Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Quatrième partie

La pédagogie de Saint-Jean Baptiste De La Salle

3
La formation des Frères

 

3-1-Importance de l'éducation chrétienne

Dieu est si bon, qu’ayant créé les hommes, il veut qu’ils parviennent tous à la connaissance de la vérité. Mais comment atteindre cette vérité? Comment les hommes croiront-ils, dit l’Apôtre, en celui dont ils n’ont point entendu parler? Et comment en entendront-ils parler, s’ils n’ont personne qui le leur annonce?  (Rm  10,14.17)

C’est un des principaux devoirs des pères et des mères, d’élever leurs enfants d’une manière  chrétienne, et de leur apprendre leur religion. Mais comme la plupart ne sont pas assez  éclairés de ce qui la regarde et que, les uns étant occupés de leurs affaires temporelles et du soin de leur famille, et les autres étant dans une sollicitude continuelle, à gagner à eux et à  leurs enfants ce qui est nécessaire à la vie, ils ne peuvent s’appliquer à leur enseigner ce qui  regarde les devoirs du chrétien.  (MR 193)

Ayez bien de la vigilance sur les enfants car il n’y a de l’ordre dans l’école qu’autant qu’on veille sur les écoliers et c’est ca qui fait qu’ils avancent. Ce ne sera pas votre impatience qui les fera corriger, ce sera votre vigilance et votre bonne conduite. (LA 55)

D’où le rôle des Frères. Mais leur tâche sera rude; en effet, ces pauvres enfants, étant accoutumés pendant plusieurs années à mener une vie fainéante, ont bien de la peine ensuite à s’accoutumer au  travail. Dieu a eu la bonté de remédier à un si grand inconvénient par l’établissement des écoles chrétiennes, où l’on enseigne gratuitement et uniquement pour la gloire de Dieu... (MR194) Aussi, ce que Jésus-Christ dit à ses saints apôtres, il vous le dit aussi à  vous-mêmes, pour vous faire connaître que tout le fruit que vous pouvez faire dans votre emploi, à l’égard de ceux qui vous sont confiés, ne sera ni véritable ni efficace qu’autant que Jésus-Christ y donnera sa bénédiction, et que vous demeurerez en lui; comme la branche de la vigne, laquelle ne peut porter de fruit qu’autant qu’elle demeure attachée au cep, et qu’elle  en tire sa sève et sa vigueur, et c’est aussi ce qui fait toute la bonté du fruit.  (MR 195)

3-2-Le document: Conduite des ÉCOLES

3-2-1-Origine du document

Les cinq ou six maîtres réunis en 1679 à Reims par Adrien Nyel avaient chacun “sa méthode d’enseigner, conforme à son génie et à son goût particulier. Or ce défaut de conduite uniforme dans ces écoles naissantes empêchait une partie du fruit qu’on en devait espérer” (Blain CL 7,167 - cf. MD 57,1). Plus tard, Jean-Baptiste De La Salle écrira dans la Préface de La Conduite des Écoles: “Il a été nécessaire de dresser cette Conduite des Écoles chrétiennes afin que tout fût uniforme dans toutes les écoles et dans tous les lieux où il y a des Frères de cet Institut, et que les pratiques y fussent toujours les mêmes. L’homme est si sujet au relâchement et même au changement qu’il lui faut des règles par écrit pour le retenir dans son devoir, et pour l’empêcher d’introduire quelque chose de nouveau et de détruire ce qui a été sagement établi.

Cette Conduite n’a été rédigée sous forme de règlement qu’après un très grand nombre de conférences avec les Frères de cet Institut les plus anciens et les plus capables de bien faire l’école, et après une expérience de plusieurs années. (Préface, CE 0,0,1 et 2)

3-2-2-Contenu du document

Jean-Baptiste De La Salle a écrit un très long document concernant la conduite des écoles chrétiennes dirigées par ses Frères. Les détails innombrables dans lesquels il entre peuvent nous sembler complètement inutiles: pourquoi se perdre dans de telles broutilles? Il ne faut surtout pas oublier que le Fondateur des Écoles Chrétiennes s’adressait à des Maîtres généralement peu instruits, qu’il devait d’abord former, discrètement, pour ne pas les blesser. Par ailleurs, les élèves pauvres de ses écoles n’avaient le plus souvent aucune éducation humaine, et encore moins chrétienne. Traiter des plus petits détails était donc pour lui une nécessité.

Nous avons dit ci-dessus, que pour le Fondateur des Écoles Chrétiennnes, même les plus petits détails étaient importants. Voici deux exemples significatifs, concernant:

– Le rire: dans une lettre destinée à un Frère, on peut lire:

Prenez garde, je vous prie, que les récréations se passent bien. Vous savez qu’y rire légèrement[1] cela ne convient pas chez nous. C’est une des choses sur lesquelles vous devez le plus veiller que la récréation; vous faites bien de faire s’observer la Règle exactement. (LA 34)

Et encore sur le sujet du rire: c’est une bien grande faute aussi bien que de rire pendant les repas. (LA 35)

– La cloche: ayez pour l’amour de Dieu bien soin du son de la cloche, c’est une chose de conséquence. (LA 36)

La tâche des maîtres d'écoles est très importante. Le salut de leurs élèves dépend en partie d'eux. D'où la nécessité pour les maîtres de se former eux-mêmes et de se laisser former, comme le propose Jean-Baptiste De La Salle: il faut également savoir reprendre et corriger les fautes que commettent ceux que les Frères sont  chargés d’instruire.

Les chapitres 7 à 15 des Règles sont une véritable pédagogie sur la manière dont les Frères doivent se comporter entre eux et vis à vis de leurs élèves. Tout d’abord, dans leurs écoles gratuites, ils devront apprendre aux élèves:

– à lire: le français, le latin et les lettres écrites à la main; à écrire,

– à connaître l’orthographe et l’arithmétique,

– les prières: du matin, du soir, le Pater, l’Ave, le Credo, le Confiteor, en latin et en français, les réponses de la messe,.

– le catéchisme et les devoirs du chrétien, les commandements de Dieu et de l’Église.

Par-dessus tout les Frères devront aimer “tendrement” tous leurs écoliers, mais sans familiarité: ils ne tutoieront pas leurs élèves. Les punitions seront rares, modérées et toujours justifiées.

Les Frères respecteront et feront respecter le silence, moyen essentiel pour établir l’ordre et le maintenir dans l’école. C’est l’une des principales règles. D’autres points sont longuement traités: les congés des écoliers, l’inspection des écoles par un Frère directeur, la manière dont les Frères doivent se comporter entre eux et avec les personnes externes.

Cette formation des Frères répond au but que s'est fixé leur Fondateur: car ce que Jean-Baptiste désire par-dessus tout, c’est que, en raison de la bonne éducation qu’ils auront reçue, les enfants, dont les Frères ont la charge, deviennent plus tard des gens heureux grâce au métier qu’ils auront pu acquérir, et qui leur donnera les moyens de vivre honnêtement et comme de véritables chrétiens.

Et voici, au passage, un petit rappel sur la formation très importante des supérieurs, appelés Directeurs chez les Frères; une Règle[2] du Frère Directeur lui est d’ailleurs consacrée. Cette Règle fut rédigée lors de l’assemblée tenue dans la maison de Saint-Yon, en mai 1717. Elle définit entre autres, la nourriture des Frères qui doit être commune et ordinaire, et toujours la même, et leur l’habit, considéré alors comme singulier.

3-2-3-Une discipline très stricte

Jean-Baptiste De La Salle fut un précurseur dans l’enseignement du peuple. Il comprit vite qu’il devait impérativement, pour conserver l’unité dans ses écoles, donner des directives très strictes. Pour ce faire, il aborda tous les moindres gestes des gestes et des élèves ainsi que les méthodes d'enseignement et le comportement des maîtres. Il est impossible d’entrer dans tous ces détails dont beaucoup heurtent nos mentalités, mais il est cependant indispensables d’en relever quelques-uns:

Comment entrer dans la classe?

Pendant que les écoliers s’assembleront et entreront dans la classe, ils garderont tous un silence si rigoureux et si exact, qu’on n’entende pas le moindre bruit même des pieds, en sorte qu’on ne puisse pas même distinguer ceux qui entrent, ni remarquer ceux qui étudient. (CE1,1)

Lorsque les maîtres entreront dans l’école, tous les écoliers de la classe de chaque maître se lèveront et se tiendront debout, jusqu’à ce que le maître se soit mis à sa place.  (CE 1,2) Sont également abordées la surveillance à exercer pendant les déjeuners et les goûters et les prières à réciter avant et après la classe. (CE 10, 1)

3-3-Comment enseigner

3-3-1-La tenue extérieure  

La posture des écoliers est imposée, et d’une manière générale le rire est plus que déconseillé. De plus, le maître devra prendra garde de ne se point familiariser avec les écoliers... (CE 3) Les problèmes de papier, d’encre, des diverses sortes d’écriture et de la façon de tailler les plumes sont abordées. Les corrections que le maître doit faire sont longuement traitées: tous les devoirs seront soigneusement corrigés.

3-3-2-Que faut-il enseigner?

Les manières d’enseigner les lettres, la lecture, l’écriture, le calcul, sont  soigneusement détaillées. L’orthographe fera l’objet d’un soin spécial. Il est dit à ce propos: la manière de leur faire apprendre l’orthographe sera de leur faire copier des lettres écrites à la main, surtout des choses qui leur puissent être utiles d’apprendre à faire, et dont ils auront besoin dans la suite, comme sont des promesses, des quittances, des marchés d’ouvriers, des contrats de notaire, des obligations, des procurations, des baux à louage et à ferme, des exploits, procès-verbaux, etc... afin qu’ils puissent s’imprimer ces choses dans l’imagination et apprendre à en faire de semblables... Le maître les obligera aussi en même temps d’écrire ce qu’ils auront retenu du catéchisme qu’on leur aura fait pendant la semaine, surtout des dimanches et des mercredis. (CE 6)

Un conseil plein de bon sens…

Il est d'une très grande conséquence de ne jamais mettre aucun écolier dans une leçon dont il n'est pas encore capable, parce que, autrement, on le mettrait en état de ne pouvoir jamais rien apprendre, et dans le danger de demeurer toute sa vie dans l'ignorance. C'est pourquoi on ne doit pas avoir égard à l'âge, à la grandeur, ni au temps qu'il y a qu'un écolier est dans une leçon, lorsqu'on le veut faire passer à une autre plus avancé, mais seulement à sa capacité. (CE 24)

3-3-3-Le catéchisme

Le but ultime des Frères des École Chrétiennes est le salut éternel des enfants dont ils ont la charge. Ils doivent donc, après avoir enseigné la lecture, l’écriture, l’arithmétique, conformément aux méthodes élaborées par leur saint Fondateur, enseigner le catéchisme, et cela tous les jours. Comme on ne peut enseigner que ce que l’on connaît parfaitement, Jean-Baptiste De La Salle s’est attaché à mettre à la disposition des Frères  une véritable somme de la doctrine chrétienne intitulée Les Devoirs des chrétiens. Cette somme comporte trois tomes:

– le premier est un véritable cours magistral, (DA[3])

– le second est un catéchisme, fortement inspiré du catéchisme donné par le Concile de Trente, et comportant des questions et des réponses. (DB[4])

– le troisième tome est davantage consacré au culte et à la liturgie. (DC[5])

À cela s’ajoutent un Grand Abrégé des Devoirs et un Petit Abrégé de ces mêmes devoirs. Enfin de nombreuses instructions et des prières expliquées complètent cette encyclopédie. Les Frères auront ainsi toutes les possibilités de s’instruire pour répondre au souhait de leur fondateur: Vous savez le besoin que les Frères ont d’étudier leur catéchisme et que c’est souvent une des choses qu’on néglige le plus... Votre premier soin c’est de procurer l’esprit du christianisme aux écoliers. (LC[6] 100)

Le temps du catéchisme quotidien est soigneusement indiqué:

On fera tous les jours le catéchisme pendant une demi-heure... Le maître interrogera chaque jour tous ses écoliers, et même plusieurs fois, s’il le peut... Les devoirs du maître pendant le catéchisme ne sont pas oubliés: L’un des principaux soins que le maître doit avoir pendant le catéchisme, est de faire en sorte que tous les écoliers soient fort attentifs et qu’ils retiennent aisément tout ce qu’il leur dira.

Et voici une sérieuse mise en garde:

Quoiqu’il ne faille pas faire croire les péchés plus grands qu’ils ne sont, il est cependant plus dangereux de les faire paraître petits ou légers; il faut toujours en inspirer une grande horreur, quelque petits qu’ils paraissent; une offense de Dieu ne peut être petite, et ce qui touche Dieu ne peut être léger. (CE[7] 9) 

3-3-4-Comment faire prier les élèves

Il faut prier tous les jours, et à chaque instant de la journée: cela demande un long apprentissage. Aussi est-il précisé dans le livre sur La Conduite des Écoles Chrétiennes:

Au commencement de l’école, le matin à huit heures, dès que la cloche finira de sonner, on fera le signe de la sainte croix, puis on dira: Veni Sancte Spiritus, etc. Après midi on dira: Venez Saint-Esprit, etc... comme il est marqué dans le Livre des prières des Écoles Chrétiennes.

Avant et après le déjeuner et goûter, on dira les prières qui sont marquées avant et après les repas, dans le même livre.

Pendant tout le temps de l’école, hors le temps du catéchisme ou des prières, il y aura toujours deux ou trois écoliers à genoux, un de chaque classe, qui réciteront le chapelet, tous les uns après les autres, dans un endroit de l’école disposé à cet effet.

À chaque heure du jour, on fera quelques courtes prières qui serviront au maître pour renouveler leur attention sur eux-mêmes et à la présence de Dieu, et aux écoliers pour les habituer à penser à Dieu de temps en temps pendant le jour, et les disposer à lui offrir toutes leurs actions, pour attirer sur elles sa bénédiction.

Au commencement de chaque leçon, on fera quelques prières ou quelques actes pour demander à Dieu la grâce de la bien étudier et de la bien apprendre.

On fera tous les jours la prière du soir et du matin dans l’école.

La prière du soir sera à la fin de l’école après midi, à 4 heures et demie, et pendant l’hiver, depuis le 15 novembre jusqu’au 15 janvier inclusivement, elle se fera à 4 heure.

Il y a un examen dans la prière du soir, qui contient les péchés que les enfants peuvent commettre le plus ordinairement. Cet examen est divisé en 4 parties, et chaque partie ou article en cinq points. (CE 6)

Le livre apprend aussi aux maîtres comment les enfants doivent prier, quelle doit être leur posture, comment se diriger vers l’église pour assister à la sainte messe:

Il est de conséquence que le maître veille beaucoup sur la conduite de ses écoliers, principalement lorsqu’ils entrent dans l’église, pour empêcher qu’ils ne fassent aucun bruit, soit des pieds, soit de la langue, et pour les y faire marcher très modestement, les bras croisés, et avec l’ordre qui y est marqué ci-dessus, qu’ils doivent garder dans les rues, et sans qu’il y ait la moindre confusion et le moindre bruit. (CE 8)

Prières en cas de deuils

Nous avons déjà dit que l’on mourait très jeune à cette époque. Voici la prière que Jean-Baptiste De La Salle propose d’ajouter à la prière du matin et du soir, lorsque quelque maître ou quelque écolier est mort. Lorsque dans quelque ville un des maîtres sera mort, les trois premiers jours après son décès, à la fin de la prière pour les âmes du purgatoire, et avant la bénédiction, on récitera le psaume De profundis, le récitateur des prières disant un verset, et les autres disant le suivant... Lorsqu’un écolier de l’une des classes de cette école sera mort, on dira dans toutes les classes de cette école le psaume De profundis... le premier jour après son décès, à la fin de la prière du soir, pourvu que l’écolier soir âgé au moins de sept ans. (E[8] , 4, 1)

Nota: Le document intitulé “Exercices de piété" est comme le rappel largement développé, de tous les exercices obligatoires pour les Frères, et peut-être pour les grands élèves. Il est remarquable de constater que ces exercices reprennent, un à un, tous les grands points du catéchisme en les précisant et en les adaptant à la vie de tous les jours. Ainsi, par exemple, tous les commandements de Dieu et de l’Église sont repris un par un, et conduisent à un examen de conscience bien fouillé.

3-3-5-Quelques méthodes de travail

Après avoir longuement développé le dogme et la théologie de l’Église catholique, après s’être longtemps étendu sur la vie chrétienne et ses pratiques, Jean-Baptiste De La Salle éprouve le besoin de résumer l’ensemble de sa doctine. Il le fait de deux façons:

– Dans un grand Abrégé des Devoirs des chrétiens (GA[9]) aide-mémoire pour les grands, surtout pour les Frères, et

– et dans un petit Abrégé (PA[10]), véritable petit catéchisme, probablement destiné aux enfants.

Jean-Baptiste expose lui-même la façon d’utiliser le Grand Abrégé:

– Les maîtres, en faisant le catéchisme, mettront toujours les demandes dans les réponses, quoiqu’elles n’y soient pas dans ce catéchisme, afin que les réponses aient toujours un sens parfait.

Le saint Fondateur précise:

– Les maîtres feront les explications et morales dans leurs catéchismes le plus qu’ils pourront par des sous-demandes, et cependant de temps en temps feront un petit discours de morale un peu animé de sept ou huit lignes et donneront toujours quelque pratique à la fin de leur catéchisme qui puisse être pratiquée le jour même et qui ait rapport au sujet dont ils auront parlé dans le catéchisme. (GA, 0)

Les deux documents (GA et PA) sont également présentés sous forme de questions-réponses.

3-4-Les moyens d’établir et de maintenir l’ordre dans les écoles

Le principal souci de saint Jean-Baptiste De La Salle est de former des enfants pauvres, de leur donner les moyens indispensables pour pouvoir vivre correctement, en honnête homme, et surtout de faire leur salut. Pour réussir cette tâche auprès d'enfants indisciplinés, un minimum d'ordre dans les classes est obligatoire. Voici quelques conseils:

Il y a neuf choses principales qui peuvent contribuer à établir et à maintenir l’ordre dans les écoles:

– la vigilance du maître,

– les signes,

– les catalogues,

– les récompenses,

– les corrections,

– l’assiduité des écoliers et leur exactitude à venir à l’heure,

– le règlement des jours de congé,

– l’établissement de plusieurs officiers et leur fidélité à bien s’acquitter de leurs emplois,

– la structure, la qualité et l’uniformité des écoles et des meubles qui y conviennent. (CE 11)

3-4-1-La surveillance des élèves 

De la vigilance que le maître doit avoir dans l’école La vigilance du maître dans l’école consiste particulièrement en trois choses:

1-à reprendre tous les mots que celui qui lit ou dit mal,

2-à faire suivre tous ceux qui sont dans une même leçon,

3-à faire garder un silence très exact dans l’école. Il doit continuellement faire attention à ces trois choses. (CE 11)

Les raisons des absences des élèves doivent être examinées avec soin; les congés, ordinaires ou extraordinaires sont parfaitement réglés. Des congés sont même prévus pour les obsèques, des maîtres ou des élèves:  On donnera congé le jour auquel on enterrera un Frère mort dans la maison de cette ville; on fera en sorte qu’on enterre toujours les Frères après midi seulement. (CE 17, 2)

Enfin, tout ce qui peut contribuer au bon fonctionnement des écoles et à la discipline est longuement traité.

3-4-2-Les signes 

Ce qui précède ne nous étonne guère: c’est de la meilleure pédagogie. Mais ce qui surprend davantage, ce sont les signes inventés pour communiquer en silence:

Il serait peu utile que le maître s’appliquât à faire garder le silence, s’il ne le gardait lui-même; il leur enseignera mieux cette pratique par exemple que par parole, et le silence même d’un maître produira plus que toute autre chose un très grand ordre dans l’école, en lui donnant moyen de veiller sur lui-même et sur les écoliers.

Ç’a été pour cette raison qu’on a institué l’usage des signes dans les écoles chrétiennes. Comme il y a beaucoup d’occasions dans lesquelles les maîtres pourraient parler, et dans lesquelles on lui enjoint d’user de signes au lieu de paroles, c’est ce qui a obligé aussi d’instituer un grand nombre de signes de différentes sortes, et, pour les réduire à quelque ordre, on les a distingués par rapport aux exercices et aux actions qui se font le plus ordinairement dans les écoles chrétiennes.

Ainsi, des signes ont été prévus touchant les repas, l’écriture, le catéchisme, les leçons, les corrections et les prières. (CE 12)

3-4-3-Le suivi des élèves: les catalogues

Afin de mieux suivre le développement des enfants, des dossiers (appelés catalogues) sont établis pour chacun d’eux. Le contenu de ces dossiers est soigneusement défini. il y a aussi des catalogues pour les visiteurs.

Une chose qui peut contribuer beaucoup à maintenir l’ordre dans les écoles, est qu’il y ait des catalogues bien réglés; il doit y en avoir de six sortes.

1-des catalogues de réception,

2-des catalogues des changements de leçon,

3-des catalogues des ordres de leçon,

4-des catalogues des qualités bonnes ou mauvaises des écoliers,

5-des catalogues des premiers de bancs,

6-des catalogues des visiteurs et des absents. (CE 13)

3-4-4-Les punitions

Les différentes sortes de punitions et de corrections sont passées en revue: la parole, les férules et les verges et les martinets, les expulsions de l’école et leur mode d’application, les défauts à éviter, les personnes qui doivent faire les corrections, etc. Tout est expliqué en détails; nous ne nous y attarderons pas. (CE 17)

3-5-La bienséance

3-5-1-Une pédagogie spécifique

Les bonnes manières, c’est-à-dire la bienséance, ou la civilité[11] chrétienne, sont une manifestation de la charité chrétienne: C’est une chose surprenante que la plupart des chrétiens ne regardent la bienséance et la civilité que comme une qualité purement humaine et mondaine... C’est ce qui fait bien connaître le peu de christianisme qu’il y a dans le monde... Les pères et mères ne doivent jamais oublier en donnant les règles de bienséance à leurs enfants, oublier de leur enseigner qu’ils ne faut les mettre en pratique que par des motifs purement chrétiens, et qui regardent la gloire de Dieu...

Aussi leur enseignement nécessite-t-il une pégagogie adaptée. Les Règles de Bienséance (RB), mises au point par Jean-Baptiste De La Salle et ses Frères, s’y emploient, car la bienséance chrétienne est une conduite sage et réglée que l’on fait paraître dans ses discours et dans ses actions extérieures par un sentiment de modestie, ou de respect, ou d’union et de charité à l’égard du prochain... Il faut aussi se conduire dans ce qui regarde la bienséance selon ce qui se pratique dans le pays où l’on demeure et où on se trouve... La bienséance et la civilité ne consistent donc proprement que dans les pratiques de modestie et de respect à l’égard du prochain... (RB, 0)

3-5-2-Tout ce qui concerne la bienséance

Dès que l’on a compris cela on comprend la raison de l’insistance des Frères pour tout ce qui concerne la civilité: tout chrétien, en effet, devant se conduire selon les règles de l’Évangile doit porter honneur et respect à tous les autres, les regardant comme les enfants de Dieu et les Frères de Jésus-Christ...(RB 101) Tout ce qui concerne la bonne tenue va donc être examiné dans les moindres détails, notamment le port et le maintien du corps: soin de la tête, des oreilles, des cheveux qu’il faut peigner tous les jours; le visage, le front, les sourcils, les joues, les yeux, etc, sont soigneusement considérés. Il faut aussi savoir se moucher, tousser, cracher, bailler et éternuer correctement en respectant les autres. La tenue des pieds et des jambes est prise en compte: Il sied très mal de remuer les jambes quand on est assis, mais c’est une chose insupportable de les branler; on ne doit jamais le souffrir dans les enfants, tant cela est contraire à la bienséance, etc... (RN 113)

Dans les Règles de Bienséance, Jean-Baptiste De La Salle traitera de tous les sujets, y compris la manière de se mettre à table, de manger et de boire, de se servir, etc. La manière de se comporter en marchant dans les rues et dans les voyages, en carrosse et à cheval, est aussi abordée.

3-5-3-La mode

Concernant la mode, Jean-Baptiste De La Salle a des remarques surprenantes qui montrent combien, à son époque, on était pointilleux sur la préséance et la séparation des classes sociales: il faut que les habits conviennent à la personne qui s’en sert, et qu’ils soient proportionnés à sa taille, à son âge et à sa condition... Ceci semble aller de soi, mais... il est préférable de laisser les habits faits en drap pour les personnes qui sont d’une condition élevée au-dessus de celle des artisans. Pour ce qui est des habits qui ont quelque ornement, ils ne conviennent qu’à des personnes qui sont d’une condition distinguée. Un habit galonné d’or ou d’une étoffe précieuse, ne sied qu’à une personne de qualité... Ce qui peut le mieux régler la propreté des habits, (c’est-à-dire qui convienne) est la mode; on doit indispensablement la suivre...

Et Jean-Baptiste De La Salle de préciser: on nomme mode la manière dont on fait les habits dans le temps présent; on doit s’y conformer...

Il n’est pas du tout sûr qu’il donnerait les mêmes conseils s’il voyait les modes d’aujourd’hui, en 2007. Heureusement, il ajoute quelques bémols: le moyen de donner des bornes à la mode touchant les habits, et d’empêcher ceux qui la suivent de se porter à des excès, est de la soumettre et la réduire à la modestie qui doit être la règle de la conduite d’un chrétien dans tout ce qui regarde l’extérieur.

Ah! on respire! Mais pourquoi faut-il qu’il ajoute immédiatement: “Comme les femmes sont naturellement moins capables de grandes choses que les hommes, elles sont aussi plus sujettes à rechercher la vanité et le luxe dans les habits? Jean-Baptiste De La Salle n’a-t-il jamais contemplé l’humilité de la Vierge Marie, mais aussi son intelligence? (RB 203, 2)

3-5-4-La bienséance, reflet d'un siècle

En lisant les règles de bienséance énoncées par Jean-Baptiste De La Salle, on a parfois l’impression d’être dans un carcan; mais, curieusement ce traité qui ne veut traiter que des exigences de la bienséance, est, en fait, un véritable révélateur des mentalités du XVIIème siècle.

Ce constat est confirmé par le conseil suivant s’adressant essentiellement aux Frères: “La récréation se passe ordinairement en conversant d’une manière aisée, et en faisant des contes plaisants et agréables, qui donnent occasion de rire, et qui divertissent la compagnie; il faut cependant bien prendre garde que ces sortes de discours n’aient rien de rampant, et qui ressentent une basse éducation, mais qu’ils soient relevés par une manière de les exprimer qui donne de l’éclat du lustre et de l’agrément à leur simplicité. (RB 205)

Jean-Baptiste De La Salle profitera de l’énoncé des Règles de bienséance pour énumer les divertissements interdits: les bals, les danses, les comédies. Même les spectacles de marionnettes sont proscrits: les pères et les mères ne doivent jamais permettre à leurs enfants d’y assister, et doivent leur en inspirer beaucoup d’horreur... Il ne faut pas non plus assister aux spectacles des danseurs de corde que exposent tous les jours leur vie aussi bien que leur âme pour divertir les autres. (RB 205) Saint Jean Bosco, l’acrobate de Dieu, ne viendra que deux siècles plus tard...

Jean-Baptiste De La Salle profite aussi de l’exposé de ses Règles de Bienséance pour faire un véritable cours de théologie sur le mensonge, car l’honnêteté ne peut souffrir qu’on dise jamais aucune fausseté... Le mensonge étant quelque chose de si honteux, tout ce qui en approche tant soit peu est tout à fait contraire à la bienséance... Et l’on commet des fautes contre la bienséance en parlant contre la loi de Dieu, contre la charité que l’on doit au prochain (RB 205 et 207) ou en parlant inconsidérément.

3-6-Remarques sur la conduite des écoles

Le livre sur la Conduite des Écoles n’est pas une étude de psychologie; cependant ce document aborde soigneusement les différents caractères des enfants acceptés dans les écoles, leurs tendances bonnes et mauvaises, ainsi que les meilleures façons d’aborder et de conduire ces enfants afin des le mener plus sûrement à Dieu.

Les nombreux petits détails qui sont donnés semblent fastidieux, voire inutiles. Mais il ne faut jamais oublier deux points importants:

        – Jean-Baptiste De La Salle était issu d’une très bonne famille de la haute bourgeoisie dans laquelle l’éducation des jeunes tenait une place importante; lui-même avait dû élever ses plus jeunes frères et il avait pu constater, dès sa prime jeunesse, ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait éviter pour former les enfants tout en les rendant heureux.

        – Les élèves que les Frères recevaient étaient des pauvres à tous points de vue; les premiers maîtres n’étaient pas plus favorisés. Aussi Jean-Baptiste, fort de sa longue expérience et en collaboration avec ses Frères bien formés, jugea-t-il très important de mettre en place un outil pédagogique capable de répondre à toutes les situations.

Il ne pas oublier non plus que nous sommes au XVII siècle, époque dont les méthodes d’éducation n'étaient en rien comparables à celles mises en œuvre au XXI siècle.

3-7-Jugement sur les méthodes lasalliennes? Proposition pour notre temps

Les éducateurs du XXIe siècle peuvent être très étonnés par la multitude et la sévérité des consignes données aux maîtres, consignes qui nous paraissent excessives. Mais il ne faut jamais oublier que Jean-Baptiste De La Salle a vécu au XVIIe, et que le peuple avait subi, et subissait encore de nombreuses guerres qui l’avait ruiné. Les richesses culturelles du  siècle de Louis XIV cachaient des misères effroyables.

Les méthodes d’éducation mises en œuvre en France depuis une quarantaine d’années[12] montrent maintenant (en 2007) leurs limites et leurs lacunes. Elles montrent surtout leurs échecs en raison d’un trop grand laisser-aller, voire du laxisme ambiant qui ruine nos enfants et nos jeunes. Peut-être serait-il temps aujourd’hui, en se basant sur les pédagogies de saint Jean-Baptiste De La Salle et de saint Jean Bosco, et en prenant en compte les dégâts actuels, d’envisager l’élaboration d’une nouvelle pédagogie moderne qui ferait la synthèse de tout ce qui s’est montré profitable dans les siècles passés, et particulièrement chez ces deux grands pédagogues, tout en y intégrant les possibilités de la technique moderne.

Il serait également très souhaitable, après avoir constaté les nombreuses et néfastes tentations auxquelles sont soumis, le plus souvent sans surveillance, nos enfants et nos adolescents: télévision, jeux vidéo, internet, etc, d’imaginer une discipline douce mais ferme afin de leur assurer une protection efficace. Les enfants du XXIe ont toujours une âme, et le Christ est mort aussi pour eux, afin de leur assurer leur salut éternel. Il serait bon de le redire...


[1] On dirait probablement aujourd’hui: "grossièrement"

[2] FD (Règle du Frère directeur) et MH (Mémoire sur l’Habit)

[3] DA = Devoirs d'un chrétien 1

[4] DB = Devoirs d'un chrétien 2

[5] DC = Devoirs d'un chrétien 3

[6] LC = Lettres copiées

[7] CE = Conduite des Écoles

[8] E = Exercices de piété

[9] Grand Abrégé des devoirs

[10] Petit Abrégé des devoirs

[11] On dirait aujourd'hui tout simplement: la politesse

[12] En gros depuis 1968

    

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