ne serez pas rebutée de son infinie miséricorde. Si
l’on pouvait trouver une voie sûre,... je vous enverrais des toiles, des
étoffes, et autres choses; mais je n’en sais pas sur la terre, ni sur la mer,
car tout est en guerre... L’on ne parle partout que de désolation. Dieu par sa
bonté infinie nous veuille regarder en sa miséricorde! On dit que nous sommes à
la veille de grandissimes maux; priez Dieu pour nous...”
Et le 3 novembre 1689,
toujours à la Mère de la Présentation de Beauvais: “L’on ne peut bien
connaître Dieu que dans les occasions qui nous font vigoureusement recourir à
lui... par l’impossibilité de trouver du secours dans les créatures... le monde
souffre, au moins pour la plupart, mais dans un débris de charité... Cependant,
dans ce chaos de désolation presque universelle, Dieu m’a suscité un secours qui
ne peut être regardé dans l’humain.”
Mère Mechtilde raconte alors
comment une personne pieuse, mais anonyme, a commencé à l’aider
matériellement... Elle ajoute: “Je pourrai vous faire aider si vous en avez
besoin... Mais ayez la bonté de n’en rien dire à la reine; il faut la laisser
faire l’œuvre qu’elle a commencé pour ne lui point ravir sa couronne.”
Quelle diplomatie et quelle
charité!
Les informations qui suivent
proviennent de la chronique du monastère de Lwow, écrites de 1687 à 1708. Ces
quelques brefs extraits sont susceptibles d’éclairer les raisons des graves
difficultés de la fondation de Varsovie :
“La vénérable fondatrice,
Mère Mechtilde du Saint Sacrement, avait envoyé entre 1687 et 1696, des
religieuses provenant de plusieurs monastères de l’Institut...” À Varsovie,
deux novices étant retournées dans le monde, Mère Mechtilde envoya d’autres
religieuses “ayant de belles voix.[19]”
Mais, “on avait omis d’en avertir la reine, qui en fut vexée. Elle fut
aussi très mécontente qu’on ait élue comme prieure, mère Radegonde de Beauvais,
au lieu de mère Petigot, qu’elle avait désiré voir prieure”.
Les épreuves continuent pour
Mère Mechtilde, tant en France qu’en Pologne. Elle écrit, le 8 juin 1690, à ses
filles de Pologne :
“Notre Seigneur nous a
visitées par des maladies de coliques, de vomissements et de fièvre, mais je
crois que toute la communauté y passera, car il y en a déjà plus de 25... C’est
un présent que Notre Seigneur nous fait, qu’il faut recevoir de sa très sainte
main, et adorer ses conduites. Il est vrai que nous sommes dans un temps très
pénible à soutenir, car l’on ne reçoit rien, et il faut faire subsister la
communauté...”
Dans une lettre adressée à la
prieure, par le même courrier, Mère Mechtilde demande des nouvelles de la
communauté polonaise et prodigue ses conseils: “Faites, très chère mère,
autant de séraphins que de religieuses. Élevez-les dans un grand amour vers le
Saint-Sacrement et un grand zèle pour sa pure gloire.”
Le 1er août 1690, elle
poursuit: “Nous avons jusqu’à trente malades. C’est un peu beaucoup. Pourvu
que le service divin et l’adoration ne se quittent point, nous serons trop
heureuses.” Mais les malades ne guérissent point entièrement et Mère
Mechtilde se sent diminuer: “Je ressens bien cette année que je diminue
beaucoup. Comptez que je suis dans la soixante et seize...” Puis elle
ajoute, revenant aux malades: “Les médecins ne savent que dire et ne peuvent
en aucune manière soulager les malades. C’est un présent que Notre Seigneur nous
fait...”
Le 1er décembre
1690, Mère Mechtilde est encore inquiète: “La communauté est assez doucement
pour la santé: nos malades se rétablissent un peu lentement... Puis,
changeant de sujet, et revenant à la Pologne, Mère Mechtilde constate, évoquant
quelques religieuses qui devaient revenir en France: Il n’y a aucune sûreté,
ni sur la mer, ni sur la terre: l’on craint beaucoup l’année prochaine pour les
grandes guerres qui se préparent.”
Nous voici au 29 mai 1691.
Quelques religieuses françaises, missionnaires en Pologne vont bientôt pouvoir
revenir en France. Et il semblerait que la reine de Pologne soit revenue à de
meilleurs sentiments. Mère Mechtilde a soixante dix huit ans. Elle pense
toujours que sa mort est proche et implore les prières de ses sœurs polonaises.
Malgré son âge, Mère
Mechtilde travaille toujours aux constitutions de son Institut, mais le travail
est sans cesse retardé. Le 26 mai 1694, elle écrit à la prieure de Varsovie,
Mère Marie de Jésus Petigot: “Je vous assure que le retardement des
constitutions est pour moi une bonne croix, parce qu’il est impossible d’achever
le reste, qui doit avoir rapport aux constitutions.”
À la même, Mère Mechtilde
écrit le 11 mars 1695: “Mes nouvelles sont bien languissantes. Je trouve que
depuis que j’ai rempli mes 80 années, je suis plus faible qu’à l’ordinaire...
J’aurais bien voulu achever bien des choses avant que je meure. Je voudrais
faire réimprimer nos Constitutions... mais je ne suis pas en état de faire cette
dépense... Quand on pratique tout ce qui y est dit, tout va en bénédiction;
c’est un petit paradis... et c’est ce qui soutient les maisons dans un état de
perfection. La vôtre (celle de Pologne), très chère mère, qui est commençante,
serait admirable si elle pratiquait tous les règlements...”
Mère Mechtilde aurait-elle
pressenti que tout n’allait pas très droit, dans le monastère de Varsovie? Le 4
juillet 1695, elle écrit à la mère Marie de Jésus de Petigot, la prieure:
“Dieu me fait connaître
qu’il y a entre vous quelque chose qui lui déplaît: votre union n’est pas telle
qu’elle doit être. Il y a déjà bien longtemps que j’ai cette impression... Des
gens venus de vos contrées m’ont confirmé les sentiments que l’on me donnait
intérieurement. Ces personnes m’ont assuré que l’on disait que vous n’étiez
point en union, mais plutôt en division, et que cela commençait d’éclater et
faisait de fort mauvaises impressions dans les personnes de qualité, et que l’on
disait que la reine, qui fait tout l’appui de votre maison, commençait fort à se
refroidir...
Au nom de Dieu, ma très
chère mère, voyez d’où peut venir cette désolation; car rien n’est plus
affligeant qu’une maison religieuse divisée, cela est bien capable de faire
mourir de douleur, car Notre Seigneur ne peut jamais être honoré, ni glorifié
dans une maison où il n’y a point de sincère union... Votre maison doit embaumer
tout le pays. Les filles du Saint Sacrement doivent vivre comme des anges qui
sont en actuelle adoration et qui ne vivent que de l’Esprit de Jésus, sacrifié
dans le divin mystère de l’autel. Il ne devrait rien avoir de plus saint dans
l’Église que les filles du Saint sacrement.“
Le 4 juillet 1695, Mère
Mechtilde confiait à la mère Marie de Jésus Petigot, à propos des dissenssions
qui se manifestaient dans le monastère de Varsovie:
“Croyez, ma très chère
mère, que pour être supérieure il ne faut pas croire qu’on le peut emporter sur
les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander. Ne croyez pas vos
propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous
tomberiez dans une étrange erreur. Non, non, il faut s’accommoder, comme dit la
sainte règle, et croire que notre Seigneur fait quelquefois connaître ses
volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le cœur humble;
défiez-vous de vos propres sentiments.
Achetez la paix et l’union
de vos filles, et ayez toujours un saint rapport de vos sentiments aux leurs,
pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout.
Les supérieures doivent donner l’exemple et préférer les sentiments des autres
aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs
propres lumières et sentiments...
Si la nouvelle de votre
division passe dans cette communauté, il en faudra mourir de douleur, cela se
répandra partout. Remédiez à ce mal, très chère mère, avant qu’il soit plus
grand. Prenez vos chères filles, conférez ensemble pour tâcher de connaître d’où
vient de si méchantes impressions que l’on a de votre maison...”
Ce qui compte le plus, pour
Mère Mechtilde, c’est la sainteté de l’Institut. À la Mère Suzanne de la Passion
Bompard, en Pologne, elle écrit, le 26 août 1694: “Je vous conjure, très
chère, de soutenir les intérêts de Dieu dans la sainteté de son œuvre. Je vous
dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agonie: ce fut la
sainteté de l’institut que je n’aurai jamais bien remplie, et, si la sacrée Mère
de Dieu ne fût venue à mon secours en me déchargant du poids de l’institut,
j’aurais péri immanquablement...
Vous êtes des premières
[20] avec
la chère mère de Sainte Madeleine: je vous conjure toutes deux de bien soutenir
la sainteté de l’institut. Il est si saint que les termes me manquent pour
l’exprimer. Vous l’apprendrez du très Saint Sacrement; c’est en sa sainte
présence que vous pénétrerez ses ineffables grandeurs et la sainteté où il veut
que ses victimes soient animées... Je tâcherai de vous envoyer les règlements de
toutes les charges et emplois de la religion. Si l’on veut les observer, la
maison sera dans la perfection. J’espérais les pouvoir faire imprimer, mais il
plaît à Notre Seigneur me tenir dans la croix avec des impuissances dont vous
seriez étonnées...”
Il s’est certainement passé
quelque chose de très grave dans la communauté des Bénédictines du Saint
Sacrement de Varsovie, mais aujourd’hui on ne sait pas exactement quoi, car les
archives concernant cette douloureuse période ont disparu, soit qu’elles aient
été détruites volontairement, pour des raisons de charité, soit qu’elles aient
été brûlées avec le monastère en 1944. On peut seulement en deviner la teneur à
la lecture des lettres de Mère Mechtilde, miraculeusement épargnées par le
désastre de 1944.
Après avoir écrit à la
supérieure de la communauté, Mère Mechtilde écrit à quelques anciennes de la
communauté:
“J’ai le cœur navré de
vous savoir dans la division, car Notre Seigneur n’y peut être honoré, les
ennemis de notre institut en triomphent. Il y a longtemps que les démons nous
ont menacées de ce que nous voyons aujourd’hui. J’en ai écrit à la bonne mère
prieure, et la prie instamment de réfléchir d’où peut venir ce malheur, qu’elle
fasse un peu d’examen pour voir si, de sa part, elle n’y donne pas quelque
sujet... Je vous prie, vous aussi, mes très chères filles, voyez devant Dieu
s’il n’y a rien de la vôtre qui puisse contribuer à ce malheur.... Je vous
conjure de voir ce qu’il faudrait faire pour réunir les cœurs qui sont
choqués... Je sais bien qu’il y a des choses dans la conduite qui peinent, et
qu’il y a bien de la difficulté à soutenir, mais courage!... Je suis en esprit
auprès de vous, mes très chères mères, où je vous dis mille choses, pour voir
les moyens de remettre tout dans l’ordre qu’il doit être.
Ce qui me touche
sensiblement, ce sont les mauvais exemples que votre jeunesse en tire... Il n’en
faut pas tant pour perdre un monastère. Je crains bien que, si la reine est une
fois imbue de tout cela, elle ne se dégoûte et qu’elle ne m’écrive, ce qu’elle a
déjà fait une fois, qu’elle trouverait bien d’autres religieuses qui feraient
l’adoration perpétuelle. Ces personnes-là
[21] se
choquent très facilement. Mais le mal serait très grand et d’une fâcheuse
humiliation pour notre institut. L’on en dit déjà assez par le retour des chères
mères qui sont revenues! L’on dit partout que la reine n’en était pas contente.
Je remarque ce que l’on
nous a dit plusieurs fois que les démons feraient leurs efforts pour détruire
l’Institut... C’est pourquoi, mes chères enfants, je vous invite encore à
souffrir un peu de temps pour éviter un tel malheur...”
Mère Mechtilde confirme cette
confidence:[22]
“Vous seriez surprises des
assauts que l’enfer nous livre très souvent, mais quand il semble que tout est
perdu, c’est là où nous voyons les protections de cette divine Mère
[23]...”
Quelques jours plus tard, le
29 juillet 1695, Mère Mechtilde écrit aux mêmes :
“Je connais que le mal est
bien plus grand que vous ne le comprenez vous-mêmes, quoique vous en soyez bien
touchées. Oui, les maux sont venus à un tel point que les jeunes sont renversées
et sont dans des angoisses extrêmes, jusqu’à produire dans le cœur de quelqu’une
un sensible déplaisir d’être religieuse. Voilà en vérité un grand mal que cette
malheureuse désunion a causé. Un autre, encore plus grand, c’est le scandale et
la mauvaise édification parmi vos domestiques séculières, et vos pensionnaires,
qui concevront un grand mépris pour l’état religieux...
La reine en tirera de
mauvaises conséquences et produira du dégoût dans son cœur. Je sais ce qu’elle
m’en a écrit autrefois, que les causes n’étaient que des ombres, comparées au
mal présent.”
Enfin, le 5 août 1695, à
toute la communauté de Varsovie. Mère Mechtilde avait reçu, avec une extrême
douleur, toutes les lettres de ses filles de Varsovie, lesquelles se trouvaient
dans des états affligeants. Elle leur répond par une très longue lettre dont
nous ne donnerons ici que quelques extraits:
“Je suis sensiblement
touchée de voir une maison naissante dans une grande division, qu’il m’est
facile de croire que les ennemis de votre salut ont fait ce grand désordre pour
empêcher la gloire de Notre Seigneur, dans vos cœurs et dans votre monastère.
C’est un mal extrême et un des plus grands de ceux qui peuvent affliger une
maison religieuse, car c’en est quelquefois la ruine totale...
Hélas! mes chères filles,
un peu d’application à la présence de Dieu et de mortifications, pour vous
rendre fidèles à la grâce, auraient empêché que la nature et le démon ne vous
eussent jetées dans cet état déplorable... Comme il n’y a rien de plus saint
dans l’Église, que l’Institut que vous avez professé, le démon a eu ce pouvoir
de vous faire quitter les saines pratiques que vous devez avoir toujours en
usage, pour vous rabaisser dans des sentiments humains qui n’ont d’autre motif
que de satisfaire l’amour-propre...
Vous voyez qu’il faut
porter sa croix de quelque part qu’elle nous arrive... à l’exemple de Notre
Seigneur qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de
pratiquer la vertu .. que ses victimes doivent observer...”
“La principale vertu,
c’est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses,
ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu... La religion établit des
supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d’obéir. Il
faut les regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour
lui confier son autorité, c’est pourquoi il faut les respecter et leur obéir
simplement et sincèrement, comme à Dieu même, ce sont les paroles de notre
sainte règle; c’est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison
religieuse et d’y vivre de la sainteté que nous y professons, car sans
l’obéissance, il n’y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu...
Ce n’est pas l’habit qui
fait la vraie religieuse, mais l’observation des vœux et les engagements de sa
profession qui la fait vivre d’une vie renoncée, c’est-à-dire dans une
continuelle mortification de ses sens, de la nature et de son propre esprit qui
veut toujours régner...”
“Par la présente, je vous
sollicite à vous remettre dans la charité et saine cordialité les unes envers
les autres, et de rendre à votre supérieure les devoirs que vous lui devez...
Confondez les démons qui prétendent détruire l’œuvre de Dieu, réunissez-vous
toutes par son divin Esprit, sacrifiant, chacune en particulier, les raisons qui
la tiennent dans la désunion... Vous réparerez, par ce moyen, les scandales de
votre division, qu’il faut réparer sous peine de damnation, vous le savez, très
chères.
Souvenez-vous que vous
êtes toutes les premières, (les premières Bénédictines du Saint Sacrement en
Pologne) et qu’il faut que celles qui entrent dans votre maison marchent sur vos
pas. Jugez quel malheur éternel si vous ne leur donnez pas, par vos exemples,
l’édification que vous devez et par les saintes pratiques que l’on doit voir en
toutes vos conduites, surtout: celles de l’obéissance et d’une très profonde
humilité qui ne permet pas à l’esprit humain de s’élever par orgueil et par
fierté.”
Le même jour et par le même
courrier, Mère Mechtilde écrivait à la mère Marie de Jésus, prieure, à qui elle
envoyait deux nouvelles sœurs françaises: “Je vous conjure de prévenir la
reine et de l’obliger d’agréer ces deux sujets... Prenez donc votre temps pour
prévenir la reine, parce que ces deux chères mères, partiront dans trois ou
quatre jours...
Je crois que vos chères
filles vous feront voir la lettre que je leur écris pour les solliciter à se
remettre dans une parfaite union. L’état de notre maison est des plus
affligeants... Priez la sacrée Mère de Dieu... Il faut que tout le monde se
quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux
que Dieu en tout...
Peu à peu les choses vont
s’améliorer, mais Mère Mechtilde continue à suivre de près la communauté de
Varsovie. Un an plus tard, le 6 juillet 1696, elle écrit à la sœur de Saint
Bernard :
“Nous faisons des prières
pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, qu’il pacifie tout, car
rien n’est plus affligeant que de savoir une maison de l’Institut dans une telle
désolation. Je sais que vous souffrez beaucoup sans y pouvoir mettre de remède.
Mais si vous êtes fidèle à Dieu dans les persécutions et dans les tentations que
l’Enfer vous livre, la force divine de Jésus-Christ, par sa très sainte Mère,
triomphera de tout, et vous verrez les secours de sa grâce qui vous
surprendront...
Soyez fidèle à vos
obligations; ne communiquez points vos sentiments pour décharger votre cœur, qui
vous ferait dire plusieurs choses qui le pourraient blesser ou, du moins,
troubler sa tranquillité... Vivez dans l’esprit d’un continuel sacrifice, qui
doit faire la vie d’une victime. L’on ne peut en ce monde éviter plusieurs
contradictions mais la victime fidèle laisse les morts ensevelir les morts. Elle
surpasse tout pour se rendre à celui à qui elle est immolée, n’ayant point
d’autre tendance que de lui plaire, sans envisager ses propres intérêts. Elle
les anéantit de tout son cœur, par le sacrifice actuel, faisant consister son
bonheur à n’avoir que Dieu en vue sur toutes choses, son amour et son règne
faisant toute sa fortune...”
Le 6 avril 1698, Mère
Mechtilde s’était éteinte doucement, après une vie constamment semée d’épreuves.
Pour les Bénédictines du Saint-Sacrement, il y aura, en Pologne, quelques
périodes de calme et même de prospérité. Cependant les épreuves seront encore
nombreuses, et cela jusqu’à nos jours, pour les moniales de Mère Mechtilde.
La mort du roi Jean Sobieski,
le 17 juin 1696, fut une grande perte pour les moniales. La reine quitta bientôt
Varsovie, puis vers 1700, partit pour Rome. À la demande de la supérieure de
Paris, la reine entreprit des démarches pour fonder un monastère de Bénédictines
du Saint-Sacrement à Rome. Ces démarches n’aboutirent pas, mais contribuèrent à
l’approbation des Constitutions de l’Institut, par le pape Clément XI, le 1er
août 1705.
Mère Radegonde, ne voulait
pas que la reine se mêlât des affaires du monastère, d’où de nouvelles
querelles, qui finirent par la démission de Mère Radegonde, le départ pour la
France d’autres religieuses, et l’élection de mère Petigot, “selon le désir de
la reine.” D’autres religieuses françaises arrivèrent à Varsovie, venant de
Toul. En réalité, il est maintenant connu que le monastère de Varsovie s’était
trouvé dans des conditions matérielles très pénibles: “La reine, Marie-Casimire,
après la mort de Jean Sobieski, quitta la Pologne. Étant elle-même dans de
grandes difficultés pécuniaires, elle n’était plus en état de remplir ses
obligations envers le monastère. Toute une année les religieuses vécurent dans
une extrême misère...[24]”
Mère Mechtilde étant
décédée en 1698, nous aurions pu arrêter notre récit ici. Les événements qui
suivent n’intéressent plus une étude consacrée à “L’École Française”. Il a
toutefois paru judicieux, afin de contenter certaines curiosités, d’évoquer
quelques grandes étapes du développement des Bénédictines du Saint-Sacrement en
Pologne jusqu’aux drames terribles de la guerre 1939-1945.
En mai 1708, une peste
épouvantable s’abattit sur Varsovie, et les bénédictines tombèrent malades.” Il
y eut 22000 décès à Varsovie, et de nombreuses sœurs moururent. Ordre fut alors
donné à plusieurs bénédictines de Varsovie de partir avec deux pensionnaires. Ce
petit groupe s’installa à Przemysl.
Pour arranger les choses,
la guerre civile faisait rage partout en Pologne, et la ville de Przemysl était
continuellement pillée. Finalement les bénédictines du Saint Sacrement
trouvèrent refuge à Lwow et s’y installèrent le 13 juin 1709. En juin 1715,
l’évêque de Poznam, consacra l’église du monastère de Lwow. Des années
passèrent, prospères. Un pensionnat pour jeunes filles assurait des revenus
réguliers.
Cependant comme toutes les
œuvres du Seigneur, les fondations de Pologne furent particulièrement
persécutées: le démon redoutait-il tellement les adoratrices du Saint Sacrement?
Probablement, car les contre-temps, les contradictions, les difficultés, les
deuils, accablèrent aussi la petite communauté de Lwow, et ce n’est que le 9
avril 1721 que la fondation de Lwow fut enfin établie officiellement
Les bénédictines du Saint
Sacrement de Lwow connurent d’abors une longue période de prospérité, mais après
le partage de la Pologne, le 5 août 1774, et jusqu’en 1917, de nouvelles et
douloureuses épreuves s’abattirent sur le monastère. Il n’est pas question
d’entrer ici dans les détails, mais il peut être intéressant de rappeler
quelques éévénements racontés dans l’Historique du Monastère de Lwow.
(1709-1978)
“En 1798, le monastère des
bénédictines du Saint Sacrement souffrait une grande disette et était écrasé par
les impôts de toutes sortes. Les revenus ne suffisaient pas à les couvrir...”
Il y eut ensuite un grave
incendie qui ravagea une partie du monastère... Les années 1830-1831 furent très
difficiles: famine et choléra sévissaient dans la ville. Aussi les parents
reprirent-ils leurs filles par crainte de l’épidémie: conséquence, plus de
revenus pour les religieuses.
L’Église conventuelle,
commencée en 1743, n’était toujours pas terminée... et ce n’est qu’en 1903 que
les travaux purent reprendre. Le 12 mai 1904, l’église, achevée, fut consacrée
et ouverte aux fidèles. À cette époque, les moniales étaient soutenues et aidées
par Mg Weber, archevêque du lieu, mais le 26 mai 1906 il partit pour Rome et
entra dans la congrégation des Résurrectionnistes.
En 1787, Saint Clément
Hofbauer, venu avec ses Rédemptoristes habiter près du monastère des
Bénédictines, devint le confesseur des sœurs. Mais la tranquillité de la vie
conventuelle ne dura pas... Après le deuxième partage de la Pologne en 1794, les
épreuves recommencèrent: les locaux et l’église subirent des dépravations. Le
noviciat fut interdit. Puis, après l’écrasement de l’insurrection de 1863, le
régime tsariste confisqua le domaine des religieuses, et ferma de nouveau le
noviciat. Les religieuses vieillissaient mais continuaient cependant à assurer
l’adoration. Ce n’est que le 12 août 1905, et sous la pression d’un mouvement
révolutionnaire, que les autorités cédèrent et permirent la réouverture du
noviciat.
“L’armée russe occupa Lwow
le 3 septembre 1914 et ne se retira que le 22 juin 1915... La situation devint
très difficile,... mais après 145 ans d’occupation étrangère, le monastère se
trouva dans la Pologne ressuscitée... En 1920, l’école du monastère reçut les
droits d’État en qualité d’école primaire... Le 25 juin 1925 le monastère fut
consacré au Sacré-Cœur de Jésus.”
– 1er septembre
1939, “Hitler attaque la Pologne. la deuxième guerre mondiale commençait. Lwow
fut bombardée dès le premier jour par les avions allemands, et les jours
suivants les attaques se répétèrent” La famine s’installa.
– 20 septembre 1939, “Les
Allemands cédèrent à la Russie toute la partie orientale de cette province
polonaise, jusqu’à la ville de Przemysl. Le 22 septembre, les chars soviétiques
occupèrent Lwow...
– 22 juin 1941, “Hitler,
enivré par ses victoires, attaqua l’armée russe... et l’armée allemande occupa
Lwow le 25 juin.”
– 25 mars 1943, “Les
moniales se consacrèrent au Cœur Immaculé de Marie. Afin d’obtenir sa
protection.”
Mais la contre offensive
soviétique commença, et Lwow fut bombardée par les avions russes. Le grand
bombardement débuta le soir du 1 mai 1944. L’église subit des dégâts
considérables.
– 26 juillet 1944 l’armée
soviétique envahit Lwow. Seules les personnes travaillant à l’extérieur avaient
droit à des cartes de pain et d’alimentation.
– 14 août 1945, 127 sœurs
de la Miséricorde, expulsées, se réfugièrent chez les moniales, puis les soldats
occupèrent le monastère, du moins ce qui en restait. Les moniales durent
pourvoir à l’entretien de 350 soldats. Elles étaient surchargées de travail,
mais au moins, elles purent s’approvisionner.
– 2 juin 1946, les
moniales doivent quitter leur monastère. Elles arrivèrent à Plawniowice le 10
juin. Enfin, les moniales furent transférées à Bardo où l’adoration perpétuelle
fut établie le 15 septembre 1960.
– Le 8 décembre 1975, les
sœurs de Bardo arrivèrent à Wroclaw. En Entre temps, les bénédictines avaient
fondé une nouvelle maison à Siedlece.
Nous nous inspirons ici de la
lettre circulaire du monastère de Varsovie du 31 août 1944.
Le monastère de Varsovie
connut, au cours de son existence, des périodes de grandes souffrances, dont la
plus sensible fut certainement l’obligation de fermer le noviciat en 1863. Le
noviciat ne fut autorisé à rouvrir qu’en 1905. En 1918, il n’y avait encore que
peu de novices et la misère régnait. À partir de 1927 la communauté commença à
rajeunir, et au début de l’année 1939, il y avait 48 religieuses: de grands
travaux, urgents, de restauration pouvaient être entrepris. Mais, le 1er
septembre 1939, la deuxième guerre mondiale éclatait et Varsovie fut soumise à
de très violents bombardements.
Au printemps 1943, le
ghetto juif de Varsovie, situé à 250 mètres environ du monastère, se
soulevait... Les canonnades, les incendies et les tueries durèrent deux mois.
À Varsovie, le monastère
et son église n’avaient pas eu trop à souffrir des bombardements de septembre
1939. Mais pendant l’insurrection de Varsovie, du 1er au 31 août 1944, le
bombardement de l’église et du monastère fut tel que tout fut écrasé. Il y eut
beaucoup de morts, dont 34 religieuses qui avaient été ensevelies vivantes dans
les sous-sols du monastère. Même les archives furent la proie des flammes. C’est
un vrai miracle que l’on put retrouver dans les cendres les lettres de Mère
Mechilde.
– 1er août
1944, le soulèvement de Varsovie.
– 6 août, la communauté
descend se réfugier dans les caves avec le Saint Sacrement. De nombreux civils
viennent aussi se réfugier chez les sœurs. Mais des espions se glissent dans
cette foule, et bientôt le monastère sert de cible à l’artillerie allemande. Un
hôpital de fortune est installé dans les caves du bâtiment.
– 13 août, le lanterneau
supplombant la coupole de l’Église est touché; il s’effondrera quelques heures
plus tard. La destruction du monastère se poursuit. L’eau manque, il n’y a plus
de médicaments, les blessés pullulent: c’est hallucinant.
– 30 août, les religieuses
se préparent à une mort imminente: ce jour-là, les sacramentines, (bénédictines
du Saint Sacrement), sous l’action de la grâce, demandent, individuellement, à
faire l’offrande de leur vie. On ne sut jamais qui fit cette offrande, ni à qui
la permission fut refusée. On sait seulement que les quelques rescapées
n’avaient pas fait cette démarche.
– 31 août 1944, 30
moniales et environ un millier de personnes se trouvaient dans la cave située
sous l’Église. Un avion lâcha des bombes: l’église s’effondra écrasant dans ses
décombres toutes les personnes qui se trouvaient en dessous. Puis un incendie se
déclara. Un char allemand prit sous son feu ce qui restait encore debout.
Seulement quelques personnes furent sauvées. Mais immédiatement les pillards
arrivèrent!!! Dans cette horrible catastrophe, 34 bénédictines et un millier de
personnes avaient péri.
Les soldats allemands
obligèrent les survivants du quartier à évacuer les lieux; sous les brutalités
de la soldatesque allemande, une longue et hallucinante marche commença dans un
paysage cauchemardesque, jusqu’à la Gare de l’Ouest. Des scènes déchirantes se
passèrent, les familles étant séparées, hommes d’un côté, femmes et enfants de
l’autre... Il fallut monter dans des trains. Après de multiples péripéties, les
femmes arrivèrent à Lowicz. Les sœurs furent reçues par des bénédictines.
– Le 20 septembre 1944,
les sacramentines rescapées trouvèrent asile à Staniatki. Elles y restèrent
jusqu’au 2 mars 1945. Le 2 mars 1945, quelques sœurs purent rentrer à Varsovie.
Peu à peu le monastère sera reconstruit. En 1951, l’église sera ouverte au
culte, mais ce n’est que le 19 Mai 1973, que le Cardinal Wyszynski pourra
procéder à sa consécration.
Le 16 octobre 1978, Karol
Wojtyla était élu pape. Il prenait le nom de Jean-Paul II.
[24] Chronique
du monastère de Lwow, de 1687 à 1708.
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