Les
chrétiens de notre temps sont souvent persécutés. Dans les
pays de notre Occident déchristianisé, les jeunes ne sont
plus éduqués, les petits enfants sont, dans les écoles
publiques, "scandalisés" dès leur plus jeune âge. Partout
nous rencontrons des personnes blessées, meurtries,
découragées, sans espérance... Toutes elles cherchent un
sens à leur vie. Elles cherchent Celui qu'on leur a refusé,
elles cherchent Dieu, généralement sans le savoir, mais à
travers tant de souffrances. Trop de chrétiens qui se
croient fidèles, convaincus et évangélisateurs sont devenus
tièdes parce qu'on ne leur parle plus du vrai Dieu. Nous
contemplons notre monde d'aujourd'hui, notre monde sans
espoir, et voici que soudain, nous nous disons que la vie de
tous les hommes, et surtout des chrétiens, fidèles ou non,
ressemble au périple d'un petit ruisseau.
Un
ruisseau, ce n'est rien, et pourtant, sans le savoir, il
porte la vie là où il passe. Malheureusement il arrive
parfois que des événements extérieurs à lui, des événements
dont il n'est pas responsable, viennent troubler son cours
et sa pureté, Il peut même arriver que le petit ruisseau se
perde, ou pire, transportant les impuretés dont il a été
chargé, contamine lui-même les lieux qu'il traverse. Mais ce
qui est certain, c'est que, dans certaines circonstances,
c'est lui, le petit ruisseau, qui doit traverser des zones
particulièrement obscures: tunnels, abîmes dans lesquels il
tombe, cours souterrains, ou rivières de déchets liquides et
pestilentiels... Puis malgré sa charge lourde de misères et
de peine, il doit continuer à avancer, à donner la vie, à
purifier certains espaces en se chargeant lui-même de ce
qu'il n'aime pas, puis enfin se reposer dans un grand lac de
paix, baigné de soleil et d'amour. Et là, le petit ruisseau,
ayant enfin atteint sa destination finale, peut s'étaler
dans un lac, se baigner dans ces eaux pures, et travailler
encore, mais tout autrement, à partager sa paix et sa vie
nouvelle, préface de sa vie éternelle... Comme tout cela
ressemble à nos vies d'hommes, surtout de nos jours!
Dans un
endroit caché, retiré et tranquille une petite source donne
naissance à un petit ruisseau. L'eau qui coule de la source
est si claire, si pure et si fraîche... Quelle joie pour
elle de respirer un air aussi pur qu'elle et de se
réchauffer dans la chaleur d'un soleil brûlant. Elle vient
de naître à la lumière et sa joie est immense. Voici qu'elle
a même oublié les profondeurs de la terre qui lui ont donné
naissance. L'eau de la source vit et donne toute sa joie au
petit ruisseau qui commence le chemin de sa vie. Notre petit
ruisseau est si joyeux qu'il glisse sur les rochers, se
faufile entre des failles en réduction, se transforme en
petites cascades, saute de ci de là, bouillonne allègrement
et chante ses notes les plus amusantes. Vraiment la vie est
belle...
Notre
petit ruisseau joue avec les aspérités du sol, traverse
quelques terrains arides débouchant sur des falaises: quel
bonheur ces chutes d'eau. Peu à peu notre ruisseau se
transforme en torrent, joue avec les daims et les oiseaux
qui viennent boire ses eaux vives... Mais il est temps de
s'assagir un peu, et notre torrent pénètre dans une grande
prairie. Il ne sait pas encore comment il doit faire, mais
il sait qu'il est là pour apporter la vie. En effet, voici
que des troupeaux de bovins et d'ovins viennent se
désaltérer: leur présence n'est pas toujours agréable, car
ces animaux piétinent parfois très fort le lit de la jeune
rivière. Mais il faut bien être patient et faire le bien que
la nature demande. Évidemment, les déjections de ces animaux
sont très déplaisantes, mais notre petite rivière sait que
cela, bien mêlé à ses eaux qui paraissent moins propres, est
absolument nécessaire pour fortifier les sols. Alors, notre
rivière soupire un peu, et continue sa route: dame, il faut
bien faire son devoir et accepter quelques petits
sacrifices... Heureusement de nombreux oiseaux viennent
jouer près de la jeune rivière et lui partager leurs chants
mélodieux.
Le temps
a passé. Notre rivière a rencontré des consœurs; une solide
amitié est née entre ces rivières, qui, à force de circuler
ensemble sont devenues comme un fleuve qui a appris beaucoup
de choses. Maintenant les eaux du fleuve savent qu'elles
sont la vie pour des multitudes d'êtres vivants. Alors elles
se laissent boire, pomper, dévier pour irriguer des champs
ou des déserts. Le fleuve est heureux; il laisse des
baigneurs plonger dans ses eaux claires; il est même heureux
quand des pécheurs saisissent quelques-uns des poissons
qu'il abrite et nourrit. Notre fleuve est heureux: il
accomplit ses devoirs et il est plein d'espérance...
Le petit
ruisseau plongé dans le grand fleuve dont il suit le cours
est heureux avec tous ses amis; il est plein d'espérance et
il s'applique autant qu'il le peut à son travail. Pourtant,
par moments le petit ruisseau est triste. Souvent il se sent
un peu perdu au milieu de cette foule qui lui semble parfois
prendre de mauvaises directions. Car notre petit ruisseau ne
s'est pas fondu dans le grand fleuve. Dieu a permis que
chaque ruisseau reste une rivière libre et relativement
indépendante. Le petit ruisseau, porté matériellement par le
grand fleuve -il ne peut pas faire autrement- demeure
cependant une personne libre de répondre chaque jour aux
demandes de l'amour de Dieu. Et le petit ruisseau répond
souvent oui. Mais parfois il ne sait pas très bien si la
voix qu'il entend est une réalité: il y a tant de bruit,
tant d'agitation autour de lui que son cours en est un peu
dévié et qu'il ne sait plus où est sa vérité de ruisseau.
Le petit
ruisseau aujourd'hui a mal, et même très mal. Il voit que
des tempêtes bouleversent le cours du grand fleuve. Il
entend les cris de détresse de nombreux autres petits
ruisseaux obligés de boire les eaux sales des égouts qui se
déversent tout près d'eux. Il entend les gémissements de
ceux que l'on a empoisonnés avec l'acidité des théories
destructrices. Il voit les plaies livides de ceux qui ont dû
traverser des étangs pollués. Le petit ruisseau voudrait
avertir tous ceux que l'on oblige à traverser les décharges
où l'on jette les victimes moribondes, victimes des drogues
et des plaisirs qui leur étaient offerts, "gratuitement". Le
petit ruisseau s'égosille, mais personne ne l'entend, car
ses cris sont étouffés par les hurlements dévastateurs des
innombrables satans promoteurs de mensonges ignobles.
Le petit
ruisseau a très mal. Il voit que le grand fleuve a comme
oublié sa mission de donner à boire aux nations. Il voit le
grand fleuve se prélasser dans ses idées nouvelles qui ne
cherchent qu'à le tromper. Le petit ruisseau appelle ses
amis, mais ils sont tous comme lui, totalement démunis: que
faire? Aujourd'hui la détresse du grand fleuve est immense:
il ne sait plus où se diriger, il ne sait plus comment se
décharger de toutes les ordures qui l'encombrent, car ces
ordures sont tellement nocives que lui, rivière qui devait
purifier, souille, non seulement les terrains qu'il
traverse, mais aussi les espaces et les sols voisins ou
éloignés. Ainsi, même le grand fleuve s'aperçoit
qu'aujourd'hui il sème la mort; alors il appelle à son aide
quelques-uns des petits ruisseaux qui le constituent et le
font vivre, s'ils le peuvent encore, et s'ils sont assez
vivants pour cela...
Les
petits ruisseaux qui avaient réussi à se préserver des
pollutions morales, qui croient encore un peu en un Dieu
Créateur et bon, dont l'espérance n'est pas encore éteinte
et don la foi est restée vigoureuse, se sont rassemblés au
milieu du grand fleuve. Que faire maintenant pour purifier
leur milieu vital, leurs eaux qui ont toutes été atteintes
par le mal ambiant? Que faire pour que le grand fleuve
retrouve la bonne direction, celle qui doit le conduire vers
l'Océan béni de son paradis aquatique, le but de toutes ses
pérégrinations? Que faire maintenant pour retrouver le
calme de ses flots, la sérénité de ses eaux? Que faire pour
nettoyer ses dépôts boueux et puants? Que faire pour qu'il
redevienne un fleuve qui porte la vie?
Les
petits ruisseaux ne savent pas bien quoi décider. Alors,
comme le fleuve entier est constitué de multiples petits
ruisseaux, ceux qui se sont réunis pour décider du grand
nettoyage ont pris la résolution de s'exposer au Soleil de
leur vie le plus longtemps possible. Ils essaieront aussi de
se débarrasser de toutes les impuretés qui entravent leurs
mouvements; ils se rapprocheront ensuite le plus possible
des autres pauvres ruisseaux moribonds pour tenter de leur
redonner courage, et les inciter à s'exposer eux aussi aux
rayons brûlants, mais bienveillants du soleil qui seul peut
leur rendre la vie. La tâche sera immense. Notre petit
ruisseau le sait, mais, dans son cœur il a déjà accepté,
pour ses frères autant que pour lui, tous les sacrifices et
les souffrances inévitables qui lui seront demandées. Alors
le petit ruisseau pourra donner un peu de sa joie à ses
pauvres collègues.
Le petit
ruisseau a accepté toutes les purifications nécessaires pour
qu'il puisse se rapprocher de son Créateur et aider ses
frères. Mais il ne sait pas trop comment faire ni par où
commencer: il est si sale, lui aussi... Le petit ruisseau
réfléchit, prie, et soudain, il se sent tomber dans un
trou... Il ne peut pas s'accrocher, son eau s'écoule
inexorablement dans des ténèbres inconnues. Le petit
ruisseau sent qu'il traverse des terrains impitoyables mais
bons, car ils le délestent d'une partie de ses charges
inutiles. Le petit ruisseau a encore un peu peur, mais il
comprend qu'il doit se laisser faire: maintenant, ce n'est
plus lui qui commande...
Le petit
ruisseau s'écoule lentement, et bientôt il comprend que ses
eaux souterraines, non seulement se purifient à travers les
filtres de la souffrances, mais qu'il recommence à donner
aussi la vie à des myriades de tout petits animaux, vie de
la terre, et à soulager la soif de beaucoup de racines qui
le cherchent sans pourtant le savoir. Étrange, cette vie
souterraine, silencieuse, ténébreuse mais si riche! Le petit
ruisseau a du mal à comprendre ce qui lui arrive, mais il
laisse faire... d'ailleurs, il ne peut pas faire autrement.
Le petit ruisseau peu à peu redevient joyeux, et il sait
qu'il a retrouvé, même dans l'obscurité de la terre, son
créateur, son Soleil bien-aimé.
Le petit
ruisseau poursuit tranquillement sa tâche cachée, mais
brusquement il frémit: il est comme éblouit par une lumière
aveuglante; que se passe-t-il? Quelle nouvelle tourmente
l'attend? Le petit ruisseau est désemparé car maintenant il
est seul et il ne sait pas à qui demander conseil. Pourtant
il est un peu rassuré car il comprend qu'il se trouve devant
un immense désert, un désert atrocement aride qu'il doit
irriguer et faire reverdir avant d'alimenter de nouveau le
grand fleuve dont il entend les appels lointains. Le petit
ruisseau réfléchit... Il voit que la forte chaleur va
évaporer toute son eau, et lui, devenu sec, ne servira plus
à rien. Le petit ruisseau réfléchit: il doit conserver sa
foi et son enthousiasme; il doit poursuivre la tâche qui lui
a été demandée; il doit donner vie au désert. Le petit
ruisseau réfléchit: s'il reste exposé au soleil, bientôt il
n'aura plus d'eau: il sera mort, lui aussi. Il doit donc
pénétrer dans le désert sans se faire voir, sans se faire
remarquer, sans se faire sentir...
Le petit
ruisseau s'enfouit un peu dans le sol poudreux. Curieusement
il s'enfonce peu car une couche d'argile arrête sa
progression. Le petit ruisseau est au ras du sol, caché mais
actif. Il sent son eau humidifier la terre et une vie
nouvelle recommencer: oh! ce n'est pas encore grand'chose,
mais déjà des petites graines qui étaient là, dispersées, se
mettent à germer... Le petit ruisseau jubile encore plus, il
est plein d'espérance... Et voici que les petites pousses
sont devenues de l'herbe, des gerbes, des arbres... Il fait
très bon sous les arbres du désert devenu oasis. Le petit
ruisseau n'en revient pas, il se prélasse un peu, il savoure
la vie qu'il a donnée et dont il bénéficie, il est
heureux...
Le petit
ruisseau est heureux. Il rend grâce à Dieu, il se repose...
Il contemple la petite route verdoyante qu'il a construite.
Sous les arbres pleins de dattes, il se trouve bien au
frais, et si confortable. Il est heureux car quelques gros
animaux viennent boire de son eau. Il y a même des hommes
qui passent de temps en temps et qui s'arrêtent près de lui
pour louer le Seigneur tout puissant qui leur a donné à
boire. Le petit ruisseau voudrait bien rester là, mais voici
qu'il entend de nouveaux appels: il doit aller encore plus
loin. Alors le petit ruisseau remercie son Seigneur du repos
qu'il lui a accordé, et il part vers de nouvelles
aventures...
Paulette
Leblanc Rédigé en septembre 2013 Publié en mai 2014
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