Alain de Solminihac
Évêque de Cahors, Bienheureux
(1593-1659)

31

DÉCEMBRE

Alain de Solminihac naquit le 25 novembre 1593 au château de Belet, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Périgueux. Sa famille noble du Sarladais, était restée fidèle au catholicisme, dans une région très infiltrée par le protestantisme et dévastée par les Guerres de religion. Alain, était le 3e des garçons de la famille; c'était un garçon intelligent et séduisant, destiné à devenir un gentilhomme accompli. Il fut donc initié à toutes les disciplines mondaines de son rang: équita-tion, escrime, danse, chasse, et bien sûr, les belles ma-nières. À l’âge de dix-sept ans, c’était non seulement un jeune homme à l’esprit chevaleresque et généreux, mais son sens de l’honneur le poussait à s’engager au service du Roi, parmi les chevaliers de l’Ordre de Malte. Mais le Seigneur en avait décidé autrement.

Alain avait un oncle, Arnaud de Solminihac, qui était Abbé de Chancelade. Afin que les bénéfices de l’abbaye restent dans la famille, Arnaud se tourna vers les en-fants de son frère. N’étant pas satisfait des deux aînés, il fit appeler Alain. Les aptitudes du 3e neveu plurent à l’oncle qui lui proposa sa charge, et Alain accepta. Malheureusement Alain n’avait pas de diplôme univer-sitaire. Il entra donc à l’université de Cahors et devint bachelier en droit canon le 2 avril 1614. Le jour même il recevait la tonsure. Six mois plus tard, les bulles de nomination d’Alain de Solminihac à l’abbaye de Chan-celade étaient signées par le pape Paul V. Quand Alain les reçut, il revêtit l’habit blanc des chanoines réguliers de Saint-Augustin... et commença son noviciat! Il avait 20 ans.

L'abbaye de Chancelade avait été fondée vers 1125. Le temps, la Guerre de Cent Ans, l’occupation des lieux par les Anglais, puis les guerres de religion l’avaient peu à peu transformée en une abbaye exsangue et ruinée. Arnaud de Chancelade, devenu Abbé en 1581, avait été  impuissant à la relever de ses ruines, et la vie religieuse avait presque disparu. Quand Alain arriva à Chance-lade, il n'y avait plus que trois religieux… Alain, novice, commença rapidement sa formation. Il était toujours fidèle à l’heure d’oraison, aux offices et aux activités de l’abbaye. Le 15 juin 1615, il devenait officiellement Abbé de Chancelade; le 19 mars 1616, il recevait les ordres mineurs, et le 28 juillet se consacrait à Dieu.

Lentement, afin de ne pas soulever trop de résistances, Alain commença à réformer son abbaye. Mais il ne pouvait que constater son inexpérience et son manque de connaissance des sciences ecclésiastiques. En conséquence, il apprit d’abord le latin, puis, après avoir été ordonné prêtre le 22 septembre 1618, il monta à Paris pour parfaire ses études. Alain avait 25 ans. À Paris, après ses cours, Alain suivait les sermons de François de Sales. Autant qu'il le pouvait il s’informait sur les usages monastiques de la région et sur les expériences de réformes canoniales déjà entreprises. Il se fit aussi des amis dont Monsieur Vincent. Après un séjour de quatre ans à Paris, en septembre 1622, Alain rentra  à Chancelade.

Tout en continuant de perfectionner la réforme entreprise, Alain de Solminihac devait aussi penser à rebâtir son abbaye. Il n’hésitait pas à mettre la main à la pâte et à transporter les matériaux. Mais jamais il ne supprima les exercices liturgiques ni les heures d’oraison. Il semble que vers 1633, l’ensemble était achevé. Où Alain trouva-t-il l’argent nécessaire? L’exemple donné par l’abbé de Chancelade était tel que bien des fermiers du voisinage, qui avaient obtenu des protestants, à des prix très bas, des terres ayant appartenu autrefois à l’abbaye, les rendirent, pris de remords. La mise en place de la réforme, conformément aux directives du Concile de Trente se fit progressivement. Après 1630, à Chancelade, les vocations se multiplièrent: de 1630 à 1636, l’abbé reçut la profession de 46 novices, malgré la sévérité du règlement mis en place. Notons ici qu'Alain veillait avec un soin jaloux sur la beauté des offices, “car, disait-il, le Chœur, c’est l’honneur des chanoines, et les saints du ciel sont dans une perpétuelle louange de Dieu, et c’est un acte bien relevé.”

L’esprit de Chancelade était avant tout un esprit d’amour et d’abandon à la volonté divine. Alain précisait: “Une des choses qui empêchent le plus notre avancement à la perfection, c’est de ne pas nous abandonner entièrement à la volonté de Dieu et de ne pas nous livrer entre les mains de la Providence paternelle de Dieu qui a un soin incroyable de l’avancement de ceux qui se sont libéralement abandonnés à sa bonté, et ne se laisse jamais vaincre en libéralités, les comblant de grâces et de lumières.”  En un mot, l’esprit de la réforme de l’abbé de Chancelade était un “esprit d’amour...” Car, disait encore Alain: “Cet amour nous donne un grand et efficace désir de nous y perfectionner par la pratique de notre règle et constitutions et dans l’esprit de notre institut... et il n’y a rien de difficile à celui qui a un grand amour de sa chère vocation.”  

L’abbaye de Chancelade était devenue un centre d’attraction spirituelle, d’une part en raison de la beauté de ses offices, et d’autre part, de ses services: sacrements, prédication, catéchismes, etc. En cas de famine (ce qui était fréquent à cette époque), l’abbaye se transformait en asile de charité. Car une des principales fonctions des chanoines c’était “l’assistance du prochain par le moyen de la prédication de la parole de Dieu et des confessions...” L’abbé Alain voulait que ses moines deviennent des apôtres, et des apôtres à l’extérieur. Il voulait aussi insérer ses religieux dans le ministère paroissial, pour qu’ils vivent avec le peuple et pour le peuple. Une difficulté particulière dut être surmontée, qui aurait pu ruiner sa réforme. L’abbé ne devait plus être nommé de l’extérieur, par des personnes n’appartenant pas à l’abbaye. Pour éviter toutes les influences extérieures, Alain choisit le retour à la tradition: il rendit son abbaye élective par le chapitre des chanoines. Les formalités étant complexes, Alain confia sa démarche à la Vierge Marie, et il eut gain de cause.

En 1628, à la demande du Père Joseph, éminence grise de Richelieu, l’abbé de Chancelade entreprit des visites canoniales dans les abbayes du Limousin et de l’Aquitaine. Les désastres étaient grands... et, au milieu de la décadence générale que l’on pouvait constater, seule l’abbaye de Chancelade rayonnait. Bientôt elle pourrait envoyer des groupes de ses chanoines dans les maisons qui en avaient besoin et qui étaient prêtes à accueillir les réformes. L’abbaye de La Couronne en fut la première bénéficiaire, et elle devint rapidement pour Angoulême ce que Chancelade était pour Périgueux. Ensuite vinrent Saint Gérald, de Limoges, puis Sablonceaux, non loin de Saintes. À Pébrac aussi, la réforme devenait urgente et Mr Olier, Fondateur des Sulpiciens, sollicitait l’abbé de Chancelade. Hélas!, ce fut un échec, tant les religieux se montrèrent récalcitrants... Le mouvement de réforme était lancé, mais, victime de mesures de ségrégation,  l'œuvre de Chancelade risquait d'être menacée.

Un soir d’avril 1636, un courrier royal annonça à Alain de Solminihac sa nomination au siège épiscopal de Lavaur. L’abbé de Chancelade fut grandement consterné. Il écrivit à Richelieu pour lui signaler son refus. “Abbé il était, abbé il voulait rester: telle était sa vocation.” Le Roi refusa son refus et le choisit pour l’évêché de Cahors. Alain n’avait échappé à Lavaur que pour se voir promu au siège plus important de Cahors. Alain résista longtemps, mais Louis XIII étant prêt à entreprendre des démarches à Rome, Alain finit par s’incliner: c’était la volonté de Dieu. Mais Alain n’oublia jamais qu’il était d’abord un religieux et poursuivit sa vie d’ascète, car, dit-il un jour : “On n’est pas évêque pour chercher ses plaisirs, mais pour porter dans son corps la mortification du Christ.”

Alain commença son apprentissage d’évêque. Il recevait ses prêtres avec bonté, en réprimant parfois une certaine irritation, car plusieurs vinrent en habit civil... Il reçut aussi les notables... et il apprit beaucoup sur la situation de son diocèse et sur les besoins les plus urgents. Le diocèse de Cahors, en 1638, comportait 800 paroisses groupées en quatorze archiprêchés. Le clergé était très nombreux mais souffrait des abus qui s'y s’étaient glissés. Certains pasteurs ne venaient dans leur paroisse que pour y percevoir les bénéfices, mais ils vivaient ailleurs. Parallèlement, une autre catégorie de prêtres vivait dans des conditions financières difficiles, surtout les vicaires. Enfin, et c’est peut-être le plus grave, ce clergé n’avait reçu qu’une formation morale ou intellectuelle embryonnaire. Les curés négligeaient leurs devoirs car ils ne les connaissaient pas, victimes d’une époque de violence et d’une ambiance de laisser-aller… Car la violence régnait partout: contexte social explosif, guerres de religion, révoltes des protestants, récoltes dévastées, vignes et arbres arrachés, maisons brûlées, et puis la peste... Les ruines s’étaient accumulées, et les édifices du culte n’avaient pas été épargnés: quand elles existaient encore, les églises étaient devenues des granges ou des magasins. Pour compléter ce sombre tableau, il faut ajouter les ruines familiales: libertinage, infidélité conjugale, etc. L’ignorance religieuse était totale, et pourtant, dans ces ruines, la foi restait vive...

De par sa naissance, Mgr de Solminihac était un grand Seigneur: évêque, baron et comte de Cahors. Ses droits étaient très importants, mais Alain, n’oublia jamais qu’il était religieux, et son épiscopat fut un des plus prestigieux de l’époque. Il continuait à mener une vie simple et vraiment monacale. Au fil des années, Alain augmentera son temps d'oraison, la prière étant la force qui lui permettait d'accomplir son travail, et cela d'autant plus que, comme il avait réformé son abbaye, il allait, après le synode d'avril 1638, entreprendre la réforme de son diocèse.

La réforme ne se mit en place que lentement, et Alain dut lutter pendant longtemps contre l’incurie intellectuelle du clergé, ses abus et ses infractions. Sa sévérité ne fut pas du goût de tout le monde, et les plaintes, les procès contre Mgr Alain se multiplièrent. Mais l’évêque tint bon : “Je dépenserai plutôt tout mon revenu que de souffrir en mon diocèse les vices du clergé. Si le parlement ne me fait pas justice, j’irai me jeter aux pieds du Roi pour la lui demander.” Dans le diocèse de Cahors, un nouveau clergé allait naître. Trois objectifs furent décidés par Alain pour ses prêtres: la vie spirituelle du prêtre, la vie morale et la pastorale. Par ailleurs, l'adoration du Saint Sacrement était particulièrement chère à Alain. Sans heurt, Mgr Alain mettait en œuvre la réforme tridentine. Et les fruits intellectuels furent nombreux: les curés se mirent à relire l’Écriture, les Pères de l’Église et les décrets du Concile de Trente. Un livre relativement récent fut vivement conseillé: “L’Introduction à la vie dévote” de François de Sales. Enfin, pour établir l’unité dans son clergé, Mgr Alain fonda la confrérie du Saint-Esprit.

Mais il fallait aussi, d’urgence, renouveler la foi chrétienne de son peuple: pour ce faire Mgr Alain mit en œuvre les missions paroissiales: il savait qu’il pouvait compter sur ses moines de Chancelade. Des équipes de six chanoines mirent tout en œuvre pour attirer les populations et rééduquer leur foi. À ses missionnaires Alain recommandait la pureté d’intention, le zèle pour la gloire de Dieu et surtout l’humilité. Tous les moyens devaient être mis en œuvre pour intéresser les foules, et les méthodes préconisées par Mgr Alain étonnent par leur modernité. À la fin de la mission, confessions et communions couronnaient ces riches journées paroissiales. Les résultats de ces missions furent considérables: après douze ans de fonctionnement, “les vieux et les jeunes depuis l’âge de cinq à six ans, savaient non seulement les commandements de Dieu et les mystères de notre foi qu’ils étaient obligés de savoir, mais encore en rendaient raison d’une façon qui ravissait d’admiration ceux qui le voyaient.” En effet, Mgr Alain avait fait diffuser un catéchisme facile à retenir et facile à réciter, car c'étaient des vers, et tout le monde les savait par cœur...

Dès le début de son épiscopat, conformément aux consignes du Concile de Trente, Mgr Alain avait manifesté son intention d’ouvrir un séminaire. Les oppositions furent nombreuses, mais, protégé par le Roi dès 1643, le séminaire de Mgr Alain allait se développer rapidement, et devenir un vrai lieu de formation spirituelle. Dans son séminaire, Mgr Alain insistait beaucoup sur la nécessité de l’oraison, cet exercice capital. Tous les quinze jours les séminaristes devaient se confesser, et travailler à leur véritable conversion. En 1659, le séminaire de Cahors comptait 60 séminaristes. Et le clergé du diocèse de Cahors avait reconquis sa dignité au sein du peuple de Dieu.

Notons ici que Mgr Alain de Solminihac eut à lutter contre le jansénisme et le calvinisme bien implantés dans la région. Mais grâce à sa sainteté et à son travail d'évangélisation, une grande partie de la noblesse et du peuple revint au catholicisme. On peut ajouter que la mystique d'Alain était proche des spiritualités de la Compagnie du Saint-Sacrement et de la Compagnie de la Passion, compagnies qui comptaient de nombreux amis de Mgr de Solminihac: le Père Suffren, Monsieur Vincent, Mr Olier, l’évêque de Limoges, etc...  Ces compagnies que Mgr Alain établit dans son diocèse dès 1639, lui furent d'une grande aide.

Nous devons bien comprendre, que pour réaliser une œuvre d'une telle ampleur, Mgr Alain de Solminihac eut à affronter de nombreuses épreuves. Évêque de Cahors et toujours Abbé de Chancelade, Alain devait assumer deux lourdes charges: poursuivre la réforme de plusieurs abbayes, et réformer son clergé. En 1651 la santé de Mgr Alain déclina dangereusement et on le crut perdu. Déjà on lui cherchait un successeur. Nous sommes en 1652. Mais peu à peu Mgr Alain reprit son rythme normal d’activité. Par ailleurs, le diocèse de Mgr Alain dut affronter les soubresauts de la Fronde (1649-1653) dont les habitants des campagnes furent les grandes victimes, des famines, et la peste bubonique à partir d'octobre 1652. À cela il faut ajouter, dès 1651,  les intrigues de toutes sortes dont fut victime Mgr Alain, car les réformes du clergé qu'il avait entreprises, dérangeaient certaines personnes et lésaient des intérêts. Ce qui mécontentait le plus de nombreux prêtres, c'était l'existence d'un séminaire. Monseigneur Alain confia un jour “que les calomnies les plus grandes ne lui faisaient pas plus d’impression qu’un fétu de paille qui tomberait sur son camail.” L’autorité de Mgr Alain sortit renforcée de cette grande épreuve.

Nous sommes en 1659... Mgr Alain qui pourtant paraissait sans force, voulut reprendre ses visites pastorales, mais sa dernière visite pastorale fut à Alvignac, le 26 septembre 1659. Mgr Alain accepta l’épreuve de sa retraite et de ses souffrances.  Le 8 décembre 1659, il monta à l’autel pour la dernière fois. Le 30 décembre 1659, à 22 heures, il était très mal. Se tournant vers son homme de chambre, il dit: “Je mourrai demain sur le midi.” Le lendemain matin, 31 décembre, vers 10 heures, Mgr Alain sortit de son oraison et annonça: “À midi, je serai consommé.” À tous ceux qui l’approchaient il murmurait: “J’achève mon sacrifice.” Quand l’horloge du château sonna les douze coups de midi, Alain s'en alla vers son Seigneur. Il avait 58 ans.

Alain de Solminihac avait un tempérament de feu: l’homme pouvait donc se montrer particulièrement irritable. Mais sous sa férule, son clergé s’améliora rapidement. De plus, il faut savoir qu'Alain de Solminihac, qui semblait, moralement et intellectuellement, une force de la nature était aussi un grand mystique. Quelques rares confidences échappées devant des proches collaborateurs ont dévoilé les secrets de son âme entièrement livrée au Roi des rois: Alain fut favorisé, déjà à Chancelade, de faveurs mystiques “rares et singulières.” Mystique, l’évêque de Cahors le fut, mais ce qui le guidait, toujours, c’était la volonté de Dieu. Alain de Solminihac se voulait image vivante de Jésus-Christ, “le très parfait exemplaire de toute sainteté”.

L’oraison était la respiration spirituelle, tant de l’abbé de Chancelade que de l’évêque de Cahors. Elle entretenait son activité et la conditionnait. Dans sa grande familiarité avec Dieu, Alain  recevait les lumières pour diriger son abbaye ou son diocèse et connaître le cœur de ses chanoines ou les difficultés de son clergé. “M’ôter l’oraison, ce serait m’ôter la vie”, ne cessait-il de dire. N'oublions pas non plus qu'Alain de Solminihac avait toujours eu une profonde dévotion envers la Très Saint Vierge Marie. Gentilhomme, il la considérait comme sa Dame et il s’était déjà mis sous sa protection, car, ”le meilleur moyen d’assurer son salut, c’est d’être serviteur de cette sainte Dame.”

D’un gentilhomme, faire un abbé réformateur, puis un évêque saint... les voies du Seigneur sont impénétrables et imprévisibles... Mais elles sont toujours admirables!

Alain de Solminihac a été béatifié le 4 octobre 1981.

Paulette Leblanc

Si vous voulez en savoir davantage sur Alain de Solminihac, cliquez sur  

http://nouvl.evangelisation.free.fr/alain_de_solminihac.htm

 

pour toute suggestion ou demande d'informations