Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Quatrième partie

La pédagogie de Saint-Jean Baptiste De La Salle

8
La spiritualité des Frères et la pédagogie de la vie spirituelle:
la méditation et l’oraison

 

Afin de donner aux Frères les moyens d'accomplir leur difficile mission, leur Fondateur s'appliqua à développer en eux une forte vie spirituelle, fondée surtout sur la méditation et l'oraison. En effet, de ses maîtres pauvres, Jean-Baptiste voulait faire des hommes de Dieu. Les exercices communautaires les mettaient déjà dans le bain de prière nécessaire pour apprendre le silence, le recueillement et prier vocalement; mais il fallait aller plus loin: méditer et s’unir à Dieu par l’oraison et le désir de faire la volonté de Dieu. Mais comment méditer? Comment faire oraison? Qu’est-ce que l’union à Dieu? Et comment s’unir à Dieu?

Pour répondre à ces questions essentielles, Jean-Baptiste De La Salle donnera à ses maîtres plusieurs méthodes pour méditer correctement. Mais les méthodes ne peuvent être valables que si l’intéressé est en mesure de choisir les sujets qui le rapprocheront de Dieu. Tout le monde sait que souvent l’esprit est vide et ne sait pas sur quoi méditer. Aussi, en bon Fondateur et bon père, Jean-Baptiste, après avoir donné des méthodes, développera-t-il de nombreux sujets faciles et à la portée de tous les hommes de bonne volonté, qui permettront ensuite aux Frères de poursuivre leur chemin sur les routes qui leur auront été ouvertes.

8-1-Les différentes formes de prières

Vrai pédagogue, Jean-Baptiste De La Salle ne peut s’empêcher de faire à ses Frères un véritable cours sur la prière. Nous en donnons ici les grandes lignes:

La prière du cœur se nomme ordinairement prière ou oraison mentale, c’est-à-dire de l’esprit, parce que le corps n’y a point de part... Une des meilleures manières de prier Dieu de cœur est de le prier par ses souffrances, et cela se fait lorsqu’on supporte avec patience les peines que Dieu nous envoie, avec intention de lui faire honneur, ou de se procurer quelque avantage, soit spirituel, soit temporel... Quand on nous fait quelque peine, quelque tort, ou quelque injustice, nous devons faire trois choses. Premièrement adorer la justice de Dieu sur nous. Deuxièmement adorer la patience de Notre-Seigneur Jésus-Christ et lui en demander quelque part. Troisièmement demander à Dieu la grâce de regarder ce tort comme un avantage pour nous et un bien pour notre salut.

La prière de bouche se nomme prière ou oraison vocale, parce qu’elle se fait avec la voix et la parole... Dès qu’on s’éveille, il faut penser à Dieu, puisque Dieu pense toujours à nous. Il faut alors s’offrir à Dieu et lui consacrer tout le temps et toutes les actions de la journée... Lorsqu’on veut entreprendre quelque affaire il faut prier Dieu de la conduire selon sa sainte volonté, et de ne pas permettre qu’on fasse quoi que ce soit qui ne lui soit agréable.(DA 405)

Il est aussi à propos de faire de temps en temps et dans différentes occasions qui se présentent des actes de vertus chrétiennes comme de foi... d’amour de Dieu lorsqu’on le verra offensé; de respect pour Dieu et de louange de son saint nom quand quelqu’un le blasphémera... d’espérance et de confiance en Dieu lorsqu’on se verra abandonné de ses plus grands amis ou même de tout le monde; d’humilité lorsqu’on nous aura fait quelque affront, ou de résignation à la volonté de Dieu quand il nous sera arrivé quelque chose de fâcheux; ou enfin quelque autre acte que ce soit qui nous porte à Dieu. (DA 405)

8-2-La liturgie

8-2-1- La préparation

La liturgie sera pour Jean-Baptiste De La Salle un point de départ idéal pour l'enseignement des Frères. Ainsi, à partir de la liturgie de tous les dimanches de l’année, depuis le premier dimanche de l’Avent jusqu’au 23ème dimanche après la Pentecôte, il a réussi à bâtir une vaste et très pratique spiritualité[1].

Il faut d'abord préparer son cœur en allant au désert, comme Jésus, et en se convertissant. On commencera par reconnaître ses fautes et on fera pénitence, parce que la pénitence lave et purifie l’âme des péchés dont elle est souillée. Le roi David, pénitent, était bien persuadé que les souillures d’une âme pécheresse ne peuvent se laver que par les larmes qui prennent leur source dans un cœur humble et contrit.

Quelles sont les dispositions pour bien entendre la messe? Naturellement, il ne faut pas être en état de péché mortel. Mais il y a des dispositions qui produisent de grands fruits: il faut avoir l’âme dégagée de toute affection, même au moindre péché.

Ensuite, il faut s’unir au prêtre dans toutes les prières afin d’offrir avec lui ce sacrifice selon l’intention de l’Église... Les chrétiens ne doivent paraître au saint sacrifice qu’avec une très grande modestie et une très profonde humilité... Ils doivent aller à ce grand sacrifice avec les mêmes sentiments avec lesquels Jésus-Christ s’y offre comme victime à son Père...

Et Jean-Baptiste de conclure: On a jugé à propos d’instruire d’abord les fidèles, donc les Frères, sur les cérémonies de la sainte messe que presque tout le monde ignore... (I[2], 1)

Des rappels sur la doctrine et la discipline, sur la nécessité de bien se préparer à la communion sont toujours nécessaires. À ce propos, Jean-Baptiste énumère les principales dispositions pour recevoir Jésus dans la sainte communion. Ce sont: une grande pureté intérieure, un ardent amour pour Jésus, une dévotion tendre à lui rendre ses devoirs et une affection toute particulière pour la vertu. Mais, tout cela l’âme ne peut que le demander, et comment même le demander, si Dieu ne donne pas son esprit de prière, qui est son divin Esprit, lequel veut bien prier en elle?

Et Jean-Baptiste d’implorer: Vous voyez, ô mon Dieu, ce que je puis, et que je ne puis pas plus que je ne suis, rien devant vous et en votre présence; et ainsi toute la préparation que je puis apporter pour vous recevoir dans cet adorable sacrement, est de vous dire: mon cœur est prêt, Seigneur, pour recevoir vos grâces; purifiez-le vous-même... Faites qu’il n’y ait plus dans mon esprit que de saintes pensées, ni dans mon cœur que de saintes affections; qu’il ne sorte de ma bouche que des paroles saintes, et que je me mette en état de ne plus faire d’actions qui ne vous soient tout à fait agréables... (I,6)

8-2-3-Oui, le cœur de Jean-Baptiste De La Salle est vraiment prêt

Seigneur, puisque rien ne peut être caché à vos yeux, voyez jusqu’au fond ce qu’il y a de défectueux, afin que votre puissance et votre bonté jointes ensemble l’en purgent entièrement, et qu’ensuite je puisse vous le présenter, en vous disant avec toute l’humilité et la confiance possibles: mon cœur est prêt, Seigneur, il est prêt à recevoir vos profusions et tous les bienfaits que vous voulez lui faire; comme il est le lieu de votre demeure, il est bien juste que vous l’orniez vous-même et que vous le rendiez digne de vous posséder, ou, au moins, qu’il n’y ait rien qui soit capable de vous dégoûter de lui... (I, 6) Faites-moi goûter, divin Jésus, combien vous êtes doux à une âme qui vous possède et que vous possédez en me faisant part de ce qui est en vous et de ce que vous êtes, en sorte que je puisse dire que tout ce qui est à vous est à moi... Ô Jésus, époux de mon âme, souffrez que je vous prie, avec l’épouse sacrée du Cantique[3], de me donner un baiser de votre bouche, c’est-à-dire des marques intérieures de votre tendresse... (I 6, 23 et 24)

Sauveur débonnaire, mon aimable époux,
Qu’est-ce qu’il faut faire pour n’aimer que vous?
Ma plus grande envie c’est de vous aimer
Et passer ma vie sans vous offenser.
(CB 8, 70)

8-2-4-La conversion

En conséquence Jean-Baptiste De La Salle conseille à ses Frères:

Faites pénitence et convertissez-vous, afin que vos péchés soient pardonnés... C’est par le moyen de cette vertu, que les Ninivites, qui avaient irrité le Ciel par leurs dérèglements, firent changer à Dieu la sentence qu’il avait rendue contre eux de détruire leur ville... Comme dit saint Jérôme, Dieu fait encore tous les jours aux hommes les menaces qu’il a faites aux Ninivites, afin qu’elles engagent de même ceux qui restent sur la terre à faire pénitence... Ce sera aussi par la même voie que vous rentrerez en grâce avec Notre-Seigneur et que, selon saint Pierre, vous recevrez le don du saint Esprit qui vous rendra stables dans le bien, par sa demeure en vous....

Il faut aussi particulièrement craindre le jugement dernier; et Jean-Baptiste de citer Saint Éphrem, lequel dit que ce jour-là toutes les créatures seront pénétrées d’effroi...

Et puis ajoute Jean-Baptiste: comment ne craindrions-nous pas les jugements de Dieu, puisque tous les grands saints, malgré leur sainteté éminente, n’ont pas laissé que de les craindre? Puis il insiste longuement sur l’obligation d’assister à la sainte messe tous les dimanches et tous les jours de fête. (I, 2)

C’est trop, c’est trop sentir ces cruelles tortures,
Je ne veux plus souffrir le règne du péché,
J’ai porté trop de fers, j’ai par trop de blessures,
Mon mal est trop cuisant pour le tenir caché,
La douleur des maux qui me touchent
M’arrache les sanglots, les plaintes de la bouche.
(CA 2, 20)

8-3-La confession

La question précédente concernant la sainte messe pourrait être soigneusement reprise pour tout ce qui concerne la confession. Qui sait encore se confesser correctement de nos jours? Ne devrions-nous pas entendre les plaintes de Jean-Baptiste De La Salle? De tous les chrétiens qui reçoivent le sacrement de pénitence, il y en a bien peu qui le sachent faire, et à peine en trouve-t-on quelques-uns qui se confessent tout à fait bien... Pourtant, se lamente Jean-Baptiste De La Salle: 

La pratique du sacrement de pénitence, qu’on nomme ordinairement la confession, est l’action la plus importante de la religion... Les chrétiens ne conçoivent pas combien il est difficile à l’homme de retourner à Dieu, après qu’il s’en est éloigné par ses dérèglements, vue la grande inclination qu’il a au péché; et combien la pénitence, pour être véritable et sûre, demande de dispositions... Tout d’abord, il faut se donner beaucoup de peine et prendre tout le soin possible pour s’y préparer. (I, 2)

Et afin d’aider les chrétiens qui désirent se confesser correctement, Jean-Baptiste De La Salle a tout prévu:

On a dressé les prières pour la confession de telle manière qu’elles sont aussi des instructions des choses les plus nécessaires à savoir et à pratiquer touchant le sacrement de pénitence... (I, 3) 

8-4-Le choix des thèmes de méditation

8-4-1-Il faut, avant tout, respecter la vérité et les conseils de l’Évangile

Jean-Baptiste De La Salle recommande à ses Frères de “laisser aux savants les disputes savantes et le soin de réfuter les hérésies et de confondre les hérétiques. Pour nous, dit-il, ne parlons que de la doctrine commune de Jésus-Christ... Jésus est venu nous annoncer les vérités saintes sur lesquelles est bâtie la morale chrétienne; il faut s’engager à les bien pratiquer après les avoir longuement méditées. C’est une obligation indispensable de mettre ces maximes en pratique si l’on veut être sauvé... Et Jean-Baptiste De La Salle de regretter qu’il y ait trop de chrétiens qui se persuadent que tous ces articles ne sont que de perfection, quoique Jésus-Christ les ait prêchés comme autant de pratiques, de nécessité de moyen pour le salut. (MD, 5)

Au passage, Jean-Baptiste De La Salle n’hésite pas à donner un conseil pédagogique: on n’enseigne bien que ce que l’on connaît bien, conseil sur lequel il a longtemps médité: comme vous devez enseigner tous les jours la doctrine des saints apôtres et de Jésus-Christ même, vous êtes obligés de la bien apprendre, afin de la posséder parfaitement, et de faire, par ce moyen, de vos élèves de véritables disciples de Jésus-Christ (MF 116)

8-4-2-Instructions et prières

Étonnant! Déjà à son époque, Jean-Baptiste De La Salle constate que peu de personnes assistent à la messe avec piété et très peu sont instruites de la manière de la bien entendre. C’est ce qui a donné lieu de dresser ces instructions et ces prières, afin d’apprendre aux fidèles tout ce qui regarde ce saint sacrifice, et de leur donner moyen de s’y occuper saintement et utilement... Et Jean-Baptiste de préciser la structure de son ouvrage: on a fait en sorte d’insérer dans ces prières des instructions et des pratiques chrétiennes: des instructions pour éclairer l’esprit de plusieurs vérités qui sont peu connues; et des pratiques chrétiennes pour être mises en usage et en exercice pendant le jour.

Jean-Baptiste De La Salle passe alors en revue les évènements qui se déroulent pendant la messe et qui la constituent; ensuite il explique toutes les prières qui y sont dites. Tout ce qu’un fidèle peut comprendre est abordé. Il n’est évidemment pas possible de citer tous les thèmes qui constituent le déroulement de la pensée de l’auteur, mais il a semblé utile de rapporter deux points essentiels. Car, ce sacrifice donne le moyen de rendre grâces à Dieu de ses bienfaits, de la manière la plus parfaite dont on puisse le faire, en lui offrant son propre Fils... Ce sacrifice délivre les âmes qui souffrent dans le Purgatoire, ou il diminue leurs peines...

Remarque pour notre XXIe siècle:

Jean-Baptiste De La Salle rappelle aussi la signification des objets utilisés, des grandes prières et des lectures, ainsi que de tous les gestes faits par le prêtre. Quelques rites, peu nombreux, ont été modifiés depuis le XVIIème siècle, mais notre ignorance est toujours la même. Ne serait-il pas nécessaire que quelqu’un, pourquoi pas un Frère des Écoles chrétiennes, reprenne l’ouvrage de Jean-Baptiste De La Salle pour, en suivant sa méthode pédagogique, composer un manuel que tous les catéchistes d'aujourd'hui pourraient lire et relire? (I, 1)

8-5-La volonté de Dieu et l'obéissance

Il ne faut jamais oublier que Jésus-Christ n’était pas venu en ce monde pour y faire sa volonté, mais uniquement celle de Dieu son Père.

Et Jean-Baptiste de rappeler à ses Frères que la raison même nous fait voir la nécessité qu’il y a d’obéir dans une société religieuse, l’obéissance étant la vertu qui met l’ordre et l’union, la paix et la tranquillité parmi ceux qui y demeurent... puisque l’obéissance est la plus nécessaire de toutes les vertus

J.B. De la Salle insiste beaucoup sur cette vertu d’obéissance qui doit se manifester dans les plus petites choses de la vie courante. Et de mentionner l’exactitude qui, dans ce qui regarde le temps, est aussi nécessaire pour rendre l’obéissance parfaite que pour ce qui regarde la chose commandée et la manière de la faire.  (MD 11 et 12)


[1] Méditations pour les dimanches (MD)

[2] I = Instructions et prières

[3] Le Cantique des cantiques, de la Bible

    

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