Alain de Solminihac naquit le 25 novembre 1593 au
château de Belet, situé à une vingtaine de kilomètres à
l’ouest de Périgueux. Sa famille noble du Sarladais,
était restée fidèle au catholicisme, dans une région
très infiltrée par le protestantisme et dévastée par les
Guerres de religion. Alain, était le 3e
des garçons de la famille;
c'était
un garçon intelligent et séduisant, destiné à devenir un
gentilhomme accompli. Il fut donc initié à toutes les
disciplines mondaines de son rang: équita-tion, escrime,
danse, chasse, et bien sûr, les belles ma-nières. À
l’âge de dix-sept ans, c’était non seulement un jeune
homme à l’esprit chevaleresque et généreux, mais son
sens de l’honneur le poussait à s’engager au service du
Roi, parmi les chevaliers de l’Ordre de Malte. Mais le
Seigneur en avait décidé autrement.
Alain avait un oncle, Arnaud de Solminihac, qui était
Abbé de Chancelade. Afin que les bénéfices de l’abbaye
restent dans la famille, Arnaud se tourna vers les
en-fants de son frère. N’étant pas satisfait des deux
aînés, il fit appeler Alain. Les aptitudes du 3e
neveu plurent à l’oncle qui lui proposa sa charge, et
Alain accepta. Malheureusement Alain n’avait pas de
diplôme univer-sitaire. Il entra donc à l’université de
Cahors et devint bachelier en droit canon le 2 avril
1614. Le jour même il recevait la tonsure. Six mois plus
tard, les bulles de nomination d’Alain de Solminihac à
l’abbaye de Chan-celade étaient signées par le pape Paul
V. Quand Alain les reçut, il revêtit l’habit blanc des
chanoines réguliers de Saint-Augustin... et commença son
noviciat! Il avait 20 ans.
L'abbaye de Chancelade avait été fondée vers 1125. Le
temps, la Guerre de Cent Ans, l’occupation des lieux par
les Anglais, puis les guerres de religion l’avaient peu
à peu transformée en une abbaye exsangue et ruinée.
Arnaud de Chancelade, devenu Abbé en 1581, avait été
impuissant à la relever de ses ruines, et la vie
religieuse avait presque disparu. Quand Alain arriva à
Chance-lade, il n'y avait plus que trois religieux…
Alain, novice, commença rapidement sa formation. Il
était toujours fidèle à l’heure d’oraison, aux offices
et aux activités de l’abbaye. Le 15 juin 1615, il
devenait officiellement Abbé de Chancelade; le 19 mars
1616, il recevait les ordres mineurs, et le 28 juillet
se consacrait à Dieu.
Lentement, afin de ne pas soulever trop de résistances,
Alain commença à réformer son abbaye. Mais il ne pouvait
que constater son inexpérience et son manque de
connaissance des sciences ecclésiastiques. En
conséquence, il apprit d’abord le latin, puis, après
avoir été ordonné prêtre le 22 septembre 1618, il monta
à Paris pour parfaire ses études. Alain avait 25 ans. À
Paris, après ses cours, Alain suivait les sermons de
François de Sales. Autant qu'il le pouvait il
s’informait sur les usages monastiques de la région et
sur les expériences de réformes canoniales déjà
entreprises. Il se fit aussi des amis dont Monsieur
Vincent. Après un séjour de quatre ans à Paris, en
septembre 1622, Alain rentra à Chancelade.
Tout en continuant de
perfectionner la réforme entreprise, Alain de Solminihac
devait aussi penser à rebâtir son abbaye. Il n’hésitait
pas à mettre la main à la pâte et à transporter les
matériaux. Mais jamais il ne supprima les exercices
liturgiques ni les heures d’oraison. Il semble que vers
1633, l’ensemble était achevé. Où Alain trouva-t-il
l’argent nécessaire? L’exemple donné par l’abbé de
Chancelade était tel que bien des fermiers du voisinage,
qui avaient obtenu des protestants, à des prix très bas,
des terres ayant appartenu autrefois à l’abbaye, les
rendirent, pris de remords. La mise en place de la
réforme, conformément aux directives du Concile de
Trente se fit progressivement. Après 1630, à Chancelade,
les vocations se multiplièrent: de 1630 à 1636, l’abbé
reçut la profession de 46 novices, malgré la sévérité du
règlement mis en place. Notons ici qu'Alain veillait
avec un soin jaloux sur la beauté des offices,
“car, disait-il, le
Chœur, c’est l’honneur des chanoines, et les saints du
ciel sont dans une perpétuelle louange de Dieu, et c’est
un acte bien relevé.”
L’esprit de Chancelade était avant tout un esprit
d’amour et d’abandon à la volonté divine. Alain
précisait: “Une des choses qui empêchent le plus
notre avancement à la perfection, c’est de ne pas nous
abandonner entièrement à la volonté de Dieu et de ne pas
nous livrer entre les mains de la Providence paternelle
de Dieu qui a un soin incroyable de l’avancement de ceux
qui se sont libéralement abandonnés à sa bonté, et ne se
laisse jamais vaincre en libéralités, les comblant de
grâces et de lumières.” En un mot, l’esprit de la
réforme de l’abbé de Chancelade était un “esprit
d’amour...” Car, disait encore Alain: “Cet amour
nous donne un grand et efficace désir de nous y
perfectionner par la pratique de notre règle et
constitutions et dans l’esprit de notre institut... et
il n’y a rien de difficile à celui qui a un grand amour
de sa chère vocation.”
L’abbaye de Chancelade était devenue un centre
d’attraction spirituelle, d’une part en raison de la
beauté de ses offices, et d’autre part, de ses services:
sacrements, prédication, catéchismes, etc. En cas de
famine (ce qui était fréquent à cette époque), l’abbaye
se transformait en asile de charité. Car une des
principales fonctions des chanoines c’était
“l’assistance du prochain par le moyen de la prédication
de la parole de Dieu et des confessions...” L’abbé
Alain voulait que ses moines deviennent des apôtres, et
des apôtres à l’extérieur. Il voulait aussi insérer ses
religieux dans le ministère paroissial, pour qu’ils
vivent avec le peuple et pour le peuple. Une difficulté
particulière dut être surmontée, qui aurait pu ruiner sa
réforme. L’abbé ne devait plus être nommé de
l’extérieur, par des personnes n’appartenant pas à
l’abbaye. Pour éviter toutes les influences extérieures,
Alain choisit le retour à la tradition: il rendit son
abbaye élective par le chapitre des chanoines. Les
formalités étant complexes, Alain confia sa démarche à
la Vierge Marie, et il eut gain de cause.
En
1628, à la demande du Père Joseph, éminence grise de
Richelieu, l’abbé de Chancelade entreprit des visites
canoniales dans les abbayes du Limousin et de
l’Aquitaine. Les désastres étaient grands... et, au
milieu de la décadence générale que l’on pouvait
constater, seule l’abbaye de Chancelade rayonnait.
Bientôt elle pourrait envoyer des groupes de ses
chanoines dans les maisons qui en avaient besoin et qui
étaient prêtes à accueillir les réformes. L’abbaye de La
Couronne en fut la première bénéficiaire, et elle devint
rapidement pour Angoulême ce que Chancelade était pour
Périgueux. Ensuite vinrent Saint Gérald, de Limoges,
puis Sablonceaux, non loin de Saintes. À Pébrac aussi,
la réforme devenait urgente et Mr Olier, Fondateur des
Sulpiciens, sollicitait l’abbé de Chancelade. Hélas!, ce
fut un échec, tant les religieux se montrèrent
récalcitrants... Le mouvement de réforme était lancé,
mais, victime de mesures de ségrégation, l'œuvre de
Chancelade risquait d'être menacée.
Un soir d’avril 1636, un
courrier royal annonça à Alain de Solminihac sa
nomination au siège épiscopal de Lavaur. L’abbé de
Chancelade fut grandement consterné. Il écrivit à
Richelieu pour lui signaler son refus. “Abbé il
était, abbé il voulait rester: telle était sa vocation.”
Le Roi refusa son refus et le choisit pour l’évêché de
Cahors. Alain n’avait échappé à Lavaur que pour se voir
promu au siège plus important de Cahors. Alain résista
longtemps, mais Louis XIII étant prêt à entreprendre des
démarches à Rome, Alain finit par s’incliner: c’était la
volonté de Dieu. Mais Alain n’oublia jamais qu’il était
d’abord un religieux et poursuivit sa vie d’ascète, car,
dit-il un jour :
“On n’est pas évêque pour
chercher ses plaisirs, mais pour porter dans son corps
la mortification du Christ.”
Alain commença son apprentissage d’évêque. Il recevait
ses prêtres avec bonté, en réprimant parfois une
certaine irritation, car plusieurs vinrent en habit
civil... Il reçut aussi les notables... et il apprit
beaucoup sur la situation de son diocèse et sur les
besoins les plus urgents. Le diocèse de Cahors, en 1638,
comportait 800 paroisses groupées en quatorze
archiprêchés. Le clergé était très nombreux mais
souffrait des abus qui s'y s’étaient glissés. Certains
pasteurs ne venaient dans leur paroisse que pour y
percevoir les bénéfices, mais ils vivaient ailleurs.
Parallèlement, une autre catégorie de prêtres vivait
dans des conditions financières difficiles, surtout les
vicaires. Enfin, et c’est peut-être le plus grave, ce
clergé n’avait reçu qu’une formation morale ou
intellectuelle embryonnaire. Les curés négligeaient
leurs devoirs car ils ne les connaissaient pas, victimes
d’une époque de violence et d’une ambiance de
laisser-aller… Car la violence régnait partout: contexte
social explosif, guerres de religion, révoltes des
protestants, récoltes dévastées, vignes et arbres
arrachés, maisons brûlées, et puis la peste... Les
ruines s’étaient accumulées, et les édifices du culte
n’avaient pas été épargnés: quand elles existaient
encore, les églises étaient devenues des granges ou des
magasins. Pour compléter ce sombre tableau, il faut
ajouter les ruines familiales: libertinage, infidélité
conjugale, etc. L’ignorance religieuse était totale, et
pourtant, dans ces ruines, la foi restait vive...
De
par sa naissance, Mgr de Solminihac était un grand
Seigneur: évêque, baron et comte de Cahors. Ses droits
étaient très importants, mais Alain, n’oublia jamais
qu’il était religieux, et son épiscopat fut un des plus
prestigieux de l’époque. Il continuait à mener une vie
simple et vraiment monacale. Au fil des années, Alain
augmentera son temps d'oraison, la prière étant la force
qui lui permettait d'accomplir son travail, et cela
d'autant plus que, comme il avait réformé son abbaye, il
allait, après le synode d'avril 1638, entreprendre la
réforme de son diocèse.
La
réforme ne se mit en place que lentement, et Alain dut
lutter pendant longtemps contre l’incurie intellectuelle
du clergé, ses abus et ses infractions. Sa sévérité ne
fut pas du goût de tout le monde, et les plaintes, les
procès contre Mgr Alain se multiplièrent. Mais l’évêque
tint bon : “Je dépenserai plutôt tout mon revenu que
de souffrir en mon diocèse les vices du clergé. Si le
parlement ne me fait pas justice, j’irai me jeter aux
pieds du Roi pour la lui demander.” Dans le diocèse
de Cahors, un nouveau clergé allait naître. Trois
objectifs furent décidés par Alain pour ses prêtres: la
vie spirituelle du prêtre, la vie morale et la
pastorale. Par ailleurs, l'adoration du Saint Sacrement
était particulièrement chère à Alain. Sans heurt,
Mgr Alain mettait en œuvre la réforme tridentine. Et les
fruits intellectuels furent nombreux: les curés se
mirent à relire l’Écriture, les Pères de l’Église et les
décrets du Concile de Trente. Un livre relativement
récent fut vivement conseillé: “L’Introduction à la
vie dévote” de François de Sales. Enfin, pour
établir l’unité dans son clergé, Mgr Alain fonda la
confrérie du Saint-Esprit.
Mais
il fallait aussi, d’urgence, renouveler la foi
chrétienne de son peuple: pour ce faire Mgr Alain mit en
œuvre les missions paroissiales: il savait qu’il pouvait
compter sur ses moines de Chancelade. Des équipes de six
chanoines mirent tout en œuvre pour attirer les
populations et rééduquer leur foi. À ses missionnaires
Alain recommandait la pureté d’intention, le zèle pour
la gloire de Dieu et surtout l’humilité. Tous les moyens
devaient être mis en œuvre pour intéresser les foules,
et les méthodes préconisées par Mgr Alain étonnent par
leur modernité. À la fin de la mission, confessions et
communions couronnaient ces riches journées
paroissiales. Les résultats de ces missions furent
considérables: après douze ans de fonctionnement,
“les vieux et les jeunes depuis l’âge de cinq à six ans,
savaient non seulement les commandements de Dieu et les
mystères de notre foi qu’ils étaient obligés de savoir,
mais encore en rendaient raison d’une façon qui
ravissait d’admiration ceux qui le voyaient.” En
effet, Mgr Alain avait fait diffuser un catéchisme
facile à retenir et facile à réciter, car c'étaient des
vers, et tout le monde les savait par cœur...
Dès
le début de son épiscopat, conformément aux consignes du
Concile de Trente, Mgr Alain avait manifesté son
intention d’ouvrir un séminaire. Les oppositions furent
nombreuses, mais, protégé par le Roi dès 1643, le
séminaire de Mgr Alain allait se développer rapidement,
et devenir un vrai lieu de formation spirituelle. Dans
son séminaire, Mgr Alain insistait beaucoup sur la
nécessité de l’oraison, cet exercice capital. Tous les
quinze jours les séminaristes devaient se confesser, et
travailler à leur véritable conversion. En 1659, le
séminaire de Cahors comptait 60 séminaristes. Et le
clergé du diocèse de Cahors avait reconquis sa dignité
au sein du peuple de Dieu.
Notons ici que Mgr Alain de Solminihac eut à lutter
contre le jansénisme et le calvinisme bien implantés
dans la région. Mais grâce à sa sainteté et à son
travail d'évangélisation, une grande partie de la
noblesse et du peuple revint au catholicisme. On peut
ajouter que la mystique d'Alain était proche des
spiritualités de la Compagnie du Saint-Sacrement et de
la Compagnie de la Passion, compagnies qui comptaient de
nombreux amis de Mgr de Solminihac: le Père Suffren,
Monsieur Vincent, Mr Olier, l’évêque de Limoges, etc...
Ces compagnies que Mgr Alain établit dans son diocèse
dès 1639, lui furent d'une grande aide.
Nous
devons bien comprendre, que pour réaliser une œuvre
d'une telle ampleur, Mgr Alain de Solminihac eut à
affronter de nombreuses épreuves. Évêque de Cahors et
toujours Abbé de Chancelade, Alain devait assumer deux
lourdes charges: poursuivre la réforme de plusieurs
abbayes, et réformer son clergé. En 1651 la santé de Mgr
Alain déclina dangereusement et on le crut perdu. Déjà
on lui cherchait un successeur. Nous sommes en 1652.
Mais peu à peu Mgr Alain reprit son rythme normal
d’activité. Par ailleurs, le diocèse de Mgr Alain dut
affronter les soubresauts de la Fronde (1649-1653) dont
les habitants des campagnes furent les grandes victimes,
des famines, et la peste bubonique à partir d'octobre
1652. À cela il faut ajouter, dès 1651, les intrigues
de toutes sortes dont fut victime Mgr Alain, car les
réformes du clergé qu'il avait entreprises, dérangeaient
certaines personnes et lésaient des intérêts. Ce qui
mécontentait le plus de nombreux prêtres, c'était
l'existence d'un séminaire. Monseigneur Alain confia un
jour “que les calomnies les plus grandes ne lui
faisaient pas plus d’impression qu’un fétu de paille qui
tomberait sur son camail.” L’autorité de Mgr Alain
sortit renforcée de cette grande épreuve.
Nous
sommes en 1659... Mgr Alain qui pourtant paraissait sans
force, voulut reprendre ses visites pastorales, mais sa
dernière visite pastorale fut à Alvignac, le 26
septembre 1659. Mgr Alain accepta l’épreuve de sa
retraite et de ses souffrances. Le 8 décembre 1659, il
monta à l’autel pour la dernière fois. Le 30 décembre
1659, à 22 heures, il était très mal. Se tournant vers
son homme de chambre, il dit: “Je mourrai demain sur
le midi.” Le lendemain matin, 31 décembre, vers 10
heures, Mgr Alain sortit de son oraison et annonça:
“À midi, je serai consommé.” À tous ceux qui
l’approchaient il murmurait: “J’achève mon
sacrifice.” Quand l’horloge du château sonna les
douze coups de midi, Alain s'en alla vers son Seigneur.
Il avait 58 ans.
Alain de Solminihac avait un tempérament de feu: l’homme
pouvait donc se montrer particulièrement irritable. Mais
sous sa férule, son clergé s’améliora rapidement. De
plus, il faut savoir qu'Alain de Solminihac, qui
semblait, moralement et intellectuellement, une force de
la nature était aussi un grand mystique. Quelques rares
confidences échappées devant des proches collaborateurs
ont dévoilé les secrets de son âme entièrement livrée au
Roi des rois: Alain fut favorisé, déjà à Chancelade, de
faveurs mystiques “rares et singulières.”
Mystique, l’évêque de Cahors le fut, mais ce qui le
guidait, toujours, c’était la volonté de Dieu. Alain de
Solminihac se voulait image vivante de Jésus-Christ,
“le très parfait exemplaire de toute sainteté”.
L’oraison était la respiration spirituelle, tant de
l’abbé de Chancelade que de l’évêque de Cahors. Elle
entretenait son activité et la conditionnait. Dans sa
grande familiarité avec Dieu, Alain recevait les
lumières pour diriger son abbaye ou son diocèse et
connaître le cœur de ses chanoines ou les difficultés de
son clergé. “M’ôter l’oraison, ce serait m’ôter la
vie”, ne cessait-il de dire. N'oublions pas non plus
qu'Alain de Solminihac avait toujours eu une profonde
dévotion envers la Très Saint Vierge Marie. Gentilhomme,
il la considérait comme sa Dame et il s’était
déjà mis sous sa protection, car, ”le meilleur moyen
d’assurer son salut, c’est d’être serviteur de cette
sainte Dame.”
D’un
gentilhomme, faire un abbé réformateur, puis un évêque
saint... les voies du Seigneur sont impénétrables et
imprévisibles... Mais elles sont toujours admirables!
Alain de Solminihac a été béatifié le 4 octobre 1981.
Paulette Leblanc
Si
vous voulez en savoir davantage sur Alain de Solminihac,
cliquez sur
http://nouvl.evangelisation.free.fr/alain_de_solminihac.htm |