Quatrième partie

Méditations préparatoires à la Grande Passion du Christ

6
Le centurion

Jésus et le soldat romain

Pilate a livré Jésus aux juifs, pour être crucifié, mais crucifié par des soldats romains, ou à la solde des romains. Jésus a été chargé de sa croix: le long chemin vers le Calvaire est commencé. Pour que le spectacle soit complet, et pour gagner du temps, deux autres condamnés, de droit commun ceux-là, seront crucifiés avec Lui et comme Lui. Jésus devait être mis au rang des malfaiteurs...

Jésus, chargé de sa croix, marche lentement: il n’a plus les forces suffisantes pour avancer sur son chemin du supplice. L’agonie et la sueur de sang l’ont beaucoup affaibli. La flagellation et le couronnement d’épines l’ont presque totalement vidé de son sang. La Croix est beaucoup trop lourde, et Jésus tombe.

Jésus est tombé sous le poids de sa croix. Alors la foule hurlante se rue sur Lui pour Le bourrer de nouveaux coups; des fanatiques Lui jettent des pierres, celles qu’ils n’avaient pas pu lancer quelques mois auparavant. Le corps de Jésus frémit sous la douleur aiguë des pierres qui tailladent ses chairs déjà tellement déchirées. Les soldats lancent de féroces coups de pieds pour que le condamné se relève plus vite; mais Jésus ne peut pas se relever...

Le centurion romain contemple ce spectacle. Jamais, de toute sa vie qui ne fut pas très tendre, il n’avait jamais vu çà: un homme souffrir autant, avec une telle dignité, et sans se plaindre, sans dire un seul mot ou laisser échapper un seul gémissement. Pourtant, lui, centurion romain, il en a vu mourir des condamnés, il en a entendu hurler et blasphémer des êtres encore ignobles et abjects même au seuil de la mort. Aujourd’hui, le centurion romain est dépassé: il ne comprend pas, et il regarde Jésus, Jésus allongé sous le bois. Et soudain son cœur pleure: l’homme dur a pitié.

Le centurion romain a pitié de Jésus et il commence par chasser la foule hurlante et insultante. Il chasse la foule à sa façon à lui, d’homme dur, de soldat habitué à utiliser l’épée et toutes sortes d’autres armes. La foule apeurée quitte sa proie et le centurion reste seul près de Jésus. Le centurion a pitié, mais il doit accomplir sa tâche, jusqu’au bout, comme tous les soldats romains ont appris à le faire. Alors, le centurion romain appelle trois soldats, de ceux qui sont sous ses ordres, et à qui il peut dire: ”Fais ceci, et il le fait, fais cela, et il le fait.”

Jésus est de nouveau debout, et le chemin vers le lieu du supplice final peut reprendre.

Le corps de Jésus n’est plus qu’une partition de souffrances. Il est debout, mais il ne peut avancer que très lentement, trop lentement pour les membres du Sanhédrin qui s’impatientent en pensant que dans quelques heures c’est la grande Pâque des juifs, le Sabbat solennel, et qu’ils doivent se garder purs... Alors les hurlements reprennent, les invectives pleuvent. Malgré les soldats qui entourent Jésus, on réussit à atteindre le condamné et à le faire tomber, une nouvelle fois. Des hystériques gesticulent pour mieux injurier l’homme qui meurt... Car Jésus meurt... mais Jésus ne doit pas mourir, car on ne crucifie jamais un cadavre. Jésus doit être crucifié vivant!...

Encore une fois le centurion intervient: il cherche dans la foule quelqu’un qui pourrait porter la croix. Tiens! voici un homme de rien, un de ces étrangers égarés là, probablement un descendant d’esclaves: de gré ou de force, il fera l’affaire. Mais l’homme se défend: il n’est ni malfaiteur, ni esclave, ni...

Que se passe-t-il ? Pendant que le centurion romain s’agite auprès du Cyrénéen récalcitrant, une femme a réussi à s’approcher de Jésus. Il ne manquait plus que çà! La femme s’agenouille; doucement, presque tendrement, elle nettoie la face de Jésus et lui murmure quelques mots. Le centurion romain n’en revient pas: c’est la première fois qu’il voit une femme s’approcher d’un condamné à mort entouré de gens hurlant à la mort!!! Mais qui est donc ce Jésus qui suscite à la fois tant de haine et tant d’amour ?

Grâce à quelques bourrades bien placées, Simon de Cyrène a été convaincu: il va aider ce condamné de droit commun, ce bandit qu’il ne connaît pas! Mais il lui fera sentir, à ce malotru, que Simon n’aime pas les condamnés à mort, que lui, au moins, il est un homme honnête et que c’est contraint et forcé qu’il va prendre le bois maudit. Ah! il va voir ce qu’il va voir!...

Pendant qu’il s’avançait en traînant les pieds, quelqu’un dit à Simon :

– Va, mon ami, cet homme, c’est Jésus de Nazareth, le prophète qui nous a fait tant de bien. Nos chefs ne veulent pas de Lui parce qu’Il nous demande de nous aimer les uns les autres.

Simon n’insiste plus; il va vers Jésus, en hâte. Il se souvient que l’an dernier, son petit fils a été guéri par ce même Jésus que l’on martyrise aujourd’hui, devant lui. Le centurion romain regarde  Jésus et l’homme qui se charge du bois, de plus en plus étonné devant le brusque changement d’attitude du Cyrénéen.

Le centurion romain avance, devenu pensif. Les condamnés sont arrivés au sommet du Calvaire et, lui, chef de la centurie, il doit donner l’ordre des trois crucifixions. Et il doit assister au spectacle, jusqu’au bout: c’est la loi. Comme à l’ordinaire, les deux premiers condamnés, les bandits bien connus et redoutés des romains, se comportent normalement, en criant, en hurlant toutes les imprécations habituelles. Mais Jésus se tait toujours. Seule quelques larmes, qui semblent contenir toute la souffrance du monde, coulent sur ses pauvres joues blessées et maculées de crachats. Et le centurion romain ne comprend pas, et son cœur se serre, et furtivement il essuie les larmes indiscrètes qui se sont échappées de ses yeux.

Tout est terminé. Jésus est crucifié... Au pied de la Croix, se trouve un jeune homme: probablement un jeune frère. Il y a aussi deux femmes qui sanglotent: la mère et une prostituée que lui, le soldat de l’Empereur, avait connue autrefois... Le centurion romain laisse faire... 

On approche de la neuvième heure. Le ciel se couvre: un orage menace. Mais la nuit qui survient n’est pas normale: aucun orage n’a jamais provoqué des ténèbres aussi profondes que celles qui, maintenant, envahissent les lieux. Et ces grondements sourds, et ce tremblement de terre? Tout le monde a fui autour des condamnés à mort, autour des crucifiés qui meurent lentement. Le centurion romain a peur, mais il doit rester là, en faction: c’est son devoir de soldat romain.

Sans s’en rendre compte, le centurion romain s’est rapproché de la Croix de Jésus. Il entend vaguement quelques paroles que Jésus articule difficilement, puis c’est le grand cri, le cri déchirant  qui traverse l’espace et fait frémir la terre...

Le centurion romain n’a pas bronché: un soldat romain ne doit pas quitter son poste... Mais bouleversé, le centurion romain s’écrie:

– Vraiment ! Celui-ci était le Fils de Dieu !

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