Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Première partie

7
La consolidation de l’œuvre

1685. Jean-Baptiste De La Salle est directeur de 5 des 7 écoles tenues par des Frères. Les deux autres, de Guise et de Laon, dépendaient d’Adrien Nyel. Le métier d’enseignant dans des classes surchargées (d’au moins 60 élèves, parfois jusqu’à 100) exténuait des organismes mal nourris, exposés aux maladies. Plusieurs Frères, tous jeunes, moururent. En attendant de trouver le personnel nécessaire, Jean-Baptiste les remplaçait... Puis Adrien Nyel, âgé de 64 ans et affaibli voulut retourner à Rouen... Et puis, il y avait aussi la formation des maîtres “qu’il fallait instruire à chanter, lire et écrire parfaitement...”

Enfin, il fallait renforcer la cohésion de l’œuvre.

7-1-La première assemblée-Les premiers vœux

Au début de juin 1686, Jean-Baptiste convoqua à Reims les directeurs de ses écoles. Après une retraite et de libres débats, une question importante fut soulevée: leur consécration à Dieu par des vœux religieux. Dans un premier temps seul le vœu d’obéissance fut proposé, et, le 9 juin 1686, après la messe qu’il présidait, Jean-Baptiste De La Salle prononça le premier vœu d’obéissance, et tous les Frères présents firent le même vœu.

Et chacun retourna chez soi.

Nota: On apprit au cours de cette première assemblée que le Père Nicolas Barré était décédé le 31 mai 1686.

7-2-Les premières bases

7-2-1-Des décès en série

Pendant l’été de 1686, une ébauche de noviciat se forma. Puis le Seigneur, pour fortifier son œuvre, se plut à lui envoyer de multiples épreuves: décès, maladies, incompréhensions, départs, et même un procès,  etc...

Ainsi le 6 septembre 1686 décédait le Frère Nicolas Bourdette, de Laon, âgé de 24 ans. Le 1er mai 1687, ce fut la mort, à Reims, du Frère Jean Morice, âgé de 17 ans. Puis en 1688, le Frère Louis et un autre Frère en 1689 trépassèrent. Et l’année 1691 commençait par un nouveau deuil: la mort du Frère Henri Lheureux. C’est à ce moment que Jean-Baptiste De la Salle déclara à ses Frères que “Dieu lui faisait connaître par cette mort précipitée qu’il ne voulait pas qu’il y eût de prêtres dans son institut." [1]

Jean-Baptiste, lui aussi, fut de nouveau malade et à l’article de la mort. Le médecin lui proposa un traitement “qui pouvait tout autant le tuer que le sauver...” Jean-Baptiste reçut les derniers sacrements, prit le remède “qui eut tout l’effet qu’on en pouvait désirer.” Il guérit, mais une longue convalescence s’imposait...”

7-2-2-Des décisions importantes

Jean-Baptiste confirma, pour les Frères, l’interdiction de faire des études conduisant au sacerdoce. Puis, il fut décidé que les Frères porteraient un nom religieux. Enfin, Jean-Baptiste et deux de ses plus anciens compagnons: Nicolas Vuyard et Gabriel Drolin, le 21 novembre 1691, firent le vœu suivant:

“Très sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, prosternés dans un profond respect devant votre infinie et adorable majesté, nous nous consacrons entièrement à vous pour procurer de tout notre pouvoir et de tous nos soins l’établissement de la Société des Écoles chrétiennes en la manière qui nous paraîtra vous être la plus agréable et la plus avantageuse à la dite société. Et pour cet effet, moi Jean-Baptiste De La Salle, prêtre, moi Nicolas Vuyard et moi Gabriel Drolin, nous dès à présent et pour toujours jusqu’au dernier vivant ou jusqu’à l’entière consommation de l’établissement de la dite société, faisons vœu d’association et d’union pour procurer et maintenir ledit établissement, sans nous en pouvoir départir quand même nous ne resterions que trois dans la dite société et que nous serions obligés de demander l’aumône et de vivre de pain seulement. En vue de quoi nous promettons de faire unaniment et d’un commun consentement tout ce que nous croirons en conscience et sans aucune considération humaine être pour le plus grand bien de la dite société. Fait ce 21 novembre, jour de la Présentation de la Très Sainte Vierge." (CL 7, 313) Désormais les décisions seront prises à trois, conformément à ce vœu trine. L’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes destiné à tenir les écoles gratuitement naissait vraiment.

7-3-Les grands évènements de 1694

Le dénuement de certaines maisons, dont celle de Vaigirard, était grand: “Ceux qui l’habitaient n’étaient pas à l’abri du vent, ni de la neige, ni de la pluie.” Il était impossible de réparer cette maison en très mauvais état. L’hiver 1693 fut une catastrophe pour toute la France et les Frères, qui manquaient de tout, même de pain, souffrirent beaucoup, d’autant plus “que l’usage du feu était interdit.”  La disette qui sévit en  janvier 1694 fut atroce...

7-3-1-Rédaction d’une première Règle

En avril 1694 les novices qui avaient été déplacés revinrent à Vaugirard. Jean-Baptiste y commença une retraite d’un mois au cours de laquelle il rédigea une Règle en quinze chapitres qu’il envoya à douze Frères pour avis. Le premier chapître général se tint du 30 mai au 6 juin 1694, avec ces douze frères.

7-3-2-Les vœux perpétuels

Le dimanche 6 juin 1694, en la fête de la Très sainte Trinité, Jean-Baptiste De La Salle et les douze frères réunis pour ce premier chapître, émirent les premiers vœux perpétuels. Les termes du vœu de 1691 étaient en partie repris, avec toutefois quelques compléments très importants. Ainsi::

            “… je, Frère X, promets et fais vœu de m’unir et demeurer en société avec les Frères, pour tenir ensemble et par association les écoles gratuites, en quelque lieu que ce soit, quand même je serais obligé, pour le faire, de demander l’aumône et de vivre de pain seulement...

            “je promets et fais vœu d’obéissance, tant au corps de cette société qu’aux supérieurs, lesquels vœux tant d’association que de stabilté dans ladite société, je promets de garder inviolablement pendant toute ma vie.

7-3-3-Le supérieur général

Le 7 juin 1694, Jean-Baptiste De La Salle était élu à l’unanimité. À cette occasion il fut nettement établi qu’après lui aucun prêtre ne pourrait devenir supérieur des Frères des Écoles Chrétiennes. 

7-4-Les écoles chrétiennes gratuites

7-4-1-Quelques rappels historiques

Nous nous souvenons que le Chanoine Nicolas Roland, mort le 27 avril 1678, avait désigné Jean-Baptiste De La Salle comme son exécuteur testamentaire, ce qui signifiait que ce dernier:

- devait assurer la reconnaissance légale de l’école qui avait été instituée à l’hôpital des orphelins, et

- était chargé d’obtenir des lettres patentes pour les Sœurs de l’Enfant-Jésus que Nicolas Roland avait fondées en 1670, en vue d’assurer l’éducation des filles. C’est chez les Sœurs de l’Enfant-Jésus que Jean-Baptiste rencontra Adrien Nyel, en 1679.

À la demande de sa cousine, Madame Jeanne Maillefer, Jean-Baptiste accepta d’ouvrir quelques écoles à Reims, mais sous l’autorité des curés de Saint Maurice et de Saint Jacques, à Reims, en 1679. Et il laissait faire Mr Nyel. Mais ce dernier, trop occupé, laissait les maîtres livrés à eux-mêmes et semblait négliger l’éducation chrétienne des enfants scolarisés. Alors Jean-Baptiste s’investit de plus en plus, et s’installa rue Neuve, à Reims.

7-4-2-Les écoles se multiplient

Dès lors les fondations se multiplient: à Rethel, à Guise, à Château-Porcien, et à Laon, en 1679. Peu à peu Jean-Baptiste découvre “que la misère maintient ses victimes dans une situation qui les éloigne du salut, quand elle ne les met pas directement en danger.“ La charge devient vite écrasante pour Jean-Baptiste: plusieurs jeunes frères meurent, et Mr Nyel retourne à Rouen. C’est alors que Jean-Baptiste va commencer la véritable structuration de son œuvre.

À Paris, où les ouvertures d’écoles continuaient, dans des conditions parfois ambigües compte tenu des exigences de certains curés, les épreuves ne manquaient pas non plus, et la misère était souvent présente. Mais en même temps l’Institut se développait en Province: Chartres, en 1699, Calais en1700, etc... Rouen et ses environs bénéficièrent aussi du dévouement des Frères: dans chaque classe le nombre des élèves excédait la centaine!

Les demandes affluent venons-nous de dire, tant à Paris qu’en province. Des écoles s’ouvrent, mais elles sont surchargées: ainsi dans l’École Dominicale destinée “à tous les garçons qui ne passaient pas l’âge de vingt ans... deux cents écoliers, distribués par classe, recevaient les instructions convenables à leur âge et selon leur portée...”

7-4-3-Les écoles chrétiennes gratuites

À partir de 1694, la Société des Frères des Écoles Chrétiennes apparaît à peu près structurée, du moins pour ce qui concerne sa vie intérieure et communautaire. Mais son véritable but, cétait la création et le développement d’écoles gratuites pour les enfants pauvres. Dans leurs paroisses, les curés avaient parfois mis en place quelques petites classes gratuites, mais les enfants devaient obligatoirement travailler en dehors des heures de cours. D’autres très bonnes écoles existaient, mais, payantes, elles étaient réservées aux classes privilégiées de la société. Par ailleurs, presque toutes les écoles étaient tenues et dirigées par des prêtres ou des consacrés appartenant à des congrégations. De plus, elles étaient officiellement reconnues.

Les Frères des Écoles Chrétiennes ne seront pas des ecclésiastiques: cela leur est interdit. Leurs écoles ne sont pas encore reconnues officiellement, ni par l’état, ni par l’Église; elles s’ouvrent à la demande d’un évêque ou d’une paroisse, et certaines, peuvent n’exister qu’en fonction de la tolérance de l’évêque ou de l’accord du curé si ce n’est pas lui qui en a fait la demande. Situation instable entre toutes qui doit rapidement être clarifiée, d’autant plus que les demandes affluent, et que les persécutions contre les Frères ont déjà commencé. Situation étrange que celle des œuvres de Dieu qui, sans aucune exception, sont toujours persécutées!

Très rapidement il fut établi que les Frères refuseraient toute rétribution, quelle que soit la situation financière des parents. Pour Jean-Baptiste, le salut qui nous vient de Dieu est gratuit, que les hommes soient pauvres ou riches. L’école chrétienne est orientée vers le salut des enfants: elle doit donc être gratuite. Dans la Règle de l’Institut, Jean-Baptiste insiste sur le fait que “l’Institut est une société dans laquelle on fait profession de tenir les écoles gratuitement.” (CL 25, 16) Évidemment, cela peut ne pas plaire à ceux qui dirigent des écoles payantes. Il n’est pas normal d’accepter gratuitement des enfants de familles aisées, voire riches. Alors que faire? Et comment choisir les bons pauvres?

7-4-4-Le pensionnat

En janvier 1705 Jean-Baptiste De La Salle avait loué une maison à Saint-Yon et en juillet 1705 il y installait ses novices. Puis, en octobre, il ouvrait sa maison à quelques jeunes de Rouen et des environs. Certes ce pensionnat était payant, mais Jean-Baptiste envisageait l’éducation des garçons plus favorisés financièrement comme celle des pauvres et des artisans: assurer aux jeunes une instruction humaine et religieuse convenable, qui leur donnera, plus tard,  les moyens de vivre et de faire leur salut. Le collège d’enseignement secondaire naissait.

Les familles aisées de la région commencèrent alors à y inscrire leurs enfants “difficiles”. Une section spéciale fut créée pour eux en 1706. Bientôt, un troisième établissement, nommé “pension de force”, allait recevoir les jeunes délinquants. Saint-Yon devenait comme un centre d’expérimentation pédagogique. Dorénavant, les enfants et les jeunes de tous les milieux allaient pouvoir bénéficier du savoir-faire des Frères. Mais d’une façon telle que les riches aideraient les pauvres.


[1] Cahiers Lassaliens (CL 6, 99).

    

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