Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Deuxième partie

Évolution de la pensée de saint
Jean-Baptiste De La Salle

Remarque préliminaire

Nous venons de rappeler brièvement la vie de Saint Jean-Baptiste De La Salle. Nous avons vu comment, presque malgré lui, sa vie a été liée à la fondation de l’Institut des Frères des écoles Chrétiennes. Nous avons vu aussi combien, complètement immergé dans la rudesse de la spiritualité de l’École Française, il fut épris d’absolu. Ses Frères furent mis à rude épreuve, et les écoliers durent s’astreindre à une discipline pleine d’amour malgré sa rigueur qui nous fait encore frémir, et cela malgré la nécessité, pour quelques jeunes de travailler. Heureusement des dispenses pouvaient être accordées pour des raisons familiales. La pédagogie du fondateur des Écoles Chrétiennes était sévère, mais elle fut efficace.

La mise en œuvre de cette spiritualité forte, l’évolution de sa pédagogie, cela Jean-Baptiste ne le fit pas de son plein gré: c’était l’ambiance générale du temps. Mais nous devons constater que, non seulement il ne cherchait que ce qui serait le mieux pour ses Frères, pour ses enfants et pour leur salut éternel, mais souvent il se cherchait lui-même. Autant que l’on puisse en juger, il vécut tout au long de sa vie, une nuit obscure, peu éclairée de consolations. Il marchait à tâtons sur un chemin semé d’embûches et d’épreuves.

Nous étudierons plus loin, en détails, sa spiritualité et les grandes lignes de sa pédagogie, mais il nous a semblé utile de résumer dès maintenant ce qui guida et orienta sa pensée dans la construction de son œuvre.

1
La seule vocation des Frères:
l’éducation des enfants

1-1-Le constat

Au dix-septième siècle, tous les enfants étaient immergés, dès leur naissance, dans un univers chrétien: très nombreuses fêtes chômées, liturgiques ou célébrant les grands saints protecteurs en plus des dimanches, processions dans les rues ou dans les champs pour demander, par exemple, de bonnes récoltes ou la fin d’intempéries désastreuses. À cela il faut ajouter quelques sacramentaux rituels; eau bénite, cierges miraculeux, buis des Rameaux, ainsi que de nombreuses superstitions. Les enfants ne pouvaient pas ne pas assister aux querelles religieuses, souvent violentes et proches de la haine, ni entendre les blasphèmes qui jalonnaient les conversations... Les milieux pauvres étaint les premières victimes de ces déchirures qui ébranlaient la foi. Tout cela Jean-Baptiste De La Salle le savait et il découvrit bientôt que sa mission serait de remettre sur pied tant de gosses déstabilisés. Comment faire?

Il fallait d’abord remédier à la pauvreté matérielle; mais les vrais saints comprennent tous, et vite, que les charités multiples ne suffisent pas, car elles transforment les pauvres en assistés, et non en des gens heureux capables de se suffire par eux-mêmes. Il fallait donc commencer par éduquer les enfants et les évangéliser; c’est ce qu’avaient déjà cherché à faire tant de contemporains de Jean-Baptiste, comme Monsieur Vincent ou les Pères Barré et Roland, qui furent proches du Fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes. Dans une société dite chrétienne mais qui ne l’était plus vraiment et où l’on ne savait plus très bien ce que signfiait “être chrétien”, tout sera à reprendre par la base. Il ne faut donc pas s’étonner de la rigueur morale de l’éducation mise en œuvre par Jean-Baptiste De La Salle et de ses Frères.

1-2-Le remède

Les Frères, comme leur fondateur, comprirent vite l’importance de commencer par l’évangélisation des enfants. Ils s’efforceront donc de placer leurs élèves dans un environnement apaisé où ils se sentiront aimés. La discipline sera mieux acceptée, mieux comprise. Le catéchisme sera mis à leur portée et il devra être compris, appris et su. On ira même plus loin: les enfants auront une vie religieuse vivante et intérieure, capable de discerner le péché qui déplaît à Dieu et de lutter contre les mauvaises tendances: les enfants seront appelés à la confession dès l’âge de sept ans. Puis, les Frères envisageront l’avenir de ces enfants, non seulement en les rendant capables de maîtriser parfaitement les savoirs de base: lecture, écriture, calcul, mais en leur apprenant un métier. 

1-3-Une pédagogie sévère

Chaque fois que l’on se penche sur la spiritualité de l’École Française, on reste étonné par son apparente dureté. Dieu est d’abord un juge, juste, mais juge. Il ne sauvera que ceux qui se seront vraiment convertis du fond du cœur. Il faut donc constamment faire pénitence et utiliser des moyens de mortification qui nous épouvantent un peu... Heureusement Dieu viendra Lui-même mettre un peu de douceur dans tout cela en nous révélant son Sacré-Cœur. Il n’en demeure pas moins que, dans la vie de tous les jours, le peuple chrétien imprégné de jansénisme n’était pas tendre avec lui-même. Quant à ceux qui étaient chargés de l’éducation des enfants, cela se faisait avec forces corrections ou punitions dès qu’un écart était signalé. Jean-Baptiste De La Salle ne pouvait pas échapper à l’ambiance qui régnait alors.

J.B. De La Salle estime que “corriger ce n’est pas punir un manquement en en châtiant l’auteur, c’est remettre le coupable dans le droit chemin celui de l’ordre.” Pour lui, la correction doit être pure et désintéressée. Elle doit être charitable, juste, propre et conforme à la gravité de la faute, c’est-à-dire proportionnée. La punition doit aussi être modérée, paisible, prudente, et acceptée par l’écolier.

1-3-1-Les interdits

Une certaine sévérité s’imposera donc: d’où toute une série d’interdits qui peuvent dans un premier temps nous surprendre. Mais comme leur Père Fondateur, les Frères entendent privilégier une société religieuse policée, tout en étant délibérément orientée vers l’amour de Dieu et le respect du prochain. Dans l’ambiance de la Contre-Réforme et des tendances de l’École Française de Spiritualité, une mentalité rigoriste orientée vers la pénitence et la mortification se met en place; fêtes profanes, théâtre et spectacles divers, manifestations de rues, carnaval, danses, jeux d’argent de cartes ou de dés, etc, sont rigoureusement interdits. Les Frères ne font rien de plus que les jansénistes et même que les sulpiciens de l’époque.

1-3-2-Le bon exemple

De ses maîtres et catéchistes, Jean-Baptiste De La Salle exigeait à la fois la rigueur de la doctrine enseignée, et une conduite irréprochable, aussi bien à l’école qu’ailleurs: ”Vous devez être d’une sainteté qui ne soit pas commune, car c’est vous qui devez communiquer à vos élèves la sainteté tant par votre bon exemple que par les paroles de salut que vous devez tous les jours leur annoncer.”

1-4-La souplesse envers les enfants

1-4-1-Les absences scolaires

Malgré tous les efforts des Frères, de nombreux enfants devront continuer à travailler, ce qui leur occasionnera des absences, des lacunes, etc, que les Frères devront s’ingénier à combler, notamment en adaptant les horaires à certaines périodes de l’année, ou en autorisant des dérogations. Les Frères doivent, malgré l’apparente sévérité du règlement de l’école, tenir compte des réalités populaires et des situations familiales. Tous, en effet, sont des enfants de Dieu, aimés de Dieu.

Ces enfants confiés aux Frères sont surtout:

            - Les enfants démunis, astreints à gagner un peu d’argent et que les parents font travailler hors de l’école,

            - Les enfants qui n’ont pas de vêtements de rechange et qui doivent rester à la maison le temps du raccommodage ou du séchage,

            - Les élèves qui doivent parfois aider leurs pères artisans.

Ces enfants ont tout à apprendre: lire, écrire, compter, puis apprendre un métier qui leur permettra de vivre; mais ils doivent aussi s’adapter aux normes du travail, au langage correct, à la bienséance et à la civilité. L’enfant doit améliorer son maintien extérieur, se délivrer de la vermine qui le couvre et retrouver sa dignité d’enfant de Dieu. En conséquence, tout en s’efforçant de tenir compte des contraintes inévitables, les Frères doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour éviter l’absentéïsme autant que possible, notamment en cherchant à convaincre les parents de penser à l’avenir de leurs enfants.

1-4-2-L’évangélisation

Rien de solide et de durable ne pourra se faire sans l’amour et la grâce de Dieu: de cela Jean-Baptiste De La Salle est parfaitement convaincu. Il faut donc que les éducateurs, non seulement connaissent leur métier d’enseignants et soient de bons maîtres, mais, surtout, il faut qu’ils sachent évangéliser leurs élèves. Or, pour évangéliser, il faut d’abord avoir été soi-même évangélisé. Jean-Baptiste De La Salle mettra donc tout en œuvre pour donner aux Frères une forte vie intérieure.

    

pour toute suggestion ou demande d'informations