Albert Chmielowski
Religieux, Saint

(1845-1916)

26

DÉCEMBRE

 Adam Chmielowski naquit à Igołomia, près de Varsovie le 20 août 1845. Il était l'aîné des quatre enfants de Adalbert Chmielowski et de Józefa Borzystawska, tous deux descendants d’une famille noble. La jeunesse d'Adam Chmielowski se déroula dans une région située entre la République de Cracovie, jusqu'à son annexion par l'Autriche en 1846, et le royaume de Pologne sur lequel, depuis l'échec de l'insurrection de 1830-1831, le pouvoir russe était de plus en plus pesant. En 1863, une nouvelle insurrection éclata contre la russification du pays, et Adam, qui n'avait pas encore 18 ans, et qui étudiait à l'institut agricole et forestier de Pulawy, prit part à cette insurrection. Le 1er octobre 1864, il fut griè-vement blessé à une jambe et dut être amputé, sur le champ de bataille et sans anesthésie. Malgré de gran-des souffrances, Adam cachait autant qu'il le pouvait le handicap de sa jambe de bois.

Après l'insurrection de 1863, Adam suivit les cours de l'école des Beaux-Arts à Varsovie. En 1868, il était à Cracovie où il fréquenta la famille des Siemienski. Fidèle à la foi de ses ancêtres, Monsieur  Siemienski était malheureusement très ouvert aux courants scientistes qui venaient de l'occident, et la mode s'était répandue de faire tourner les tables pour évoquer les esprits. Madame Siemienska, profondément chrétien-ne, voyant que les invités de son mari se livraient à ces pratiques spirites, prit l'avis de son confesseur, afin de persuader son époux de mettre un terme à ces amu-sements dangereux. Le prêtre lui conseilla de prendre son chapelet et de prier tranquillement, sans se mêler aux séances. Ce qui suit est assez extraordinaire, c'est pourquoi nous vous le racontons:

Adam racontait qu'un jour il était assis avec des amis autour d'une grande table en chêne, si lourde que deux hommes pouvaient à peine la mouvoir. Sous leurs doigts, totalement déchaînée, la table se mit à tourner et à bondir, en répondant à leurs questions par des coups secs et violents. Mme Siemienska, assise un peu plus loin, récitait à voix basse son chapelet. Bientôt Mme Siemienska n'y tenant plus, se leva, et lança son chapelet sur la table tournante. Il y eut alors comme une détonation de pistolet et la table s'arrêta net. Lorsque les lumières furent rallumées, tous virent la table fendue en deux; l'épaisse plaque en chêne massif avait éclaté tout le long du diamètre, malgré les crampons qui la fixaient. Depuis ce jour, jamais plus les amis de Mr Siemienski ne s'amusèrent à faire tourner des tables.  

De 1871 jusqu'au printemps de 1873, Adam séjourna avec deux amis à Paris. Il restait profondément religieux et passionné pour l'art. Cependant, bouleversé par les révolutions sociales qui affligeaient la France, il commentait: "S'ils veulent du progrès, pourquoi ne bâtissent-ils pas leur État selon l'Évangile?" Suite à l'amnistie accordée par le tsar, Adam revint en Pologne en 1873. Confronté à une profonde misère, il renonça à sa carrière, pourtant prometteuse, de peintre, pour s'occuper activement des pauvres, des malades abandonnés et des clochards.

Au début de 1879, Adam, chez un ami de Lvov, comprit qu'il devait se faire religieux. Le 24 septembre 1880, il entra donc au noviciat des Jésuites de Stara Wies. Son âme était inondée de joie, mais une épreuve terrible l'attendait, une épouvantable crise de scrupules. Il dut rentrer chez lui. Bientôt, cependant, entendant un prêtre parler de la miséricorde de Dieu, il retrouva la paix de l'âme mais ne retourna pas au noviciat des Jésuites. Il se remit à la peinture; mais un jour, découvrant la Règle du Tiers-Ordre de saint François d'Assise, il demanda à y être reçu et prit le nom de frère Albert.

Rentré à Cracovie, il continua son métier de peintre, mais de plus en plus, il voyait dans le visage des mendiants qu'il rencontrait, la Sainte Face du Seigneur. Un soir, croisant un jeune garçon livide de froid et couvert de guenilles, frère Albert lui dit: "Viens chez moi." Dans l'atelier, où il y avait un bon feu, Frère Albert prépara à manger, puis il ajouta: "Et maintenant tu vas dormir. – Où donc? – Mais, dans le lit! – Et vous? – Je m'arrangerai." Le petit vagabond n'eut même pas la force de protester, il se jeta sur le lit et dix minutes après il dormait profondément. C'est ainsi que Frère Albert découvrit sa vocation.

Il fonda un premier hospice pour héberger les mendiants de Varsovie, et institua la "Congrégation des Frères et Sœurs du Tiers-Ordre de Saint-François servants et servantes des pauvres," que l'on appela "Albertins". Bientôt Frère Albert mena une triple vie: le jour, il peignait  pour gagner sa vie; la nuit, il recevait ses compagnons dans son atelier; il visitait aussi  les meilleures familles de l'aristocratie polonaise et y plaidait la cause des misérables. Malheureusement, la présence des étranges locataires de son atelier lui causa bientôt des ennuis. Lorsqu'il était présent, tout se passait bien, mais dès qu'il s'absentait, ils faisaient un chahut tel que les voisins se plaignirent. Il fallait quitter les lieux. Où aller? Frère Albert pensait rejoindre l'asile de nuit de Kasimierz; mais l'ambiance qui y régnait était telle que les compagnons d'Albert refusèrent d'y retourner.

Après avoir consulté l'Archevêque de Cracovie qui l'admit à prononcer ses trois vœux religieux, Frère Albert se familiarisa avec les œuvres de saint Jean de la Croix et rencontra le Supérieur du couvent des Carmes, le Père Raphaël Kalinowski. La décision fut alors prise, en novembre 1888, de rejoindre l'asile de "Ogrzewalnia". Frère Albert passa une convention officielle avec la ville de Cracovie concernant l'usage des locaux, le droit de quêter dans les rues et la réinsertion sociale des plus valides. Très dévot à la Sainte Vierge, il suspendit au mur de l'asile une icône de Notre-Dame de Czestochowa. Même parmi les plus mécréants, personne n'osa jamais toucher à celle qui est considérée comme la Reine de Pologne. Une petite lampe à huile brûlait jour et nuit devant l'icône vénérable et des mains inconnues l'ornaient de fleurs. Quand l'atmosphère se faisait lourde et menaçante, un frère musicien prenait son violon et les disputes s'arrêtaient, et les visages s'adoucissaient.  

Voici qui est très important: pour restaurer la dignité de ses pauvres, avilis par la misère, frère Albert se servait du travail, conçu comme un facteur de perfectionnement moral et de progrès humain. Pour cela, Frère Albert ouvrit des ateliers où ses fils, revêtus de leur bure grossière et penchés sur leurs établis, donnaient l'exemple d'un travail assidu. Cet exemple fut contagieux: les pauvres prenaient courage et retrouvaient peu à peu le sens de leur dignité dans une vie de travail. Notons que, tous les jours, frère Albert réunissait ses fils religieux, et leur faisait une instruction spirituelle. Il leur apprenait à faire oraison et à s'occuper des pauvres par amour pour le Christ. Car, pour le frère Albert, le véritable Amour vient de Dieu; cet amour s'incarne dans le Christ, se communique par l'Eucharistie, porte des fruits de miséricorde et devient la source de tout bien, privé et public.  

Frère Albert écrivit aussi de petites pièces de théâtre qu'il faisait jouer à ses pauvres avec les moyens du bord. Le succès fut considérable; les cœurs s'ouvrirent et de vrais miracles de conversion se produisirent. Ainsi, lorsque frère Albert et ses fils récitaient des prières, à genoux au milieu de l'asile, leurs compagnons se sentaient attirés et se joignaient à eux. Pour être complets, notons que, dans son contrat passé avec la municipalité de Cracovie, frère Albert s'était engagé à prendre également en charge l'asile des femmes, qui dépassait en horreur celui des hommes. Le Seigneur lui envoya, pour cette œuvre, des femmes qui formeront la branche féminine de sa Congrégation.  

Ayant vécu comme les pauvres, le frère Albert Chmielowski mourut dans un des hospices qu'il avait fondés. Fin 1916, alors que depuis longtemps son estomac ne supportait plus aucune nourriture solide, il entra dans une longue agonie. Jusqu'au bout, il accepta la volonté de Dieu, dans la foi et la reconnaissance. Enfin, le jour même de Noël, il rendit son âme à Dieu, pendant l'Angélus de midi. Le Pape Jean-Paul II le béatifia le 22 juin 1983, à Cracovie, et le canonisa à Rome, le 12 novembre 1989. Karol Józef Wojtyła, qui deviendra le pape Jean-Paul II de 1978 à 2005, avait écrit lorsqu'il était encore étudiant, une pièce de théâtre sur le Frère Albert, intitulée "Frère de notre Dieu". Voici comment il résuma la vie de Frère Albert: "J'ai plaisir à rappeler la fascination spirituelle qu'a exercée dans l'histoire de ma vocation la figure du  saint  Frère  Alberto, Adam Chmielowski, - tel était son nom - qui n'était pas prêtre. Frère Alberto était un peintre de grand talent et d'une grande culture. Or, à un certain moment de sa vie, il rompit avec l'art, car il comprit que Dieu l'appelait à des devoirs bien plus importants. Il vint à Cracovie pour se faire pauvre parmi les pauvres, se donnant  lui-même  pour  servir  les déshérités. J'ai trouvé en lui un appui spirituel particulier et un exemple lorsque je me suis éloigné de la littérature et du théâtre, pour faire le choix radical de la vocation au sacerdoce. Par la suite, l'une de mes joies les plus grandes a été de l'élever aux honneurs des autels comme, auparavant, celle de lui consacrer une pièce de théâtre: 'Frère de notre Dieu'." Et nous, nous ajouterons: Que l'exemple de saint Frère Albert, pauvre au milieu des pauvres, qui priait et louait le Seigneur avec les pauvres de cœur, nous encourage à persévérer dans l'évangélisation de nos contemporains, ces pauvres spirituels qui ont été privés de Dieu depuis leur jeunesse, et qui ne savent plus quel sens donner à leur vie.

Paulette Leblanc

 

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