Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Troisième partie

La spiritualité de
Saint-Jean Baptiste De La Salle

1
La prière

Il est difficile de découvrir la véritable spiritualité de saint Jean-Baptiste De La Salle à travers ses écrits. On a souvent l’impression qu’il cache soigneusement son intimité avec son Seigneur sous des dehors un peu froids et austères. Heureusement, son traité De la prière intégré dans Les devoirs d’un Chrétien (DA[1]) nous permet de découvrir une partie de son cœur. En effet, on ne peut pas écrire certaines de ses phrases, sans en avoir vécu au préalable leur contenu et tout ce qu’il contient. Nous nous permettrons donc de révéler quelques-unes de ses pensées cachées dans l’anonymat de ce traité.

La prière est, après les sacrements, le moyen le plus efficace pour obtenir la grâce de Dieu nécessaire pour accomplir ses devoirs envers Dieu. C’est un secours particulier que Dieu a mis entre nos mains et dont nous pouvons nous servir à tout moment. C’est à Dieu que nous approchons, plus de cœur que de bouche, dans la prière, et parce que la prière nous dispose à tendre à Dieu, à nous élever à lui, à nous unir intimement à lui par une conformité d’affections, pour ne plus rien vouloir et ne plus rien désirer que lui ou par rapport à lui. (DA 401) Prier, c’est aussi témoigner à Dieu combien on lui est redevable de toutes les grâces qu’il a faites, soit générales comme celle de nous avoir rachetés et délivrés de nos péchés, de nous avoir fait naître dans un pays chrétien et catholique, de nous avoir donné et conservé la foi, soit des grâces particulières... comme de nous avoir délivrés d’un grand nombre de tentations, de nous avoir donné souvent des inspirations de faire le bien... ou de quelques grâces même plus particulières: comme d’avoir pardonné à un ennemi...

Après avoir exposé les grandes lignes de la spiritualité de saint Jean-Baptiste De La salle, il faut maintenant l'approfondir pour mieux en comprendre toute l'étendue. Tout d'abord, on remarquera que le saint fondateur ne parle jamais de lui. Sa spiritualité, sa vie intérieure profonde, c'est celle qu'il veut transmettre à ses Frères; c'est donc en étudiant les conseils qu'il donne à ses Frères, en toutes occasions, que nous devinons la richesse de sa vie d'union à Dieu.

Aussi Jean-Baptiste met-il ses Frères en face de leurs faiblesses: ce qui vous doit particulièrement engager à prier, c’est la faiblesse dans laquelle le péché vous a réduits, faiblesse qui vous rendrait incapables de faire aucun bien surnaturel. Nous avons donc besoin de la prière: Elle est, dit saint Chrysostome, une divine médecine qui chasse d’un cœur toute la malice qu’elle y rencontre et le remplit de toute justice... Demandez donc à Dieu un cœur pur qui ait de l’éloignement et de l’horreur, non seulement des plus gros péchés, mais aussi de tout ce qui peut ternir votre conscience et vous rendre désagréables à Dieu.

1-1-L'esprit de foi

1-1-1-Une âme animée par la foi est une âme ressuscitée

Jean-Baptiste De La Salle ne craint pas de dire: La mort est avantageuse pour nous, parce qu’elle est une assurance de notre résurrection... La résurrection de Jésus-Christ doit encore procurer cet avantage de vous faire ressusciter spirituellement, en vous faisant vivre selon la grâce, c’est-à-dire vous faisant entrer dans une vie toute nouvelle et toute céleste...

C’est alors que la foi pénètre une âme qui est ressuscitée selon la grâce: c’est ainsi que Jésus-Christ, en entrant dans une âme, l’élève tellement au-dessus de tous les sentiments humains, par la foi qui l’anime, qu’elle ne voit plus rien que par ses lumières; et que, quoiqu’on lui fasse, rien n’est capable de l’ébranler, ni de la retirer du service de Dieu, ni même de diminuer tant soit peu l’ardeur qu’elle a pour lui, parce que les ténèbres qui offusquaient auparavant son esprit sont changées en une admirable lumière, ce qui fait qu’elle ne voit plus rien que par les yeux de la foi... C’est ainsi qu’une âme pénétrée des sentiments de foi est si élevée en Dieu, qu’elle ne connaît plus que Dieu, qu’elle n’a plus d’estime que pour Dieu, qu’elle ne goûte plus que Dieu. Ce qui fait qu’elle ne peut plus s’appliquer qu’à Dieu... (MD 32)

1-1-2-La Très Sainte Trinité

Le plus grand des mystères de la foi, c'est la Très Sainte Trinité. Jean-Baptiste De La Salle le répète à ses Frères:

Adorez ce mystère qui est entièrement au-dessus de nos sens... Avouez que c’est le mystère au-dessus de tout mystère, parce qu’il est le Principe de tous les autres. C’est le mystère de foi, parce qu’il n’y a que la foi qui éclate dans ce mystère... qui est infiniment au-dessus de la portée de l’esprit humain. Dans les autres mystères il y a quelque chose de sensible qui les accompagne; qui soutient en quelque manière nos sens et notre raison: mais dans celui-ci, ni les sens, ni la raison n’y ont nul accès... Il est bien juste que vous, qui êtes chargés de développer ce mystère autant que la foi le permet, vous le reconnaissiez comme la source de toute lumière, le soutien de la foi, et le premier fondement de notre religion.  (MD 46)

1-1-3-Esprit de foi, vie parfaite et prière

L'esprit de foi et la vie parfaite ne peuvent s'acquérir et se développer que par la prière. Aussi les Frères doivent-ils aussi prier pour ceux qu’ils sont chargés d’enseigner. Jean-Baptiste insiste: c’est Dieu lui-même qui vous les a amenés; c’est Dieu qui vous rend responsables de leur salut, et qui vous a mis dans l’obligation de subvenir à tous leurs besoins spirituels: ce doit être aussi votre continuelle application... Les enfants qui viennent à vous, c’est Dieu qui vous les adresse, afin que vous leur donniez l’esprit du christianisme... Les abandonnerez-vous donc, et les laisserez-vous sans instruction? Recourez à Dieu, frappez à la porte, priez, sollicitez avec instance, et jusqu’à l’importunité... Vous devez regarder les enfants que vous êtes chargés d’instruire, comme des orphelins pauvres et abandonnés... Soyez persuadés que Dieu est disposé à ne vous rien refuser de ce que vous lui demanderez avec foi et confiance en sa bonté... Lors donc que vous priez Dieu, que ce soit avec tant d’humilité que Dieu ne vous puisse rien refuser de ce que vous lui demanderez.

De plus, c’est la prière qui nous met en état de résister à la tentation. Lors donc que nous nous sentons assaillis par l’esprit tentateur, ne cessons jamais de prier jusqu’à ce que nous l’ayons tout à fait éloigné de nous. Mais, pour bien prier, il faut d'abord se mettre en présence de Dieu

1-2-Comment se mettre en présence de Dieu

Selon saint Jean-Baptiste De La Salle, on se met en présence de Dieu:

            – en demandant à l’Esprit-Saint de nous faire considérer que Dieu est partout, donc présent là où l’on est,

            – en se souvenant que Jésus-Christ est au milieu des Frères, pour leur enseigner les vérités de l’Évangile et faire qu’ils soient “un”.

            – en n’oubliant jamais que Dieu est présent en nous, car le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. Nous sommes le Temple de Dieu et donc de l’Esprit-Saint.

En conséquence, pour se mettre en présence de Dieu, il faut insister sur les actes de foi, d’adoration et de remerciement.

D’où quelques moyens pratiques:

            – considérer les églises avec beaucoup de respect et n’y entrer qu’avec une grande pureté extérieure et intérieure, n’y demeurer que dans une grande retenue extérieure et intérieure, enfin, y être toujours appliqué à la prière.

            – considérer que Notre-Seigneur Jésus-Christ y est toujours résidant dans le très saint Sacrement de l’autel: c’est lui, Jésus réellement présent, qui nous embrasera d’amour envers Dieu et nous donnera une charité ardente envers le prochain[2].

1-3-Que doit-on demander à Dieu dans la prière?

Tout d’abord, nous devons demander à Dieu l’éloignement du mal. C’est ce que d’abord vous devez demander à Dieu jusqu’à ce que vous l’ayez obtenu. Puis, il faut demander que le Père purifie nos cœurs. Puisque vous êtes appelés, dans votre état, à procurer la sanctification de vos élèves, vous devez être saints d’une sainteté qui ne soit pas commune; car c’est vous qui devez leur communiquer la sainteté, tant par votre bon exemple que par les paroles de salut que vous devez tous les jours leur annoncer... (MD 39)

Pour qui devons-nous prier?

Il faut que ce soit le Saint-Esprit qui prie en nous, et nous fasse demander à Dieu seulement ce qui peut contribuer à sa gloire, et à notre salut ou à celui de notre prochain... Il est de notre devoir de prier pour tous les hommes. (DA 403)

1-4-Quelles sont les qualités indispensables pour bien prier?

1-4-1-Il faut surtout savoir faire appel à l'Esprit-Saint

Il faut, en premier lieu, appeler le Saint-Esprit à l’aide. Il faut renoncer à son propre esprit et à ses propres pensées pour n’admettre en soi, pendant l’oraison, que celles qu’il plaira à cet Esprit-Saint de nous inspirer. (EM 6, 170)

Jean-Baptiste écrit: Vous avez besoin de la plénitude de l'Esprit de Dieu dans votre état, puisque vous devez n'y vivre et vous y conduire que selon l'esprit et les  lumières de foi; et il n'y a que l'Esprit de Dieu qui puisse vous mettre dans  cette disposition. (MD 42) Vous exercez un emploi qui vous met dans l'obligation de toucher les cœurs; vous ne le pouvez faire que par l'Esprit de Dieu. Priez-le qu'il vous fasse aujourd'hui la même gràce qu'il a faite aux saints apôtres, et qu'après vous avoir remplis de son Esprit, pour vous sanctifier, il vous le communique aussi pour procurer le salut aux autres.“ (MD 43)

Le Saint-Esprit qui réside en vous doit pénétrer le fond de vos âmes: c’est en elles que cet Esprit divin doit prier plus particulièrement. C’est dans l’intérieur de l’âme que cet Esprit se communique à elle, qu’il s’unit à elle et qu’il lui fait connaître ce que Dieu demande d’elle pour être tout à lui...

Jean-Baptiste De La Salle écrit pour ses Frères:

        – La première de ces dispositions est d’aimer Dieu et de se donner tout à lui; il faut pour cela vous détacher de toutes les choses créées et n’avoir d’affection que pour Dieu.

        – La seconde disposition pour recevoir le Saint-Esprit est de garder fidèlement les commandements de Dieu et de s’étudier à faire en tout sa sainte volonté.

        – Enfin, rien ne dispose mieux à recevoir le Saint-Esprit que la prière.

Alors le Saint-Esprit produira dans l'âme de grands effets:

Tout d’abord, le Saint-Esprit fait envisager les choses par les yeux de la foi. Donc, affirme Jean-Baptiste, si vous vous conduisez comme un disciple de Jésus-Christ et comme éclairés de l’Esprit de Dieu, ce doit être la seule lumière qui doit vous conduire... Il n’y a rien que vous ne deviez faire pour éloigner les maximes et les pratiques du monde, de l’esprit de vos disciples, et pour leur en donner de l’horreur...

Ensuite, le Saint-Esprit dans une âme, la fait vivre et agir par la grâce. D’où la question importante posée aux Frères:

        – Faites-vous toutes choses comme étant devant Dieu, comme étant à Dieu, comme n’ayant qu’à plaire à Dieu. (MD 45)

1-4-2-Il faut aussi demander l'aide de la sainte Vierge Marie

Il faut souvent, dans nos oraisons, invoquer la Vierge Marie. Elle a vécu, sur la terre, tous les mystères de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle ne les comprenait pas tous, mais elle les gardait tous dans son cœur. Elle nous aidera grandement à prier à partir des mystères de la vie de Jésus, à les méditer, à les vivre avec elle, à les croire dans toute leur splendeur et à en tirer les fruits qu’ils contiennent. Ainsi notre contemplation nous conduira, “par une foi vive et respectueuse, à une disposition d’adoration silencieuse d’amour, d’admiration, de reconnaisance et d’action de grâces, d’anéantissement et d’un désir de cœur, de s’unir à Notre Seigneur ... et de participer à son esprit et à ses grâces.”

L’âme régénérée et amoureuse, fortifiée dans sa foi, peut alors s’engager, quoique en toute humilité, et avec l’aide de Dieu et de Marie, à s’efforcer à ne plus faire que la volonté de Dieu sur elle.

Recourez à Marie, elle vous éclairera et vous aidera à connaître la volonté de Dieu sur vous... Priez-la souvent qu’elle éclaire votre esprit et qu’elle le rende docile à la vérité... Le chemin que vous avez à faire dans le monde étant si périlleux, il vous faut un guide pour y marcher sûrement. Vous ne pouvez en avoir de meilleur que la très sainte Vierge... Quand on pense à elle, on ne peut s’écarter du droit chemin; quand on la prie, on ne peut jamais désespérer d’arriver au lieu où l’on prétend d’aller; quand elle aide et qu’elle soutient, on ne peut tomber; quand elle protège, on ne peut rien craindre; quand elle conduit, on ne peut se fatiguer. (MF 164)

1-4-3-Enfin il faut demander l'humilité

Pour bien prier il faut être humble

Entendons Jean-Baptiste De La Salle: L’humilité est sans doute une des principales dispositions à la prière, et elle est d’une telle conséquence dans cet exercice que c’est elle qui fait obtenir de Dieu avec plus de facilité ce qu’on lui demande... L’humilité que nous sommes obligés de faire paraître dans nos prières nous y doit procurer une entière résignation à la volonté de Dieu... Cet abandon que nous devons avoir à la volonté de Dieu en le priant, ne doit pas nous empêcher de le faire avec toute la confiance possible... Mais quelque grande que soit la confiance de ceux qui recourent à Dieu par la prière, elle leur servirait de peu si elle n’était soutenue de leur persévérance. (DA 402)

Oui, nous devons demander l’humilité avec insistance, car c’est elle qui nous met face à notre réalité: devant Dieu, nous ne sommes rien, et cependant nous sommes des pécheurs. Quelle confusion pour nous qui sommes si indignes de paraître devant Dieu! Comme nous devons demander pardon à Dieu de tous nos péchés! Mais aussi comme nous devons avoir confiance en Lui! C’est alors qu’on peut dire, comme Jean-Baptiste De La Salle, s’adressant à Dieu:

        – Je suis prêt, ô mon Dieu, à toutes les peines qu’il vous plaira de me faire souffrir pour satisfaire à mes péchés.

D’ailleurs, Jésus n’a-t-il pas acquis par sa Passion, les mérites et les grâces dont nous avons besoin? Dès lors, nous pouvons nous unir à ses dispositions intérieures lorsqu’il faisait oraison, le priant de faire lui-même oraison en nous et de présenter nos besoins à son Père. (EM 6,163)

Quelques réflexions sur l'humilité

        – Que votre humilité et votre douceur paraissent toujours dans vos discours. (LI 70)

        – Il faut aimer ses Frères pour pouvoir les reprendre avec douceur et cordialement, car sans cela la répréhension ne fait pas ordinairement son fruit. (LI 71)

        – Je crois que vous ne doutez pas, mon très cher Frère, qu’une vertu qui vous est bien nécessaire est l’humilité... Travaillez, je vous prie, à l’acquérir et sachez qu’on n’est heureux en ce monde qu’autant qu’on a d’humilité, de soumission et de patience, trois vertus qui sont inséparables et qui vous sont d’une égale nécessité. (LI 82)

        – Quoi! Vous vous plaignez que les autres n’ont point assez de charité et vous ne vous plaignez pas que vous n’avez point d’humilité! (LI 83)

Des humiliations venant de l'extérieur peuvent nous meurtrir, et Jean-Baptiste De La Salle en sait quelque chose. On comprend mieux qu'il puisse écrire à des religieuses:

        – De quelque part que vienne l’humiliation, recevez-la comme une chose qui vous est justement due... Il n’y a point de meilleur moyen pour détruire votre fond d’orgueil que la pratique fréquente et journalière des humiliations... Il est bon que vous soyez décriée afin d’être plus éloignée et ennemie du monde et plus unie à Dieu. (LI 123)

        – Il faut que vous renonciez au malheureux “qu’en dira-t-on”, concevant qu’une pécheresse telle que vous êtes, ne doit plus avoir d’égard à son honneur et à sa réputation qu’elle a perdus devant Dieu et les saints et qu’elle ne devrait avoir d’autre désir que d’être connue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’abomination du Ciel et de la terre... Je prie notre Seigneur de vous faire humble et pénitente. (LI 125)

1-5-L'oraison

La prière et l’oraison sont des pratiques fondamentales dans toute vie chrétienne, et à plus forte raison pour des maîtres entièrement consacrés à l’éducation des enfants, issus le plus souvent de milieux très frustes et non formés spirituellement. Faire comprendre à ces maîtres d’écoles chrétiennes, que l’union à Dieu, puis le dévouement constant et patient, en toutes circonstances, envers ses élèves, passent par l’oraison est une chose; pratiquer quotidiennement la méditation puis l’oraison, en est une autre. Jean-Baptiste De La Salle a bien compris la difficulté: aussi, en bon pédagogue, a-t-il consacré des centaines de pages à la rédaction de sujets de méditations adaptés aux circonstances quotidiennes: fêtes religieuses,  dimanches ordinaires, fêtes des saints, et diverses nécessités rencontrées par la communauté, les frères ou les élèves.

1-5-1-Qu'est-ce que l'oraison?

Selon Jean-Baptiste De La Salle, l’oraison est une occupation intérieure, une application de l’âme à Dieu. Il s’agit avant tout de se remplir de Dieu, de le connaître, de l’aimer et de s’unir intérieurement à lui. Une bonne oraison comprendra généralement trois parties: le recueillement pour se mettre en présence de Dieu, l’application au sujet de l’oraison, en un mot, la méditation, puis l’action de grâces. Ainsi, insensiblement, l’âme se remplissant de Dieu se détache des créatures et devient ce qu’on appelle intérieure, par la désoccupation et le dégagement des choses sensibles et extérieures.

Toutes ces conditions sont nécessaires, car une personne qui sort du monde ou qui, y étant encore, veut faire oraison et qui ne s’est appliquée jusqu’alors à presque rien autre chose qu’à contenter son esprit et ses sens, ne sait pas l’art de connaître Dieu, ni de penser intérieurement à lui et à sa présence. (EM 3, 110) Quel esprit, en effet, peut passer tout d’un coup de l’occupation des choses sensibles à des choses purement spirituelles? Il faut donc commencer à faire oraison par le moyen de choses sensibles, revêtues et animées de motifs de foi pour amener l’âme à se trouver en présence de Dieu.

Par contre, une personne exercée à l’oraison a de la facilité à se mettre en présence de Dieu, et cette attention procure à cette âme une consolation intérieure qui est cause qu’elle se plaît et trouve du goût dans cette pensée, sans qu’elle soit obligée, pour y arrêter son esprit, d’y mêler aucune autre pensée ou réflexion... C’est par le moyen de cette attention simple que l’âme se désoccupe tout à fait de ce qui est créé et entre insensiblement dans une plus claire connaissance et dans une plus intime pénétration de l’Être de Dieu et de ses divines perfections.

Si vous aimez Dieu, l’oraison sera la nourriture de votre âme (MF 177)

1-5-2-Comment faire oraison?

Tous les sujets peuvent servir de base de soutien à notre oraison, et Jean-Baptiste De La Salle donne un exemple en choisissant et en s’aidant d’une vertu. On peut ainsi:

        – s’entretenir sur une vertu par une simple attention, en se tenant en la présence de Notre Seigneur, le considérant comme nous enseignant cette vertu par sa parole et son exemple...

        – faire un acte d’adoration, de contrition,

        – s’unir à l’Esprit de Notre-Seigneur et aux dispositions avec lesquelles il a pratiqué et enseigné la vertu sur laquelle on médite,

        – prier humblement Dieu le Père de nous accorder la grâce d’entrer dans la pratique de cette vertu en union avec Notre Seigneur,

        – invoquer les saints auxquels on a une dévotion particulière, en commençant par la Sainte Vierge Marie, saint Joseph, puis saint Michel et notre ange gardien, et enfin les saints que nous aimons.

Au lieu d’une vertu on peut également choisir, comme point de départ, une maxime ou un passage de l’Écriture sainte. (EM, 12 à  18)

Remarque:

Les saints, particulièrement les saints patrons du baptême, peuvent être invoqués: ils nous aident par leurs exemples et leur intercession. Saint Joseph doit aussi être invoqué, comme étant le patron et le protecteur de la Société des Frères, étant persuadés qu’il a un grand crédit auprès de Dieu. Mais  la Sainte Vierge doit toujours être invoquée par préférence,... parce qu’elle est notre mère, notre avocate et notre médiatrice auprès de son Fils, qu’elle nous aime et qu’elle a un grand pouvoir auprès de Dieu... (EM 10)

1-5-3-Demander l'aide des anges gardiens

Les saints anges gardiens, que Dieu a placés à côté de chacun de nous, sont toujours prêts à nous aider dans la prière ou dans notre vie de tous les jours. Ces esprits bienheureux qui jouissent de Dieu dans le Ciel, nous sont toujours proches, pour nous secourir et nous servir dans toutes sortes de rencontres... Ils nous suggèrent un grand nombre de saintes et bonnes pensées pour nous porter à Dieu; ils nous excitent à faire pénitence de nos péchés; ils présentent à Dieu nos prières... Toutes les fois que nous nous sentons pressés par quelque violente tentation... invoquons cet ange qui nous garde... Priez aussi souvent les anges de vos écoliers, afin que, sous leur puissante protection, ils pratiquent volontiers, et avec plus de facilité, le bien que vous leur enseignez. (MF 173)

1-5-4-À propos de la Nativité de Marie, Jean-Baptiste enseigne l'oraison:

Prenons part, aujourd’hui, à la joie tout extraordinaire que ressent l’Église qui solennise ce jour heureux auquel Dieu a fait paraître en ce monde, celle qui a donné commencement au salut de tous les hommes... Ah! qu’il était bien juste que celle qui devait servir à former un Homme-Dieu, fût, en toutes manières, l’ouvrage de Dieu même, et ce qu’il y a de plus parfait dans les pures créatures... Le Saint-Esprit lui a même donné un cœur si pénétré de l’amour de Dieu, qu’il ne respirait que pour Dieu. Tout en elle n’avait rapport qu’à Dieu: son esprit ne s’occupait que de Dieu et de ce qu’il lui faisait connaître lui devoir être agréable; toutes les facultés de son âme n’avaient de fonctions que pour rendre hommage à Dieu... Oh! qu’heureux a été ce jour pour Marie, et même pour tous les hommes qui trouvent en elle tout leur refuge, à cause du trésor de grâces que Dieu a mis en elle, dès qu’elle a paru dans le monde!... (MF 163)

1-5-6-Remarques sur Jean-Baptiste De La Salle:

Il faut lire Les Explications de la Méthode d’Oraison pour découvrir la profondeur mystique de la pensée de Jean-Baptiste De La Salle. La lecture de sa vie et la découverte de ses œuvres mettent en évidence un homme au caractère organisé, voire tranché, au tempérament solide, capable de s’adapter aux circonstances douloureuses ou défavorables de la vie, un homme revêtu d’une grande force intérieure lui permettant de surmonter les calomnies, les jalousies, en un mot toutes les bassesses de ceux qui ont cherché à le détruire. Si on pense aussi que cet homme évolua au XVIIème siècle qui vit éclore de nombreuses saintetés, mais des saintetés sévères, mortifiées, amantes de la souffrance seule capable de purifier des péchés, on est moins surpris par ses apparences si sévères, voire dures.

On comprend encore mieux Jean-Baptiste De La Salle si l’on a eu la chance de découvrir les circonstances historiques de l’École Française de Spiritualité, mais le malaise n’est cependant pas totalement supprimé: Jean-Baptiste De La Salle apparaît toujours comme un homme tâtillon, perfectionniste, entrant dans des détails de la vie des Frères qui nous paraissent de vraies indiscrétions... Ce n’est qu’en lisant ses Méthodes d’oraison et ses méditations, que le vrai Jean-Baptiste se dessine, comme en filigrane, mais avec tant d’amour de Dieu et du prochain, que l’on demeure émerveillé. Décidément, si les mystiques sont tous différents sur le plan humain, ils sont tous des amoureux de Dieu, et quels amoureux! 

1-6-Quand un voile se lève

1-6-1-L'offrande à Dieu

Comme tous les amoureux de Dieu, Jean-Baptiste De La Salle n'a cherché qu'à s'offrir tout entier à Dieu. Il s'explique:

Offrir à Dieu soi-même et tout ce qui est à soi, c’est lui faire un présent et une offrande de soi-même et de toutes ses pensées, de toutes ses paroles et de toutes ses actions, de tous ses biens, soit spirituels, soit temporels, en un mot tout ce qu’on possède en ce monde, en témoignant à Dieu que, comme on y est tout à fait dépendant de lui, on se consacre aussi tout à lui et à son service; l’assurant même qu’on ne veut point disposer de soi, mais qu’on s’abandonne entièrement à sa disposition; et le priant qu’il ne permette pas qu’on ait aucune pensée, ni qu’on ne prononce une seule parole, ni qu’on fasse même la moindre action qui ne soit conforme à sa sainte volonté, et à ce qu’il demande de nous; lui représentant aussi toutes les grâces qu’on a reçues de lui, et lui faisant connaître que, bien loin d’en abuser, on veut faire en sorte de n’en pas laisser une seule inutile, et sans qu’elle ait son entier effet; lui faisant enfin une offrande et une consécration particulière de tous ses avantages de la nature et de tous ses biens temporels qu’on peut posséder, en lui déclarant que comme on ne les a reçus que de lui, on ne veut les employer que pour lui. (D,A 401)

Prière d’offrande

Tout est à vous, je vous le sacrifie,
Mon cœur et mes biens, et ma vie, tout est à vous.

Pour mon seul maître je veux vous reconnaître,
Tout est à vous.
(CB 6, 53)

1-6-2-Le pardon

Incontestablement, évoquant le pardon et l'offrande, Jean-Baptiste De La Salle pense à l’abandon qu'il a fait de tous ses biens matériels en faveur des pauvres. Mais, quand on lit ses écrits, on ne peut s’empêcher de penser que, pour lui, pardonner à tous ses détracteurs ne fut pas chose facile. Écoutons-le:

Demander à Dieu les grâces nécessaires pour faire le bien c’est le prier de nous donner le moyen et la facilité de faire quelque bonne action que nous avons de la peine à pratiquer: comme de pardonner à une personne qui nous a fait ou qui nous veut du mal, et de lui faire tout le bien qu’on peut, ou en particulier de la saluer et de l’aborder, quand on la rencontrera, et de lui parler avec beaucoup de charité, quoiqu’on y ait bien de la répugnance, ou de faire quelque autre bonne action dont on aura bientôt l’occasion ou dont l’occasion se présente actuellement...

Le mot “prière” signifie une demande qu’on fait à Dieu avec humilité et avec insistance. (DA 401)

Dieu veut que ceux qui le servent reconnaissent que tout ce qu’ils ont vient de lui... La qualité que nous avons d’enfants de Dieu, de membres de Jésus-Christ et de temples vivants du Saint-Esprit nous doit engager à présenter à Dieu tous les jours nos âmes pour les remplir de la plénitude de son Esprit, et à les lui offrir aussi bien que nos corps, comme des choses qui, lui devant être consacrées, ne peuvent plus être employées à un usage non seulement profane, mais même aussi honteux qu’est le péché, et cette offrande nous est d’une si grande conséquence que nous n’attirerons sur nous les bénédictions de Dieu qu’autant que nous y serons fidèles.

Il faut prier beaucoup. Rappelant saint Jean Chrysostome, Jean-Baptiste ajoute: “il nous est impossible de vivre d’une vie chrétienne à moins que nous n’employions beaucoup de temps à la prière qui est la vie de notre âme.(DA 401)

1-6-3-Un peu de mystique

Lorsque Jean-Baptiste De La Salle parle de la prière, il s’abrite souvent derrière ce qu’en ont écrit de grands saints comme saint Paul, saint Augustin, saint Jérôme et saint Jean Chrysostome, etc. Cependant, parfois, son cœur s’oublie et parle... Ainsi, on peut se demander ce que cachent ces phrases apparemment anodines, mais si importantes:

On prie Dieu avec dévotion lorsqu’on ressent une affection tendre pour Dieu et pour tout ce qui regarde son service, et qui peut procurer sa gloire, et que c’est cette affection et ce désir qui font qu’on lui présente ses respects, et qu’on lui rend ses devoirs...

Il est de conséquence de redoubler sa ferveur dans la prière dans quelques occasions particulières: comme lorsqu’on est attaqué de quelque tentation violente qui donne lieu de craindre qu’on ne tombe dans le péché, lorsqu’on a de la peine à se vaincre, pour faire quelque bonne action ou quand on a quelque chose à souffrir, à quoi on sent bien de la répugnance. (DA 401-402)


[1] DA = Devoirs d'un chrétien.

[2] EM 2.

    

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